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Neil Gaiman craint de devenir respectable

Par Lisbei, le mercredi 3 décembre 2008 à 10:00:58

Neil Gaiman est un homme plus facile à contacter que beaucoup de gens qui travaillent pour lui. Ça arrive parfois avec les gens vraiment grands et connus. C'est en tout cas l'opinion de l'auteure du blog Bookwitch (littéralement "la sorcière du livre"), un blog fameux qui parle de littérature pour enfants. Celle-ci, après moult pression sur Ian Lamb de Bloomsbury, a réussi à obtenir une interview avec Neil Gaiman lors de sa tournée pour The Graveyard Book. Il ne restait plus qu'à planter le décor : l'hôtel de Neil à Edimbourg, un petit salon tranquille avec un très bon thé et l'auteur Julia Bertagna de Glasgow en renfort. Elbakin.net vous propose aujourd'hui la traduction de cette "petite" discussion.

En discuter en forum

Interview traduite

Julie et Neil discutent de séances de dédicaces, et Neil parle de la première qu’il a faite pour des enfants, qu’il a trouvée terrifiante. Julie répond qu’elle a surtout affaire à des adolescents, et elle reconnaît que les adultes savent se tenir même s’ils ne sont pas intéressés. Oui, dit Neil, les enfants vont bavarder à voix basse entre eux, ou même à voix haute. Ou ils vont ouvrir un paquet de chips, répond Julie.

Bookwitch : Neil, je crois que votre premier contact avec Vanessa chez Fidra concernait un de vos livres pour enfants favoris, que vous souhaitiez qu’elle réédite ?

Neil : Non, en fait, tout a commencé avec deux journalistes qui discutaient de leurs livres pour enfants préférés, et ils sont tombés sur les livres de Victoria Walker, et ils m’ont envoyé un mail, parce que j’avais parlé de ces livres sur internet. Ils m’ont demandé Avez-vous lu The Winter of Enchantment ? et j’ai répondu Oui, c’était un de mes livres préférés et il a dit mais qu’est-il donc devenu ? Et du coup j’ai rêvassé à voix haute sur mon blog à ce qu’il avait bien pu advenir de Victoria Walker. Vous avez cet auteur de livres pour enfants qui est aimé et admiré, et ces livres se vendent jusqu’à 900 £ en ligne, et personne ne sait ce qu’elle est devenue.

Nous avons essayé de retrouver sa trace, et quelqu’un qui lisait mon blog, et qui était également agent littéraire a additionné deux et deux et il l’a contactée. Il m’a envoyé un mail puis j’ai été contacté par Fidra parce qu’ils souhaitaient que je parle de tout ça dans mon blog, et ils pensaient que j’étais juste un gentil bloggeur. J’ai reçu un mail sympathique de Vanessa me remerciant d’avoir parlé de Victoria Walker et m’annonçant que tous ses titres étaient à nouveau édités. Puis dans un autre mail elle me dit qu’elle avait entendu dire que j’étais peut-être un auteur et que si j’avais besoin d’un coup de pouce, elle serait ravie de m’aider. (Nous rions tous.) C’est donc pour cela que je suis en dédicace dans sa librairie aujourd’hui. Elle avait entendu dire que j’étais un auteur.

Julie : Et là elle s’est roulé en boule et elle est morte …

Bookwitch : Je n’ai pas fait mieux ! Je suis allée à une de vos séances de dédicaces à Londres il y a quelques années, et la file d’attente n’avançait carrément pas, donc je suis repartie. Je n’avais pas idée de la masse de vos admirateurs. Neil, d’où vient votre intérêt pour les Dieux Nordiques et ce genre de choses ?

Neil : Probablement de Roger Lancelyn Green et de ses Myths of the Norsemen, quand j’avais environ 7 ans.

Bookwitch : Oh, il s’agit de ceux que vous essayez de classer par ordre alphabétique sur votre étagère ?

Neil : Oui, même si en réalité le livre n’était pas à moi. Il appartenait à un ami. Celui que je possédais était The Tales of Ancient Egypt, et c’était celui-ci à propos duquel je m’interrogeais, ne sachant si je devais le ranger avec les L ou avec les G. J’ai fini par le mettre avec les L …

Bookwitch : Vous faites toujours ça avec vos livres ?

Neil : Eh bien, oui, mais c’était terriblement plus facile quand je n’en avais qu’une trentaine ou une quarantaine. Désormais c’est diablement plus compliqué. Dans la fiction les choses ont en quelque sorte créé leurs propres sections, et si vous vous lancez dans les royaumes des documentaires … et puis il faut essayer de garder les pièces de théâtre ensemble, et les poésies ensemble et …

Bookwitch : Etes-vous allés à l’université, parce que c’est souvent là que l’on attrape ce genre d’intérêt ?

Neil : Non, je n’avais que sept ans, et il aurait fallu que je sois vraiment très précoce. Non, c’est juste que j’adorais ce genre de choses. Quand j’avais à peu près cet âge, ils rééditaient les comics Thor dans années 1960, dans un comic anglais qui s’appelait Fantastic je crois, ou bien Terrific. C’était chez Odhams Press. Ils avaient Wham !, Smash !, Fantastic et Terrific, et l’un d’entre eux reprenaient les vieux comics Thor.

Julie : Mon frère en avait.

Neil : Ouais, Dr Don Blake pris au piège dans une grotte lors de vacances en Norvège ou ailleurs, trouve un bâton ou une lance, le brandit et devient Thor. Donc, je ne sais pas vraiment si je suis tombé d’abord sur ça ou sur les livres de Lancelyn Green. C’était à peu près au même moment, et l’un des deux a induit l’autre.

Bookwitch : Et vous n’avez pas d’autre connexion avec les pays scandinaves ?

Neil : Non, mais vous savez, je les adore, ce sont des endroits étranges, lugubres et merveilleux.

Bookwitch : En tant que Suédoise, j’ai été estomaquée par votre connaissance de la signification du vendredi. Je n’ai pas encore lu American Gods.

Neil : Oh, alors vous avez loupé les trucs sympas sur la Scandinavie qu’il contient. Je pense qu’en fait American Gods est un roman qui a vraiment beaucoup plus de sens que – qui veut du thé ? – Je pense que c’est probablement un roman qui a bien plus de sens pour les gens qui connaissent les dieux nordiques, parce qu’il faut vraiment que vous compreniez qu’ils ne sont pas vos amis. (Rires.) C’est un concept difficile à appréhender pour certaines personnes, à mon avis, car elles sont trop habituées au concept de dieux semblables à des parents aimants qui sont en adoration devant vous. Les dieux nordiques n’ont jamais été comme ça. Prenez Thor par exemple, c’est un gars pas vraiment brillant, pas le plus dégourdi du groupe, non plus. Odin est un type que vraiment vous … si vous aviez le choix entre l’avoir à la maison et ne pas l’avoir à la maison, vous choisiriez de ne pas l’avoir à la maison. Et ça finit toujours par des larmes, (Il sert le thé) tout le monde fonce toujours vers Ragnarök. Et en chemin, tout le monde meurt.

Le truc drôle à propos des dieux nordiques pour moi c’est que je ne peux m’empêcher de penser qu’ils font partie de mon système. J’ai adoré les mettre en scène dans Sandman, et ils semblaient si parfaits pour American Gods. Je ne me rappelle pas toujours d’où je sors mes idées, mais pour American Gods je me souviens. J’avais des bribes de cette histoire qui se promenaient dans ma tête, mais je ne savais pas ce que c’était. Puis je me suis retrouvé en Islande et c’était un de ces moments où l’avion me laissait une trentaine d’heures en Islande, nous avions atterri à six heures du matin, et je n’avais pas fermé l’œil pendant le vol, et je me suis dit Très bien, je vais me balader un peu jusqu’à ce qu’il fasse nuit, ce qui était une chose très sensée, sauf que nous étions le 3 juillet, ce qui signifiait qu’à 4 heures du matin j’étais allongé dans une chambre d’hôtel avec des rideaux qui n’avaient pas l’air très efficace pour stopper la lumière extérieure, à souhaiter ne pas avoir laisser dans l’avion le petit truc pour les yeux qu’on m’avait donné.

Dans ce monde où l’obscurité n’arrivait pas, plus cette nuit où je n’avait pas dormi, je suis resté éveillé plus de quarante heures. Je me souviens d’avoir déambulé le lendemain matin dans Reykjavik jusqu’à une exposition pour les touristes à l’office de tourisme, et d’avoir visionné un petit diorama des voyages des grandes expéditions Vikings, comment cela se passait, et où ils installaient leurs colonies. Les regardant aller d’Islande au Groenland, je me disais Je me demande s’ils ont emmené leurs Dieux avec eux ? et soudain ce fut la révélation Oh, c’est un livre, c’est l’essentiel. OK, c’est mon livre. Je suis retourné à mon hôtel et j’ai écrit la majeure partie de l’intrigue de American Gods dans un état second du à mon manque de sommeil. En vérité, c’était super drôle, d’essayer de rendre la pure fourberie mesquine et bougonne des Dieux Nordiques là-dedans. Ils s’en sortent bien mieux dans Odd and the Frost Giants.

Bookwitch : Oui, ils sont presque sympathiques.

Neil : Oui, presque. Vous savez, c’était sûrement sympa de les avoir avec soi quand ils étaient un aigle cinglé, un ours grincheux et un renard trop-intelligent-pour-son-bien, mais au moment où ils sont devenus des Dieux, c’est là que vous vous rendez compte que vous n’avez pas trop envie de traîner avec ces gens-là. J’ai toujours adoré la Dispute de Loki, qui est l’une de ces grandes historiettes qui n’ont pas vraiment d’intrigues. En réalité, c’est Loki qui débarque et se lance dans une joute verbale, c’est-à-dire qu’il se met à les insulter, tournant autour de la table et distribuant à chacun des bribes d’informations, qui pouvaient être vraies ou non, mais qui l’étaient certainement assez pour piquer chacun des Dieux présents. C’est à peu près l’équivalent de : je me suis tapé ta femme, et elle a dit que j’étais meilleur que toi ; et tu aimes bien les petits garçons ; et tu finis toujours bourré. J’aime cette idée de Loki qui s’enivre et balance des choses qu’il ne devrait pas, et qui se fait carrément jeter dehors … J’ai essayé de les laisser (les Dieux Nordiques) dans leur coin, mais ils ont tendance à revenir se faufiler dans l’histoire. Et je me suis beaucoup ennuyé avec les Dieux Grecs.

Julie : C’est intéressant avec les matrices classiques. Coraline c’est Alice en réalité.

Neil : J’ai lu De l’Autre Côté du Miroir et Alice au Pays des Merveilles trop souvent étant enfant.

Julie : Je n’ai as encore mis la main sur un exemplaire de The Graveyard Book, mais j’ai lu des choses à son sujet, et au départ c’est Le Livre de la Jungle.

Neil : C’est bizarre, car c’est en partie Le Livre de la Jungle, et en même temps PL Travers (NdT : l’auteure de Mary Poppins) ne cesse de s’y glisser aux entournures. Au départ j’ai pris l’idée du Livre de la Jungle et bien sûr vous retrouvez l’enfant mort et sa famille, et l’enfant qui s’éloignent et se retrouve menacé par des loups, et Bagheera arrive et déclare Je serai son protecteur et vous y êtes. Dans le cas de The Graveyard Book, cela correspond pratiquement point par point, avec un gentleman du nom de Silas en lieu et place de Bagheera, et après ça je n’avais plus l’intention d’y revenir, puis j’ai pensé vous avez ce merveilleux chapitre avec les singes, et j’avais cette idée à propos de ces petites goules ; je ferai une petite histoire avec elles, je ferai quelque chose de sur-mesure inspiré par elles.

Quand PL Travers a écrit Mary Poppins elle a fait une histoire avec un titre comme Mauvais Mardi, où l’un des enfants avaient vraiment une très mauvaise journée, et ils se sauvaient, entraient dans un miroir, ou marchaient dans une assiette ou quelque chose comme ça, et ils devaient être secourus par Mary Poppins, qui avaient de toute façon fini sa journée de congé, et était sur le chemin du retour. L’autre chose géniale à imiter chez PL Travers était ces étranges petites histoires où tout le monde va au parc et là il y a une sorte d’irruption de la magie créée par Mary Poppins, et le monde de la normalité se trouve sens dessus dessous, et vous devenez quelqu’un d’autre juste l’espace d’un chapitre, ou pour une heure et ensuite tout est fini, et tout le monde se retrouve à survoler le parc en ballons ou quelque chose de ce genre.

J’ai écrit un chapitre intitulé Dance Macabre où les vivants et les morts se rencontrent. Cela vient d’un livre de Leland intitulé Rich and Poor Dance the Same Way (NdT : littéralement : Les Riches et les Pauvres dansent de la même façon). J’ai appris que la prononciation originelle du mot que nous prononçons macabre était machabrae et j’ai pensé les riches et les pauvres dansent de la même façon, ils dansent la maccabrae (DdT : rime en anglais sur way/maccabrae) ; et voilà mon histoire.

Bookwitch : Je ne pense pas qu’à l’époque je savais que vous aviez écrit Pas de panique ! : Douglas Adams et Le guide galactique. Que pensez-vous du fait qu’Eoin Colfer soit en train d’écrire un nouveau livre de la série du Guide galactique ?

Neil : Perplexe, en fait. Majoritairement. Parce que je pense que vous pouvez aligner un millier de fans du Guide galactique et leur demander combien d’entre eux a envie de lire les Nouvelles Aventures d’Arthur Dent, Ford Prefect et Zaphod Beeblebrox, et ils vous regarderaient bizarrement. Personne n’est jamais venu dans cette série pour l’intrigue. Personne n’y est venu non plus pour les personnages. Vous n’aimez jamais ces personnages. Douglas n’avait pas la prétention d’en faire autre chose que des personnages de papier. Vous venez pour les phrases, et vous venez pour les idées, et par-dessus tout vous venez pour une vision du monde.

Eoin est très vif, et je l’aime beaucoup et je suis sûr qu’il va écrire son Guide Galactique avec bien plus d’enthousiasme et de joie, et qu’il le finira bien plus rapidement que Douglas l’aura jamais fait. Mais je n’en vois pas l’intérêt ; à un niveau bien plus fondamental, je n’en vois vraiment pas l’intérêt. Personne n’attend ce livre. Ce n’est pas comme si Douglas s’était arrêté dans un moment de grand suspens et que tout le monde se demandait Oh mon Dieu, que va-t-il arriver à Marvin ? parce que tout le monde s’en fout de ce qui va arriver à Marvin. Ce que nous voulons c’est un bon gag de Marvin. Nous aimons voir Marvin arriver complètement déprimé, mais nous aimons ça dans le contexte d’une merveilleuse phrase de Douglas Adams.

C’est de la même façon que je serais totalement abasourdi si quelqu’un m’annonçait qu’Eoin Colfer allait écrire de nouveaux livres sur Jeeves et Emsworth pour le compte de la famille de PG Wodehouse. Personne ne se dit J’ai besoin de nouvelles histoires à propos de Jeeves et Wooster. Ce qu’ils se disent c’est Est-ce que PG Wodehouse nous manque ? Aimerions-nous avoir plus de livres brillamment tournés et à l’intrigue plus brillamment complexe encore ? Bien sûr que nous aimerions, mais je n’ai pas envie qu’Eoin les écrive, pas plus que Stephen Fry ou n’importe quel autre auteur. Ce que j’aimerais c’est plus de PG Wodehouse, mais si je ne peux pas l’avoir, alors je ne veux pas plus de Jeeves et de Wooster.

J’aimerais plus de Douglas Adams. Je voudrais plus de Douglas Adams, mais à condition de pouvoir remonter le temps et réparer les choses pour faire en sorte qu’au moment où il s’est écrouler en portant les mains à sa poitrine, il se soit relevé. C’est comme ça que j’aimerais le voir revenir écrire des livres. Et à l’époque, il écrivait un livre comme par accident, puis se réveillait tout surpris, et puis il attendait un mois, ou cinq mois ou cinq ans avant d’en écrire un nouveau. C’était comme ça que Douglas écrivait le mieux. Je suis sûr que ce que va écrire Eoin sera très bon, qu’il aura probablement une intrigue, ce qui en quelque sorte suffira à le disqualifier pour devenir un véritable Guide Galactique. (Beaucoup de gloussements dans le fond.)

Bookwitch (au photographe) : Ian, ça me trotte dans la tête depuis que vous êtes arrivés : vous voulez poser votre question habituelle ?

Ian : Que pensez-vous de Mr Philip Pullman ?

Neil: Un homme vraiment, terriblement, sympathique.

Ian : Et ses écrits ?

Neil : Je n’ai jamais rien lu en dehors de la trilogie A la croisée des mondes, et cela m’embête beaucoup. Je devrais lire d’autres de ces bouquins.

Ian : Ce sont de loin les meilleurs.

Neil : C’est fort possible, mais je n’ai rien lu d’autre pour comparer. Je les ai beaucoup aimés. J’ai lu le premier à voix haute à ma fille puis le second et le troisième pour mon propre plaisir. Je n’ai pas aimé le film. Du tout. Je sais que ce n’est pas sa faute, que ça n’a vraiment rien à voir avec lui. C’est juste comme si toutes les choses qui étaient si fascinantes dans le livre, le plaisir de s’y plonger, et de découvrir un autre univers, qui est un plaisir vraiment particulier, étaient absents. Et pour le reste, je ne sais pas. Je n’arrête pas de me dire que je ne peux pas comprendre pourquoi les gensreligieux en Amérique en font tout un plat. (Rires.) Ça me laisse vraiment perplexe.

Ian : Est-ce que vous aimeriez voir toute cette attention et toute cette animosité dirigée sur l’un de vos écrits pour la publicité, mais est-ce de la bonne publicité ?

Julie (en riant) : Je ne pense pas que vous en ayez besoin.

Neil : Hum, je ne sais pas si j’ai vendu beaucoup moins de livres que Philip Pullman. Je dois être resté légèrement en-dessous du radar. Je crois que c’est quelque chose qui me plaît. J’aime vivre en dessous du radar, je suis sûrement convaincu d’être plus en dessous du radar que je ne le suis. Je préférais le temps où c’était soit Oh mon Dieu c’est mon auteur préféré ou Qui ça ? et rien d’autre.

Julie : Quand j’étais à l’université vous étiez un auteur culte pour ma génération, et vous avez toujours cette tournure d’esprit, bien que vous ayez largement dépassé le stade d’auteur culte (NdT : à prendre aussi dans le sens de confidentiel).

Neil : Mais dans ma tête je suis toujours cet auteur culte.

Julie : Pour ces gens je sais que vous êtes toujours un auteur culte et que vous le resterez. Je pense que c’est vraiment inhabituel, parce que vous êtes devenus un auteur de best-seller et vous n’êtes plus cet auteur culte, mais pour certaines personnes vous resterez toujours leur auteur très spécial. Ce n’est pas évident de nager comme ça entre deux eaux, non ?

Neil : Je pense que c’est en partie parce que je n’ai jamais fait un saut prodigieux, nulle part. J’ai juste fait surface à un moment. Ces jours-ci j’ai tendance à être un auteur pour enfants culte, même dans un monde où The Graveyard Book vient de paraître et se trouve depuis trois semaines sur le liste des best-sellers du New-York Times, et les deux premières à la première place. Et il pourrait bien refaire surface à la première place. Mais je reste un auteur pour enfants culte.

Julie : Oui, mais vous aviez un blog. Vous étiez l’un des premiers à faire ça, et en quelque sorte cela ajoute à votre aura. Puis-je vous poser une petite question, parce que je suis tombée sur ce drôle d’article l’autre jour, qui m’a fait rire, parce que c’est le genre de chose qu’on me demande tout le temps : Pourquoi est-ce que Gaiman, à bientôt 48 ans (c’est faux !), continue à trifouiller des histoires pour les enfants et des comics, à son âge ? et j’ai juste … (rires)

Neil : Waouh !

Julie : Je pense que c’était pensé comme un compliment. C’était un bel article. C’était le début de l’article.

Neil : Quel merveilleux concept !

Julie : N’est-ce pas ?

Neil : Mais quel horrible monde ce serait si je n’avais pas le droit de bricoler des livres pour enfants et autres. La respectabilité me cause du souci. De temps en temps je suis inquiet à l’idée de devenir respectable. Et je, non je pense que je suis toujours … aussi longtemps que les gens diront de choses comme ça, je pense que je peux être tranquille.

Julie : Bonne réponse. L’autre chose, c’est que je discutais avec une libraire récemment. Je faisais le tour des écoles et elle me disait : Les gens comme vous. Les choses que vous écrivez sont si sombres, si terribles. Vous devriez vous mettre à écrire des livres joyeux pour nos enfants. Et puis j’ai lu quelque chose à propos des temps difficiles, comment la lecture est encore plus difficile. Pendant la dépression des années 1930, on regardait en arrière vers La Petite Maison dans la Prairie, et d’autres choses de ce genre, qui en réalité parlent du dénuement. Mais vous, vous aimez jouer dans l’obscurité, ou avec l’obscurité.

Neil : Il y a une citation que j’ai déformé de Chesterton au début de Coraline, où je cite ou déforme cette fameuse phrase de Chesterton où il dit : Vous ne dites pas aux enfants que le croque-mitaine existe, vous dites aux enfants, parce qu’ils savent très bien que le croque-mitaine existe, vous dites aux enfants que le croque-mitaine peut être vaincu. Et pour moi c’est ça le truc cool, c’est ça le but de la fiction. Je suppose que je pourrais très bien écrire une histoire avec de mignons petits lapins, (hum) qui gambadent dans les champs et qui sont très heureux, puis quelque chose de joyeux se produit, et ils passent une excellente journée. Je m’ennuierais probablement un peu, mais …

Julie (en riant) : Du balai les lapins !

Neil : C’est le genre de fictions que vous voyez beaucoup sur Disney Channel, des dessins animés à la Winnie l’Ourson, ce genre de choses, toutes créées pour Disney, dans lesquelles il n’y a pas d’intrigue. Le seul genre d’intrigue autorisé est que Porcinet pense que tout le monde a oublié son anniversaire, alors qu’en fait ils sont en train de préparer une fête surprise. Tout est bien qui finit bien, et il n’y avait vraiment pas de raison de s’inquiéter. Quelle que soit la chose qui vous causait de l’inquiétude, elle n’en valait pas la peine, et je ne sais pas ce que l’on apprend de ce genre de chose. Si vous devez élever des enfants, je ne pense pas que la fiction pour la jeunesse n’ait aucun but.

Je pense que c’est très important d’apprendre aux enfants les choses importantes, mais je pense aux choses vraiment importantes, comme le message fondamental de Coraline, qui parle de la frayeur et du courage, et qu’être courageux ce n’est pas de ne pas être effrayé, c’est d’être effrayé mais de le faire quand même. Pour moi ça c’est une grande chose. Cela m’a pris 30 ans pour le comprendre. J’ai passé toute mon enfance à croire que j’étais un lâche parce que j’avais peur, parce que si vous étiez courageux, vous n’aviez pas peur. Que je fasse ou non la chose, cela ne comptait pas, parce que de toute façon j’avais peur. En réalité, le courage n’a rien à voir avec le fait de ne pas avoir peur, parce que si vous n’avez pas peur alors il n’y a pas lieu d’être courageux. Être courageux c’est au moment où on se dit : Je suis absolument terrifié, mais je vais le faire quand même. C’est ça le courage. Et je me suis dit : C’est bien, je vais le mettre dans un livre.

Julie : Je pense que les jeunes gens aiment ça, parce que vous allez aux frontières des choses. Les enfants et les adolescents sont toujours en train de ressentir la frontière des choses, ce qui échappe un peu au contrôle.

Neil : C’est à propos de l’impuissance, vous savez. Vous avez toujours affaire à un monde, et le premier roman graphique que j’ai fait s’appelait Violent Cases, et c’est une fiction pour adultes, mais c’est une fiction pour adulte qui parle de la mémoire qu’à un adulte d’avoir été un enfant de trois ans et la cruelle impuissance de vivre dans un monde de géants capricieux, qui semblent savoir ce qui se passe alors que vous n’en savez rien, et que vous essayez de donner un sens à ce monde, et d’enfants qui essayent de donner un sens à ce monde où le Portsmouth dans années 1960 et le Chicago des années 1920 semblent se confondre.

Neil commence à signer les livres que nous avons amenés avec nous. Julie dit que sa fille la tuera si son exemplaire de Coraline n’est pas signé. Et elle signale que si Neil nous aperçoit plus tard dans la soirée, ce n’est pas parce que nous le harcelons, mais parce que nous avons été invitées à l’événement où il doit prendre la parole.

Neil : Alors, de quel pays scandinave venez-vous ?

Bookwitch : De Suède.

Neil : Merveilleux pays.

Bookwitch : Oui, ce n’est pas mal. Chaque fois que je dis à quelqu’un que vous avez déménagé d’Angleterre pour vous installer dans le Minnesota, ils me demandent pourquoi. Mais je comprends.

Neil : C’est rempli de Suédois, de Norvégiens et même de quelques Finnois.

Bookwitch : Exactement. Je pense que les gens s’attendent à ce que quelqu’un de riche ou de célèbre aille s’installer à New York ou Los Angeles, ou ce que vous voulez, mais pas au milieu de nulle part.

Neil : C’est une bonne remarque. Quand je me serais décidé à déménager de nouveau, je pense que j’irai probablement à Skye, où le temps sera encore pire par certains côtés. Quand il faisait vraiment un temps affreux dans des endroits comme Minneapolis, j’ai vu la pluie tomber horizontalement. Skye est le seul endroit où j’ai jamais vu la pluie remonter vers le ciel. Elle tombe, elle coule puis elle remonte. Elle ne monte pas très haut, mais j’ai parlé avec un ami architecte, et il a dit : Oui, quand ils construisent, ils doivent construire pour un monde où la pluie peut ruisseler puis remonter.

(Il soupire profondément) C’est vraiment un stylo des plus étranges. C’est un stylo que l’on ma donné, que je n’avais jamais utilisé avant cette tournée, mais il est vraiment impitoyable, car au moment où il n’a plus d’encre, il n’a plus du tout d’encre, et vous vous retrouvez au beau milieu d’un moment, et il ne s’éclaircit pas graduellement. Bon, parlez-moi de ''Bookwitch'.

Bookwitch : C’est le meilleur blog à propos des livres pour enfants qui existe. De nombreux auteurs l’apprécient.

Julie : Vous êtes aussi devenu culte, non ?

Neil nous parle du retard de son avion ce matin, et comment lui et Joanna de chez Bloomsbury ont eu droit à un copieux petit déjeuner à l’anglaise, parce qu’ils n’auront peut-être pas le temps de déjeuner. Julie dit que quand elle est en dédicace elle prend à la lettre le conseil de la Reine Mère qui est de ne jamais refuser une pause pipi. La règle de conduite de Neil est de ne jamais refuser une pause pipi, une offre de nourriture et de ne jamais refuser le moment où on lui dit "nous avons 45 minutes, voudriez-vous aller dans votre chambre et vous allonger un moment ?". Le problème est que quand vous entrez réellement dans votre chambre, vous essayez de vous connecter et vous n’y arrivez pas, ou alors vous êtes au milieu d’un article de blog et quelqu’un toque à votre porte. Au photographe à propos de De bons présages (NdT : le meilleur livre du monde, je vous le conseille s’il n’est pas déjà lu) : Le problème avec ça c’est bien sûr qu’il est hautement improbable que Terry Pratchett sorte à nouveau pour faire une tournée de dédicace pour le reste de notre vie.

Ian : Nous risquerions de l’achever.

Neil : Bien, parce que de toute façon c’est son destin de finir comme ça. Il continue en commentant l’enregistreur iPod : Très chouette.

Bookwitch : J’ai impressionné Eoin Colfer avec ça, alors que je le croyais si versé dans ce genre de gadgets que ça ne l’impressionnerait pas.

Neil : Et le micro est incorporé à l’intérieur ?

Bookwitch : Non, il est à part, vous n’avez qu’à l’attacher et il enregistre.

Ian : Je pense que les nouveaux doivent avoir un micro incorporé. Je n’en sais rien.

Neil : Non, j’en ai acheté un. J’ai acheté un truc de ce genre sur internet, mais il est arrivé avec un petit truc entortillé en guise de micro.

Julie : J’ai fait une recherche sur vous sur Google, et apparemment il existe un groupe d’internautes qui militent pour que vous obteniez un téléphone, Neil. Vous le saviez ? J’ai trouvé ça désopilant (rires). J’aimerais que quelqu’un fasse ça pour moi. Que j’écrive quelque chose sur mon blog et que ça arrive en vrai.

Neil : Le truc embarrassant à propos de tout ça c’est bien sûr qu’au départ je trouvais juste que c’était une bonne histoire drôle. Ce qui s’est produit, c’est que j’ai cliqué sur une publicité pour le nouveau G1, j’ai cliqué de nouveau, et ça disait que c’était un téléphone T-Mobile. Je me suis dit, super, ça m’intéresse, j’aimerais en manipuler un, et je devrais être en train d’écrire, donc aller en ville chez un vendeur T-Mobile est une parfaite distraction.

J’ai donc pris ma voiture, je suis allé en ville, je suis entré dans le magasin et il y avait un énorme poster G1 , j’étais au bon endroit, et c’était comme le Magasin de Fromages des Monty Python. J’ai dit que j’aimerais pouvoir manipuler un G1, s’il-vous-plaît, et le gars dans la boutique me répond Nous n’en avons pas, et je continue Quand allez-vous les recevoir ?, Nous n’allons pas en recevoir, (Neil rit), nous ne sommes pas au bon endroit. Ils ne marchent pas ici. Vous avez les posters ici, Oui, ils nous les ont envoyés, mais ils ne nous enverront pas les téléphones. Donc je me suis dit que j’allais rentrer chez moi et faire un article sur mon blog à propos de ça. Je trouvais ça marrant. Moins de 45 minutes après, un type de Google m’a dit J’en ai un sur mon bureau. Vous le voulez ?

Julie : C’est du rapide. Le pouvoir du bloggeur.

Neil : Et avant ça, un groupe s’est formé, et maintenant c’est T-Mobile qui m’écrit.

Julie : Vous devez vous demander ce que vous allez bien pouvoir demander la prochaine fois.

Neil : Le problème c’est que vous ne savez jamais ce qui va arriver. J’ai juste écrit ça un soir pour rire un peu, et ça a été repris et ce truc a fait le tour des blogs, chacun ayant décidé de poster à ce sujet. Je peux vous assurer que la totalité de la hiérarchie de T-Mobile et Google ont lu cet article à propos de mon incapacité à acheter ce téléphone.

Il est temps pour nous de libérer nos fauteuils pourpres, quand Ian de Bloomsbury vient nous chasser de la façon la plus aimable qui soit. Je suis désolée pour Neil de devoir discuter ainsi, encore et encore, mais il le fait si bien. J’espère qu’il aura droit à son offre de 45 minutes de repos, mais je suspecte que ce ne sera pas le cas.

Quelques heures plus tard quand nous le revoyons au Church Hill Theatre, il a l’air frais et dispo, et à l’entendre c’est la même chose. Après un accueil de ces fans en délire, Neil lit le chapitre de la Danse Macabre, qui sonne vraiment bien. Il semble d’ailleurs que la plupart des fans n’ont pas encore lu The Graveyard Book, puisqu’il vient juste d’être publié, et donc cette lecture a le goût de la nouveauté pour la majeure partie de l’auditoire.

Dans la séance de questions réponses juste après, j’étais désolée que le fils de Vanessa ne puisse pas poser sa question pour savoir si Neil aimait les Lego. Mais Neil a rassuré ses fans en affirmant qu’il n’avait pas du tout le sentiment que JK Rowling lui avait volé Harry Potter.

Neil a également dit qu’il ne faisait pas vraiment de différence entre la fiction pour adultes et la fiction pour enfants. Pour lui, c’est juste de la fiction. Neil nous a raconté quand il a écrit Coraline pour ses enfants, et qu’il l’a lu à sa fille, qui l’a adoré. Puis il l’a envoyé à son agent, qui l’a trouvé trop effrayant pour des enfants. Neil lui a suggéré de le lire à ses enfants, qui ont adoré. Il semble que nous soyons plus facilement effrayés en vieillissant.

Et je ne me souviens plus à quel propos, mais Neil a déclaré à l’auditoire qu’il trouvait Ibsen très ennuyeux. Pas assez de Dieux Nordiques, sans doute.

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