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Aujourd’hui en salles : les Boxtrolls !

Par Gillossen, le mercredi 15 octobre 2014 à 13:00:00

Boîtes vocales

Pour que les personnages prennent vie, il faut avant tout qu’ils trouvent leur voix, et c’est pour cela que la synchronisation vocale avec les acteurs constitue la première étape du travail. Les techniciens de l’animation viennent ensuite y ajouter leur talent afin de donner un corps à ces voix. Les photos des acteurs ne sont d’aucune utilité dans les castings chez Laika.

Pour Archibald Trappenard le chasseur de Boxtroll et aspirant aristocrate, le choix de la production s’est porté sur Sir Ben Kingsley. La référence du film à l’univers de Dickens fut l’élément clef qui séduisit le comédien. Pas de clarté sans obscurité. Trappenard est un être obsessif, narcissique et jaloux, des caractéristiques de rêve pour un comédien. Ben Kingsley a poussé la performance jusqu’à demander à jouer plié en deux, afin que l’on puisse sentir l’avarice et la gloutonnerie de son personnage. Par ce procédé il a transformé totalement sa voix en lui conférant une frustration venue du fond des tripes, ce dont les animateurs se sont servis afin de définir son attitude et ses mouvements centrés autour de son ventre. Pour le comédien, les séances d’enregistrement furent très libératrices, sans l’entrave de costumes ni de marques au sol. Son personnage était prêt dès le premier jour de travail car, en sa qualité d’acteur minutieux, il avait soigneusement peaufiné son personnage chez lui. Sa capacité à étirer ostensiblement certaines syllabes, plus que nécessaire, a fini par devenir la caractéristique de son personnage. Malgré son côté méprisable, menteur et manipulateur, Sir Ben Kingsley a su trouver de la fragilité dans les intonations de son personnage, afin que par moments, le spectateur puisse sentir toute l’humanité de sa véritable détresse. À travers son obstination viscérale à vouloir faire partie d’une classe sociale qui le rejette, on ressent son dégoût nauséeux pour sa propre personne et le mépris qu’il porte envers la condition dont il est issu. C’est cela qui fait de lui le véritable monstre dans l’histoire.

Le comédien s’est inspiré de son expérience Shakespearienne et de ses personnages monstrueux, plus vrais que nature, dont la blessure intérieure ne guérit jamais pour finir par les ronger jusqu’à l’os. À la manière de Iago dans Othello, il sème la discorde afin de se sentir grandi quand les autres tombent. Le fait qu’il s’autoproclame unique garant de la paix face à un danger imminent ne sera pas sans rappeler aux parents certains discours politiques discutables. Le talent et l’expérience de Sir Ben (comme l’appelle toute l’équipe) combiné à la jeunesse et l’enthousiasme d’Isaac Hempstead (qui prête sa voix à Oeuf) ont fait de leur duo une partition de duettistes vibrants. Sir Ben Kingsley et le jeune Isaac, même quand leurs personnages se crient dessus, le faisaient avec énormément de gentillesse et de respect. Et si Isaac était très impressionné de donner la réplique à un tel acteur, ce dernier a très vite su le mettre à l’aise grâce à sa bienveillance et la générosité de son jeu. Le jeune adolescent de la série Game Of Thrones - Le Trône De Fer (série crée par D.B Weiss & D. Benioff, 2011) s’est appliqué à trouver le sentiment d’insécurité que pouvait ressentir Œuf quand il quitte son univers familier pour aller s’exposer au grand jour dans une société qu’il sait méprisante à son égard. Inspiré par Tarzan élevé chez les singes, il a travaillé sur les inflexions de sa voix afin que son accent n’ait rien de commun avec le langage parlé par les gens de Cheesebridge. Le réalisateur lui avait demandé de s’inspirer de Kes (Ken Loach, 1996) et notamment de l’interprétation âpre du jeune David Bradley dont c’était à l’époque la première expérience en tant qu’acteur. Isaac en tira ce côté sale gosse miteux, mais intrépide au grand cœur. La première impression devait être qu’il était tombé entre de bien mauvaises mains, pour qu’au fur et à mesure du développement de l’histoire, on se rend compte que la nature des liens familiaux qui l’attache aux Boxtrolls (notamment dans sa poignante relation père/ fils avec Poisson) justifie ses formes les plus incongrues. Ce gamin élevé par une famille aimante à travers la musique et la compassion nous montre que la véritable richesse est celle du cœur. Et si tant est qu’il ait trouvé l’équilibre et l’amour au sein de sa famille adoptive d’éboueurs en cartons, le petit garçon ne sera complet que lorsqu’il saura quelles sont ses origines.

Les enregistrements étaient photographiés et les clichés des comédiens au travail ont largement inspiré les techniciens de l’animation. Brad Schiff un des responsables de l’animation nous livre le secret de l’incarnation des personnages: une savante combinaison d’heures et d’heures d’écoute à l’affût de la moindre inflexion de voix qui pourrait donner des indices ainsi que l’étude attentive de l’expression du visage des comédiens en jeu. Le travail de l’animateur est très proche de celui de l’acteur. Afin de garder le côté physique du mouvement et de l’action, les techniciens rejouent comme des enfants les scènes qu’ils ont vues et entendues afin de se les approprier et de retranscrire leur vivacité. Les enfants sont d’ailleurs une part importante des studios Laika, qui se plaît à leur laisser porte ouverte. C’est pourquoi Elle Fanning avait déjà visité les studios à l’époque où sa grande sœur Dakota y travaillait le rôle de Coraline. Elle se rappelle avoir été fascinée par la fabrication des cheveux et des vêtements tellement miniaturisés pour des personnages qui lui paraissaient de taille normale à l’écran. Sa principale motivation pour ce rôle fut l’intérêt de se mesurer à un exercice aussi précis à ce stade de sa carrière, la qualité du message du film et ...son goût prononcé pour le fromage. Elle prête sa voix à Winnie qui, bien que venant de la haute société et ayant été élevée dans la peur des Boxtrolls, parvient à reconnaître son erreur quand elle finit par rencontrer Oeuf. Elle est l’étincelle qui mettra le feu aux poudres. À travers la voix de la jeune comédienne, malgré les privilèges, le courage et la dignité trouvent le chemin de la rédemption collective. Bien qu’américaine elle a impressionné tout le monde avec son accent parfaitement britannique, travaillé âprement sur Ginger & Rosa (Sally Potter, 2012). Si elle avoue avoir adoré travailler cet accent qui donnait un petit caractère chic et snob à son personnage, Elle Fanning a néanmoins réussi à conserver le côté enfantin de Winnie. Au premier abord elle peut paraître gâtée pourrie, mais on sent vite qu’elle essaie de se faire entendre dans un monde où personne ne l’écoute et qu’elle a désespérément besoin d’un ami. Sa relation avec Œuf passe du mépris à une relation d’égal à égal ce qui permet au jeune garçon de faire le lien avec la véritable nature de son affection pour sa famille. Chacun d’eux est à la recherche de son père respectif et chacun d’une manière différente. Les travers du personnage de Lord Belle-Raclette sont bien familiers des réalisateurs, que leur engagement artistique peut parfois mettre dans la position de pères absents. C’est pour cela qu’ils savent bien qu’au fond le Maire n’est pas un mauvais bougre, même si son goût pour le bon fromage est un peu excessif... Jared Harris était parfait pour ce rôle qui demandait une sonorité digne des publicités d’époques pour les cakes de Mr Kipling, à mi-chemin entre Shere Khan du Livre De La Jungle (W. Reitherman, 1967) et la diction d’anciens acteurs comme Trevor Howard. Parfois sa voix ressemblait tellement à celle de son père (Richard Harris, le Dumbledore d’Harry Potter) qu’elle prenait ce petit ton délicieusement désuet et un brin snob. C’est Jared Harris qui trouva le surnom de Winnie: Winnikins, une manière maladroite pour le Maire de penser que ce diminutif suffit à traduire son affection, sans se rendre compte qu’il est débordé par ses affaires sociales. Quant à sa femme Lady Belle-Raclette, c’est la voix de Toni Colette, actrice oscarisée et fan inconditionnelle de Coraline (Henry Selick, 2009), qui lui prête ses accents à la fois mondains et profondément maternels. Cependant, d’après ses confidences, il semblerait que la comédienne n’ait en commun avec son personnage que son goût immodéré pour le fromage. Professionnellement Toni Colette a savouré avec délectation la composition de son accent, dont elle possède une maîtrise totale de par sa prédilection pour les rôles de composition. C’est la première fois que Laika enregistre ses voix dans un studio londonien, mais le contexte Victorien du film demandait des acteurs à l’accent britannique, et ils n’hésitèrent donc pas à franchir la Tamise. La seule exception était Monsieur Grattons, interprété par un Tracy Morgan déchaîné, qui quoi qu’il fasse, faisait hurler de rire toute l’équipe. Originellement son personnage n’avait que deux phrases à son actif, qu’il répétait en boucle et dans toutes les situations: « très chic, très chic ». Très vite l’idée de commenter chaque situation par des bruits étranges s’imposa et ce fut la porte ouverte au fou rire général dans les studios. Il est donc le seul à ne pas avoir d’accent britannique ce qui donne à son personnage un côté anachronique et déplacé, qui sert sa folie. Une sorte de Terminator des bas-fonds de l’époque Victorienne, complètement azimuté et qui bouscule sans cesse la dynamique des Chapeaux Rouges, en dépit de la direction impitoyable de Trappenard.

Au service du patois parlé par les Boxtrolls, Dee Bradley Baker et Steve Blum, ont mis leur expérience de doublage de créatures en tous genres, en passant des Minions de Moi, Moche Et Méchant et Moi, Moche Et Méchant 2 (P. Coffin & C. Renaud, 2010, 2013) aux Jawas de Star Wars (G. Lucas, 1999, 2002, 2005) ou des Klingons de Star Trek (JJ. Abrams, 2009, 2013). Les deux comédiens se sont inspirés d’accents de langues d’Europe de l’Est, en mettant soudainement une inflexion britannique de manière totalement aléatoire sur certains mots. Mais l’effet était trop dense et ils réduisirent leur charabia à quelques mots, parfois syllabes ou grognements. Un procédé qui permettait de laisser la part plus grande à l’émotivité, plutôt qu’au sens, qui d’un commun accord avec la production fut peu à peu écarté. Au final le but était plus de ressentir que de comprendre ce que disaient les Boxtrolls. Baker interprète aussi le rôle de Poisson, le Boxtroll qui sert de figure paternelle à Oeuf. Il s’est régalé à assumer sa position de père tout en travaillant ce côté enfantin et innocent qu’ont les Boxtrolls. Tandis que Soulier (Steve Bloom) lui, tient la place du frère toujours un peu jaloux. Il est évident pour Travis Knight que « même si les enfants peuvent s’identifier facilement au courage et à l’intrépidité de Œuf et Winnie, ils le feront intuitivement pour les Boxtrolls, qui sont des êtres qui peinent à se faire comprendre et qui manquent de vocabulaire pour exprimer ce qu’ils veulent. » Herbert Trubshaw à qui Simon Pegg prête sa voix est le seul être humain capable de comprendre les Boxtrolls. Un personnage qui l’a séduit par son côté complètement timbré et comique. Mais c’est surtout la douleur immense de père, que ce prisonnier au long cours porte au fond de son cœur, qui a trouvé un écho tout particulier chez l’acteur. Il retrouve ici son compagnon de toujours Nick Frost dans le rôle de Monsieur Truite. Une bonne surprise pour Simon Pegg qui ne savait même pas que son ami figurait au générique.

Le duo Richard Ayoade / Nick Frost (Monsieur Poireau / Monsieur Truite) fonctionnait également à merveille dans la mesure où chacun se moquait de l’autre tout en s’appuyant mutuellement sur leurs propositions respectives. Ces deux larrons, persuadés d’être les héros de l’histoire et d’agir pour la bonne cause, ont été conçus dès l’écriture du scénario pour fonctionner en duo et ont donné aux comédiens l’occasion de rivaliser de talent. Au niveau aussi bien sonore que visuel, la scène du bal est une des plus pointues du film. Il a fallu faire venir des chorégraphes et des danseurs professionnels, afin de placer correctement chaque mouvement sur chacune des marionnettes et ce un nombre incalculable de fois afin de reproduire la dynamique et la fluidité d’un ensemble chorégraphié. L’étendue de la grammaire cinématographique a été nécessaire aux prises de vues, et tous les angles possibles et imaginables ont été explorés par les animateurs Brad Schiff et Jason Stalman avec la complicité de John Ashlee Prat, le directeur de la photographie et Mark Stewart, le chef opérateur. Le tout orchestré par la musique de Dario Marianelli. C’est le premier film d’animation du compositeur, et il a articulé sa partition en trois univers bien distincts, illustrant la caverne douillette des Boxtrolls, le cercle huppé des Chapeaux Blancs et le gang malfaisant des Chapeaux Rouges. Mais pour le bal, la valse fut l’accord majeur d’une séquence complexe sur laquelle Jan Maas, un des animateurs, a travaillé plus d’un an.

À l’interprétation vocale des acteurs, et à l’univers musical, Eric Diddle des Monty Python est venu ajouter son expérience d’auteur pour la chanson phare du film. L’univers créé pour le film n’était pas sans lui rappeler les chansons de Kurt Weil, dans un style cabaret désaccordé. Mais c’est avant tout sa touche Monty Python qu’il a insufflée et qui amène ce côté complètement décalé au film: un véritable pamphlet en rîmes, un réquisitoire contre l’hypocrisie.

  1. Synopsis
  2. Une étape après l'autre
  3. Déballage de cartons
  4. Boîtes vocales
  5. Bobines
  6. Dans les coulisses de Laika

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