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Mon rôle dans le décès des librairies, par Brian Ruckley

Par Luigi Brosse, le lundi 8 février 2010 à 08:57:58

Brian RuckleyAlors que l'on parle de plus en plus du livre numérique, des liseuses et autres gadgets visant à dématérialiser le livre, la disparition des librairies, elle, n'est que rarement abordée. Et pourtant, il est très probable que ce segment connaisse de profonds bouleversements au cours de la décennie à venir.

Cet avis est partagé par Brian Ruckley, l'auteur de Winterbirth et Bloodheir. (On attend d'ailleurs toujours une quelconque date de sortie pour le premier volume au sein du label Orbit.) Via un récent article sur son blog, il s'exprimait dernièrement à ce sujet, revenant notamment sur les grandes raisons de ce déclin annoncé. Nous vous en proposons à présent la traduction.

Discuter de la fin des librairies en forum

L'article traduit

En 2009, ma réponse à la question « Est-ce que les librairies en dur sont condamnées ? » a subi un changement subtil mais significatif. (En fait, personne ne m’a réellement posé cette question-là – après tout, qui se préoccupe de ce que je pense ? Eh bien, moi ; et je me suis régulièrement posé cette question).

Quoi qu’il en soit, durant la plupart de l’année 2009, quand je méditais à cette question, pesante et auto-infligée, j’avais besoin d’y réfléchir pendant un moment. De jouer mentalement avec quelques idées et scénarii. De soupeser la formulation exacte de ma réponse. Et je concluais avec un « Probablement ». Que j’habillais ensuite de quelques avertissements et réserves.

Mais depuis quelque temps maintenant, ma réponse n’est plus une chose à laquelle je dois accorder beaucoup de réflexion. Est-ce que les librairies en dur sont condamnées ? Oui, quasiment.

J’émettrais encore une ou deux réserves, même si ce n’est que pour être méticuleux. Par « librairies », j’entends essentiellement, mais en aucune manière exclusivement, les gros magasins qui occupent le centre-ville de toute ville du Royaume-Uni. Par « condamnées », je veux dire appelées à une potentielle réduction sauvage de leur nombre et, pour les points de vente survivants, un futur plutôt différent du passé proche. Mais c’est prédire l’avenir, et je ne suis pas futurologue, donc qui sait ? Les indices au Royaume-Uni semblent indiquer que le phénomène est déjà en cours. Border UK – une petite, mais non pas insignifiante, chaîne de magasins – a fermé ses portes l’année dernière. Waterstone’s, la dernière chaîne importante dédiée à la vente de livres, vient d’annoncer un chiffre d’affaires catastrophique pour Noël dernier, alors que la plupart des autres détaillants des artères commerciales publiaient des chiffres étonnamment bons. (Je n’ai aucune idée de comment se porte WH Smiths, l’autre pilier de la vente de livres, mais comme ils ne vendent pas exclusivement des livres, ils sont peut-être moins vulnérables).

J’aime énormément les librairies, ce n’est donc pas un changement que j’accueille instinctivement, mais il serait stupide d’ignorer ma contribution personnelle à la raclée que les librairies reçoivent. Parce que je fais définitivement partie de la problématique. Une minuscule, micro-minusculo petite part du problème, bien sûr, mais je tiens mon rôle dans la destruction de leur modèle économique. Je suis simplement humain, et les forces engagées contre les pauvres librairies de briques et d’acier sont suffisamment fortes pour m’entraîner le long de leur cortège séducteur.

Le prix et la charmante commodité du commerce électronique (pas uniquement pour les livres, bien sûr) sont trop forts pour que j’y résiste, la plupart du temps. Bien que je sois loin d’être pauvre, je ne suis pas suffisamment riche actuellement pour me désintéresser totalement de la question du coût de mes habitudes de lecture, et on pourrait également s’étendre longuement sur la capacité à acquérir les objets de mon désir sans avoir même à quitter ma maison. Le résultat : il est envisageable qu’en 2009 j’ai plus dépensé en cafés en librairies plutôt qu’en achat réel de livres. Et même si j’aime énormément le café (et bien qu’il soit excessivement cher dans ce genre d’endroit), je n’ai pas dépensé suffisamment d’argent pour que Waterstones, ou n’importe quelle librairie vendant du café, puisse rester dans la course.

Si seulement la compétition se jouait uniquement avec les vendeurs en ligne, les librairies pourraient probablement soutenir la charge. Mais les supermarchés ont semé la pagaille dans la structure des prix des bestsellers, détruisant ce qui était jusqu’à présent un mur porteur de la viabilité financière des librairies dédiées. Je suis, pour cette fois, innocent de toute complicité dans cette affaire, puisque je n’ai jamais acheté un livre dans un supermarché, et j’espère que ça n’arrivera jamais. (Ce qui ne me coûte pas grand-chose à dire puisque, jusqu’à présent, ils ne vendent pas le genre de livres que j’ai tendance à lire).

Et il y a la troisième, et probablement la plus dangereuse, matraque s’abattant sur la tête des librairies : les liseuses. L’année dernière j’ai joué avec une dans une boutique, la première fois que je le faisais vraiment avec attention. Et –sacrilège ! – je me suis retrouvé à penser : Tu sais, je pourrais bien lire un roman de cette manière. C’est un bel appareil, tout compte fait. Et ça serait génial de pouvoir transporter des centaines de livres dans ma poche… J’en achèterai peut-être une, un jour. (Néanmoins, il faudra qu’elles soient à la fois plus performantes et moins chères). Et c’est vraiment une mauvaise nouvelle pour les librairies, parce que je suis composé d’encre et de papier jusqu’au bout des ongles. Et si moi j’hésite … eh bien, la fin est sûrement proche. La percée réelle des livres électroniques n’est peut-être pas encore tout à fait d’actualité, mais une chose est sûre : leur marché n’est pas près de se tasser de sitôt.

Je m’attends à ce que certaines boutiques continuent à gagner suffisamment d’argent pour vivre en vendant exclusivement des livres – très probablement, ce seront des commerces locaux et indépendants, brillamment gérés et sans doute spécialisés. Et il y aura très probablement de nombreux endroits qui vendront des livres au milieu d’autres trucs. Mais je suis quasiment sûr que nous assistons au crépuscule des grosses librairies dédiées et omniprésentes, situées au beau milieu des rues commerçantes, les librairies avec lesquelles nous avons grandi. À la fin, un grand nombre d’entre elles suivront le même chemin que les boutiques de disques, le même chemin que prendront probablement aussi les négoces de location de films et de vente de jeux-vidéos au bout du compte. (Est-ce mon imagination, ou bien est-ce que tous ces endroits, une fois fermés, sont reconvertis en agence de vente de téléphones portables ? Y’a-t-il une loi à ce sujet dont je ne suis pas au courant ? N’y-a-t-il pas une limite supérieure à la densité de magasins de téléphonie mobile qu’une aire donnée peut supporter ?)

C’est juste une évolution. Les choses marchent comme ça à présent. Les modèles économiques, des industries entières même, vont et viennent. Ce n’est pas la peine de devenir lugubre pour ça, ni trop nostalgique au sujet de comment les choses étaient – particulièrement quand j’aide, en compagnie de millions d’autres personnes parfaitement bien-intentionnées, à propager ce changement. Mais il n’y a nulle échappatoire au fait que je vais regretter savoir que je peux trouver, quelque part dans le centre de n’importe quelle ville de taille raisonnable du Royaume-Uni, une grosse librairie, ouverte et remplie de rangées après rangées d’étagères garnies avec des milliers et des milliers de livres (et quasiment rien d’autre que des livres), et avoir ce sentiment d’être sur le pas d’un gigantesque entrepôt stockant la connaissance, le divertissement et l’artisanat. Je regretterai aussi de parcourir les allées en touchant les livres, de les tourner entre mes mains, de les admirer en tant qu’objets. J’espère que, quand ces endroits auront disparu, – ou, pour le moins, seront plus rares qu’à présent – leur absence ne sera pas une excuse pour que les gens oublient à quel point un livre avec des pages en papier est (était ?) important et magique.

Mais comme je l’ai dit auparavant, je ne suis pas futurologue. Donc qui sait ?

Article originel, traduit par Luigi Brosse avec la permission de l'auteur
"My Role in the Demise of the High Street Bookstore" by Brian Ruckley, translated with permission


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