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Un portrait de Tad Williams

Par Heloise, le mercredi 14 juin 2017 à 17:57:11

TDDavid Barnett établissait en janvier 2017 un portait de Tad Williams pour The Guardian.
Alors qu'il sera sans aucun doute l'une des stars de l'année en fantasy (épique) avec son retour à l'univers de sa trilogie L'Arcane des Épées, nous ne pouvions faire l'impasse dessus !
Bonne lecture.

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L'article

Sans Tad Williams, il n’y aurait pas de Trône de fer. Portrait du romancier américain, ou comment réinventer la fantasy – et pourquoi personne ne pense jamais que ce sont eux les méchants.

Quand Tad Williams, l’auteur américain de fantasy, a rencontré pour la première fois George R.R. Martin, l’auteur du Trône de fer, ce dernier lui a grogné dessus un Foutez-moi le camp d’ici ! Il ne s’agissait pas là d’une égoïste embrouille de plus entre littérateurs ; Martin voulait simplement que son confrère rentre chez lui finir le prochain épisode de sa série L’Arcane des épées, épisode qu’il avait attendu patiemment de pouvoir lire. Peut-être un tantinet hypocrite de la part de l’auteur de la série du Trône de fer, Martin, dont la lenteur à écrire est célèbre, et qui reçoit amour et plaintes de fans attendant furieusement son prochain livre. Mais si Williams, qui aura 60 ans en mars, n'a peut-être pas un nom aussi connu que celui de Martin, il mérite une reconnaissance culturelle plus large : sans Tad Williams, il n’y aurait pas de Trône de fer.
Le Trône du dragon et le reste de sa célèbre « trilogie en quatre livres » ont été quelques-unes de mes sources d’inspiration pour écrire ma propre trilogie en sept livres, a déclaré Martin en 2011. La fantasy a eu mauvaise réputation à cause de ses conventions et rites. Puis j’ai lu Le Trône du dragon et j’ai dit « Mon Dieu, ils peuvent faire quelque chose avec ce genre, et c’est Tad qui est en train de le faire. » C’est l’une de mes séries de fantasy préférées. 
Dans les années 1980, la mauvaise réputation du genre était bien méritée : trois décennies après la publication du Seigneur des anneaux, la fantasy piétinait toujours les sentiers battus et à peine voilés de l’Europe médiévale. Les mondes fictifs étaient invariablement peuplés d’elfes et de nains, d’orcs et de gobelins, de héros en quête et de personnages féminins en (au mieux) deux dimensions. A l’instar de Martin, Williams a été autrefois désenchanté : ayant été époustouflé par Le Seigneur des anneaux à l’âge de 11 ans, il a passé des années à dévorer tous les livres de fantasy qu’il pouvait trouver – et restait sur sa faim. Je recherchais de l’originalité, et ce que j’obtenais c’était du réchauffé de réchauffé de Tolkien, dit-il. Il a fini par me venir à l’esprit : je peux faire mieux que cela.
"Mieux que cela" serait son roman de 1988 Le Trône du dragon, le premier livre de sa série L’Arcane des épées, installé dans le monde richement détaillé d’Osten Ard. Il a été suivi en 1990 par La Pierre de l’adieu puis en 1993 par La Tour de l’ange vert, lequel a été découpé en deux volumes, faisant de la série une trilogie en quatre livres. Pour quiconque est venu à la série en plein essor de la fantasy post-Tolkien, tous les éléments étaient là : les Sithi ou Norns de Williams, semblables aux elfes, et ses Quanucs aux allures de trolls. Mais rétrospectivement, la série a marqué le début d’un type de fantasy plus conscient politiquement et conçu de façon complexe. La dette que Westeros doit à Osten Ard est indubitable.

Williams est né Robert Paul Williams à Palo Alto, en Californie, mais le nom d’enfance de Tad – une référence à un personnage de la bande-dessinée américaine Pogo, diffusée de longues années – est resté. Grand lecteur mais jamais doué pour les études, Williams est allé à l’Université de Californie, Berkeley, mais admet qu’il n’était pas « dans le bon état d’esprit pour étudier » et a abandonné au bout d’un semestre. Il savait qu’il voulait créer, ce qui l’a amené à jouer dans des groupes de rock, travailler dans le théâtre, être DJ d’une station de radio, tout en occupant ce qu’il appelle « des boulots merdiques pour garder un toit au-dessus de ma tête » – tout, depuis vendeur de tacos et recouvreur de prêts jusqu’à dessinateur de manuels militaires.
Le mot « potentiel » circulait beaucoup quand j’étais plus jeune, dit-il en riant. Quand vous êtes jeune, c’est une chose positive à entendre sur vous. Mais quand vous arrivez à la vingtaine, il se peut que cela soit un peu déprimant si les gens sont en train de parler de votre potentiel mais qu’en réalité vous ne faites rien.
Alors Williams a commencé à écrire, produisant La Légende du noble chat Piste-Fouet, roman de fantasy ayant pour sujet un chat dans un monde d’animaux conscients. Ce livre a trouvé un éditeur alors qu’il était âgé de 28 ans ; même trois décennies après, le sentiment d’accomplissement qu’il a éprouvé à cette première vente est palpable. Après environ huit ans à mettre au monde des créations, c’était finalement une certaine récompense, et j’étais genre, Dieu merci ! ça a été un peu un choc, mais aussi un immense soulagement.
Williams n’a pas seulement renversé les tropes de la fiction de fantasy, il a demandé aux lecteurs de les interroger aussi, en particulier l’idée d’un âge d’or, que le passé était plus brillant, plus élégiaque, plus beau, que c’est un état transitoire dans un monde déchu.Il marque une pause, presque comme pour étudier cette possibilité. Et si l’idée de l’âge d’or était fausse ? Et s’il avait ses propres secrets ? 
Williams a continué d’être prolifique après L’Arcane des épées – une autre série de quatre livres dans L’Autremonde, quatre de plus dans son épique Royaume des marches des années 2000. Les livres de L’Autremonde lui ont apporté une renommée internationale, en particulier en Allemagne, où Williams est vénéré à égalité avec Martin. Les librairies accueillent ses ouvrages dans leurs vitrines, il fait des couvertures de magazines, et il y a même eu une adaptation radiophonique allemande des livres de L’Autremonde. Il est le David Hasselhoff littéraire, plus grand en Allemagne qu’aux Etats Unis.
Il éclate de rire à la comparaison. Je n’y avais pas encore pensé de cette façon. Peut-être bien ! Je n’ai pas découvert que j’étais grand là-bas pendant longtemps, à cause de la façon dont les contrats étaient présentés. Il a fallu que ma femme jette un œil de plus près aux contrats, ce n’est qu’à ce moment que nous avons réalisé que je vendais beaucoup de livres en Allemagne. Je vais là-bas assez souvent maintenant.

Williams vit toujours en Californie, avec son épouse Deborah, d’origine britannique, leurs deux enfants et toute une ménagerie. Il a beau se plonger dans la construction de mondes imaginaires, il est également très conscient des drames réels qui se déroulent autour de lui, tels que Donald Trump en président entrant.
Peut-être est-ce parce que je suis un libéral de gauche, mais je pense que nous sommes dans un tas d’ennuis, dit-il. J’ai des amis homosexuels et hispaniques qui sont absolument terrifiés. Ça va être un chemin ardu. Il marque une pause. Mais nous avons survécu aux années Reagan, nous avons survécu aux années Bush. Il nous suffit de faire profil bas pour survivre aux années Trump.
Le changement de régime à Washington coïncide avec un regard neuf sur le monde d’Osten Ard. En avril, une nouvelle trilogie débutera : The Last King of Osten Ard, avec comme premier livre The Witchwood Crown, qui représente une nouvelle ère pour le territoire, longtemps après les événements du Trône du dragon. Pour combler l’écart entre les deux séries, ce mois-ci Williams a publié chez Hodder et Stoughton The Heart of What was lost, un court roman qui les relie. Dedans il se focalise sur les Norns, la race similaire aux elfes, et sur ce qui leur est arrivé après les événements de L’Arcane des épées. C’est, en vrai style williamsien, moralement ambigu. Dans la fantasy, il y avait l’idée que les autres races, orcs, gobelins ou autres, étaient absolument mauvais par essence. Mais même les orcs de Tolkien doivent avoir éprouvé quelque raison à ce qu’ils étaient en train de faire. 
En revisitant Osten Ard, Tad Williams tente peut-être, consciemment ou non, de trouver un sens aux transformations du monde dans lequel nous nous trouvons vivre en ce début 2017. Difficile de savoir si c’est du gouvernement Trump qu’il parle, ou de ses Norns de L’Autremonde lorsqu’il dit : Personne ne pense que ce sont eux les méchants – à moins qu’ils ne soient des sociopathes, dans tous les cas.
Parce que c’est cela, bien sûr, que la meilleure fantasy a toujours fait : nous renvoyer le reflet de notre propre image à travers le verre dépoli d’un miroir magique.


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