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Aujourd’hui en salles : les Boxtrolls !

Par Gillossen, le mercredi 15 octobre 2014 à 13:00:00

Bobines

Avec ses 79 plateaux et plus de 20 000 accessoires faits entièrement à la main, Les Boxtrolls est la plus grosse production jamais envisagée dans le monde de la stop-motion et le quatrième film tourné en Stéréoscopique après Coraline, L'étrange Pouvoir De Norman et Les Pirates ! Bons À Rien, Mauvais En Tout (Aardman, 2012). Quand on pense animation on imagine toujours graphisme et numérisation, mais chez Laika, l’accent est mis sur l’artisanat. Une combinaison subtile d’illustration, de croquis, de peinture, de photographie, d’éclairage, de modelage et de musique. L’utilisation de la Computer Generating (les effets numériques) et du Rapid Prototyping (photocopies en 3 D d’expressions de visages) atteint ici des pics de précision jamais atteints, et les subtilités des personnages, leur palette de jeu et leurs caractéristiques humaines vont bien au-delà de ce que le public pouvait espérer.

Les Boxtrolls a été tourné en Orégon aux studios Laika de Hillsboro. Pour Travis Knight: « l’animation est un moyen, pas un genre. Le genre est un terme limitatif, figeant toute possibilité créative, alors que l’animation est un médium visuel dont la seule limite est l’imaginaire de ses praticiens. Chez Laika, en mêlant le savoir- faire de l’animation à une palette de projets ambitieuse, la stop- motion tend vers l’art. C’est une véritable famille où chacun s’applique à partager une appréhension différente du monde, qui s’appuie sur des contraintes audacieuses. Cette richesse transpire dans tous les plans. » Pour une à deux minutes de pellicule il faut environ une semaine de travail, une seule prise peut prendre jusqu’à une demi-heure de mise en place. Une bonne journée équivaut à une mise en boîte d’une séquence de deux secondes. Un travail de précision que l’on ne trouve qu’en stop-motion. Georgina Hayns, la directrice de la fabrication des figurines nous confie : « C’est un peu comme entreprendre l’escalade de l’Everest. Mais, petites étapes par petites étapes, le travail prend forme, et chacun est encouragé dans sa tâche minutieuse par l’esprit de famille et l’atmosphère bienveillante et encourageante des studios. Le fait d’être dirigé par Travis Knight, qui a assumé chacun des postes de la production, permet une plus grande facilité de communication dans le travail ». La relation entre l’animateur et ses héros est très intime, et la distribution des rôles à un animateur doit être effectuée avec sensibilité afin que l’alchimie puisse opérer. Malcolm Lamont, Daniel Alderson, tous deux ayant travaillé sur L'étrange Pouvoir De Norman et Jeff Riley sur Coraline viennent prêter main-forte à Travis Knight, Brad Schiff et Jason Stalman pour l’animation des personnages.

Pour les décors, Paul Lasaine et le directeur artistique Curt Enderle ont travaillé main dans la main afin de donner forme à l’univers Victorien du film. Il n’était pas rare de voir les animateurs traîner des heures sur ces décors en chantier afin de s’imprégner de leur atmosphère ou de donner leur avis ou un coup de main en fonction des séquences. « C’est la singularité de Laika : Encourager les animateurs à prendre en charge l’ensemble de la création de leurs séquences et faire un vrai travail d’équipe avec tous les artistes qui participent au processus de création. La plupart des gens pensent que le secret de l’animation est la patience, mais c’est, en fait, la capacité à maintenir sa concentration sur de longues périodes qui prédomine. C’est physiquement épuisant, puisque l’animateur passe son temps à ramper et se contorsionner afin de manipuler son personnage, mais également psychologiquement, puisqu’il doit s’adapter à l’humeur de celui-ci, afin de la retranscrire dans ses mouvements. Les erreurs sont légion et font partie intégrante du travail, car parfois elles sont à l’origine d’idées auxquelles on n’aurait jamais pu penser. La flexibilité et l’adaptation sont la clef de ce métier. Et la conception du temps, même si le planning est drastiquement minuté, est relative, puisque certaines séquences peuvent être complétées avec un intervalle d’un an entre chaque prise qui la concerne ».

Le département qui s’occupe des poupées est composé de 60 personnes. Pour chacune des poupées il faut entre trois et quatre mois de travail, combinant le talent de plusieurs départements. Elles sont faites de silicone, de latex et de résine, le tout articulé autour d’un squelette en métal. Un travail minutieux qui doit pouvoir résister aux milliers de manipulations qui vont suivre. Mike Smith ancien story boarder sur L'étrange Pouvoir De Norman était responsable de la création des silhouettes sur papier et sa plume devait capturer l’essence de ce monde imaginaire inspiré de Dickens. Michel Breton, ancien illustrateur sur Coraline s’est basé sur l’univers crée par Smith afin de compléter à l’encre et au crayon chacun des personnages dans ses moindres détails, donnant à leurs visages et vêtements une touche mal dégrossie, fragile et instable que toute l’équipe a immédiatement plébiscitée. Une prouesse technique pour Peg Serena la directrice de l’animation faciale, qui a fait appel à toutes les astuces possibles et imaginables afin de reproduire cette impression, somme toute, presque intangible. Pour le graphiste Nicolas de Crecy et le modéliste Thomas Mcclure, les sources d’inspirations ont été aussi diverses que l’univers de Terry Gilliam notamment dans Brazil (1985) et Les Aventures Du Baron De Münchausen (1988), mais aussi la version de David Lean de Oliver Twist (1947) de Charles Dickens, dont le système de classe social dans les Boxtrolls est largement inspiré. Une fois que l’apparence d’une poupée est approuvée, le modéliste en fait une maquette en 3 dimensions. Chaque département possède une ligne directrice pour chacun des personnages, qui sert de guide aussi bien que de pense-bête, afin de respecter l’unité artistique de la ligne éditoriale.

Après les maquettes on passe à la fabrication des têtes pour lesquelles deux techniques sont utilisées au gré des besoins du réalisateur : l’animation mécanique, parfaite pour les personnages de second plan, et l’animation de rechange, qui permet une plus grande palette d’expressions. Comme sur Coraline ou L'étrange Pouvoir De Norman, les têtes de rechange pour les personnages (d’une texture silicone sur laquelle on peut appliquer des expressions imprimées en 3D), furent largement privilégiées aux têtes mécaniques (d’une texture malléable mais aux traits plus rigides). Une simple grimace demande 150 têtes de rechange et une précision d’horloger. Véritable maquilleur, chaque peintre est assigné, par personnage, à une partie faciale spécifique: Il en créé ainsi toutes les lèvres, un autre tous les sourcils... Chaque partie du corps d’un personnage est moulée séparément à partir de sa maquette d’argile, puis articulée sur une rotule surmontée d’un globe (Ball & Socket)... le même procédé depuis King Kong en 1933.

Le challenge sur les Boxtrolls était de pouvoir articuler ces personnages en leur donnant la capacité supplémentaire de rentrer et sortir à loisir des cartons qui leur servent de carapace. C’était la manière de montrer la timidité des Boxtrolls et il a fallu beaucoup d’ingéniosité à Jeremy Spike pour réussir à intégrer l’armature mobile des figurines aux cartons, et à Georgina Hayns de créer des têtes de remplacement et des membres rétractables. L’armature est le squelette d’un personnage, et elle prend des semaines à être créée. Une fois la marionnette type créée, on en reproduit plusieurs modèles. Pour Œuf il a fallu à peu près 24 poupées, avec une armature de 122 parties indépendantes, faites de 80 composants métalliques différents. Cette fois les personnages étaient plus nombreux et complexes, avec des tailles bien différentes selon leur appartenance à chacune des classes sociales. La référence est toujours le personnage le plus petit: Burette chez les Boxtrolls est devenu le mètre étalon afin de relativiser la taille de tous les autres. Du côté des costumes la multiplication et la complexité exponentielle des personnages étaient également de mise. Déborah Cook responsable de la création des costumes, a dû tester chaque bout d’étoffe et souvent en changer la matière pour compenser l’écart du rendu à l’œil et celui de la caméra. Certains costumes relèvent plus de la broderie que de la couture tellement les détails sont infimes. Comme d’habitude pour cette pionnière de Laika, qui œuvre à ce poste depuis Coraline (Henry Selick, 2009), la recherche des étoffes les plus diverses et les plus raffinées s’est faite à travers le monde entier. Comme les poupées étaient en cours de construction, après des tests grandeur nature, elle faisait l’assemblage sur des mannequins pour les retoucher à posteriori. Il a fallu de véritables personnes habillées de cartons afin de pouvoir analyser la latitude de leurs mouvements. Puis il fallait dupliquer les costumes en fonction du nombre de marionnettes utilisées pour chaque personnage, et finalement patiner le tout, en situation sur le plateau, afin d’être raccord avec la palette des couleurs ambiantes, inspirée par le célèbre tableau d’Eugène Delacroix, représentatif de la lutte des classes et de l’abolissement des privilèges.

Du fait de l’inspiration de l’univers très ciblé de Dickens, le travail a été plus fouillé qu’à l’ordinaire. Cook s’est également inspirée d’interprétations de personnages d’autres fictions pour habiller nos héros. Les fantômes de Daniel Day Lewis dans Gangs Of New York (M. Scorsese, 2002) pour Trappenard, Shirley Temple pour Winnie ou le personnage d’Oliver dans la comédie musicale éponyme pour Oeuf, hantent ainsi la garde-robe du film. Celle des Chapeaux Blancs était inspirée par les ballets russes d’Alexandre Benoît, les Chapeaux Rouges par les Teddy Boys de Londres, mais aussi par des gangs japonais, des années 50. Puis, plus on descendait en terme de classe sociale, plus les couleurs s’assombrissaient et leur palette diminuait, donnant une sorte de hiérarchie de la couleur. Pour les équipes de Laika, le travail de chaque département se fait simultanément, ce qui permet rapidement de créer l’identité visuelle du film. Le superviseur de la création des décors Jon Warren constitue le lien entre chaque département qu’il soit artisanal, ou numérique, afin que tout se coordonne et puisse prendre forme sur le plateau. C’est la fameuse hybridation. Elle permet de faire fi des contraintes matérielles ou temporelles et d’élargir le monde des possibles. Le chef décorateur Kieron Thomas s’inspire des dessins en 2D, puis intègre les poupées en 3D pour harmoniser l’ensemble de la scène créée à l’aide de tous les accessoires à dispositions possibles et imaginables. C’est ainsi, à titre d’exemple, que 24 types différents de végétaux ont été manufacturés afin de former les luxuriants jardins de Cheesebridge.

Lors d’une matinée type, 20 séquences peuvent être tournées et c’est là que le motion control (contrôle à distance) est d’un grand secours, donnant la possibilité aux appareils photo de glisser seuls au milieu des décors, pour une impression de plus grande fluidité. Le système de guidage à distance Kruper pour les travellings et le système Dragon Iota pour les plans fixes, venaient compléter les manipulations des animateurs. Si les plateaux ou les costumes sont construits comme au théâtre, artisanalement, le travail de Brian Van’t Hul, et de Steve Emerson, tous deux en charge des effets spéciaux, vient compléter et accentuer le tout, dès que les prises de vues commencent. Deux spécialistes n’étaient pas de trop, vu l’ampleur de l’ambition d’hybridation sur Les Boxtrolls. Pour Travis Knight: « Bien qu’il soit totalement possible de faire un film de stop-motion sans aide d’effets spéciaux, Laika a voulu mettre la technologie moderne au service de l’artisanat, en les faisant fusionner. Tout repose sur la qualité de l’artisanat et de la manipulation manuelle, mais pour les plans de fond ou d’ensemble la numérisation permet de gagner bien du temps, mais surtout une impression d’espace sans limites. »

Pour le format 3D du film il a fallu quelque 56 appareils numériques afin de pouvoir stocker sur ordinateur l’ensemble pharamineux des photos. Ce qui permettait également aux animateurs de pouvoir visualiser aisément leurs scènes précédentes et de modifier les suivantes en conséquence. Chez Laika on fait feu de tout bois et tous les moyens sont bons pour atteindre l’excellence. Cinq Canon 5D ont servi pour les prises de Stop motion tandis que le département numérique s’est servi d’une Red et de deux Sony HD. Le directeur de la photographie John Ashlee Prat, un des vétérans de Laika, a coordonné l’ensemble des caméras et de la lumière, chapeautant cinq équipes de cadreurs et d’éclairagistes afin de capturer l’atmosphère de l’époque Victorienne. Mais c’est réellement le travail de Brian Mc Lean chef du département du Rapid Prototyping qui a relié la stop-motion à la technologie numérique en révolutionnant l’animation faciale. La technique ancestrale des têtes de rechange, mixée avec le Rapid Prototyping (une impression en 3D où la résine remplace l’encre) aboutit à des « visages » de rechange en volumes, et depuis L'étrange Pouvoir De Norman en 2012, en couleurs ! Le Rapid Prototyping a tellement évolué, que la palette des couleurs peut désormais atteindre des nuances infinitésimales. La résine de silicone a presque la couleur et la texture de la peau, et est facile à peindre. Il ne reste alors plus qu’à façonner l’éclairage pour que les visages s’illuminent de reflets plus vrais que nature. Que ce soit pour les visages de rechange ou les têtes mécaniques, un système intérieur subtil permet de manipuler le tout avec dextérité.

Les accessoiristes viennent compléter le travail des développeurs informatiques et les animateurs n’avaient plus qu’à se servir dans la « bibliothèque d’expressions », avec plus de 1300 boîtes contenant près de 53 000 visages. Aucun détail n’est laissé au hasard et n’est que le fruit d’un travail conjoint de haute précision. Le Rigging Department (l’assemblage) doit ensuite assembler toutes ces pièces d’orfèvrerie et leur cri de guerre depuis L'étrange Pouvoir De Norman est « Rig hard » («ça assemble dur !») C’est aux 6 personnes de cette unité que revient le dur travail de donner à l’animateur toute la latitude de mouvement possible, parfois même en défiant la gravité. Une machinerie complexe de glissoirs, touches, moteurs, treuils, leviers, manettes, aiguilles au marquage calibré, leur permet de ficeler le tout et d’arrimer solidement les poupées, tout en donnant une impression de fluidité. Leur fait d’armes le plus frappant dans Les Boxtrolls est certainement le Mecha Drill, un monstre de plus de 600 pièces de métal, de plastique et d’acier, qui une fois terminé faisait près de 1,60m de haut et pesait 34 kgs. Le riggeur Gerard Syoboda se chargea de le faire fonctionner afin que les animateurs aient la voie plus libre pour se concentrer sur leurs personnages.

L’ensemble des équipes a accès, grâce au logiciel Shotgun à une sorte de classeur énumérant chaque prise, permettant de visualiser l’ensemble produit par l’assemblage de toutes ces techniques, qu’elles soient manuelles, graphiques ou informatiques. Ainsi l’accès informatique à la banque de données de tous les plans permet de conserver la cohérence de l’ensemble des séquences ou du film. La stop-motion peut être un exercice capricieux, mais les accrocs rencontrés, et les effets spéciaux ont été utilisés et détournés pour donner de la vie à Cheesebridge et éviter le côté formel et lisse de l’animation.

  1. Synopsis
  2. Une étape après l'autre
  3. Déballage de cartons
  4. Boîtes vocales
  5. Bobines
  6. Dans les coulisses de Laika

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