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Un entretien avec Stefan Platteau, l’auteur de Manesh

Par Gillossen, le jeudi 24 avril 2014 à 13:45:00

La couvertureManesh, disponible depuis quelques jours en librairie, constitue assurément l'une des sorties majeures de ce printemps.
Après notre chronique de ce premier tome d'une trilogie à paraître aux Moutons électriques, il était donc maintenant temps de donner la parole à son auteur, Stefan Platteau, qui a gentiment accepté de répondre à nos questions.
A vous de découvrir ses réponses ci-dessous !

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L'entretien

Une question basique pour commencer : comment naît un tel projet ? Est-ce le genre de romans que l’on se sent « obligé » de coucher sur papier ou un projet parmi d’autres pour vous ?
L’univers des Sentiers des Astres est en chantier depuis dix ans. Il a une lointaine filiation avec ma vieille campagne de jeu de rôles, mais s’en est fortement écarté pour intégrer de nouvelles influences mythologiques et historiques. Des scénarii ont émergé tout naturellement de ce vivier, et l’un d’entre eux a fini par s’imposer.
Quant à la « nécessité » de donner vie à cette histoire, la pulsion vitale, elle est apparue quand j’ai commencé à mieux connaître les personnages, à découvrir ce qu’ils avaient à me dire, à explorer le jeu complexe des relations qui se tissent entre eux… bref, quand leur souffle est devenu le mien !
Votre éditeur vous présente comme le nouveau Jean-Philippe Jaworski… Pas trop lourd à porter comme comparaison ?
Il n’y a qu’un seul Jean-Philippe Jaworski, et je suis à peu près certain que ce n’est pas moi…
Je suis nouveau dans le métier, mais je vois des risques à ce genre de comparaison. Danger de décevoir des attentes exagérées, de hausser le niveau d’exigence des critiques, de tenter le diable en eux (ce sont des canaillous, parfois…).
Blague à part, je préfèrerais que le lecteur ne s’attende à rien avant d’aborder Manesh. Mais judicieuse ou pas, la comparaison révèle avant tout l’enthousiasme de mon éditeur, et c’est très motivant pour moi. André-François Ruaud, ce n’est pas quelqu’un qui est dans l’esbroufe…
Quels seraient toutefois vos points communs et vos différences ?
Je ne peux pas parler pour lui, mais je dirais que nous pratiquons tous deux une fantasy nourrie d’Histoire, centrée sur une certaine exploration de la nature humaine, à la fois dans ce qu’elle a d’universel et de culturel. Nous partageons également l’amour des mots.
Ceci dit, « Manesh » n’est pas dans le même registre que « Gagner la guerre » : on n’y trouvera pas de brave type convivial du genre de Benvenuto, du moins pas à l’avant-plan. S’il y avait un parallèle à risquer, ce serait davantage avec « Même pas mort ». Un livre dont je me sens effectivement assez proche : la même envie d’effleurer les mythes, d’explorer des façons de penser très éloignées de la nôtre… idem pour Robert Holdstock, autre référence énorme pour moi.
Ce qui m’a particulièrement frappé dans Manesh, c’est à quel point vos personnages ne sont jamais tout blancs ou tout noirs. Était-ce un but précis à atteindre pour vous ?
Les personnages, c’est ma principale motivation ! J’ai besoin d’être touché par eux, ému par leurs forces et leurs faiblesses, leurs fissures et leurs rêves. Je ne saurais que faire de superhéros infaillibles ! Donc je dirais que la nuance est venue très naturellement, sans même me poser la question…
Fondamentalement, « Manesh » est un duel. Un jeu paradoxal entre deux hommes qui se parlent à cœur ouvert, parfois de façon très intime, tout en se méfiant l’un de l’autre et en se dissimulant des choses essentielles. C’est l’histoire d’une amitié bâtie sur des bases incertaines, avec des cartes qui demeurent retournées sur la table…
J’ai aussi une admiration sans limite pour des personnages plus humbles. Varagwynn le batelier, par exemple, est pour moi un authentique héros. Ce n’est ni un bon combattant ni un sorcier, il ne possède aucun talent héroïque, à part peut-être ses capacités de nageur. Mais il a du courage, le vrai, celui qui nait du cœur. Et une foi inébranlable en l’homme. Quand on y pense, l’importance de ses actes dans le récit est très grande. Ce qu’il fait à la toute fin du livre, c’est incroyable !… et je vous jure que je n’y suis pour rien : il a fait ça de sa propre initiative, il m’a échappé, ce gredin !
On ne peut pas mentionner votre roman sans mentionner votre plume, très travaillée. Est-ce votre style naturel ou cela vous a-t-il justement demandé de reprendre encore et encore la moindre petite phrase ?
Ma méthode d’écriture dépend des passages… en général, je lâche mes dialogues très facilement, sauf lorsqu’il y a des informations importantes pour l’intrigue à faire passer, auquel cas je peux me montrer plus travailleur. D’autres passages sont écrits d’une traite, surtout lorsque l’action doit avancer vite. Par contre, je soigne beaucoup mes atmosphères et les scènes où le surnaturel entre en jeu. Là oui, il m’arrive de ciseler chaque phrase avec un soin d’orfèvre !
Impossible également de passer sous silence le foisonnement mythologique qui habite Manesh. Votre formation d’historien et le poids des sciences humaines qui participent à la structure du récit vous ont-ils servi naturellement ou bien là encore votre démarche fut-elle beaucoup plus « réfléchie » en amont ?
« Les sentiers des astres » puise aux mythologies celtique, finnoise, scandinave, mais aussi hindoue. Bien que l’influence de cette dernière soit plus difficile à repérer, elle est en fait très forte… ma démarche, c’est de retourner aux sources, quitte à lire directement le texte originel traduit (ce que j’ai fait en partie pour le Kalevala finnois et le Mahabharata indien), à la recherche de nouveaux filons à exploiter. En général, on en ressort avec bien plus que des histoires et des monstres : une vision du monde, et toute une société qui se lit en filigrane.
De façon générale, le chamanisme fonde la façon dont je développe la magie et le surnaturel, même si, dans mon univers, il s’agit d’un chamanisme civilisé, complexe et parfois doctrinaire, passé aux mains d’une caste de prêtres-mages qui ressemblent aux druides celtiques ou aux brahmanes indiens…
Comment vous êtes-vous retrouvé chez Les moutons électriques ? Je crois avoir lu que c’était votre premier choix.
Ça l’était, oui ! En fait, ma priorité était d’aller chez les Indés de l’imaginaire, avec une préférence pour les Moutons. Ensemble, ces trois éditeurs réunissent nombre d’auteurs que j’apprécie en France. Et j’aime beaucoup l’idée du collectif, la mutualisation des moyens, la démarche collaborative plutôt que concurrentielle. Je suppose que cela parle à l’autre part de moi-même, celle qui travaille en économie sociale… J’ai le sentiment qu’il se passe quelque chose d’intéressant chez les Indés, il y a une forme de souffle, je voulais en être !
De la fantasy, une trilogie… Est-ce un genre qui vous attire depuis longtemps ?
J’ai toujours été centré sur la fantasy. Je lui trouve un potentiel extraordinaire : il me semble qu’on peut raconter n’importe quelle histoire en fantasy, en s’affranchissant des codes fondateurs du genre, comme le font de plus en plus d’auteurs actuels. Mais j’ai aussi dans mes cartons des projets qui appartiennent à d’autres genres (roman historique, science-fiction). On verra bien, une chose à la fois…
Quant au choix d’une trilogie, c’est lié à la structure de la saga. Chacun des volumes développe le récit de vie de l’un des personnages à bord de la gabarre, en parallèle avec le récit de l’expédition, qui lui est construit sur les trois tomes. Le Bâtard n’est pas le seul qui ait des choses à révéler… un autre personnage va devoir se mettre à table dans le second tome, et un troisième dans le tome conclusif ! Toutes ces confidences, bien sûr, sont connectées d’une façon ou d’une autre à l’intrigue principale…
Combien de temps vous a-t-il fallu pour arriver à la version finale du roman ?
Joker.
Bon, allez…
Pas mal d’années, avec de grandes périodes d’interruption. C’était le bon temps, ça… plus question de musarder à présent ! Ils sont là, sous ma fenêtre. Vous les entendez ? Ils bêlent, jour et nuit ! Ils veulent que j’écrive, ils refusent de me laisser sortir, sinon, tzzak ! Un bon 1000 Volts dans les gencives, pour me rappeler à l’ordre ! Ils ont la laine qui se hérisse pour un rien. Et les gens croient encore que c’est André-François Ruaud qui dirige la maison (rire douloureux)… il est leur esclave, lui aussi, depuis le début !
Pouvez-vous déjà nous glisser quelques mots sur le tome 2 ?
Le tome 2 sera centré sur le récit de vie de la Courtisane, qui est, je crois, l’un des personnages les plus énigmatiques à bord de la Grande gabarre… ce sera l’occasion d’une plongée dans le monde des cités, notamment vu du côté des marginaux, avant de s’immerger jusqu’au cou dans la guerre civile. Mais on parlera aussi beaucoup de l’Outre-monde, de l’influence des esprits, et bien sûr, de condition féminine dans un monde « médiéval ». Il y aura aussi une sorte de « duel » dans ce tome. Un duel dont la lice s’appelle le couple, et dont les règles sont trop souvent fixées par les mâles…
Par ailleurs, l’intrigue principale dans le Vyanthryr va gagner en importance. Le rythme de l’action sera nettement plus élevé que dans le tome 1, les confrontations plus directes. On va rentrer dans le vif du sujet…
Ah, et j’espère que vous n’avez rien contre les Teules, parce que j’ai de quoi écrire un traité d’anthropologie à leur sujet…
Avez-vous des auteurs ou des ouvrages de référence, par forcément relevant du genre fantasy pour le coup ?
Tad Williams, pour les atmosphères et la façon d’amener le fantastique. Lovecraft, pour l’horreur vertigineuse et le frisson ressenti devant le ciel étoilé. Robert Holdstock, pour son sens inné et quasi religieux de la magie. Hugo Pratt, pour l’aventure humaine, et bien d’autres auteurs, chacun à leur façon. Par exemple, à l’heure d’aborder la partie urbaine du tome 2, je repense souvent à un roman de littérature indienne contemporaine : Le trône du paon, de Sujit Saraf, qui met en scène toute une galerie de personnages interagissant dans un quartier de Delhi. Et je pleure encore Garcia Marquez…
Pour un premier roman et un nouvel auteur, que représentent internet et les salons ou les séances de dédicaces en librairies ? Un investissement indispensable ?
C’est en tout cas l’occasion de très belles rencontres, tant avec le public qu’avec d’autres auteurs… pour l’instant, j’y vais avant tout par plaisir !
Toute chronique est-elle bonne à prendre dans le sens où un premier roman a avant tout besoin de visibilité ? Avez-vous parfois envie de répondre ?
C’est un peu tôt pour moi pour parler des chroniques... quant à la tentation d’y répondre, par principe, je m’abstiendrai.
Avez-vous encore le temps de lire vous-même et si oui, avez-vous eu récemment un coup de cœur à recommander à nos lecteurs par exemple ?
Je suis un lecteur frustré, et c’est en grande partie à l’écriture que je le dois. Ayant un emploi à côté, je consacre une grande partie de mon temps libre à écrire (sans même parler de mes activités musicales !), au lieu de m’immerger dans les écrits d’autres. Il m’arrive souvent d’écrire jusqu’à cinq minutes avant de m’endormir. J’ai une pile de livres en retard phénoménale… mais je vais attaquer sérieusement Pandore au Congo un de ces jours, la littérature hispanique me démange….
Et enfin, que peut-on vous souhaiter de mieux dans les semaines et les mois qui viennent, en dehors bien sûr du succès en librairie ?
De beaux échanges avec les lecteurs, trouver mon public, et que lui me trouve aussi, tant qu’à faire. Ah, et puis surtout, prendre autant de plaisir à écrire le tome 2 !

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