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Alan Moore s’exprime sur le controversé Lost Girls

Par Publivore, le samedi 5 août 2006 à 13:48:32

Nous avions déjà évoqué cet ouvrage sur la vie sexuelle de trois héroïnes classiques de la Fantasy (Alice, Dorothée et Wendy) par le célèbre auteur de Watchmen, V pour Vendetta, ou encore From Hell.
Ce roman graphique en trois volumes est édité en collaboration avec Melinda Gebbie, qui a commencé ce projet il y a 16 ans comme collaboratrice de Moore, et est depuis devenue sa fiancée. Les éléments de Fantasy ont été écartés, remplacés par des expériences sexuelles dans le monde réel. Le livre a évidemment attiré les controverses. Les fans des personnages originaux ont attaqué Moore pour les avoir transformé en stars du porno, les bénéficiaires des droits du Peter Pan de James M. Barrie examinent la possibilité de poursuites, et certains s'interrogent sur la façon dont Lost Girls met en scène de jeunes adolescents dans des actes sexuels, fréquemment avec des membres de leur famille.

Interview 1/2

Étant donné la controverse à propos de Lost Girls avant même sa publication , êtes-vous anxieux sur les retours quand sortira le roman ?

Alan Moore: Et bien, Melinda et moi en parlons depuis 16 ans, et je pense que notre position est donc très solide. Si nous sommes sérieux à propos de ce roman, et nous le sommes, nous devons être prêts à le défendre. L'une des raisons pour lesquelles nous avons démarré ce projet est que étions malades de l'approche du sexe dans la culture. Elle nous semblait malsaine, contre productive et laide. Dans des pays comme les États-Unis ou la Grande Bretagne, nous vivons dans une culture suintant le sexe, où tout, des voitures aux en-cas est vendu avec une généreuse part de sexe pour le rendre plus attirant. Mais si vous utilisez le sexe pour vendre des baskets, alors vous ne vendez pas seulement des chaussures de sport, mais également du sexe, et vous contribuez à la température sexuelle de la société. On se retrouve avec des personnes qui, sans surprise, connaissent une surchauffe dans ce type d'environnement, et s'ils tentent d'assouvir leur désir en ayant recours aux médias pornographiques largement disponibles, ils obtiendront un instant de satisfaction, mais également un bien plus long moment d'embarras, de répugnance, de dégoût et de honte pour eux-mêmes. C'est presque comme une sorte d'expérience de la boîte de Skinner à l'envers, où une fois que le rat a poussé le levier et reçu la nourriture en récompense, il prend ensuite une décharge électrique.

Je pense que si on pouvait couper cette connexion entre l'excitation et la honte, on pourrait en fait voir surgir quelque chose de libérateur et socialement utile. Ce pourrait être bon pour notre santé et mener à une situation dont on profite aux Pays-Bas, au Danemark ou en Espagne, où la pornographie est partout - parfois très poussée - sans avoir l'incidence des crimes sexuels. Particulièrement les crimes sexuels sur les enfants que nous connaissons en Angleterre, et je crois également aux États-Unis. Il semble au moins potentiellement que la pornographie pourrait procurer une soupape de sécurité dans ces pays, à laquelle nous n'avons pas accès chez nous. Plutôt que d'âtre capable d'avoir une relation saine avec notre propre imagination sexuelle, nous sommes conduits dans des coins obscurs par la honte, l'embarras et la culpabilité, où se terrent toutes sortes de démons. Ceux-ci finissent par franchir la ligne qui sépare le genre de pornographie que nous écrivons avec Melinda, se produisant uniquement de façon imaginaire, des horribles choses qui peuvent arriver dans la vie.

Après vous être immergé dans l'érotisme pendant 16 ans, êtes-vous lassé du sexe ?

AM: Non, non. Nous vivons ensemble en permanence avec Melinda depuis l'année dernière seulement. En temps normal, nous passions deux ou trois jours par semaine ensemble chaque semaine, mais nous vivons ensemble depuis 18 mois seulement. Nous espérons nous marier cette année, si nous arrivons à mettre de l'ordre dans nos documents. Je recommanderais à quiconque travaillant sur leur relation de tenter l'élaboration commune d'un ouvrage pornographique pendant 16 ans. Je pense qu'ils découvriront que ça fait merveille. C'était une heureuse synthèse que chacun ai tendance a bien travaillé avec l'autre. Parce que pour réaliser quelque chose comme Lost Girls, à partir du lancement, on doit être complètement franc l'un envers l'autre.

Notre relation avec Melinda a fait de Lost Girls un ouvrage très différent et bien plus riche que si nous n'étions pas ensemble. Nous avons abordé le travail avec beaucoup de zèle, et notre relation avec bien plus de zèle encore. C'est comme cela que nous avons débuté notre relation, alors que certaines n'atteignent jamais cette condition. Et je dirais après 16 ans de pratique, je suis toujours aussi intéressé par le sexe, et toujours aussi intéressé par l'érotisme dans l'art. Mais je ne tenterais probablement plus de créer une oeuvre telle que Lost Girls. Je pense que dans le future, je préférerais prendre ce que j'ai appris dans cette création et le réintégrer dans mes autres oeuvres. Intégrer des scènes de sexe au milieu de scènes d'aventures ou de la vie de tous les jours, comme s'il s'agissait d'un tout. Ce dont il s'agit, bien sûr. Le sexe n'est pas différentiable du reste de l'existence. Nous avons tendance à mettre des scènes sexuelles inconfortablement proches des scènes de la vie quotidienne, ou des scènes de désespoir et de tourment.

Comment Melinda Gebbie était-elle impliquée dans le projet initialement ?

AM: J'étais déjà un admirateur du travail de Melinda lorsqu'il était encore confidentiel, au début des années 70. Elle travaillait alors pour des gens comme S. Clay Wilson , Spain Rodriguez et Robert Crumb. Je pense que Neil Gaiman a été l'objet de notre rapprochement en lui expliquant ce que je voulais. Elle et moi avons commencé à échanger nos points de vue sur l'érotisme, la pornographie et les comics en tant que support. C'était un sujet que nous pensions ne jamais avoir été traité de la façon dont nous aurions aimé qu'il le soit. Je lui ai alors fait part de l'une de mes idées, une sorte de connexion foireuse entre le vol de Peter Pan et un commentaire de Freud rapprochant les rêves de vol et la sexualité. Je pensais pouvoir en faire quelque chose, mais je n'avais rien obtenu de plus qu'une parodie grivoise de Peter Pan. Melinda m'a alors précisé que dans ses premières planches, elle avait aimé travailler sur des histoires mettant en scène trois femmes. Ces deux idées se sont heurtées, et je me suis alors demandé, si Wendy de Peter Pan était la première, qui pourraient bien être les deux autres ? Alice et Dorothée me sont immédiatement venues à l'esprit. Le type d'histoire en a découlé naturellement, lors d'une conversation à bâtons rompus.

La façon dont nous avons travaillé sur Lost Girls était en fait différente de la façon dont j'ai travaillé sur tout autre comics. Je suis connu pour sortir des scripts de la taille d'un livre, avec des descriptions détaillés de chaque vignette, avec tous les dialogues, les sous-titres et les onomatopées. Mais Melinda n'avait jamais travaillé avec un auteur de script auparavant, alors à la lecture des énormes scripts que j'avais écrits pour les quatre ou cinq premiers épisodes, ça a écrasé son inspiration. Elle n'était pas à l'aise, et elle a suggéré que peut-être je devrais faire des miniatures, ce que je n'avais jamais vraiment fait pour un autre artiste parce que je suis très mauvais en dessin. Je devais écrire des pages d'explications pour leur dire que la petite tâche dans le coin en bas à droite était en fait la tête et les épaules du personnage principal. Mais avec Melinda, comme elle vivait juste ici, je pouvais lui expliquer toutes les décompositions. Elle a pris mes esquisses brouillonnes, le discours d'encouragements et a dessiné ces jolies pages. Ensuite j'ai ajouté les dialogues après que les dessins soient faits, et je pouvais avoir un oeil sur l'expression que Melinda portait au travail. Je pouvais peaufiner les dialogues en fonction des images, donc l'ensemble était plus synchrone. Lost Girls est probablement la plus étroite collaboration que j'ai eu avec un dessinateur sur un comics, sans doute sans surprise. Étant donné le type d'ouvrage, cela demande plus ou moins une relation intime entre les créateurs. Pas seulement une intimité dans le sens physique du terme, mais également mentale et créative.

Lost Girls ressemble à vos autres travaux en ce qui concerne sa structure, très formelle. Il y a huit pages par chapitre, ceux-ci semblent groupés par trois, et il y a trois livres de dix chapitres chacun.

AM: Une grande partie de la structure de Lost Girls provient de sa genèse. Au départ, je devais soumettre une histoire de huit pages pour une anthologie érotique qui devait sortir ici, en Angleterre. J'ai vite réalisé qu'elle allait prendre plus de huit pages, mais bien que Melinda et moi l'ayons conçu comme une oeuvre graphique de 240 pages, nous avons pensé qu'il serait préférable de le découper en parties que l'on pourrait publier en feuilletons.

Et puis je me suis rendu compte dans mes précédents travaux qu'une histoire étendue peut être maintenue plus condensée si on la fait en partie de six ou huit pages. Vous devez façonner chaque petit morceau comme une petite histoire seule, avec un début, un milieu et une fin, ainsi qu'un thème global. Ça semblait une façon de rester concentré sur le sujet en cours, dans cette histoire quasiment tentaculaire. La structure de trois livres semblaient convenir, parce que c'est une très bonne structure pour à peu près n'importe quoi. Et nous avions déjà une idée du découpage de la période dont nous parlions, nous rendons compte que Le Sacre du Printemps (le ballet d'Igor Stravinsky) débutait en 1913 et que ce serait un très bon moment pour la fin du premier livre. L'assassinat de Franz Ferdinand est survenu un an plus tard, ce qui conclut le second ouvrage. Et le déclenchement de la Première Guerre Mondiale était le poids d'orgue de l'oeuvre.

  1. Interview 1/2
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