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Le Fontanil 2010 : une interview avec Sam Nell
Par Cœur de chêne, le jeudi 23 décembre 2010 à 08:26:48
Sam Nell est un jeune auteur français qui a aiguisé notre curiosité avec son tout premier roman paru chez Mnémos sous le titre "Chevaucheur d'Ouragans".
Profitant de sa présence durant le festival du Fontanil et du fait que seuls quelques petits mètres nous séparaient, nous nous sommes dit qu'il n'allait pas échapper à une interview en bonne et due forme. Jeu auquel il s'est prêté de bonne grâce ainsi que vous pourrez en juger.
En parallèle, la critique de son roman est arrivée sur le site !
Interview réalisée par Belgarion et Coeur de chêne.
L'interview
Bonjour Sam Nell, nous sommes donc aujourd’hui au Fontanil, et nous nous posions plusieurs questions : qui es-tu ? d’où viens-tu ? Tu débarques avec un premier roman chez Mnémos et tu es encore un inconnu du grand public. Pourrais-tu te présenter et nous dire quel a été ton parcours ?
A la base je n’étais pas vraiment conçu pour faire de la littérature. J’étais plutôt un matheux, j’ai fait une école d’ingénieur en aéronautique à Toulouse et puis j’ai changé de voie. Je me suis tourné vers la finance. Parce que j’imaginais que c’était une des dernières professions « romanesque » — ce en quoi j’avais totalement tort… Quoique… Jérôme Kerviel a une très forte puissance romanesque. (rires). Et puis, à un moment donné, je me suis rendu compte que le meilleur moyen d’expérimenter du « romanesque » c’était encore d’en écrire. La Fantasy s’est très vite avérée être un terrain d’essai naturel pour moi. D’abord parce que j’ai été rôliste – et je le suis toujours – ensuite parce que j’en étais depuis longtemps un très gros consommateur.
Tu nous dis que tu es rôliste, que tu lis beaucoup de Fantasy (ce qui est un cheminement un peu particulier par rapport à ton parcours professionnel), mais tu connais donc bien la Fantasy. Que penses-tu du paysage actuel de la littérature et notamment de la Fantasy ?
C’est dur ça comme question. Disons d’abord que je ne considère pas le jeu de rôles et la lecture de Fantasy comme des déviances incompatibles avec un boulot « respectable » dans la finance. Ces temps-ci d’ailleurs, c’est plutôt d’avoir fait de la finance pendant dix ans qui devient de moins en moins avouable (rires). Sinon, j’ai toujours eu l’impression que la Fantasy française souffrait d’un léger complexe par rapport à nos camarades anglo-saxons. Assez similaire à celui dont le cinéma français a souffert pendant un certain temps. Comme si on avait du mal à concevoir de vouloir faire simplement du divertissement, juste pour que le lecteur s’éclate. Et du coup la Fantasy française a longtemps cherché à se différencier, en proposant des concepts plus « intelligents », ou plus « intellectualisés ». Pour autant, ça nous a permis de lire des trucs innovants, atypiques, et que j’adore pour beaucoup. Mais en tant que lecteur, j’en suis venu à me demander pourquoi en France nous n’avions pas d’énormes sagas. Des Roues du temps, des Trônes de fer ou des Princes d’Ambre. Peut-être par crainte de se confronter à ce que les anglo-saxons étaient capables de faire. Un peu comme un cinéaste face aux blockbusters américains et leurs énormes moyens. Cette envie faisait donc partie de mon cahier des charges quand je me suis lancé dans le projet : je voulais que ça envoie, que ce soit extrêmement visuel. Et si au passage c’était pas trop con et écrit correctement tant mieux. Mais sans ambition trop formelle, juste du pur divertissement.
Est-ce que ce complexe n’est pas lié aussi au nombre de ventes ? Il est beaucoup plus facile de rentabiliser un livre de Fantasy en Grande-Bretagne et surtout aux Etats-Unis. Le tirage moyen y est bien plus important qu’en France. Est-ce que dans ces cas-là les auteurs français n’ont pas cherché en intellectualisant à se rapprocher de la littérature générale, plus porteuse, pour faire plus de ventes?
Il y a en France un étiquetage des genres extrêmement lourd, phénomène dont les auteurs de Fantasy sont victimes. Beaucoup de critiques littéraires seraient sûrement capables d’affirmer aujourd’hui encore qu’il n’y a, en Fantasy, que des gens qui ne savent pas écrire. C’était déjà le cas des auteurs de polar il y a vingt ans, mais entre temps la littérature noire s’est refait un standing, elle a changé de catégorie . Il n’y a qu’à regarder le nombre d’auteurs passés de la Fantasy au polar. A part Loevenbruck, j’en vois très peu. Et si on parle de la SF, il y a effectivement un intérêt marketing évident à entrer dans le paysage par la porte de la littérature blanche. Comme ça, je pense naturellement à Dantec ou à Antoine Bello… De plus, les éditeurs anglo-saxons ont effectivement l’avantage, compte tenu de la taille de leur marché, de pouvoir essayer plus de choses. De la part d’auteurs confirmés qui se réinventent ou de jeunes auteurs qui débarquent avec un ovni. Le marché étant beaucoup plus gros, un livre peut trouver son équilibre économique beaucoup plus facilement.
Quelle est justement ta vision de jeune auteur dans le paysage français?
Je n’en suis pas encore à ce stade. Pour l’instant, je suis juste très content d’être « devenu » un auteur dans le paysage français, ça me paraît encore un truc de dingue. Je n’ai rien inventé, je me suis laissé inspirer par tout ceux qui m’avaient précédé, mais j’ai essayé de ne pas entrer dans les catégories existantes, de me différencier de ce qui se faisait avant moi, de ce que je lisais et que j’aimais d’ailleurs. Je ne crois pas être rangeable dans les cases trollo-elfique, médiévo-réaliste, médiévo-décalé, uchronique, ou fantasy urbaine. Mais après, c’est au lecteur de juger…
Tu es donc contre cette idée de tout placer dans des petites cases, de subdiviser la fantasy en plusieurs sous-genres?
Je suis même contre l’idée de faire de la fantasy un genre en soi. Les romans de fantasy les plus intéressants que j’ai lus étaient presque tous des romans post-apo qui relevaient sous beaucoup d’aspects de la SF. Je préfère tout ce qui est trans-genre et je puise moi-même énormément dans le polar ou le roman d’aventure, le cinéma et la BD…
Tu parlais de littérature étrangère: envisages-tu d’être publié à l’étranger?
Pour l’instant, ce n’est pas de mon ressort, mais j’en serais ravi, évidemment. En tant que jeune auteur, ce qui m’intéresse c’est de découvrir l’univers du livre, comment il fonctionne, y compris économiquement. Donc les problématiques de traduction m’intéressent énormément, ne serait-ce que pour apprendre et voir à quoi ressemble le marché anglo-saxon. Au même titre que tout ce qui concernait la promotion internet autour du roman, j’ai adoré préparer tout ça avec l’aide de Mnémos.
Dans ta volonté de sortir d’une écriture française trop « intellectualisée », ne rentres-tu pas dans une optique d’ écriture anglo-saxonne qui pourrait faciliter ta diffusion sur ce marché ?
Peut-être. A la base, je n’ai pas réfléchi comme ça, mais s’ils y trouvent un intérêt, tant mieux. Il leur manquera peut-être quand même certains de leurs repères incontournables : quête messianique et adolescent qui découvre ses pouvoirs (rires).
Pour faire le lien avec ton livre, comment est-ce que tu es passé de ton univers de finance à prendre la plume et contacter un éditeur ? Comment effectue-t-on ce cheminement et quelles sont tes influences, les lectures dans lesquelles tu as puisé ?
Je ne me suis permis d’envoyer mon manuscrit à un éditeur que quand il a été achevé d’une part, et d’autre part relu au moins une bonne vingtaine de fois par des lecteurs dévoués de mes amis. Ça a donc pris un certain temps. La première fois que je me souviens avoir envisagé d’écrire de la Fantasy, c’était en 2003. Il a fallu 2 ans de plus pour poser les premières pierres d’un univers et lui donner la maturité suffisante pour y raconter une histoire. Les premières lignes du roman datent donc de 2005. Et ensuite j’ai fait ça épisodiquement en même temps que je travaillais. Du coup, comme ça avançait trop lentement, j’ai fini par prendre un congé sabbatique. Je me suis arrêté neuf mois avec l’objectif de terminer le roman, mais j’avais encore trop de choses à apprendre et j’ai préféré travailler sur des nouvelles. Et puis le besoin de manger se faisant sentir, la finance m’a rattrapé. Et c’est il y a environ deux ans que je me suis dit que si je voulais aller au bout de cette aventure il fallait que je m’y consacre à 100%. Alors j’ai tout plaqué. Au bout d’une dizaine de mois, le manuscrit était achevé et relu. Donc je l’ai envoyé à Mnémos.
Tu as pu l’envoyer directement à Mnemos ?
En fait, la prise de contact s’est faite par une heureuse rencontre. J’ai fait la connaissance de Xavier Mauméjean sur une dédicace de Lilliputia. On a sympathisé et je lui suis infiniment reconnaissant car il est le premier à s’être intéressé à ce que j’écrivais. On a travaillé ensemble sur un projet pendant que je finissais Chevaucheur d’ouragan. Et quand le livre a été terminé, je me suis naturellement tourné vers lui pour savoir à qui envoyer le manuscrit et il m’a conseillé Charlotte chez Mnémos. Ils nous a présenté et après tout s’est enchaîné très vite.
Et tes nouvelles on peut les trouver quelque part?
Les nouvelles n’ont pas été publiées. L’une d’elles a failli sortir chez Galaxies juste avant le départ de Stéphanie Nicot. Pour l’instant elles dorment dans un placard. Certaines se situent dans l’univers du roman et ont donc vocation à être diffusées. On verra avec Mnémos. Sur internet, ou ailleurs. Les membres de l’équipage du Souffle de l’âme constituent le fil rouge de ces textes. J’ai d’ailleurs encore plein d’idées dans cette perspective et une grosse envie de les développer car il n’y avait pas assez de place pour les intégrer dans le roman, mais l’arrivée à bord de chacun de ces personnages est une histoire à part entière .
Et pour en revenir à tes influences?
Rien que du très classique. Je suis né à la Fantasy avec Tolkien et je me suis enfilé toutes les grandes sagas anglo-saxonnes, depuis Feist, en passant par Zelazny et le trône de Fer. Je dirais que les auteurs qui m’ont le plus marqué en Fantasy sont Georges R.R. Martin pour la puissance de ses personnages, Guy Gavriel Kay pour l’intelligence de sa construction narrative, et Zelazny, même si je ne suis pas fan de son style (peut-être desservi par la traduction), car les Princes d’Ambre ont été un vrai bouleversement, autant pour le plaisir de lecture que pour la maestria avec laquelle il dévoile la cosmologie de son univers (surtout dans les tomes 4 et 5 de la première série). Voilà, en toute humilité, si on me demande « Qui sont mes maîtres ? », ce sont sans doute eux…
Parlons plus spécifiquement de ton ouvrage: comment est-ce que tu as apporté de la cohésion à ton univers? As-tu développé tout l’univers d’abord avant d’y insérer une histoire ou est-ce que tu imagines encore des développements possibles qui vont arriver dans d’éventuelles suites?
Dans la création de l’univers, Zelazny et le jeu de rôle ont été deux influences majeures sur la méthode. D’abord il fallait une cohérence globale, donc une cosmologie, c’est par là que j’ai commencé. Ensuite il a fallu poser les grands équilibres de puissance. J’avais par ailleurs deux objectifs personnels : 1) Je voulais un univers qui donne l’impression d’exister au-delà du cadre de l’histoire. C’était primordial pour moi. Le Seigneur des anneaux en est un exemple très réussi, mais il y en a d’autres qui le sont beaucoup moins. C’est pour ça que je voulais des paysages et des cultures extrêmement variés. Dans ce sens, l’univers a vocation à être développé constamment. Je peux inventer à l’envie. Il existe du reste toute une zone géographique inexplorée qui offre une foule de perspectives en la matière. 2) J’avais eu une révélation à la lecture de Guy Gavriel Kay. Pour lire un roman de Fantasy, il faut la plupart du temps commencer par avaler une carte du monde, souvent simpliste (sauf chez Tolkien et Martin), avec des dizaines de noms nouveaux, de préférence imprononçables. Et en tant que lecteur, je trouvais ces expositions de plus en plus fastidieuses. Mais Kay a inventé un truc génialissime en faisant non pas des uchronies, mais des « achronies », car le lecteur sait très bien lorsqu’il lit les Lions d’Al Rassan qu’on lui parle des derniers califes d’Espagne. Pourtant tout y est différent et les musulmans, les juifs et les chrétiens y sont transformés en adorateurs de la Lune, du Soleil et des Etoiles. J’ai trouvé que son idée avait une puissance narrative sidérante. Je ne pouvais évidemment pas refaire la même chose, mais j’étais dès lors persuadé de l’intérêt de trouver une grille de lecture dans laquelle le lecteur se repère très vite, voire inconsciemment. Sans faire de spoilers, l’univers du roman est un jeu de transpositions géographiques, mythologiques, historiques ou anthropologiques. Autant de références que j’ai pris un malin plaisir à me réapproprier.
Donc tu n’as pas enfermé ton univers dans un cadre strict représenté par une carte mais en revanche dans ta tête ton univers est totalement créé à partir de ces coutumes, ces différents peuples et surtout la cohérence entre ces éléments disparates pour former un tout homogène?
C’est l’objectif en tout cas. Les lecteurs attentifs auront sans doute repérés certaines ficelles de transposition, mais j’aime bien ce jeu. C’est sans doute mon côté matheux qui ressort
Ca me fait penser à Eddings qui donne sa recette pour créer un livre en vingt volume dans le codex de Riva et qui dit à la fin : voilà, vous avez toutes les clés pour faire vingt volumes et des millions d’exemplaire. Est-ce que tu y a pensé aussi?
Non, mais en revanche tu pointes une autre différence entre les anglo-saxons et les auteurs français : ils écrivent énormément sur leur propre travail. Et pour un jeune auteur, c’est extrêmement précieux. J’ai lu en long, en large et en travers tous les conseils de Dan Simmons, Orson Scott Cards et donc Eddings aussi évidemment, qui sont des mines d’or. Même si je n’ai pas repris la recette de David Eddings… Dans les inspirations que je n’ai pas citées il y a Moorcock, inscrit au quatrième de couverture. Je n’en avais pas conscience en écrivant, mais je suis obligé de reconnaître qu’au-delà même de l’aspect superficiel des choses (notamment des duos de personnage qui pourraient rappeler Elrik et son personnage Fenkik), il y a dans la cosmologie des rapprochements évidents à faire avec l’univers de Moorcock. Et peut-être aussi de Eddings, car la dryade de La Mallorée ne devait pas être bien loin quand j’ai conçu celle de mon roman…
Qu’est ce qui a été le déclencheur pour faire ça : un univers où les bateaux volent, qui mêle le chamanisme, la magie druidique, et la magie élémentaire… Comment tu en es arrivé à mélanger tout ça ? Parce que ça donne l’impression d’être une somme d’ambiances très différentes qui se croisent, mais le pire, c’est que ça forme un tout et qu’il est cohérent.
Alors la recette est très simple : j’ai pris tout ce que j’aimais, et j’ai enlevé ce que je n’aimais pas. (Rires) Dans ce roman j’avais envie de raconter des histoires de corsaires, donc il fallait qu’il y ait un bateau. Mais il ne fallait pas non plus que les corsaires soient « classiques ». Donc j’ai décidé que leurs bateaux voleraient. Et à partir de ce moment-là trouver pourquoi, par quels mécanismes et comment ça pouvait pimenter l’histoire. Il y a aussi un certain nombre de néologismes dans le roman, parce que pour moi, pour qu’un univers ait sa cohérence, il doit posséder sa propre terminologie. On ne peut pas plus utiliser la nôtre que pour parler d’extra-terrestres. Donc les navires sont devenus des avire. Le jeu de mot étant un petit péché de l’auteur, mais tellement jouissif à faire… Autre chose par exemple : il n’y a pas de dieux dans le roman. Tout simplement parce que les religions, ça me fatigue. Donc dans mon univers, j’ai décidé de régler le problème à la source. Du coup, ça amène la question de pourquoi et il a fallu trouver de bonnes raisons. Je ne voulais pas non plus d’un univers où la magie serait comptée, qu’elle ait disparu, qu’elle soit en train de renaître ou qu’un grand méchant à l’oeil enflammé surveille son utilisation… Bref, je voulais m’autoriser les effets pyrotechniques, que je puisse me lâcher et que ça cartonne. Je voulais même que tout le catalogue soit disponible, depuis les artefacts atlantes et leur côté steampunk (bombes H dont on aurait perdu le mode d’emploi déterrées par des apprentis sorciers), en passant effectivement par le chamanisme et sa philosophie dans le deuxième acte, et bien sûr la magie élémentaire et son efficacité visuelle. Mais tout ça est interconnecté et la source est unique. Un dernier aspect très important de la création, qui me vient de l’expérience rôliste, c’est la notion d’échelle de puissance. Déterminer ce qui est susceptible de mettre en danger un personnage, qui est en risque de mort quand il se retrouve face à tel phénomène, est capital pour la cohérence de l’univers. L’auteur doit toujours avoir cette échelle à l’esprit, ce serait-ce que pour pouvoir imaginer comment un personnage appréhende les phénomènes auxquels il fait face.
Alors justement, il y a un personnage, Abel de Tyr, qui est un Arkange et qui n’a pas cette échelle de valeur puisque rien ne peut le toucher…
C’est vrai et faux à la fois. Abel sait parfaitement qu’il craint les phénomènes naturels. Il n’est protégé que des intentions de mort violente. Mais l’intérêt de ce personnage était justement de le sortir de cette échelle de puissance. Je voulais une sorte d’anti-héros, sans passer par la case Flaubert. Je me suis donc demandé comment lui interdire l’héroïsme avec un arsenal de Fantasy. Et voilà comment Abel de Tyr s’est retrouvé affublé d’un don qu’il considère comme une malédiction parce qu’il a un prix tandis que moi je récupérais le personnage torturé dont j’avais besoin…
De manière générale, il y a autre chose qui ressort des pages, je veux parler de tout ce qui est phénomène de malédiction. Ça concerne à la fois le narrateur, mais aussi le héros. Qu’est-ce qui t’a motivé pour créer cet aspect sombre ? est-ce que chaque être est maudit ou seulement quelques personnages pour faire avancer l’intrigue ?
Le thème sous-jacent du roman, annoncé par la citation d’Abel en ouverture, est justement l’opposition entre liberté et fatalité. Tous les personnages tentent donc, plus ou moins consciemment, d’explorer leur relation avec le destin. Est-il immuable ? La recherche de la liberté a-t-elle un sens ? Du coup, le destin, la fatalité et les malédictions sont forcément très présents. (Plus que les prophéties qui en revanche ne m’ont jamais vraiment convaincu). Et puis personnellement, je confesse une affection particulière pour les méchants, les ambiances dark, les destins tragiques, et les trucs qui finissent très très mal. Donc mes personnages ont assez peu d’espoir de se retrouver sur des trajectoires rose.
Tu peux nous dire un mot sur l’unité de temps ? Les triades, les lunaisons, tu insiste pas mal dessus dans le roman, notamment en insérant beaucoup de flashbacks.
Les deux éléments de la question ne sont pas vraiment liés pour moi. Tout comme pour les considérations géographiques, j’ai essayé d’utiliser, pour les unités temporelles, des transpositions qui donnent à la fois une identité propre et une cohérence à l’univers. Les triades correspondent à ce que sont nos années, et il y a de bonnes raisons pour que l’on compte en règle ternaire dans cet univers. Les lunaisons sont plutôt l’équivalent de nos mois, et du fait de l’existence de deux lunes, elles permettent des combinaisons complexes mais très précises. Autant que faire se peut, j’essaie donc de ne pas me tromper dans le calcul du temps que mettent les personnages pour se rendre d’un point à un autre par exemple. L’enjeu des flashbacks relève d’une aspiration différente, mais assumée dès l’origine du projet et qui s’est révélée très impactante dans l’écriture. J’avais le sentiment que la littérature nourrit un autre complexe par rapport aux médias de l’image qui ont une puissance et surtout une efficacité d’évocation qu’elle a parfois du mal à concurrencer. Et moi j’avais plutôt envie d’en prendre le contre-pied en puisant autant que possible dans les techniques narratives de la BD ou du cinéma. Le flashback étant sans doute une invention littéraire, mais dont le cinéma, sans doute à cause de sa contrainte de durée, a fait un de ses outils narratifs principaux. Et c’est dans les films que j’ai décodé la puissance du flashback, sa capacité à disséminer les informations plus efficacement, à accrocher le lecteur très vite en évitant les expositions trop longues, ou encore à générer des ellipses plus fluides. Ça créé une sorte de fourmillement autour de l’action, ça donne du relief par rapport à une narration linéaire.
Pour continuer sur la cohésion, comment est-ce que tu arrives à faire cohabiter toutes ces races ? Est-ce que tu avais déjà une vision des races que tu voulais mettre en avant ?
C’est un des outils visuels que la Fantasy offre pour créer de l’émerveillement, ce qui reste quand même son principal enjeu. Une fois de plus, je ne voulais pas me brider, mais il fallait effectivement trouver une cohésion vraisemblable. Le lecteur ne dispose pas encore des clefs qui expliquent la généalogie de ces différentes races, mais on peut dire sans faire trop de spoilers qu’elles ne sont pas toutes à mettre au même niveau. Il y a les races archétypales de ce monde tripolaire : les Atlantes, les Minotaures et les Eldraks. Ces trois-là ont une origine spécifique qui les lie, ou les oppose. Et puis il y a les autres, toute une gamme de peuplades qui ont chacune leur culture en plus d’une caractéristique spéciale… des phénotypes un peu surnaturels dans lesquels l’empire colonial atlante a toujours plus ou moins trempé.
On parle des Atlantes depuis tout à l’heure alors un mot sur l’Atlantide qui a fait couler beaucoup d’encre depuis des siècles. Ta vision avec les Dryades et les Minotaures m’évoque une inspiration Hellénique. Tu évoques à peine la civilisation Atlante dans le roman, on ne sait pas encore ce qu’est l’Atlantide alors est-ce que tu vas interpréter ta propre vision à partir de différentes inspirations ou est-ce que tu ne reprends que le nom pour ensuite différer complètement de l’Atlantide « classique » ?
On pourrait sans doute carrément parler des Atlantides « classiques » parce qu’il y en a déjà eu plusieurs. Et la découverte de cette cité mythique – coeur, poumon et encéphale d’un empire tentaculaire – sera évidemment un des enjeux majeurs du deuxième tome. Tu n’es pas le premier à me parler d’une Atlantide Hellénique. Sans doute les minotaures et les dryades ont-ils insufflé un souffle antique dans l’univers. Ce que j’ai en tête pour l’instant est assez éloigné de tout ça, mais de toute façon, Atlantys ne sera pas exempte de clins d’œil parce que j’adore ça (il y en a d’ailleurs déjà un sur le nom de son impératrice). Mais comme pour tout le reste, je vais passer tout ça dans ma moulinette et en faire un truc qui m’éclate. Et j’aurais sans doute du mal à échapper à l’influence de l’Ambre de Zélazny.
Elle ne finira donc pas engloutie dans les flots en une nuit…?
(rires) A tout le moins, je ne peux pas échapper à la question. « Finira-t-elle engloutie ? » Il y a d’ailleurs un dicton qui est sorti de la version finale du roman : on dit qu’il suffirait que tous les oiseaux d’Atlantys s’envolent en même temps pour que la cité finisse engloutie par les eaux sous son propre poids…
Pour continuer sur le côté Atlantys, tu as plusieurs fois employé le terme de Steampunk. Comment tu en es arrivé à mélanger magie et technologie, quels enjeux il y a à les utiliser conjointement ? Et pourquoi spécifiquement avec les Atlantes ?
Je souhaitais surtout que la magie soit compréhensible. Je veux dire par là que ceux qui la manipulent puissent en avoir une approche scientifique. Essayer de l’étudier, de la comprendre, d’en élargir le champ. Les différentes magies qui coexistent dans l’univers ont chacune leur source et leurs lois « physique ». Il y a des gens qui savent et d’autres qui ne savent pas pourquoi. Par ailleurs, il fallait quelque chose de spécial pour les Atlantes. Je voulais un empire franchement décadent. D’où le caractère Steampunk d’une civilisation détentrice d’artefacts dont elle ne comprend plus les mécanismes mais qu’elle essaie de faire fonctionner en pratiquant des expériences douteuses. La décadence est là, elle a même des côtés très contemporains…
Pour finir sur le livre, les derniers mots lancés à la fin de l’ouvrage laissent présager une suite. Est-ce que tu l’envisages déjà ? Ce serait une trilogie classique ou un cycle plus ambitieux ?
N’oublions pas qu’il s’agit d’un premier roman. Si j’étais allé voir Mnémos en leur disant « voilà, j’ai écrit le premier tome d’une trilogie en douze », ils ne m’auraient certainement pas publié avant d’avoir les douze. Du coup, le roman a été construit pour pouvoir se tenir en une seule pièce. Mais j’ai beaucoup de matière pour développer une suite à cette histoire. La question maintenant c’est de savoir si Mnémos souhaite publier un deuxième tome. A priori c’est bien parti pour. Quant aux perspectives, disons que classiquement, les bonnes histoires s’écrivent en trois ou cinq actes.
Dès le début du livre, il y a une note qui parle d’une BO du roman sur Deezer. Comment t’en es venue l’idée, et comment est-ce que tu l’as mis en place ?
Je suis un énorme consommateur de musique, en tant que lecteur et encore plus en tant qu’auteur. Je lis toujours en musique et mon Ipod ne me quitte jamais. Et pour l’écriture c’est pire : je ne peux pas taper la moindre ligne si la musique ne résonne pas à fond et que mes voisins ne sont pas obligés de taper avec leur balai au plafond (rires). Par ailleurs, la musique est un outil d’immersion que les rôlistes pratiquent forcément beaucoup. Et nous sommes nombreux à avoir réalisé que le plus fantastique réservoir d’ambiances sonores se trouvait dans les bandes originales de films. J’en ai donc toujours fait une utilisation intensive, en tant que rôliste, que lecteur et qu’auteur. Je ne peux d’ailleurs pas regarder un film sans m’interroger sur la qualité de sa bande son et sa potentielle réutilisation. Avec le temps, j’ai constitué une jolie collection que je continue avidement à mettre à jour. Et j’y pioche gaillardement en fonction des ambiances que je cherche, parfois pour des usages totalement décalés. Battle Star Galactica par exemple marche à merveille sur de la Fantasy, il suffit juste d’enlever quelques pistes. D’autres ont une puissance d’évocation de leurs propres univers incroyable. Si vous n’avez pas entendu la BO de Memoir of a Geisha et que vous voulez vous immerger dans une ambiance japonaise, il faut absolument l’écouter, elle est extraordinaire. Voilà pour ma consommation personnelle. En ce qui concerne l’illustration d’un roman, je n’étais pas le premier à me poser la question. Alain Damasio, par exemple, avait fait une très belle tentative avec la Horde du Contrevent. Mais en tant que lecteur, j’étais resté frustré. D’abord parce que le CD vendu avec la Horde doit durer quarante minutes, que celui qui arrive à lire le roman en trois quart d’heure est vraiment très fort, et que par contre au bout de sept fois en boucle, ça tape un peu sur les nerfs. Ensuite parce qu’en terme de qualité, on ne peut pas concurrencer, surtout avec les budget de l’édition française, ce que des virtuoses de l’illustration musicale comme Clint Mansell ou Hans Zimmer peuvent faire. La vraie solution, pour moi, depuis toujours, était de reproduire ma pratique personnelle d’utilisation de bandes originales. Mais pendant très longtemps, les droits d’auteurs ont complètement condamné cette piste d’un point de vue éditorial. Jusqu’à l’émergence des web-radios et surtout des play-lists partageables. C’est là que j’ai eu le déclic, avant même de publier d’ailleurs : « si j’écris un bouquin un jour, je publierai une bande originale recomposée sur last-fm, pandora ou deezer ! ». Je pouvais enfin offrir au lecteur un outil musical adapté à la lecture. C’est d’ailleurs une attitude plus globale, essayer d’être un « auteur 2.0 », trouver des moyens astucieux d’utiliser les technologies disponibles pour agrémenter le plaisir de lecture… Le travail de sélection et de classement pour constituer les playlists est assez long et fastidieux. Je sais ce que j’ai écouté pour écrire les différents actes du roman mais en revanche le rythme n’est pas le même. Il faut essayer de recaler les morceaux en fonction d’une cadence hypothétique d’un lecteur moyen. C’est du moins ce que j’ai essayé de faire, j’espère que ça fonctionne… Mon seul regret finalement c’est de ne pas avoir pu trouver toutes les bandes originales que je voulais. C’est ce qui a présidé au choix de Deezer dont le catalogue était le mieux achalandé en la matière, mais il en manquait encore beaucoup (Avalon par exemple), j’ai donc dû faire au mieux.
Tu as fait bien plus qu’utiliser Deezer puisque tu as créé une bande-annonce du roman et tu as même initié la réalisation d’un audio-book que l’on trouve en ligne sur le site de l’éditeur et celui du roman. Comment as-tu négocié avec Mnémos pour amener l’éditeur à utiliser ces technologies ?
Ce qui m’intéresse dans cette aventure, c’est aussi découvrir le milieu de l’édition que je ne connaissais pas, de voir tout ce que l’on peut faire avec les outils dont on dispose, de bricoler parfois, mais toujours avec l’objectif d’offrir au lecteur un résultat de qualité professionnelle. Avec Mnémos, on a travaillé en parfaite intelligence. L’équipe est formidable, même si je crois qu’ils ont été un peu inquiets au début en voyant l’espèce d’électron libre que j’étais qui proposait à peu près une nouvelle idée toutes les trois minutes (rires). Il a fallu qu’ils s’assurent que je pouvais délivrer pour me faire vraiment confiance… C’était un vrai risque pour eux, mais aussi un pari. Parce qu’il n’y avait évidemment pas de budget pour faire tout ce que j’avais en tête, il fallait que je me débrouille tout seul, mais si ça marchait, c’était du bonus. Il y a d’abord eu la mise en ligne du Prologue. Ce n’était pas le plus difficile. Une fois la maquette terminée, on peut extraire un fichier PDF qu’il n’y a plus qu’à couper pour pouvoir le mettre en ligne. J’avais beaucoup poussé pour qu’on tente de sortir un E-Book sur l’Apple-store. On a beaucoup travaillé, mais on n’a pas réussi à obtenir une mise en page satisfaisante dans les temps. Ensuite je leur ai proposé d’essayer de faire une version audio-book de ce Prologue pour que les lecteurs potentiels puissent faire le test et l’écouter en prenant leur métro. Là, c’était déjà techniquement un peu plus compliqué. Je suis allé chercher des conseils auprès de ceux qui font des pièces radiophoniques et auprès d’artistes contemporains qui pratiquent les lectures en performance. Il a fallu trouver du matériel professionnel parce que mes tentatives de bricolage avec les moyens du bord n’étaient pas d’assez bonne qualité. Et enfin il fallait une voix ! Pas le budget pour un acteur donc je me suis lancé, tout seul comme un grand. Et mon passé de rôliste autant que de théâtre d’impro m’ont été précieux. Au total, j’ai galéré une bonne semaine, mais quand Mnémos a écouté le résultat, je crois qu’ils ont tout de suite été convaincu du professionnalisme et qu’ils étaient super contents. Après, on s’est lancé dans la programmation du site internet comme vitrine pour le roman et comme support de contenu pour le prologue, la bande originale et la bande annonce. Mnémos n’avait évidemment pas les moyens de le développer donc je l’ai fait avec des potes. Pour eux, c’était du pur bénévolat, ils ne travaillaient que pour mes beaux yeux, mais ils se sont défoncés et on a essayé de sortir quelques chose de propre. Et puis la cerise sur le gâteau bien sûr, c’était la Bande Annonce qui a été diffusée au Fontanil pour la première fois, qui a été mise en ligne dans la foulée et qui a dépassé le millier de vue en à peine quatre ou cinq jours. Ce petit buzz a vraiment été une super récompense pour toute l’équipe qui a bossé dessus parce qu’on a trimé pendant pas loin de quatre mois. C’était un travail astronomique. Dessins de Seb Bermes (l’illustrateur du roman), animations vectorielles de David Gomez et Martin Guillon, plus une bande son originale composée par Emmanuel Delpy. En réalité, je n’ai fait que donner mes idées et ce sont eux qui leur ont donné vie. Encore une fois, juste pour mes beaux yeux. Mais le résultat est là et j’espère qu’ils en sont aussi fiers que moi.
Est-ce que tu as d’autres projets dans l’écriture ou en dehors ? D’autres salons sur lesquels on va pouvoir te retrouver ?
J’ai eu l’honneur d’être invité au sommaire de l’anthologie des Imaginales par Stéphanie Nicot. Donc je travaille sur une nouvelle qui reprendra les personnages de Drago et Tao Wang Li. Le projet suivant est un polar en cours d’écriture. Un polar financier puisque j’ai trempé dans le milieu. Pas dans la lignée de Wall Street, mais plutôt les débuts de Dantec, Stieg Larsson ou DOA, des maîtres quoi (rires). C’est un projet plus lourd et plus compliqué que d’écrire de la Fantasy parce qu’il y a un gros travail d’enquête, et qu’on a un devoir de crédibilité. Il ne suffit pas d’avoir de l’imagination, on peut écrire de grosses conneries et on ne nous le pardonnera pas. Ensuite, il y aura éventuellement la suite de Chevaucheur d’Ouragan et puis entre-temps, il faudra que je travaille un peu parce que mine de rien il faut manger et que pour l’instant j’ai pas encore écrit de Best-Seller (rires).
Est-ce que tu connaissais déjà Elbakin.net avant de nous rencontrer sur le Festival du Fontanil ? Tu passais peut-être sur le Forum ?
Oui, bien sûr, je connaissais le site, j’y passe. Par contre je ne pratique que très superficiellement les forums. C’est trop chronophage. Je suis un certain nombre de discussions, y compris sur des mailing lists mais je m’y implique rarement.
Et un petit mot sur le site ?
Je regrette juste que Drago Ilianar ne participe pas au tournoi de personnages qui vient de commencer. J’espère qu’il y sera une prochaine fois.
Je te laisse la parole pour le mot de la fin ?
Je le laisse moi-même à Trestan Vortigern parce que nous ne sommes que de piètres acteurs à qui il ne reste qu’une seule liberté. Sortir de scène. Avec ou sans les honneurs…
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