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Le Voyageur en noir

Titre VO: The Compleat Traveller in Black

ISBN : 978-238267106-1
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : John Brunner (Proposer une Biographie)

Le monde est en proie au chaos : la magie règne, l’humanité ploie sous le joug des tyrans et des dieux, et même les lois de la causalité semblent incertaines.
Mais un mystérieux individu vêtu de noir, appuyé sur son bâton de lumière, parcourt les terres et remplace petit à petit le chaos par l’ordre, amenant l’humanité vers un nouvel âge de rationalité. Est-il homme ou dieu ? De qui tient-il son autorité et ses pouvoirs extraordinaires lui permettant d’exaucer les vœux les plus fous ? Et si son rôle est de mettre fin à l’âge de la magie, n’est-il pas voué à se détruire lui-même ?

Critique

Par Luigi Brosse, le 19/02/2024

Il est toujours risqué de republier un ouvrage ancien. Est-ce encore lisible, pertinent et / ou adapté aux susceptibilités modernes ? Avec quelle finalité : purement académique ou encore préservation du patrimoine ? Autant de questions qui peuvent être autant d’écueils sur lequel l’éditeur peut s’échouer. Dans le cas du Voyageur en noir, cela semblait un pari osé comme nous allons le voir. Et pourtant, saluons Mnémos pour son flair à conduire cette entreprise à bon port.
Petit aparté avant d’attaquer cette critique : l’ouvrage a d’abord été lu en VO, avant de picorer la nouvelle édition française révisée par Patrick Moran. Si cette critique vous inspire, ne ratez en aucun cas l’excellente préface de ce dernier, qui livre de nombreuses clés pour apprécier encore plus sa lecture.
Si John Brunner est reconnu comme l’un des plus grands auteurs de SF britanniques, avec une carrière s’étendant sur plus de 30 ans et plus d’une cinquantaine de publications, il est quasiment inconnu en fantasy. Le Voyageur en noir y est sa seule incursion notable. Il s’agit d’un ensemble de cinq nouvelles, dont quatre parues entre 1960 et 1971. Dans un premier temps, ces dernières ont été rassemblé en un seul volume en 1971, avant que Brunner ne conclue son « cycle » en adjoignant une dernière nouvelle en 1979. Petite anecdote, le recueil complet a d’abord été traduit en français en 1982, avant d’être finalement disponible en anglais en 1986. Cet aparté littéraire est singulier car il durera au total 19 ans (alors que l’auteur était connu pour sa capacité à publier beaucoup et vite) et montre ainsi l’importance que le personnage avait pour l’auteur. Depuis, on ne peut pas vraiment dire que le livre soit devenu un classique chez nous alors qu’il aurait dû logiquement le devenir.
Pour un recueil à la genèse aussi tortueuse, il s’en dégage cependant une vraie unité, autant sur la forme que sur le fond. Du côté du style, on ne peut s’empêcher de penser à Lord Dunsany pour sa prose évocatrice et poétique, ainsi qu’à Vance et sa Terre mourante pour la verve et l’univers baroque et picaresque et enfin à Clark Ashton Smith pour le côté horrifique et son habilité avec le rythme des phrases et des métaphores. Si l’on mentionne ces précurseurs de Brunner, ce n’est pas seulement pour souligner l’inspiration dont il a pu bénéficier et la synthèse très réussie qu’il est parvenu à en tirer, mais aussi pour le tour de force d’être arriver à se hisser au niveau de ces trois pointures littéraires. Stylistiquement parlant, Brunner mériterait une place en compagnie de ses géants de la fantasy.
Pour ce qui est du fond, au lieu de regarder ce qui précède, il semble pertinent de considérer ce qui en a découlé. On l’aura compris il s’agit ici du récit de l’affrontement entre le chaos original et l’ordre qu’apporte le voyageur. Cela peut sembler un motif commun aujourd’hui mais rappelons qu’à l’époque la fantasy décrivait plutôt la lutte du bien contre le mal. Brunner, et c’est sans doute là qu’on ressent le plus ses racines science-fictives, oppose le temps du chaos, synonyme de superstitions, de magie, d’irrationnel et l’ère à venir de l’ordre qui apporte avec elle la rationalité et le progrès pour l’humanité, le tout dans un univers imaginaire clairement prémoderne. Profitons-en pour rappeler que la première aventure mettant en scène un certain Elric de Melniboné par Moorcock ne sera publiée qu’un an après la première nouvelle du Voyageur, dans la même revue qui plus est. On pourrait également citer Zelazny qui explorera des concepts similaires à la même période. Sans aller jusqu’à dire que Brunner fut ici le chef de file, il s’inscrit pourtant dans cette mouvance qui s’éloigne d’une fantasy à la Tolkien et participa clairement à codifier ce trope.
Et il le fait d’une façon originale (encore aujourd’hui) puisqu’il joue clairement avec son idée de départ, la poussant dans ses derniers retranchements. Le Voyageur a pour mission d’apporter l’ordre, en éradiquant les puissances élémentaires nées du chaos et en guidant les humains pour qu’ils renoncent à leurs folies. Pour se faire, il est doté de facultés à la hauteur de la tache et en use, tel un mauvais génie, pour octroyer les souhaits insensés des personnages qu’il rencontre, souvent à leurs dépens. Et c’est là, la contradiction au cœur de l’intrigue, puisque le voyageur par ses pouvoirs et ses interventions est héritier du chaos alors même qu’il préside à l’avènement de la raison. On vous laissera découvrir par vous-même comment l’auteur choisi de résoudre ce paradoxe.
En conclusion, Le Voyageur en noir n’est pas un banal recueil de nouvelles disjointes. Le tout est cohérent, travaillé, pensé comme un, et utilise ses cinq épisodes pour explorer un concept inédit (pour l’époque), avant de nous amener avec maestria à l’inévitable dénouement de ce « roman ». Par ailleurs, la plume est particulièrement travaillée et poétique. L’ensemble aurait légitimement dû se hisser au rang de classique de la fantasy et c’est tout ce que l’on peut souhaiter à cette nouvelle édition.

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