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L’Imaginarium du docteur Parnassus, aujourd’hui dans les salles !
Par Gillossen, le mercredi 11 novembre 2009 à 13:11:49
Entretien avec Terry Gilliam, réalisateur et scénariste
Comment l’histoire du Docteur Parnassus est-elle ne?e ?
Je ne suis pas certain de le savoir exactement ! Au de?part, je cherchais a? rassembler en un seul film toutes les meilleures ide?es que j’ai pu avoir et qui n’avaient encore jamais e?te? exploite?es. Mon envie premie?re e?tait aussi de re?aliser un film qui synthe?tiserait tout ce que j’avais fait jusqu’ici, y compris dans le domaine de l’animation !
J’ai d’abord imagine? une troupe d’artistes itine?rants de?barquant dans le Londres moderne. La roulotte de ces gens semble appartenir a? une autre e?poque et constitue leur habitation, mais aussi la porte par laquelle le Docteur Parnassus sublime l’imagination des gens. Il est celui qui peut vous emmener la? ou? vous n’aviez jamais re?ve? d’aller. Toute la question est de savoir s’il posse?de re?ellement un quelconque pouvoir ou s’il est un charlatan... Nous en avons nous-me?mes doute? durant tout le projet !
On ne peut s’empe?cher de faire un paralle?le entre le Docteur et vous. Vous nous avez souvent entrai?ne?s au-dela? des limites de notre imagination et vous travaillez avec votre fille, qui est productrice sur ce film...
Certains disent effectivement que ce film pourrait e?tre autobiographique. Mais je ne suis pas d’accord. Je me suis e?videmment beaucoup servi de mon ve?cu, de mes frustrations, de mes cole?res, de mes succe?s au cine?ma, de mes e?checs aussi, mais toujours en essayant d’ouvrir l’esprit des gens au monde et a? ses infinies possibilite?s.
J’ai personnellement deux filles et un fils, alors il est possible que l’on trouve des similitudes entre ma vie et celle du Docteur, mais l’histoire est originale, inde?pendante et suit son propre chemin.
Vous n’aviez plus e?crit de sce?narios originaux depuis BRAZIL et LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN. En quoi est-ce diffe?rent de travailler sur un film de sa conception jusqu’a? sa finalisation ?
J’ai commence? par e?crire des choses que d’autres re?alisaient. Apre?s LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN, j'e?tais dans un tel e?tat que j’aurais pu accepter tout et n’importe quoi. Finalement, je ne me suis pas pre?cipite?. J’ai me?me saisi la seule bonne opportunite? du moment avec FISHER KING. Ensuite, ce fut L’ARMEE DES 12 SINGES, un autre sce?nario brillant que je n’ai pas e?crit. J’aurais pourtant adore? e?crire ces deux films.
Je traite toujours de sujets qui me sont proches et auxquels je crois profonde?ment. J’ai ensuite enchai?ne? avec LAS VEGAS PARANO, TIDELAND et quelques adaptations de livres. L’adaptation est un travail qui, au final, revient souvent a? tout reprendre a? ze?ro. Mais les textes originaux restent une source d’inspiration et un ve?ritable tremplin pour le film.
Il y aura toujours quelqu’un pour adapter les ide?es d’un autre. L’essentiel est de ne jamais trahir l’auteur et de toujours respecter l'essence d’un livre. Cependant, c’est une contrainte forte dont je commenc?ais a? me lasser. Je me suis dit qu’il e?tait peut-e?tre temps d’essayer de cre?er a? nouveau. J’ai laisse? libre cours a? mon imagination pour voir ce qu’il en sortait. Voila? comment ce film est ne?. Vous vous trouvez ensuite embarque? dans une expe?rience un peu e?trange et vous finissez par ne plus savoir vraiment si c’est vous qui tenez le film ou le film qui vous tient !
L’IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS relate une formidable histoire, mais c’est aussi un film tre?s visuel. Est-ce par le visuel que vous l’avez aborde? ?
La seule chose que je visualisais e?tait la roulotte. Je l’imaginais e?trange et surdimensionne?e, un the?a?tre ambulant qui surgit et s’ouvre comme un palais des mirages... Elle est un peu magique. Tire?e par des chevaux, elle semble d’une autre e?poque ; pourtant elle pourrait vous apprendre bien des choses sur vous-me?me. Elle appartient a? l’univers des foires, des attractions qui attirent autant qu’elles effraient... Depuis l’enfance, j'ai toujours adore? cet univers.
Sur son flanc est e?crit : « Entrez et vous verrez les choses les plus extraordinaires qui soient ! ». Ce fut le point de de?part. Ensuite, je ne me rappelle plus exactement la manie?re dont tout s’est enchai?ne?. Simplement, mes vieux tiroirs de?bordaient d’ide?es, de croquis, et il fallait trouver une place dans le film pour chaque ide?e.
Qu’est-ce que l’Imaginarium ?
L’Imaginarium est un univers situe? de l’autre co?te? du miroir. Il re?ve?le votre imagination, la laisse grandir, s’e?panouir et vous emporter. Evidemment, il y a un prix a? payer...
L’Imaginarium vous permet de survoler le plus merveilleux des mondes comme le plus affreux. Dans tous les cas, a? un moment donne?, vous devrez faire un choix, quelque part a? la frontie?re entre les deux. Vous atteindrez alors des paradis toujours plus beaux, ou bien vous chuterez vers les abi?mes de l’enfer.
Pour donner corps a? vos films, vous utilisez aussi bien les techniques traditionnelles que les plus sophistique?es a? ce jour. Ces techniques sont- elles simplement des outils ou ouvrent-elles parfois un champ d’inspiration ?
Je me sers de tout ce qui est a? ma disposition pour concre?tiser ce que j’imagine. Je me?lange les techniques instinctivement, sans de?finir d’utilite? particulie?re a? chacune. Ce sont d’abord des outils au service d’une histoire. Le fait que je n’en privile?gie aucune de fac?on syste?matique donne une liberte? et un potentiel supple?mentaires. La plupart des productions comparables a? la no?tre ne?cessiteraient 100 a? 150 millions de dollars pour faire ce que nous avons re?alise? avec 30.
Visuellement, ce film ressemble parfois a? mes animations des Monty Python. L’une des sce?nes ? la premie?re dans l’Imaginarium ? de?voile un monde en deux dimensions, mais qui s’e?tend a? l'infini. J’avais autrefois voulu inte?grer ce type de sce?ne dans un film qui s’intitulait THE DEFECTIVE DETECTIVE. C’est de?sormais chose faite.
L’Imaginarium est un univers qui e?chappe au naturalisme et au re?alisme. Cependant, nous nous sommes attache?s a? cre?er des mondes comple?tement cohe?rents dans lesquels les personnages e?voluent. Je n'essaie pas de reconstituer le re?el. Dans JURASSIC PARK, il faut faire en sorte que les tyrannosaures et les brontosaures soient les plus vraisemblables possibles. Avec ce film, je suis dans l’imaginaire, pas dans le re?alisme. Modestement, mon ambition est d’emmener le spectateur dans des endroits qu’il n’avait jamais imagine?s. C’est grisant. Tout est fait pour surprendre, pour fausser les repe?res.
A quel moment l’aventure de ce film a-t-elle de?marre? ?
Nous e?tions chez Peerless Camera Company, notre socie?te? d'effets spe?ciaux. Heath Ledger e?tait pre?sent ainsi qu’un tre?s bon ami commun, Daniele Auber, auteur des story-boards des FRERES GRIMM. Ils tournaient un clip vide?o pour Modest Mouse. J’e?tais en train de montrer les premiers story-boards et Heath e?tait la?. Il m’a glisse? un petit mot sur lequel il avait e?crit : « Est-ce que je peux jouer Tony ? ». J’e?tais aussi emballe? que surpris. Je lui ai demande? s’il e?tait se?rieux, s’il voulait vraiment le ro?le. C’e?tait le cas. Et tout a de?marre? !
Vous aviez de?ja? travaille? avec Heath Ledger. Qu’aimiez-vous le plus en lui ?
Heath e?tait ge?nial. Il ambitionnait de devenir re?alisateur. Sur le tournage des FRERES GRIMM, il observait constamment le travail a? la came?ra. Il voulait tout apprendre, il e?tait remarquablement intelligent. C’e?tait quelqu’un d’exceptionnel, de sage, et l’un des acteurs les plus doue?s que j'aie jamais rencontre?s. Tout ce que vous lui proposiez, il l’attrapait au vol et le magnifiait. C’e?tait un acteur d’instinct. Il y avait quelque chose de joyeux dans son jeu. Contrairement a? beaucoup d’autres, il n’entretenait pas un co?te? ne?vrose?, pas du tout. Il e?tait pe?tillant, de?bordant d’une e?nergie communicative.
Sur le tournage de L’IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS, nous e?tions tous e?merveille?s. Heath nous surprenait a? chaque prise tout en se montrant tre?s ge?ne?reux avec les autres acteurs. Il parvenait a? les transcender. Et puis, a? la minute ou? je disais « coupez », il lanc?ait une plaisanterie sur autre chose. Nous avons partage? de tre?s bons moments.
Souvent, j’ai eu l’impression qu’il portait le film. A chaque fois que je tombais sur un e?cueil, il e?tait la? pour donner une nouvelle impulsion. Si je me sentais fatigue?, il me regonflait aussito?t, moi, tout le monde... Il e?tait extraordinaire et unique. Ceux qui ont travaille? avec lui peuvent en te?moigner. Il serait sans aucun doute devenu le plus grand acteur de sa ge?ne?ration, vraiment.
Comment avez-vous choisi le reste de votre casting ?
Ce casting est sans doute l’un des meilleurs que j’aie jamais eus. De?s le de?but, pour le ro?le du professeur, j’ai pense? a? Christopher Plummer. Nous avions travaille? ensemble sur L’ARMEE DES 12 SINGES mais je l’ai aussi vu dans LE NOUVEAU MONDE de Terrence Malick et j’ai adore? sa prestation. Et puis j’ai travaille? avec sa fille et j’entretiens une relation privile?gie?e avec la famille.
Le choix de Tom Waits dans le ro?le de ce diable de Mr Nick s’est effectue? lui aussi tre?s rapidement. Nous avions de?ja? brie?vement collabore? sur FISHER KING. A mon sens, Tom est le plus grand poe?te musical des Etats-Unis. Chacune de ses chansons me touche au plus haut point. Il est capable d’e?tre dro?le, sombre ou romantique avec la me?me intensite?. Je me souviens du tournage des FRERES GRIMM – Heath, Matt et moi passions notre temps a? l’imiter ! Tom a accepte? le ro?le sans me?me avoir lu le sce?nario.
Concernant Verne Troyer, je l’ai toujours trouve? extraordinaire. Il avait fait une apparition dans LAS VEGAS PARANO. Finalement, comme dans BANDITS BANDITS, se moquer de soi-me?me en portant des costumes ridicules est aussi une fac?on, pour les gens de petite taille, de se donner une certaine dignite?. J’ai ressenti cela avec Percy, un personnage extre?mement sense? et cynique qui suit Parnassus depuis toujours.
Lily Cole a e?te? notre choix le plus ose?. Elle n’avait quasiment aucune expe?rience du cine?ma, mais Irene Lamb, la directrice de casting, l’a trouve?e vraiment inte?ressante. Je cherchais un physique atypique - ce qui s’applique d’ailleurs a? tous les acteurs du film ! Mais il fallait qu’elle soit a? la fois belle et hors norme. Lily correspondait parfaitement : elle mesure plus d’un me?tre quatre-vingts, elle a des cheveux roux incroyables et son visage ressemble a? celui d’une poupe?e de porcelaine du XIXe sie?cle. Elle est brillante, intelligente et on peut facilement croire qu’elle a seize ans.
Pour le personnage d’Anton, le sce?nario ne de?livrait que peu d’informations. Andrew Garfield nous avait envoye? une cassette vide?o tourne?e avec l’aide de sa petite amie. Elle contenait quelques sce?nes, chacune interpre?te?e de trois manie?res diffe?rentes, et nous l’avons trouve? sensationnel ! Nous nous sommes donc rencontre?s et c’e?tait fait. Suite a? c?a, il a de?croche? son ro?le dans BOY A.
L’esthe?tique du film est, comme toujours avec vous, minutieusement e?tudie?e. Pourriez-vous nous en dire plus sur le soin apporte? a? l’image ?
J’ai travaille? de manie?re tre?s instinctive en dessinant les choses. Par exemple, pour la roulotte, j’ai esquisse? quelques croquis avant de les montrer a? Dave qui les a ensuite retravaille?s. Mais je sais ce que je veux et le re?sultat reste souvent proche de mon e?bauche initiale ! Ensuite, Nicola Pecorini intervient et nous en discutons a? nouveau. Nous lanc?ons un maximum d’ide?es et nous nous posons des questions : a? quoi le film va-t- il ressembler ? Quelles couleurs allons-nous employer ? Ensuite, je donne aux choses l’aspect que je souhaite leur donner. Il faut surtout savoir s’entourer. Dave Warren, Anastasia Masaro et tous ceux qui ont travaille? sur l’aspect esthe?tique du film l’ont enrichi de leurs ide?es. Moi, j’ai simplement agi comme un filtre. J’e?tais le seul a? dire : « J’aime. Je n’aime pas. »
Un jour, Nicola a amene? le book d’un peintre scandinave nomme? Odd Nerdrum. Il se trouve que je connaissais cet ouvrage, ce qui montre a? quel point il est important de s’entourer de collaborateurs branche?s sur la me?me longueur d’onde. Les peintures de Nerdrum sont empreintes de myste?re. Elles ressemblent a? de tre?s anciennes toiles, presque me?die?vales, et sont en me?me temps re?solument modernes. Elles mettent en sce?ne des gens lumineux d’espe?rance dans des univers tre?s sombres. Le style est tre?s curieux, quasi naturaliste... Nous nous sommes dit que c’e?tait prodigieux et qu’il fallait partir la?-dessus.
Finalement, apre?s avoir explore? de nombreuses pistes, nous avons expose? le tout aux redoutables e?clairages de Nicola. Son job e?tait de rendre lugubres et ambigus les plus magnifiques e?le?ments de de?cor...
Pendant la pre?paration du film, quel fut le plus grand de?fi que vous ayez eu a? relever ?
Nous voulions nous rendre a? Londres hors pe?riode d’affluence, de pre?fe?rence avant la pe?riode de Noe?l, mais nous n’avons pas pu. Nous sommes donc arrive?s la?- bas durant les conge?s de Noe?l. La plupart du tournage se de?roulait de nuit et l’hiver nous avantageait parce que les jours sont tre?s courts. Cependant, le froid ne nous a pas e?pargne?s, et puis il a fallu de?nicher les nombreux lieux de tournage... En re?sume?, il a fallu re?soudre tous ces proble?mes pour pouvoir de?marrer le tournage dans les temps. Mais nous y sommes parvenus. Honne?tement, je ne sais pas comment ! Je me souviens de notre premie?re nuit au Blackfriars Bridge, Heath et Andrew e?taient suspendus sous le pont par des ca?bles... Nous avons perdu des heures a? re?gler des de?tails dans un froid de canard. Toujours est-il que soudainement, nous avons senti poindre le jour... C’est ainsi que le tournage a commence? !
Comment la disparition de Heath Ledger a-t-elle e?te? perc?ue sur le tournage et par vous-me?me ?
Le fait qu’Heath ne revienne pas sur le tournage a e?te? un choc pour tout le monde. L’annonce de sa mort a e?te? pire. J’espe?re qu’aucun de nous n'aura jamais plus a? revivre cela parce que cette nouvelle a e?te? insupportable. Il e?tait aime? de tout le monde et repre?sentait une source de bonne humeur et d’e?nergie sur ce film.
Le tournage londonien acheve?, j’ai pris l’avion pour Vancouver tandis qu’Heath embarquait pour New York. Nos chemins se sont donc se?pare?s mais devaient se recroiser a? nouveau a? Vancouver pour la seconde partie du tournage. Et puis il y a eu ce 22 janvier 2008. Nous attendions Heath en fin de semaine mais le mardi, j’ai rec?u un coup de fil de ma fille Amy qui m’a dit: «Tu dois venir ici ». J’ai re?pondu: «Je suis de?borde? ». Et la?, au me?me instant, sur le site de la BBC, j’ai lu : « Heath Ledger est mort ».
Ma vie s’est comme suspendue. Nous nous sommes tous retrouve?s prostre?s, brise?s. Nous ne parvenions pas a? mettre des mots sur cet e?ve?nement parce qu’il e?tait tout simplement impossible et inacceptable. Il a fallu des jours pour re?aliser. C’est seulement parce que cela fait plus d’un an aujourd’hui que je commence a? croire que je pourrai un jour accepter sa disparition.
Ma premie?re re?action a e?te? d’abandonner le tournage. Sans lui, je ne me voyais pas continuer, humainement d’abord, et ensuite parce que son ro?le e?tait trop central. Ce sont les autres qui m’ont donne? la force de poursuivre. Ils m’ont secoue?, ils m’ont me?me harcele?. Tout le monde me disait que nous devions finir ce film pour Heath. « Oublie ton film, Terry, c’est maintenant celui de Heath Ledger ».
Alors, nous avons discute?. Quelqu’un a dit : « Nous devons trouver un autre acteur pour jouer son ro?le ». Ce a? quoi j’ai re?plique? : « Je ne veux pas faire c?a et puis c?a ne marcherait pas ». Et parce que son personnage avait traverse? trois fois le miroir, j’ai dit : « Trois acteurs le remplaceront ». J’ai d’abord appele? Johnny Depp qui m’a tout de suite dit oui, aussi simplement que c?a. S’il avait dit non, tout aurait e?te? perdu. Au total, nous avons connu un arre?t d’environ un mois. Durant cette pe?riode, nous avons du? tout revoir y compris le budget, car tout e?tait en train de s’effondrer. Lorsque nous avons repris le tournage, je ne sais me?me plus si Colin Farrell et Jude Law avaient de?ja? signe? leur contrat.
De?s lors, nous avons du? tourner presque toutes les sce?nes en inte?rieur. La pre?sence de Colin, Johnny ou Jude supposait que l’on soit raccord au niveau des conditions me?te?o, et nous e?tions tributaires de la disponibilite? des acteurs. C’e?tait complique?, chacun d’eux e?tant de?ja? pris par des projets en cours. Tout le monde y a mis du sien. Nous avons remis tout le planning a? plat. Le tournage est devenu un nume?ro de cirque dont nous e?tions les jongleurs et les contorsionnistes. Pour ne rien arranger, Bill Vince, un de nos producteurs, souffrait beaucoup de son cancer.
J’e?tais vraiment e?mu de voir Johnny, Colin et Jude s’impliquer dans cette aventure simplement parce qu’ils aimaient Heath. Leur empressement a? sauver le film et la dernie?re prestation de Heath a e?te? un incroyable geste d’amour et de ge?ne?rosite?. Un moment de cine?ma et d’humanite? superbe et rare. Gra?ce a? eux, le film est encore plus spe?cial, plus surprenant, il est devenu plus amusant, et surtout, encore plus magique. J’en suis et j’en serai toujours bouleverse?.
Un jour, nous avons mis en boi?te la dernie?re sce?ne. Je ne sais pas comment, mais nous avons re?ussi.
Quel est l’apport de chacun des come?diens au personnage de Tony ?
Johnny apporte une e?nergie, un humour imme?diat, quelque chose de joyeux et de de?cale?. Il est parfaitement a? sa place dans cet univers onirique et fou. On a envie de le suivre, de le croire.
Jude Law re?ve?le une facette pe?tillante, charmeuse du personnage. Il est se?duisant, e?le?gant. Il de?gage aussi une certaine vulne?rabilite?. C’est un me?lange qui lui correspond parfaitement.
Colin Farrell avait la lourde ta?che d’incarner Tony a? l’heure des choix, sur toute la fin du film. Il devait a? la fois e?tre attirant et sombre, sympathique et antipathique. Ce n’e?tait pas e?vident a? restituer et Colin est fantastique.
Quel regard avez-vous sur les effets spe?ciaux ? Vous aimez travailler avec les fonds verts ?
En l’occurrence, nous avons utilise? des fonds bleus contrairement a? ce qui se fait d’habitude, mais les de?tails techniques n’ont aucune importance. Globalement, l’e?cran implique une de?marche assez curieuse. Vous e?tes oblige? de garder constamment a? l’esprit une image tre?s pre?cise de ce que vous faites. Vous pre?visualisez grossie?rement les sce?nes mais vous n’avez aucun e?le?ment devant les yeux. De fait, vous doutez perpe?tuellement. Dieu merci, ce film ne misait pas sur des effets trop sensationnels, au sens ou? l’action, de l’autre co?te? du miroir, s’appuyait essentiellement sur le co?te? joyeux ou e?trange des environnements. Les acteurs n’ont pas eu a? toucher ou a? s’agripper aux e?le?ments du de?cor.
Nous construisions tout de me?me des plateaux avec des e?le?ments qui me servaient de points de repe?re. En raison de la cadence de travail, les acteurs devaient uniquement se fier a? mon imagination. Nous n’e?tions pas dans des conditions ordinaires de tournage. Il n’e?tait pas possible que l’un d’eux donne son avis et que l’on en discute. Ils se sont retrouve?s dans cette situation d’urgence et il fallait faire avec. Johnny, Colin et Jude se sont pre?te?s au jeu et ont e?te? formidables.
Dans le principe, je sais qu’il est possible de quasiment tout faire faire a? un come?dien a? l’aide de trucages ou d’images de synthe?se. Certains films l’ont brillamment de?montre?. Mais je pre?fe?re de loin diriger un humain, capter l’e?motion d’un regard ou une pre?sence, qu’avoir affaire a? des ordinateurs.
Ce film reve?t-il de?sormais une signification particulie?re a? vos yeux ?
Ce film repre?sente beaucoup pour moi mais je ne suis pas su?r de savoir pourquoi. Son de?roulement a e?te? complexe, e?mouvant, cauchemardesque, merveilleux, magnifique, e?pouvantable... Tellement de choses extre?mes a? la fois ! Je le suspecte pourtant d’e?tre l’une de mes plus belles re?alisations. J’e?tais terrifie? a? l’ide?e de ne pas pouvoir le terminer. Le film est magique, tre?pidant, touchant et dro?le. C’est certainement mon œuvre la plus mature mais aussi la plus juve?nile !
Pour quel public avez-vous travaille? ?
Je pense que ce film peut plaire aussi bien aux enfants qu’aux grands-parents. Etrangement, il me fait penser a? un mix entre LES AVENTURES DU BARON DE MUNCHAUSEN et BANDITS BANDITS. C’est un film que nous avons voulu tous publics.
Lors des premie?res projections, nous nous sommes aperc?us que le film plaisait e?norme?ment aux enfants et aux adolescents. Ils re?agissent formidablement a? l’histoire et aux univers visuels, qui doivent les changer des jeux vide?o ! Le film traite aussi de nombreux sujets et a? plusieurs niveaux, de sorte que chaque spectateur y trouve un e?cho.
Vos films sont souvent empreints de mysticisme et de philosophie, et celui- la? peut-e?tre encore plus que les autres. Souhaitez-vous de?livrer un message ?
Le mysticisme et la spiritualite? font partie de la vie. Ils sont une composante essentielle de ce qui fait de nous des e?tres humains. Cela m’impre?gne. Je n’appre?cie ni les fanatiques ni les extre?mistes. Simplement, comme beaucoup, je me pose des questions. Je n’ai pas la pre?tention d’apporter des re?ponses mais j’espe?re faire en sorte que les gens s’ouvrent l’esprit en se posant des questions. Mes histoires sont faites pour les emmener la? ou? ils n’auraient peut-e?tre pas e?te? tout seuls.
A travers vos films, vous nous entrai?nez souvent de l’autre co?te? du miroir en nourrissant notre imaginaire. Que de?couvririez-vous si vous-me?me passiez a? travers le miroir ?
J’ai la chance de passer a? travers chaque fois que je fais un film ! Je me plonge alors dans mes ide?es, dans mes visions et beaucoup de gens m’aident a? leur donner corps pour les partager. C’est un privile?ge. Je passe ma vie a? visiter mon imaginaire pour ensuite y inviter des gens ! Pour moi, le plus dur, c’est d’en ressortir, d’affronter a? nouveau le monde tel qu’il est. La?, je ne mai?trise plus grand-chose et comme tout le monde, je souffre !
Vous occupez une place a? part dans le 7e?me art. Savez-vous pourquoi ?
Je ne sais pas pourquoi les gens aiment mes films ni ce qui les se?duit exactement. Je pense m’e?tre toujours consacre? a? des films qui me passionnaient et qui me parlaient. Je suis since?re et c’est c?a l’important. Mes films ont toujours raconte? une histoire.
Je n’e?tais pas suppose? devenir un jour re?alisateur. Mon approche est plus celle d’un cine?aste que celle d’un re?alisateur de film. Il y a une diffe?rence entre les deux. Le qualificatif de cine?aste implique des qualite?s d’artisan et une re?elle connaissance de tous les corps de me?tier. J’estime e?tre capable de faire le film seul. Bien su?r, il ne serait pas aussi bon, mais j’y parviendrais. Un tournage est avant tout une aventure collective. J'apprends autant de mon e?quipe qu’elle apprend de moi ; j’apprends me?me plus. Je connais tous les me?tiers du cine?ma et je sais comment chacun fonctionne a? son poste, mais je ne saurais pas faire aussi bien que chacun d’eux dans leur spe?cialite?. Lorsque je leur demande de faire quelque chose, ils savent que je connais le boulot et que j’appre?cie ce qu’ils font. J’envie me?me beaucoup leur talent. Je pense qu’ils en sont conscients.
Savez-vous aujourd’hui quelle place occupe ce film dans votre œuvre ?
Une place a? part, c’est e?vident, a? la fois pour ce qu’il est et pour tout ce qui s’est produit pendant que nous le faisions. Me?me si c’est au public de de?cider, j’ai le sentiment pour ma part que c’est l’un de mes films les plus aboutis et les plus re?ussis. Je ne sais pas expliquer pourquoi, peut-e?tre l’alliance d’un casting fantastique, de sentiments affectueux dont je suis de plus en plus conscient avec les anne?es et qui tendent a? ressortir davantage dans mon travail. Il est certain que la disparition de Heath nous a galvanise?s et que le film porte cette e?nergie re?active, cette pulsion de vie.
Je n’oublie jamais que la mort approche, et beaucoup des choses que je vis se chargent de me le rappeler chaque jour ! Je ne vis pas cela comme une peur mais comme une formidable incitation a? profiter de la vie sans perdre de temps. C’est de cette conscience que je tire mon e?nergie et mon envie d’avancer. Je suis convaincu que faire et partager est le meilleur moyen de se sentir vivant. C’est pourquoi je suis heureux que ce film existe et que les premiers qui l’ont de?couvert semblent l’aimer.
Pages de l'article
- Synopsis
- Il était une fois...
- L'Imaginarium arrive en ville...
- Tous les mondes du docteur Parnassus...
- Entretien avec Terry Gilliam, réalisateur et scénariste
- La critique d'Alana Chantelune
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