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Audrey Alwett nous parle de Bad Wolf !

Par Gillossen, le lundi 6 juillet 2015 à 16:30:00

BadLe mois dernier, nous vous signalions l'arrivée d'un nouveau label, Bad Wolf, dans le paysage de la fantasy bien de chez nous.
Alors que ses trois premiers titres viennent tout juste de sortir - et seront chroniqués tout bientôt sur Elbakin.net - Audrey Alwett, à l'origine du label et elle-même auteure de l'un des trois romans concernés, a bien voulu répondre à nos questions. Du pourquoi de la création d'une telle entité à l'avenir envisagé, en passant par des interrogations plus générales sur le statut de la fantasy à l'heure actuelle, nous avons tenté de faire le tour complet de la situation !
Encore merci à Audrey pour sa disponibilité et bonne lecture !

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L'entretien

Comment est né un tel projet ?
Au milieu de nos scénarii de BD, Christophe Arleston, Isabelle Bauthian et moi-même étions tous les trois en train d'écrire un roman de fantasy. Et on se disait avec un brin d'amertume que ça n'allait pas nous rapporter un centime. Ce qui est très dommage, parce qu'on aimerait en écrire beaucoup plus. Mais voilà, avec des journées de travail qui font déjà quatorze heures, week-end inclus, difficile de bosser sur un roman en dilettante.
On est quand même parvenu à se débrouiller pour le premier. Et économiquement, on a cherché une solution qui serait viable pour tout le monde, y compris pour notre futur éditeur. Comme l'auto-édition a beaucoup progressé et demandait un investissement financier mineur, on s'est dit « pourquoi pas ? »
C'est là que j'ai eu l'idée du Label, empruntée à François Amoretti (qui a monté le sien Four Horsemen d'une façon très différente), Et que j'ai traîné tous mes collègues derrière moi. Si on se plante, ce sera ma faute.
En quoi diffère-t-il, au-delà de ces statuts, d’une structure éditoriale classique ?
Eh bien justement, on n'est pas une structure. On n'est pas une association, pas une entreprise, rien de tout ça. Juste un groupement d'auteurs réunis sous une même bannière et dans une logique d'entraide et de collection.
On imagine que vous visez malgré tout le même degré d’exigence.
J'ai un master en édition et une petite expérience dans ce domaine. C'est quand même formateur. Si je me suis lancée avec Isabelle et Christophe, ce n'est pas non plus un hasard : ce sont deux collègues dont je connais l'excellent niveau littéraire et l'immense intelligence. Je savais qu'ils n'allaient pas écrire n'importe quoi, même si à l'arrivée, on s'est énormément relus, corrigés, épaulés, fouettés même (si, si !)... C'est comme ça que fonctionne le label : un fort système d'entraide.
J'ai aussi défini la charte graphique du label avec une graphiste, Gaëlle Merlini, et nous avons demandé à un ami illustrateur, Pierô Lalune, de nous faire un logo.
Il n’a donc jamais été question pour vous de « démarcher » des éditeurs, du fait de votre « notoriété BD » ?
Non, nous n'avons démarché aucun éditeur, sauf pour leur parler de l'idée que certains trouvent très intéressante. Comme je le disais plus tôt, il y a un vrai souci économique sur le roman aujourd'hui en France. Tout se casse lentement la figure, les éditeurs, par obligation, resserrent les à-valoir et les auteurs se retrouvent complètement étranglés. Il devient urgent de mettre au point une nouvelle économie où tout le monde s'y retrouvera, éditeurs inclus. Bad Wolf, c'est une tentative, une expérience. Aujourd'hui, un livre survit en librairie à peine deux ou trois semaines. Il n'a même pas le temps de trouver son public ! Pas le temps d'un bouche-à-oreille ! Alors qu'avec une pré-édition numérique, on espère trouver déjà une première base de lectorat sur laquelle rebondir au moment de la sortie en librairie. Après tout, quand un livre sort en poche, ça lui redonne une actualité et ça augmente sérieusement les ventes. Des pré-ventes en numérique permettraient trois actualités au lieu de deux. Ça pourrait être bénéfique pour tout le monde.
Dans notre grand enthousiasme (ou naïveté, c'est selon), on n'a pas démarché d'éditeur, mais on espère que ces derniers viendront à nous. On aimerait faire affaire avec quelqu'un tourné vers l'avenir, à la recherche de nouvelles solutions éditoriales. Heureusement, contrairement à la Blanche, c'est souvent le cas des éditeurs de SFFF. En tout cas, ce modèle est déjà en train de s'imposer Outre-Manche, alors pourquoi pas en France ?
Comment vous positionnez-vous du coup dans un marché toujours plus concurrentiel ?
Comme on peut et en croisant les doigts... ? Je crois qu'on a fait tout ce qu'on a pu pour que ça marche. On a mis nos tripes dans nos romans, on a bossé la partie édition comme des fous, on a même investi pas mal dans la communication alors qu'on n'est pas très à l'aise avec ça. Au bout d'un moment, je pense qu'il faut lâcher du lest et accepter de laisser partir son bébé. Ce n'est plus vraiment entre nos mains...
Au-delà de vos trois premières sorties, à quoi peut-on s’attendre par la suite ?
On a deux ou trois collègues qui planchent en ce moment dans l'optique de nous rejoindre. Mais il y aura grand maximum six sorties par an, ce qui représente déjà beaucoup de travail. Quant à Isabelle et moi, nous avons d'autres romans à écrire dans le même univers (bien qu'Anasterry et les Poisons de Katharz soient des one-shots). Christophe est tenté aussi. Mais ça va vraiment dépendre de nos ventes. Nous avons réussi à financer un premier roman et nous en sommes heureux. Mais personnellement, j'ai mis six ans à rassembler assez d'argent pour me dégager le temps de l'écrire. J'aimerais bien avoir les moyens de bosser sur le second plus rapidement.
Quelles sont vos envies, votre ligne ?
Les envies sont hélas incompatibles avec la ligne. Tous les amateurs de chocolat le savent. Blague à part, Bad Wolf, c'est tout simplement de la fantasy, je ne suis pas raciste avec l'une ou l'autre et en fait, la plupart des lecteurs non plus. Donc l'idée, c'est d'accepter ceux qui s'offrent à nous, à condition que j'aime leur texte (ce sera peut-être plus difficile avec la fantasy très, très dark, qui vous tartine du désespoir à la truelle, je n'y suis généralement pas très sensible). Ah, et aussi, il faut une belle entente humaine. Ce boulot demande trop d'énergie pour qu'on se laisse grignoter le cerveau par des chicaneries idiotes. La sérénité est très importante au sein du label.
Question bateau sans doute, mais quelle différence (la plus marquante peut-être) entre l’écriture d’un roman et d’une BD ?
Le roman, c'est beaucoup, beaucoup plus long. Mais la différence majeure réside surtout dans le fait qu'on est seul maître à bord, dans un roman, pas de dessinateur pour vous épauler et ajouter sa propre pierre à votre univers. En un sens, c'est parfaitement jouissif. On a envie de hurler : « enfin seul, je vais faire tout qu'est-ce que je veux ! J'ai le contrôle absolu, MOUAHAHAA ! » D'un autre côté, on a parfois un vrai vertige et, si on a le sentiment de se planter sur une scène, c'est plus difficile de requérir un avis extérieur.
Et votre expérience de scénariste vous a-t-elle aidée sur des points spécifiques, les dialogues par exemple ?
Les dialogues ? Peut-être un peu. Dans la BD, on apprend vite à faire court, efficace et concis, parce qu'il n'y a pas de place dans les bulles. Ça donne généralement un rythme beaucoup plus soutenu. Quand je reprends les premiers textes que j'avais publiés avant de devenir scénariste, j'ai envie de prendre un stylo rouge et de tout raccourcir.
Mais je pense que ce que le scénario apprend surtout, c'est à bâtir une structure. En BD, vous avez peu de place pour les digressions, vous apprenez à couper tout ce qui est inutile et à vous tendre vers votre but comme un arc. Du coup, vous ne vous perdez pas et vous prenez l'habitude de tout construire. La BD apporte aussi beaucoup dans la construction des scènes. On l'entend d'ailleurs dans le mot « scén-ario », l'histoire repose sur un agencement de ces dernières, et il faut apprendre à les structurer.
Certains auteurs acquièrent ce savoir-faire d'instinct. Ça n'a pas du tout été mon cas. Avant de réussir quelque chose, j'ai besoin de l'analyser par le menu. J'ai toujours voulu écrire des romans, mais je pense que si je l'avais fait sans en passer par la case BD, mon niveau serait bien inférieur aujord'hui.
De façon plus générale, que représente le genre fantasy pour vous aujourd’hui ?
Ce que représente la fantasy à mes yeux, c'est surtout un genre qui n'est pas assez lu en France. Je n'arrive pas à le comprendre, d'ailleurs. Les ado en sont fous, et du jour au lendemain, le lectorat disparaît. C'est bizarre, non ?
De toute évidence, le numérique devient incontournable. Stratégiquement, quelle place occupe-t-il chez vous ?
Personnellement, je préfère lire sur liseuse. Ça pèse moins lourd sur les poignets qu'un roman de 500 pages, on ne dérange pas son conjoint le soir quand il veut dormir et ça prend moins de place. Mais surtout : la boutique est toujours ouverte quand on veut un tome 2 un samedi soir à 22h ! Quel luxe ! Évidemment, le papier reste un plaisir à part. Et je continue de beaucoup lire dessus, parce que j'adore tourner les pages et savoir où précisément j'en suis de ma lecture. Sans parler du fait que, lorsqu'on souhaite retrouver un passage quelques chapitres en arrière, c'est quasiment infaisable sur liseuse. Et quoiqu'on en dise ça reste plus confortable pour les yeux que l'encre numérique. Le papier se prête beaucoup plus facilement, aussi. Et franchement, pour un cadeau, vous vous vous voyez offrir un fichier numérique ? Bref, les deux formats ont des avantages. Je ne crois pas que l'un des deux tuera l'autre. D'ailleurs, quand j'ai vraiment aimé un livre sur liseuse, je me l'achète en papier.
Si tout se passe idéalement, comment voyez-vous le label d’ici, disons, 3 ou 4 ans ?
L'idéal, vraiment ? J'espère que le label sera prescripteur de qualité. Et que lorsqu'on sortira un nouveau titre, les lecteurs se jetteront dessus avec confiance en se disant entre eux : « t'as vu ? Le nouveau Bad Wolf est sorti ! ». Mais bon, là, je fantasme pas mal, je crois.
Un petit mot peut-être à titre personnel sur votre roman ?
Les Poisons de Katharz se déroulent dans un univers que je développe depuis presque dix ans. J'ai déjà écrit plusieurs nouvelles dedans, publiées il y a longtemps dans Lanfeust Mag. Et même la série Ogres en BD, qui donne assez bien le ton. Comme les critiques ont été excellentes dans l'ensemble, ça m'a donné assez confiance pour voir plus grand. Évidemment, mon maître reste Sir Terry Pratchett et ça se sent dans l'écriture. Mais j'espère m'en affranchir, malgré tout.
Dans Les Chroniques de la Terre d'Airain, vous trouverez des sorcières, des croquemitaines, des ceintures de chasteté enragées, des sénateurs franchement désagréables, des dilemmes moraux qui font parfois écho à notre propre société, des jeux de pouvoir et, je l'espère, beaucoup d'humanité.
Les Poisons de Katrarz est une histoire qui commence trente jours avant l'apocalype. Un démon est endormi sous Katharz, la ville-prison dont on ne peut sortir et qu'administre tant bien que mal Ténia Harsnik. Cette dernière est la seule à connaître la présence du démon et à pouvoir empêcher son réveil. Malheureusement, la Principauté de Malicorne a décidé de lui déclarer la guerre pour des raisons d'honneur (et d'économie, mais faut pas le dire), ce qui risque de tout faire capoter. Voilà.
J'y ai mis tout mon cœur, mes tripes, et mon ma foi. Il me reste un poumon, j'vous le mets quand même ?
J’aurais aussi aimé vous demander comment on adapte un cycle comme Les Aventuriers de la Mer en bande dessinée ? Même si ça demanderait sûrement une interview entière.
J'ai adoré travailler sur les Aventuriers, surtout que Robin Hobb est adorable. Mais j'ai refilé le bébé à Mélanÿn, une autre scénariste, pour le tome 3 parce que je devenais folle. Adapter un roman, ça implique de le relire une bonne cinquantaine de fois, au moins. À la fin, vous connaissez tout par cœur, mais il y a toujours un mini-détail dont vous n'êtes pas sûr et qu'il faut traquer pour être certain que ce n'est pas votre imagination qui vous joue des tours. En BD, vous n'avez pas non plus accès à la voix off, ou si peu, donc parfois, vous devez créer des scènes pour planter des personnages, des situations racontées autrement dans le roman. Enfin, il y a la question de la place. En BD, vous avez 46 pages, pas une de plus. Vous devez penser votre découpage pour que les éléments importants soient présents et forment une unité, une structure, un climax. C'est un très gros travail de sélection et de restructuration. Honnêtement, j'ai adoré travailler dessus, mais je suis heureuse d'avoir arrêté. J'étais en train de m’écœurer avec l’œuvre originale, c'était trop dommage.
Et enfin, auriez-vous un récent coup de cœur littéraire, en fantasy ou pas, à recommander à nos lecteurs ?
J'ai adoré Le Bâtard de Kosigan, de Fabien Cerutti, qui propose un personnage à la fois ambigu et très malin. Et j'ai beaucoup aimé aussi Fées, Weed et Guillotines de Karim Berrouka, qui mêle intrigue policière et univers féérique. Ça fonctionne très, très bien.
Bien sûr, j'ai aussi beaucoup aimé Les Salauds Gentilhommes de Scott Lynch. C'est un de mes paradoxes : j'adore les personnages vanciens alors que je n'aime pas Vance... Du coup, j'ai aussi eu le coup de cœur pour Le Souper des Maléfices de Christophe Arleston qui fonctionne un peu sur le même genre de personnage et d'intrigue très malins (oui, je place aussi les collègues du label, mais c'est sincère). Et bien sûr, un petit mot pour Anasterry d'Isabelle Bauthian, qui est une fantasy d'une subtilité rare. J'ai rarement vu des personnage aussi intelligemment campés.

Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière


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