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[Compte-rendu] Conférences sur le Seigneur des Anneaux et la théologie

Par Foradan, le dimanche 25 mars 2012 à 20:43:09

L'ombre de la mort

Notons tout de suite que le thème central du Seigneur des Anneaux, comme Harry Potter, c'est la mort et non une quelconque lutte entre le bien et le mal.

Ce syntagme ombre de la mort apparaît au chapitre des maisons de guérison mais surtout dans HoME 9, "the Notion Club papers" : Tolkien raconte comment M. Lowwdham découvre un roman sur la chute de l'Atlantide dont le premier mot est en adûnaic, l'ancienne langue de Númenor, et ce mot, agannelo, signifie ombre de la mort. On le retrouve aussi dans la fonction du conte de fées et son intérêt pour les enfants : ils y découvrent le danger vécus par le héros, ce qui leur apprend la dignité et le courage, ils y croisent le chagrin et apprennent le respect et la contenance, et enfin, il s'y trouve l'ombre de la mort qui enseigne la sagesse : face à la peur de mourir, le remède des contes réside dans l'amour partagé "et ils vécurent heureux pour toujours", la mort ne fait plus peur puisque l'amour vers les autres a dominé l'égoïsme.

L'ombre de la mort dans la tradition vieille-anglaise

Dans les "blickling homelies" du X° siècle, on trouve la mention umbra mortis ; dans "Beowulf", il y a death shade, où Grendel personnifie la mort, laquelle réside en enfer, la mort est sans espoir.

L'ombre de la mort dans la Bible

Tolkien a peut-être travaillé sur la traduction de la bible de Jérusalem (il y a peu de certitudes là-dessus même s'il est compté comme contributeur pour l'édition 1966), et en l'occurrence, les livres de Job et Jonas comportent de nombreuses références à la vallée de l'ombre de la mort. On notera cependant que selon les lettres (pages 237, 246 et 283), chaque mot du Seigneur des Anneaux a été pesé et choisi à dessein ; or, ombre apparaît à 500 reprises et mort 450 fois, soit pratiquement une page sur deux, difficile de contester que ces mots ont une place majeure dans le livre.

Quid de l'ombre de la mort chez Tolkien ?

Il faut distinguer la mort pour les elfes et pour les hommes, voyons ainsi Home 10, Athrabeth Finrod ah Andreth, pour une confrontation des sagesses elfique et humaine. La différence entre les elfes et les hommes est leur rapport à la mort, la longévité des elfes rend scandaleuse la brièveté de la vie des hommes, mais il faut pour cela préciser ce que cela représente pour un elfe.

Les elfes

Pour Finrod, il y a la mort des elfes, qui est une perte, un mal mais pas une fin ; tandis que pour les hommes, c'est une fin sans retour. En effet, l'âme des elfes (le feä) est liée au monde, et elle persiste même si le corps (hroä) est détruit, le corps n'est qu'une résidence pour l'âme ; une fois délogée, elle reste visible pour les autres âmes (ce qui fait partie d'un ensemble de renseignements sur la transmission de pensées). L'esprit est permanent, et comme la mort survenant ainsi vient de Melkor (quand il a distillé le mal sur Arda), la réincarnation des elfes est une grâce divine, mais pour celà, l'esprit doit être jugé par Mandos. La réincarnation est la meilleure réponse qu'un elfe puisse trouver à la mort provoquée par Melkor. Dernière condition, la grâce doit être accordée (voir le dialogue de Manwë et Eru).

Pour distinguer tout de suite du modèle bouddhiste, chez ceux-ci, la réincarnation est un échec, et ce cycle qui peut être dégressif comme mélioratif ne s'arrête que pour atteindre le Nirvana. L'elfe ne se réincarne qu'après un long temps de réflexion et de progression spirituelle dans les cavernes de Mandos. Pour Manwë, la mort est une nouveauté, et l'âme garde l'empreinte de son ancien corps, il joue le rôle de Saint Michel.

De fait, les elfes ne sont pas immortels ("Lettres", page 284), ils n'ont qu'une longévité sérielle jusqu'à la fin du monde, ils sont enchaînés dans ce temps de l'éternité et n'ont pas d'espoir pour après.

Il y a donc une mort passagère suivie d'une possible réincarnation et la mort définitive à la fin des temps : ainsi décrit dans "le Silmarillion" par l'ombre de la mort (passagère) de la Prophétie de Mandos et par l'ombre de la mort dans la prophétie de Huan annonçant le choix de Lúthien de choisir une vie mortelle . L'ombre de Morgoth désigne également l"ombre de la mort, faisant ainsi écho à Beowulf avec une mort personnifiée. La mort définitive des elfes, c'est le retour au néant.

Les hommes

Ils sont étrangers au monde, ils y vivent trop peu de temps pour y être attachés, ils sont libres, quitter le monde, c'est utiliser sa liberté ; ce n'est pas pour rien que l'histoire de Lúthien, l'elfe immortelle qui a choisi une vie de mortelle s'appelle le lai de leithian, le conte de la délivrance.

Tar-Calion (alias Ar Pharazôn), dernier roi de Númenor a tenté en vain de conquérir l'immortalité les armes à la main, la peur (ou l'ombre, c'est pareil) de la mort l'a poussé au péché d’orgueil, aidée par son oisiveté : l'ennui conduit à penser à la mort.

Elessar, premier roi du Quatrième Age, a choisit librement de rendre le don, car pour les hommes, la mort est prévue dans le plan divin depuis la Création, il ne faut pas en avoir peur, la mort est le don qui permet d'accéder à l'au-delà, inaccessible aux elfes.

La perversion de Melkor, c'est de provoquer la peur de la mort et de la fuir égoïstement, l'espoir qu'elle représente a été obscurci. l'ombre n'est pas la mort ; l'ombre, c'est la peur de la mort.

On trouve ainsi dans "le Seigneur des Anneaux" que les Nazgûl sont nommés ombres de la mort (au pluriel), ombres de la peur, ombres du désespoir, Théoden perçoit l'ombre de la mort sur Minas Tirith assiégée. Quand Aragorn soigne le souffle noir avec l'athelas, la comptine de Ioreth mentionne l'ombre de la mort chassée par la main du roi.

Ce qui est remarquable, c'est qu'Aragorn apporte l'espoir, car il est l'espoir (l'un de ses noms est Estel), il n'a pas peur de la mort, accepte le Don et maîtrise la mort (littéralement, la VO utilise death' shadow et non plus shadow of death, l'ombre n'a plus la première place).

  1. Un conte de fées pour adultes ?
  2. La nature du corps des anges : Gandalf et le balrog
  3. L'ombre de la mort

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