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Ecrire, lire de la fantasy

Entrons en matière par l'une des critiques les plus cinglantes qu'ait jamais reçu la fantasy et qui condense tous les reproches communément émis à l'encontre de la fantasy :
" La fantasy continue aujourd'hui encore à véhiculer des inepties sur la terre plate ou creuse, les continents engloutis de Mu et de l'Atlantique, les fées, les gnomes, les sorciers, les dragons. C'est là même sa première propriété d'être écrite puis lue par des gens qui n'ont pas eu le besoin, voire, peut-être hélas, l'occasion d'acquérir la moindre bribe de savoir : une littérature faite par des ignorants et dont le niveau de problématique est nul. La lecture de cent œuvres de fantasy n'apporterait aucune forme de culture, même littérairement ultraspécialisée, parce qu'elles font à peu près toutes dans la répétition. Elles sont interchangeables." (Gérard Klein, historien de la SF, directeur de collection)
Qu'en est-il vraiment ? La fantasy est-elle à ce point "irrécupérable" ?


La fantasy, une littérature à part entière

On accuse bien souvent - comme d'autres formes de littérature populaire, dite "de gare" aussi - la fantasy de ne proposer que des histoires mièvres et détachées de la réalité, des histoire merveilleuses qui ne peuvent convenir qu'aux enfants. Le fait que le merveilleux s'y trouve ne signifie pas que ces œuvres soient de facto "puériles". Dans un pays aussi rationaliste et élitiste que la France, la fantasy n'a pas bonne presse et c'est avec un handicap certain qu'elle doit conquérir l'estime de tous, et, tâche extrêmement ardue, celle des critiques. Les auteurs de fantasy sont essentiellement considérés comme des scribouillards qui écrivent des pavés insipides pour des raisons purement pécuniaires. Certes, s'ils écrivent, c'est en partie pour vivre, mais ce n'est certainement pas leur unique source de motivation - J.R.R. Tolkien voulait "lui" fonder une mythologie pour l'Angleterre, mais tous ne sont pas comme lui. Cependant on peut noter que les œuvres relevant du réalisme magique et à sa suite de la fantasy urbaine, véhiculent le plus souvent un message, portent un regard critique sur notre société - sous des apparences de légèreté souvent trompeuses. Le réalisme magique s'attaque par exemple aux problèmes faisant suite à la décolonisation ; le dernier livre de Neil Gaiman, American Gods, met en scène les anciennes déités en lutte avec celles, nouvellement établies, de la bourse et de l'internet. Mais plus généralement la fantasy s'intéresse aux thèmes universels de l'humanité, profondément ancrés dans notre inconscient : la mort, la trahison, l'amitié, la résistance face à l'adversité...
Il ne faut certes pas se cacher le fait que la fantasy recèle de nombreux écrits inintéressants et tout à fait indigestes - ce qui se retrouve à chaque niveau de la littérature d'ailleurs... Voulant profiter du succès phénoménal et mérité du Seigneur des Anneaux, nombreux ont été ceux qui, éditeurs comme auteurs, trouvèrent là un bon filon et se lancèrent donc dans la fantasy, mais rares ont été à l'origine d'innovations dans un genre qui s'est peu à peu enlisé, dans les années 80 particulièrement (mais il ne faut pas oublier certaines œuvres marquantes comme celles dues à Ursula Le Guin et à Michael Moorcock). Ce phénomène a longtemps pesé sur l'ensemble de la fantasy et sa réputation n'est point encore complètement "lavée". Mais des œuvres qui tel le Seigneur des Anneaux ont requis des années de recherches, d'écriture puis de révisions, on ne peut pas les juger sans valeur et ce sans le moindre appel. quoi qu'en dise Gérard Klein, beaucoup d'auteurs ont étudié la littérature, la langue (Tolkien était philologue à Oxford est-il nécessaire de le rappeler ?), l'Histoire,... afin de proposer plus tard des histoires crédibles et riches. Ces auteurs se sont imprégnés du fonds historique, social, culturel par soucis d'exactitude. On peut citer l'exemple de Mary Gentle qui a non seulement étudié la littérature anglaise mais a aussi appris le maniement de l'épée. Pour la plupart d'entre eux - en tout cas pour les seuls auteurs intéressants, c'est-à-dire ayant une certaine valeur littéraire - chaque livre est le fruit d'un travail minutieux qui prend plusieurs années, mais un travail qui se voit récompensé par un accueil favorable tant de la part du lectorat que de ses pairs. Ainsi les livres qu'a publiés Peter S. Beagle sont rares (on en compte huit à ce jour, le premier étant paru en 1960) mais toujours très attendus.

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La position ambiguë voire hypocrite des critiques littéraires vis-à-vis de la fantasy

On peut noter aussi que des œuvres françaises - non étiquetées "fantasy", mais faisant appel au merveilleux de telle sorte que cela puisse être considéré comme de la fantasy - sont plébiscitées par la critique alors que cette dernière tombe littéralement sur tout ce qui revendique cette étiquette "fantasy". L'exemple le plus flagrant est sans doute les œuvres relevant du réalisme magique qui sont primées de par le monde. En attendant le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma s'est vu décerné le Prix Inter en 1999. James Blaylock, en passant à des parutions en littérature générale a soudainement été célébré comme le " meilleur des nouveaux fabulistes américains ". Le prix britannique Booker récompense assez souvent de tels auteurs (Ben Okri, A.S. Byatt). Des œuvres de fantasy sans en porter l'étiquette à chaque fois... Situation paradoxale, surtout quand on se souvient du jugement porté sur le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien à sa parution : " Les universitaires et les critiques avaient, au début, admiré ses livres, en établissant des influences littéraires qui s'étendaient de Buchan [1] (l'héroïsme, les poursuites, l'éloge de l'amitié) à Beowulf, depuis la Chanson des Nibelungen au Voyage du Pèlerin [2]. Par la suite, avec l'immense popularité que les livres avaient suscitée, on dénonça l'histoire comme une fantasy se complaisant dans l'évasion de la réalité, son succès attribué avec entêtement à une "adulation irrationnelle" et à un "phénomène culturel et social parfaitement étranger au domaine de la littérature". Des tentatives pour faire rentrer de force l'histoire de Tolkien dans le cadre étriqué d'une allégorie contemporaine se firent jour aussi. Durant les années cinquante, les critiques en étaient certains, Sauron était en réalité Joseph Staline et en tâtonnant, le vaillant Frodon représentait le monde occidental. (Magazine Time, 17 septembre 1973)


Confusion avec le réel ?

Il n'est pas rare de voir la fantasy dénigrée parce que ses livres pourraient amener ses lecteurs à confondre fiction et réalité [3]. En fait, les lecteurs parfaitement sains d'esprit n'accordent pas plus de crédit aux romans de fantasy que ne le font les enfants vis-à-vis des contes - quand bien même ceux-ci demandent à leurs parents " est-ce que c'est vrai ?" [4]. La fantasy n'a jamais prétendu se substituer à la réalité, pas plus que constituer un refuge à cette dernière.


La fantasy, une littérature d'évasion

La fantasy fait partie du domaine de la littérature d'évasion. Evasion n'a jamais été synonyme de fuite en avant, mais on fait du mot "évasion" un terme généralement négatif. Ce que critique vivement J.R.R. Tolkien : s'échapper d'un univers qui peut paraître oppressant n'est pas de la désertion, mais plutôt semblable à l'évasion d'un prisonnier. La fantasy se place dans ce dernier cas mais cette évasion va au-delà de cet aspect comme le note Tolkien, apportant au lecteur un plaisir intense [5].
S'il y a volonté de la part d'une œuvre de fantasy de vouloir se substituer aux contraintes du réel, ce n'est jamais que temporaire. Lire de la fantasy n'épargne pas des tracas de la vie quotidienne "par magie", et le lecteur sait parfaitement que ceux qu'il a laissés avant de prendre son livre seront encore bien présents après l'avoir reposé, et qu'il devra toujours y faire face. Cet aspect des choses est commun à toute la littérature et dépasse le cadre de la seule fantasy ainsi que le suggère Mircea Eliade dans Aspects du Mythe : " On devine dans la littérature, d'une manière plus forte que dans les autres arts, une révolte contre le temps historique, le désir d'accéder à d'autres rythmes temporels que celui dans lequel on est obligé de vivre et de travailler. " Quelque chose que l'on semble retrouver dans les évocations bucoliques de la Comté de Tolkien, une société préindustrielle, une nostalgie de l'Âge d'Or, de cette ère avant la Chute en quelque sorte, thème récurrent de l'humanité depuis l'Antiquité. On peut sans doute voir la fantasy comme manquant de fond par rapport à la science-fiction. Mais là où la SF s'interroge sur l'innovation technologique, et ses conséquences éthiques, sociales ou politiques - et ayant assez souvent pour cela recours à des dystopies et autres visions pessimistes, voire apocalyptiques de l'avenir -, la fantasy propose un réenchantement de notre monde moderne que l'on dit désenchanté. C'est avant tout cela que l'on attend de la fantasy : le dépaysement, que ne peut nous apporter la littérature actuelle, tout du moins une partie des livres s'en réclamant, ce qu'illustrent les propos de Jean-Marie Rouart de l'Académie française en opposant Tolkien à Houellebecq : " Tolkien est un anti-Houellebecq. Ce dernier nous montre notre réalité quotidienne réduite à l'os, dépoétisée et même déromancée. Car le roman c'est justement ce jeu poétique entre la réalité et la fiction qui ajoute une part de magie. La littérature d'aujourd'hui, réaliste, qui se livre à des constats, à des enquêtes plutôt qu'à des inventions, des réorchestrations ou des visions n'est-elle pas de ce point de vue en recul sur le plan de l'imaginaire ? Avec le retour de Tolkien dont le succès brave tous les ukases de la littérature expérimentale ou minimaliste, le romanesque prend sa revanche. [...] Les écrivains après nous avoir un peu trop considérés comme des adultes à qui il faut apprendre les dures réalités de la vie et sa crudité quotidienne vont peut-être enfin nous considérer comme des enfants qui cherchent moins à savoir mais à rêver ou alors à savoir mais en rêvant." (Le Figaro littéraire, " Le retour au merveilleux ", décembre 2001)


La fantasy, une littérature pour les déçus de la vie ?

Il est cependant bien trop facile de voir dans le lecteur de fantasy une personne qui, déçue par ce qu'est en mesure de lui offrir la réalité, n'en attendrait plus aucune satisfaction et se tournerait par conséquent vers la fantasy dans le but d'y trouver cette satisfaction qui lui fait défaut. Certes, l'homme moderne supporte difficilement de ne pas toujours pouvoir maîtriser sa vie comme il le souhaiterait; les personnages de fantasy, les paradigmes héroïques de ses livres, qui peuvent accéder à un destin grandiose, répondent d'une certaine manière à ce sentiment de manque chez lui [6]. Mais, en lieu et place de rêves éveillés, de fantasmes conscients - marque des personnes à l'imagination trop étroite que ces chimères incessantes et stériles empêchent d'évoluer, d'avancer dans la vraie vie - on trouve en lisant de la fantasy ce qui peut donner espoir et force en vue d'affronter l'adversité de la vie; ainsi que le dit Bruno Bettelheim, " toute expérience, quelle qu'elle soit, affecte toujours les divers aspects de la personnalité d'une façon globale. Et l'ensemble de la personnalité pour pouvoir affronter les tâches de la vie, a besoin d'être soutenue par une riche imagination mêlée à un conscient solide et à une compréhension claire de la réalité " (Psychanalyse des Contes de Fées). La fantasy, reflet de nos peurs et de nos aspirations, n'a pas d'incidence négative chez une personne stable. Bien au contraire. Comme le disait l'écrivain argentin Jorge Luis Borges de la littérature fantastique - prise dans une acceptation large - elle " a recours à la fiction non pour fuir la réalité mais, au contraire, pour en exprimer une vision plus profonde et plus complexe."

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Conclusion

Le lecteur de fantasy a sans doute conservé - délibérément ? - une part importante de son âme d'enfant, sans doute plus que d'autres, mais la fantasy n'infantilise en aucune manière que ce soit. Mais, comme toute forme de littérature, il ne faut pas perdre de vue que la fantasy, par-delà toute autre forme de considération, est un divertissement. Cela constitue la satisfaction première que l'on en tire; ce qui n'empêche pas, au-delà, cette littérature d'être profondément en prise avec le réel : " Au-delà de l'agrément, de la curiosité, de toutes les émotions que nous donnent les récits, les contes et les légendes, au-delà du besoin de se distraire, d'oublier, de se procurer des sensations agréables et terrifiantes, le but réel du voyage merveilleux est, nous sommes déjà en mesure de le comprendre, l'exploration plus totale de la réalité universelle." (Pierre Mabille, Le Miroir du Merveilleux)

[1] : John Buchan (1875 - 1940), écrivain, avocat et homme politique anglais. Il fut Gouverneur général du Canada de 1935 à 1940.
[2] : Le Voyage du Pèlerin de John Bunyan (1628 - 1688), écrivain anglais. Cet ouvrage constitue un chef d'œuvre de la littérature religieuse.
[3] : Certains faits divers tragiques ont défrayé la chronique et marqué bon nombre d'esprits, suite au coup de folie ou au suicide de - rares bien heureusement - personnes adeptes des jeux de rôle ou vidéos, dont les enquêtes ont par la suite montré la fragilité psychologique. Il ne faut donc pas incriminé pour cela jeux de rôles ou vidéos, ceux-ci n'ayant été que l'élément déclencheur - mais ils en auraient parfaitement trouvé d'autres - sur un sujet déjà psychologiquement instable. Il en va de même pour la littérature de l'imaginaire, tout excès n'étant conséquent qu'à un état au préalable fragilisé de la personne.
[4] : J.R.R. Tolkien, Faerie, "Du conte de fées", repris par Bruno Bettelheim dans Psychanalyse des Contes de Fées : " Le plus souvent, ce que veut dire l'enfant quand il demande "Est-ce que c'est vrai ?" c'est "J'aime bien cette histoire, mais est-ce qu'elle se passe aujourd'hui ? Est-ce que je suis en sécurité dans mon lit ?" La seule réponse qu'il souhaite entendre est la suivante : "il n'y a certainement plus de dragons en Angleterre aujourd'hui !" Et Tolkien continue : "Les contes de fées se rapportent essentiellement non pas à une possibilité mais a une désirabilité ". Ce que J.R.R. Tolkien illustre par ses propres souvenirs où, lorsqu'enfant, il désirait les dragons " d'un désir profond. Bien sûr, je ne souhaitais pas, moi, dans mon corps timide, en avoir dans le voisinage, s'intégrant dans mon univers relativement sûr, dans lequel on pouvait, par exemple, lire des histoires, l'esprit en paix, à l'abri de toute crainte. Mais le monde qui contenait la seule imagination de Fafnir était plus riche et plus beau, au prix de quelque péril que ce fût. " (J.R.R. Tolkien, ibidem)
[5] : J.R.R. Tolkien, Du Conte de Fées : Mais il est d'autres formes d'" évasion " plus profondes qui se sont toujours montrées dans le conte de fées et la légende. Il est d'autres choses à fuir, plus sinistres et plus terribles que le bruit, la puanteur, la nature impitoyable et l'extravagance du moteur à explosion. Il y a la faim, la soif, la pauvreté, la douleur, le chagrin, l'injustice, la mort. Et même quand les hommes n'affrontent pas de telles rigueurs, il existe d'anciennes limitations dont les contes de fées offrent une sorte d'évasion, et d'anciens désirs et ambitions (touchant aux racines mêmes de la fantaisie) dont ils offrent une sorte de satisfaction et de consolation. [...]
Mais la " consolation " des contes de fées a un autre aspect que la satisfaction imaginative d'anciens désirs. Bien plus importante est la Consolation de la Fin Heureuse. J'oserais presque affirmer que tout conte de fées complet doit en comporter une. Je dirai du moins que la Tragédie est la véritable forme du Théâtre, sa fonction la plus élevée; mais le contraire est vrai du Conte de fées. Puisqu'il apparaît que nous n'avons pas de mots pour exprimer ce contraire, je l'appellerai l'Eucatastrophe. Le Conte eucatastrophique est la véritable forme du conte de fées, et sa fonction la plus élevée.
La consolation des contes de fées, la joie de la fin heureuse, ou plus correctement de la bonne catastrophe, le soudain " tournant " joyeux (car il n'y a de véritable fin à aucun conte de fées) : cette joie, qui est l'une des choses que le conte de fées peut produire suprêmement bien, n'est pas essentiellement " d'évasion ", ni " de fuite ". C'est, dans son cadre du conte de fées - ou d'un autre monde -, d'une grâce soudaine et miraculeuse : sur la récurrence de laquelle on ne peut jamais compter. Elle ne dénie pas l'existence de la dyscatastrophe, de la peine et de l'échec : la possibilité de ceux-ci est nécessaire à la joie de la délivrance; elle dénie (en dépit de maintes preuves, si l'on veut) la défaite universelle finale et elle est, dans cette mesure, un evangelium, donnant un aperçu fugitif de la Joie, une Joie qui est au-delà des murs de ce monde, aussi poignante que la douleur. C'est la marque d'un bon conte de fées, de l'espèce la plus élevée ou la plus complète, que, quelque extravagants que soient ses événements, quelque fantastiques ou terribles ses aventures, il peut donner à l'enfant ou à l'homme qui l'entend, quand le " tournant " vient, un frisson, un battement et une élévation du coeur proches (ou même accompagnés) des larmes, aussi aigus que ceux que peut donner aucune forme de l'art littéraire et doués d'une qualité particulière. "
[6] : Mircea Eliade analysait ainsi l'impact qu'avaient les héros de comics sur les gens ; il voyait ces héros des temps modernes comme le pendant de leurs aînés mythologiques ou folkloriques. Le parallèle peut être fait avec les héros de fantasy. " Si l'on va au fond des choses, le mythe du Superman satisfait les nostalgies secrètes de l'homme moderne qui, en se sachant déchu et limité, rêve de se révéler un jour un " personnage exceptionnel ", un " héros ". (Aspects du Mythe, " Mythes et mass-media " )

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