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Un entretien avec John Howe

Par Darkfriend, le samedi 11 août 2007 à 14:17:24

BeowulfAlors que les évènements de Saint-Ursanne battent leur plein, l'artiste au coeur de toute cette activité, John Howe, a récemment donné une interview, où il évoque aussi bien son implication sur l'adaptation du Seigneur des Anneaux que Saint-Ursanne et ses festivités.
L'artiste canadien revient également sur son futur proche, comme sa propre vision de Beowulf, prévue pour octobre prochain (couverture ci-contre), en langue anglaise du moins. En attendant, retrouvez donc cet entretien intégralement traduit pour vous.

L'interview proprement dite

Lorsque vous étiez jeune, aviez-vous baigné dans le monde de l’art ?

Très peu. Quasiment pas, en fait. J’ai seulement pris des cours d’art dans ma première et dernière année scolaire du degré secondaire (high school).

Et vous avez quand même décidé de poursuivre des études artistiques ?

La plupart des canadiens anglophones désirent aller en Europe au moins une fois dans leur vie. Mon plan initial était de passer une année en France, d’aller dans une école quelconque, et apprendre un peu le français. J’ai été durant une année dans un American college dans les environs de Strasbourg, mais j’ai eu un aperçu d’une VRAIE école d’art, L’Ecole des Arts Décoratifs, et je m’y suis inscrit l’année suivante. J’ai primitivement déménagé en Suisse pour travailler sur un dessin animé, et j’y suis toujours resté depuis.

Etant canadien, qu’est-ce qui vous a poussé à aller en Europe ?

C’est un monde TRES différent. Je pense que j’étais intéressé par l’Histoire sans le savoir et cela m’est devenu très clair, une fois arrivé en France. Tout ce qui m’intéressait réellement était là, mais je ne connaissais rien : aucune formation, aucune formation artistique, aucune formation au-delà du degré secondaire. C’était un sentiment très écrasant, et cela l’est toujours.

C’est évident que, si nous vivions au Canada, nous aurions une maison plus grande et plus de voitures, mais vous ne pouvez pas avoir ce que vous pouvez y trouver en Europe. Les informations et l’inspiration sont partout….l’Histoire, l’art, l’architecture, c’est tout ce dont un illustrateur a besoin. L’Europe est, après tout, le lieu qui a généré la plupart des mythes et légendes les plus persistants de la culture occidentale.

A quel moment Tolkien est-il apparu ?

J’ai lu le Seigneur des Anneaux lorsque j’avais douze ans, environ, et – c’est une histoire que j’ai racontée un million de fois – j’ai lu en premier le volume deux, puis trois, et finalement le numéro un en dernier. J’étais contraint de me les procurer à la bibliothèque locale, et La Communauté de l’Anneau était TOUJOURS en prêt. Je suis certain que des gens l’empruntaient, le gardaient un mois, restaient bloqués, l’abandonnaient et le rendaient finalement à la bibliothèque. (Les Deux Tours et Le Retour du Roi quittaient rarement les étagères, cela se passait avant que le Seigneur des Anneaux ait gagné cette popularité incroyable dont il bénéficie aujourd’hui – chose méritée d’ailleurs.) J’étais contraint de patienter durant des mois, et j’en ai finalement eu assez d’attendre et j’ai lu la trilogie à l’envers.

Vous avez commencé immédiatement à dessiner ?

Oui, ou au moins quelques années après. Lorsque le calendrier Hildebrandt fut publié en 1976, j’ai pensé à quel point c’était fabuleux comme ces types pouvaient dessiner des images du Seigneur des Anneaux, être publiés et en retirer des tonnes d’argent, laissez-moi tenter ma chance là dedans ! (On est passablement naïf quand on a moins de 20 ans.) Donc j’ai studieusement produit pas mal de dessins. Un des premiers dont je me souviens est une interprétation de Théoden se tenant devant un énorme individu en armure, avec d’énormes cornes sur son casque – je vous ai dit que nous n’avions pas de livres d’art ou d’histoire lorsque j’étais jeune – et qui était monté sur un énorme ptérodactyle vert. C’était vraiment horrible.

Pour parler de votre site web, pourquoi est-ce que vous avez un site web ?

J’ai un site web parce que c’est un outil très intéressant, très – de manière inattendue – utile pour mon travail. Il est devenu une archive et un portfolio online presque complet, et qui offre aussi bien l’opportunité d’écrire un peu. La partie écriture me donne beaucoup de plaisir en fait, et je dois être prudent afin qu’elle ne me prenne pas trop de temps. Le forum offre aussi sa part de plaisir.

Pour vous dire la vérité, je n’aurais même pas un site web si ce n’était par l’aide généreuse de mon webmaster Dominique Javet, qui y a tout rassemblé et qui a mis le tout sur pied (et qui s’occupe d’éliminer les problèmes occasionnels).

Rencontrez-vous souvent d’autres artistes et illustrateurs de Tolkien ?

Oui, j’ai rencontré Ted Nasmith quelques fois, et j’ai bien sûr travaillé avec Alan Lee en Nouvelle-Zélande. J’admire énormément son travail et nous sommes devenus de bons amis. Curieusement, nous nous sommes rencontrés dans une demi-douzaine de pays éparpillés dans le monde, mais jamais en Angleterre ou en Suisse, donc je suis très content qu’il ait accepté de venir à Saint-Ursanne pour la clôture de ce spectacle estival.

Comment avez-vous été impliqué dans les films de Peter Jackson ?

J’ai eu un appel téléphonique et je suis allé en Nouvelle-Zélande. Ce n’était pas réellement une décision difficile. Nous en avions parlé, ma femme, mon fils et moi-même, et notre fils – ce petit garçon courageux – était d’accord d’essayer et nous sommes donc partis. C’était un changement assez grand pour lui – une nouvelle langue, un nouveau pays, et de l’autre côté du monde, qui plus est. Travailler pour Peter Jackson a été une grande expérience. Travailler pour un film exige de nombreuses heures et un haut degré de concentration, mais il y avait une ambiance très positive et nous avions tous envie de faire quelque chose de bien. Nos brouillons pour la pré-production étaient terminés très en avance par rapport au film lui-même, donc il n’y avait pas encore cette incroyable pression de milliers de gens qui luttaient contre un calendrier très étroit. Nous étions très bien traités.

Comment le processus du travail se déroulait-il?

Peter nous donnait habituellement une brève description d’une séquence d’une scène et alors nous commencions à jeter des idées sur le papier. Peter contrôlait cette approche initiale, disait ce qu’il aimait et alors nous effectuions des brouillons supplémentaires pour terminer. L’étape suivante était soit de transformer ces brouillons en des plans architecturaux et des constructions, ou bien nous bâtissions un petit modèle. L’étape d’après était soit le décor soit la peinture en miniature. Il s’agissait pour beaucoup d’un processus allant d’arrière en avant, c’était un cadre de travail très stimulant pour la création.

Ne projetez-vous pas de publier un livre similaire au Lord of the Rings Sketchbook d’Alan Lee pour montrer vos brouillons et vos créations artistiques qui avaient été faits pour les films ?

Bien sûr, mais je n’ai pas d’éditeur ! Mais j’adorerais le faire ! Le projet d’Alan, Lord of the Rings Sketchbook, était déjà en route avant que nous ne travaillions en Nouvelle Zélande, et le travail à l’intérieur du film avait été inclus lors du processus. Bien sûr, j’adorerais que ces travaux soient publiés, il y a des centaines de brouillons qui n’ont jamais été publiés, sous quelque forme que ce soit.

Dans les films, nous pouvons voir un grand nombre d’images qui sont clairement des illustrations qui avaient été créées originellement bien avant les films. Est-ce que Peter Jackson vous a demandé d’utiliser ces illustrations ?

C’est vrai qu’une grande partie du « travail de fond » qui a abouti aux films provenait d’illustrations déjà existantes qu’Alan et moi avions faites. « Cul-de-sac » en est un bon exemple. Peter aimait l’illustration que j’avais faite pour La Carte du Hobbit, et il a dit en gros « J’aime beaucoup cette vue du hall, alors est-ce que vous pouvez vous tourner et dessiner le reste de Cul-de-sac, s’il vous plaît ? ».

C’est la même chose pour l’image d’Isengard d’Alan Lee. Peter aimait beaucoup cette image, mais elle ne montrait que la base d’Orthanc, donc Alan a ajouté papier après papier, l’un après l’autre et s’est frayé son chemin jusqu’au sommet.

La Tour Sombre est un cas similaire. La base de la tour existait, mais j’avais toujours été réticent à l’idée de dessiner concrètement le sommet. Je me suis frayé mon chemin lentement, je n’étais pas du tout certain à quoi devait ressembler le sommet ultime, qui rajoutait probablement quelques centaines de mètres à la hauteur de Barad-dûr.

Comment est venue à l’existence Saint-Ursanne La Fantastique ?

Il y a quelques années, j’ai illustré un livre pour enfants pour un éditeur belge, Casterman, qui était intitulé La ville Abandonnée. J’ai été à Saint-Ursanne et j’ai trouvé que le pont était très attirant, donc il a naturellement atterri dans le livre. Ursinia, l’organisation culturelle locale, cherchait des idées pour un festival estival ou une exhibition, et après être tombé sur l’image avec le pont, ils m’ont contacté.

Nous avons démarré avec l’idée d’une exhibition toute simple, mais Saint-Ursanne n’a pas beaucoup d’espace pour des galeries ; le caveau est assez petit, et il n’était pas possible de mettre les pièces originales dans le cloître. Etant donné ces limitations, l’idée de faire quelque chose de plus ambitieux a émergé – la douzaine « d’installations » tout autour de la ville. C’était un grand projet pour une petite ville de la taille de Saint-Ursanne, spécialement pour les sculpteurs, qui ont fait la plus grande partie du travail.

Et vous y travaillez toujours maintenant, alors même que l’événement a commencé ?

Malheureusement oui. Nous avons encore une statue à terminer, un rhinocéros. C’était annoncé dans le programme, donc il était important de la faire.

Saint-Ursanne va probablement suggérer à d’autres villes de faire appel à vous, non ?

C’est possible, mais bien sûr je ne sais pas, mais je pense que ce serait très amusant.
Mais à nouveau, Saint-Ursanne est vraiment unique. Une part du charme tient dans le fait qu’il s’agit d’une entreprise temporaire. En septembre, tout sera vidé, mais j’aurais un grand plaisir à avoir l’opportunité de créer quelque chose de plus permanent, mais c’est un type de projet très différent.

Comment en êtes-vous venu à l’idée d’un dragon sur le pont ? A-t-il été difficile à fabriquer ?

Nous avons pensé qu’un dragon aurait été bien pour le pont de Saint-Ursanne. Je vois cette idée comme quelque chose que j’aurais adoré voir, étant un enfant. Dragons et ponts sont des choses qui apparaissent souvent dans des contes féériques et dans la fantasy.

Quand vous marchez dans Saint-Ursanne vous pouvez voir des œuvres d’art sur presque toutes les maisons. Cette petite ville était donc prête à collaborer avec vous?

Absolument, les gens étaient généralement prêts à collaborer avec nous. Nous avons eu très peu de refus. Et, bien sûr, il y a tous les autres événements. C’était un été très chargé.

Est-ce vous qui avez décidé du programme des films, des concerts, etc. ? Avez-vous donné des conseils ?

J’ai fait pas mal de suggestions, par exemple j’ai suggéré qu’ils invitent Vincent Ferré. Il est tout simplement parfait pour les conférences littéraires, et c’est le spécialiste de Tolkien le plus renommé. J’ai également recommandé plusieurs groupes pour les différents concerts.

Y avait-il une personne qui dirigeait le tout ?

Il y a un comité qui effectue toutes les décisions importantes. Ma responsabilité se situe dans le secteur de la direction artistique, et non de la gestion du festival lui-même.

Cela a dû être difficile d’installer toutes les statues et autres objets d’art ?

Oui, suspendre les objets sur les murs a exigé toute une équipe de spécialistes et de machineries lourdes. Cela peut être assez dangereux. Mais de manière surprenante, j’ai pu tout trouver ici à Saint-Ursanne. C’est la part la plus époustouflante ! Les gens qui ont œuvré sur les sculptures proviennent tous de Saint-Ursanne ou des environs. Je pense que nous avons eu peut-être deux visiteurs qui sont venu travailler pour un moment. Ce sont les personnes locales qui ont fait tout le travail.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Pour un nouveau livre qui sort en octobre 2008 et deux livres qui sortent cet automne prochain. L’un est une nouvelle version de Beowulf et l’autre est intitulé Fantasy Art Workshop, et traite de l’illustration en fantasy.

Fantasy Art Workshop est mon tout premier guide pratique artistique, avec une préface par Terry Gilliam et une postface par Alan Lee. (Les deux ont écrit de très charmants textes.) Il contiendra des démonstrations en plusieurs séquences, des esquisses et des peintures, dont certaines ont été spécifiquement créées pour le livre. Vous pouvez voir quelques unes de ces peintures en plusieurs séquences à l’exposition, au cloître. En fait, j’aime à y voir un livre philosophique sur le « comment faire du dessin». Achetez-le. Vous l’adorerez. Non, achetez-en deux. Sérieusement, il y a beaucoup à dire au sujet du métier de la création d’images pour des récits, ses us (et ses abus), et le rôle qu’il joue en envisageant des mondes qui n’existent pas en dehors de nos imaginations.

Pour terminer, une question qui a toujours excité ma curiosité. Est-ce difficile de faire publier vos illustrations ? Pouvez-vous faire vous-même des suggestions pour de nouveaux livres ?

Je dois y répondre oui et non. Occasionnellement, des projets peuvent démarrer de manière inattendue, et parfois vous pouvez travailler sur des esquisses et des idées durant des années avant qu’elles soient publiées. Il y a un certain nombre d’auteurs que je désirerais illustrer. Et, bien sûr, j’adorerais à l’avenir faire quelques illustrations de plus chez Tolkien, c’est un univers à revisiter dont on ne se lasse jamais.


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