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La trajectoire ignorée des grands succès

Par Alice, le mercredi 5 mars 2014 à 14:01:34

MalazanJanny Wurts, bien connue notamment pour La trilogie de L'Empire avec Raymond E. Feist, livre dans le témoignage ci-dessous son sentiment sur la façon dont certaines œuvres pourtant de qualité échappent au succès grand public.
Elle revient aussi sur l'importance de l'outil internet, souvent mis en avant comme permettant de découvrir des livres inconnus... mais est-ce bien le cas finalement ?
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Optons pour le point de vue de l’avocat du diable, à travers quelques histoires révélatrices, car certains livres novateurs n’ont jamais été « découverts spontanément ». Le profil de ces auteurs célèbres de fantasy partage notamment une portée et une profondeur matures ainsi que des histoires s’ouvrant sur des protagonistes adultes.

Tout d’abord, oublions le mythe de Tolkien, comme quoi il aurait été “découvert” et révélé par un bouche à oreille de la part des lecteurs, ce n’est pas vrai : le récit de Betty Ballantine révèle comment la carrière de Tolkien décolla grâce à un scandale éditorial dans le cadre de sa parution américaine non autorisée. Pas de problème, l’œuvre de Tolkien est un classique incontesté, fiable à définir le genre fantasy moderne. Pourtant sans la publicité aux informations nationales, son influence aurait-elle déclenché un phénomène explosif ?

Au sommet de son succès, Ian et Betty lancèrent les Ballantine Adult Fantasy Series, relançant l’intérêt pour Lord Dunsany, Eddison et faisant quitter l’ombre à Evangline Walton. Puis, le cycle de Terremer de LeGuin et les Chroniques de Thomas Covenant de Stephen Donaldson arrivèrent en édition de poche, travail notable facilement remarqué, avant que les clones de Tolkien envahissent le marché et que la ruée des communautés de joueurs lie le genre fantasy aux éditions de poche de leurs enfances.

La secousse du raz-de-marée a vu fleurir les œuvres de fantasy avec une plus profonde complexité, particulièrement celles écrites par des auteurs qui n’avaient pas commencé leurs carrières en imitant Tolkien. Jan Johnson, éditeur anglais à HarperCollins se présentait comme une championne de la fantasy qui dépeignait des personnages adultes et des concepts matures. Elle lança Megan Lindholm (Robin Hobb maintenant), acheta Tigane de Guy Gavriel Kay, publia Barbara Hambly, Katherine Kerr et elle fut l’éditeur acquéreur de la série Wars of Light and Shadow (Janny Wurts), ainsi que l’éditeur responsable du visionnaire lancement de Mark Lawrence. Sa ténacité a mené au remplacement de la couverture illustrée par une conception graphique, sa foi dans la fantasy pour adulte pouvait faire appel à un plus large public. Elle est devenue un acteur signataire dans le lancement de G.R.R. Martin et cette interview met en lumière l’histoire du grand succès du Trône de Fer, couvrant une décennie ou plus, dans la bataille pour conserver assez longtemps à l’imprimerie cette tendance de la fantasy pour réaliser son potentiel. La meilleure arme de Jane était sa gigantesque avance. L’éditeur devait persister, rééditer avec de nouvelles couvertures encore et encore pour garder les livres neufs, ou diminuer les pertes.

Qu’est-ce qui a donné à l’œuvre de Martin et à la qualité littéraire évidente de Kay une telle impulsion ? Pourquoi pendant cette période, tant de grandes femmes auteurs ont-elles changé leur pseudonyme, à mi-carrière, et pourquoi certains titres absolument excellents et ayant des protagonistes adultes sont-ils tombés entièrement dans l’oubli ? (Des auteurs comme Matthew Woodring Stover, les livres Liaden de Sharon Lee et Steve Miller, la série Steerswoman de Rosemary Kirstein, il s’agit d’une longue liste et parfois, certaines œuvres sont tristement non regretté.)

La hausse des coûts et l’effondrement des distributeurs indépendants ont fait des ravages dans les années 90, mais l’effet insidieux du suivi informatique a raccourci considérablement le laps de temps permettant aux premiers romans de s’établir. L’accès instantané aux chiffres de vente autorise les éditeurs et les chaînes triées sur le volet d’abandonner l’effort requis pour construire une approche grand succès et permettant un rapide changement vers des ventes immédiates. Un éditeur a résumé les résultats plutôt méchamment : acheter des livres bon marché écrits par de nouveaux talents, jeter les débuts des livres contre le mur comme des spaghettis, garder ce qui reste collé et mettre le reste à la poubelle. La liste des talents grisés établie à cette période montre un éventail impressionnant de talent : les victimes étaient souvent des histoires dites matures, écrites avec des protagonistes adultes.

Les fusions ont balayé l’industrie. Poussée par le modèle d’affaires d’Harvard, la perspective de l’entreprise multinationale exigea des marges de profit plus hautes (double en fait, les attentes d’abord) et des retours toujours plus rapides. Le parrainage d’œuvres sophistiquées et autres par Johnson avec des ventes de faible volume devint de plus en plus dur. Des éditeurs judicieux ne pouvait plus acquérir sans un relevé des profits et des pertes fait à l’avance, détaillant le nombre de retour projeté. Des œuvres qui ont besoin de plus de temps pour attirer de l’audience et qui ne suivaient pas la mode, ont été abandonnées et presque toutes ont disparues. Des œuvres signalées, aujourd’hui reconnues, ont heurté un tel mur : le Malazan de Steven Erikson a été abandonné par son éditeur originel restant disponible seulement au Royaume-Uni, jusqu’à ce que, une décennie plus tard, un nouveau lancement le réintroduise sur le marché américain. Les premiers lecteurs du Malazan étaient peu et dispersés et peu importe leur enthousiasme, le buzz le plus simple, venant des recherches sur l’âge qui aiguillonnaient les chiffres. Une œuvre louée à présent pour son extrême complexité et sa maturité a failli être laissée sur le bord de la route. Des séries fantasy plus traditionnelles ont été conçues par des campagnes de haut vol: l’éditeur de la plus remarquable a distribué un nombre ahurissant de copies gratuites, un pari sans précédent pour faire monter les chiffres de vente. D’autres se sont vues attribuer d’énormes avances. Pour récupérer l’investissement, les livres étaient et sont toujours mis en avant artificiellement, notamment dans les grandes chaînes. Un éditeur pouvait délimiter la visibilité d’un livre visant une audience spécifique.

La question se pose alors : est-ce que internet a réellement facilité la découverte de livres novateurs par les lecteurs ? La percée progressive d’une œuvre à grand succès manquerait-elle toujours ?

Des cadeaux, des réductions importantes et des options proposées par des vendeurs en ligne sont entrés dans la mêlée. Avec les informations instantanées de suivis de ventes et la recherche des algorithmes, la rapide dissémination des informations favorise les sujets dont les gens parlent déjà. Le bouche à oreille est toujours la meilleur stratégie mais… comment faire le buzz autour d’un livre pour qu’il sorte de l’ombre ? Les amis lisent ce que leurs amis connaissent. Les médias sociaux se concentrent sur ce qui est déjà « découvert » propagé par le battage publicitaire ou les grandes masses. Les principaux éditeurs se sont récemment réunis pour étudier les changements de l’industrie. Ils ont déterminé que les ventes internet étaient faites par des personnes qui achètent ce qu’ils connaissent déjà, des livres dont on parle déjà, des livres déjà « découverts ». Il n’y a pas si longtemps, un billet sur un blog a contribué, pour environ dix écrivains, à expliquer comment ils ont trié indépendamment les œuvres publiées pour lister les meilleurs livres, chaque dernier comptent sur QUELQU’UN D’AUTRE ayant lu et recommandé l’œuvre pour la distinguer.

Bouquiner un livre inconnu sur internet exige de connaître son existence ! De plus, l’opinion publique nous jette au visage énormément de données littéraires : les notes, les critiques, les nombres, l’opinion de la foule mène le barrage. Quelques blogueurs ont volontiers admis qu’ils parlaient des titres dont on parle déjà pour augmenter le trafic et les commentaires sur leur site. Le buzz internet à propose de livres qui “attirent” rapidement la réussite et le suivi informatique informe l’éditeur, en temps réel, sur ce qui décolle. Le risque : les auteurs qui ne sont pas touchés par cette accélération sont lâchés en route, plus vite que jamais. Le succès progressif, la règle du jeu underground, qui a commencé il y a une dizaine d’année, arriverait-il aussi facilement maintenant ?

Pendant que les lecteurs continuent de feuilleter des romans chez les bouquinistes, le virage invisible devient de plus en plus insidieux. Beaucoup de livres excellents lancés sans battage publicitaire avec une petite avance et un petit tirage mais qui se révèle être des livres remarquables, ces perles atteignent rarement les magasins à prix réduits. La sélection disponible est déjà remplie de grands best-sellers, remis en circulation encore et encore, et pire, de livres inconnus recyclés précisément parce qu’ils n’offraient rien de spécial. , Les bibliothèques semblent incarner une alternative idéale, sauf pour les petits tirages. Les idées novatrices n’ont peut-être jamais été imprimées en livre cartonné et même si c’était le cas, les budgets des bibliothèques échangeraient les livres avec un peu taux de rendement contre un livre très demandé.

Les responsables derrière les médias sociaux reconnaissent-ils même l’or non-conformiste ? Compte tenu l’influence monstre des tweets sur internet, est-ce que le prochain Malazan, le prochain Tolkien, le prochain Martin, Hobb ou Kay pourraient être négligés parce que les livres à grand succès brûlent toujours dans l’obscurité durant une décade voire plus ? Les livres sans budget peuvent-ils survivre au virage ? L’éditeur d’aujourd’hui marchant impitoyablement droit vers les bénéfices des sociétés, le petit tirage avec un cordon de bourse serré peuvent-ils rester à distance là où les chiffres ne s’accumulent pas ? Les discours internet aident ou empêchent le bouche à oreille sur les grands succès, ou nourrissent-ils la mentalité de moutons ?

Si les médias sociaux fonctionnent et si les livres électroniques mettent tout le monde au même niveau, pourquoi certains auteurs (comme Carol Berg) qui écrivent une prose sophistiquée avec des protagonistes adultes ne montent-ils pas au sommet des ventes ? Pourquoi le ton sombre et la stylistique brillante de The Gaslight Dogs de Karin Lowachee n'est pas aussi lu que Le Prince écorché de Mark Lawrence ?

Article originel.


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