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Un entretien avec Bradley P. Beaulieu

Par Nak, le vendredi 1 juin 2012 à 17:15:00

La couvertureDepuis que The Winds of Khalakovo a été désigné comme nouveauté de l'année 2011 par notre camarade Pat, on attendait de pied ferme une interview de Bradley P. Beaulieu.
D'autant plus que The Straits of Galahesh est sorti le mois dernier. Et la voici donc traduite pour vous !
Mais pour ne pas vous laisser sans rien avant de vous plonger dans ce petit voyage, allez jeter un coup d'œil à la bande-annonce du roman.
Bonne lecture, attention aux quelques (petits) spoilers, et vous verrez, on apprend plein de choses.

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L'interview traduite

Que dit-on sur Bradley P. Beaulieu ? Dites-nous en plus sur votre parcours.
Je suis un gars né et élevé dans le Wisconsin. J'ai grandi pour la plupart dans des villes de taille moyenne. Mon école primaire, qui a eu une profonde influence sur mes goûts de lecture et mon éventuelle carrière d'écrivain, était une petite école en briques rouges qui a été plus tard démolie pour en faire des appartements près du lac Michigan. Ça me rend toujours triste chaque fois que je passe à côté en voiture. Mais quand j'étais là-bas, mon meilleur ami m'a fait découvrir Le Hobbit. Je l'ai englouti et je suis vite passé au Seigneur des Anneaux. J'ai été tellement transporté quand j'ai lu ces livres, j'étais tellement enchanté, que je n'ai quasiment rien lu d'autre que de la fantasy depuis. Je me suis essayé à d'autres choses de temps en temps – un thriller par-ci, un policier par-là, quelques essais – mais globalement, j'aime lire (et maintenant écrire) de la fantasy.
Je suis allé au lycée à l'école d'ingénierie informatique de Milwaukee, et c'est là que j'ai commencé à toucher à l'écriture. J'ai écrit environ six chapitres d'une aventure de fantasy très stéréotypée, mais ce n'était que le commencement. J'ai eu suffisamment de bons retours pour vouloir continuer, mais il m'a fallu dix ans à peu près pour m'y mettre sérieusement. Je me suis consacré à l'apprentissage de l'écriture et à finir ce premier roman, avant d'écrire et de proposer des nouvelles. Apprendre le métier a été une galère de bien des façons, et c'était émotionnellement difficile – essayez de faire face à des douzaines de refus d'histoires dans lesquelles vous avez mis votre cœur et votre âme et vous comprendrez ce que je veux dire – mais j'ai essayé très fort de même apprécier les refus tout au long du chemin, parce que cela voulait dire que j'étais dans la course, que je progressais.
Finalement je me suis fait un trou chez Night Shade Books, et ça a été une course folle – même pas une année – depuis que The Winds of Khalakovo a été publié. Je suis très content que le second livre de la série, The Straits of Galahesh, soit sur le point de sortir.
Sans trop en dévoiler, donnez-nous un aperçu de l'histoire de The Winds of Khalakovo.
Ma citation favorite du roman est d'un ami écrivain, Gregory A. Wilson : Si Anton Chekhov avait envisagé de mettre en scène Les Trois Sœurs sur un voilier, avec un mix des Mille et Unes Nuits et de Minority Report rajouté pour faire bonne mesure, le résultat aurait donné The Winds of Khalakovo de Bradley Beaulieu.
D'autres ont appelé Winds une fantasy cyrillique ou une fantasy de pistolet à silex. Toutes ces idées se rapprochent de The Winds of Khalakovo, mais je pense que je le résumerais comme ça : Winds est l'histoire d'un garçon qui a le pouvoir de briser les mondes, et ça parle des façons dont les gens vont vouloir l'utiliser – certains pour guérir, d'autres pour faire du mal.
Comment a été reçu The Winds of Khalakovo jusque là ?
Les critiques pour Winds ont été très bonnes. J'ai été très content des critiques et des réponses qu'a suscité le livre jusque là. Je pense que la louange la plus fréquente qu'il a reçue est qu'il apporte de la fraîcheur au milieu de la fantasy épique, et je suis très fier de ça. J'admets complètement qu'il ne casse pas des briques et qu'il ne reconstruit pas le genre, mais je pense qu'il apporte un angle de vue nouveau dans un genre un peu usé.
Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur le chemin qui a vu cette histoire passer du manuscrit au roman achevé ?
J'ai écrit une douzaine de nouvelles avant de me lancer dans Winds. J'ai aussi fait plusieurs incursions dans le monde des éditeurs et des maisons d'édition en participant à plusieurs conférences et conventions. La personne qui vous dit que vous pouvez y arriver sans un réseau est un menteur. Bien sûr, on entend encore des histoires sur des auteurs qui percent et des romans qui explosent au grand jour. Mais je pense que dans l'ensemble vous vous rendrez compte que les gens qui se font une place dans le monde de la fiction ont travaillé dur pour en arriver là, et se sont fait beaucoup d'amis sur le chemin, pas seulement des éditeurs et des agents, mais d'autres auteurs également. C'est un petit monde, et il est important d'être connu pour que votre travail et vous-même soyez reconnus. Notez que ça n'est pas l'essentiel du jeu. Vous devrez toujours connaître vos capacités. Votre travail devra toujours être cohérent en lui-même. Mais pour avoir une chance d'être lu, d'être reconnu, ça demande très souvent d'avoir des relations.
Donc même quand je savais que la plupart des éditeurs ne prennent pas les manuscrits qui ne viennent pas d'un agent, je n'avais pas encore d'agent, mais j'étais déjà assez à l'aise pour approcher les éditeurs et leur parler de mon livre. Je l'ai fait avec Jeremy Lassen à la World Fantasy de San José en 2009. Je lui ai sorti mon baratin, en gros le Trône de fer rencontre Terremer, et Jeremy m'a demandé si j'avais un agent. J'ai dit non, pensant que ce serait la fin de la conversation, mais Jeremy avait suffisamment aimé mon résumé pour me dire d'y aller et de lui envoyer. L'offre est arrivée quelques mois plus tard, en mars 2010 si je me souviens bien. Je n'avais toujours pas d'agent, mais j'ai réussi à convaincre Russ Galen que j'étais un écrivain qui méritait de tenter le coup. On a signé peu de temps après et ensuite la Longue Attente a commencé jusqu'à la publication du livre en avril 2011.
Comment décririez-vous votre travail, pour quelqu'un qui n'a jamais lu vos livres auparavant ?
Et bien, avant toute chose, mon matériau de travail est la fantasy épique. C'est ce que j'ai toujours aimé lire et aussi ce que j'aime écrire.
Mon espoir est d'offrir un monde et une histoire qui soient riches, prenants et réels. Je veux que le cadre soit large et l'expérience merveilleuse. Je veux que les choses comptent. Je veux que les héros et que ceux qui leur font face aient des croyances vraies et ardentes, parce que c'est là, à l'endroit où les personnages s'opposent à travers des croyances humaines réelles, que l'histoire se tient. Ces choses me poussent à écrire et j'espère que cela transparaît dans mon écriture.
La suite, The Straits of Galahesh va bientôt sortir. Que pouvez-vous dire aux lecteurs à son sujet ?
Dans The Winds of Khalakovo on a découvert Ghayavand, l'île où la déchirure est apparue trois cent ans plus tôt. On a aussi appris que Nasim a ressuscité quand Khamal, un des giram les plus puissants qui a causé la déchirure, a été tué. Et il y a des allusions à une menace qui s'élève de l'Empire d'Yrstanla à l'ouest du Grand Duché, un empire qui a un jour revendiqué les îles d'Anuskaya.
The Straits of Galahesh commence cinq ans après les événements de Winds. Le livre se concentre sur trois personnages principaux – Nikandr, Atiana et Nasim – qui nous emmènent dans un périple bien au-delà des frontières du Grand Duché pour explorer les origines et les effets grandissants des failles. Nasim est plus vieux, et on en apprend plus sur sa vie antérieure en tant que Khamal alors qu'il essaye de fermer les failles qui ont été ouvertes il y a si longtemps. Yrstanla regarde à nouveau vers les îles qu'ils gouvernaient autrefois. Atiana s'investit complètement dans une intrigue qui se dénouera sur l'île de Galahesh, où se trouve le détroit légendaire, tandis que Nikandr découvre une toute autre intrigue, qui touche aux Maharraht, les ennemis jurés du Grand Duché.
Qu'est-ce que les lecteurs peuvent attendre des suites à venir ? Des titres ou dates de sortie provisoires ?
Dans le troisième et dernier livre de la série, The Flames of Shadam Khoreh, on creuse encore plus profondément dans l'histoire derrière la déchirure et le rituel fatidique qui s'est déroulé tant d'années plus tôt. C'est crucial pour nos héros parce que les failles continuent à s'étendre et à se renforcer et il est clair que si elles ne sont pas refermées une fois pour toute, le monde d'Erahm lui-même court un grand risque. Les héros voyagent jusqu'à un désert reculé au sud de l'Empire d'Yrstanla, et là, dans la vallée de Shadam Khoreh, ils espèrent trouver les derniers indices dont ils ont besoin pour fermer les failles. Mais avec Yrstanla pris dans une guerre pour le Grand Duché d'Anuskaya, retourner sur l'île de Ghayavand semble de plus en plus compliqué, et encore plus de fermer les failles.
The Flames of Shadam Khoreh devrait sortir en avril 2013.
Serez-vous en tournée durant l'hiver/l'automne pour faire la promotion de The Straits of Galahesh ? Si oui, certaines dates ont-elles déjà été confirmées ?
Je ferai une petite tournée pour le livre autour de chez moi dans le Midwest des États-Unis. La journée de lancement est à Boswell Books à Milwaukee (Wisconsin) le 7 avril de 14h00 à 15h00. J'espère décrocher d'autres séances d'autographes à Racine, Milwaukee et Madison (Wisconsin) et à Chicago (Illinois) mais les dates restent encore à définir. Je mettrai les nouvelles sur mon site, pour que quiconque qui est intéressé puisse aller jeter un coup d'œil.
Quelle a été l'étincelle à l'origine de l'idée qui vous a poussé à écrire la série The Lays of Anuskaya ?
Quand j'ai commencé à travailler sur le monde, c'était la magie – l'utilisation des éléments – qui est arrivée en premier. J'avais d'abord pensé à mettre en scène plusieurs tribus, des gens qui se spécialisent dans chacune des formes élémentaires (feu, terre, eau, air et vie), mais au fur et à mesure que le monde se complexifiait, j'ai écarté l'idée de tribus séparées, tout en gardant la magie élémentaire en elle-même.
Le monde est venu ensuite. Je savais que je voulais que l'histoire ait lieu sur des îles, et à partir de là je suis tombé par hasard sur l'idée d'utiliser la Russie moscovite et le Grand Duché de Moscou comme point de départ pour la culture. La question s'est ensuite naturellement posée : comment faisaient-ils du commerce ? Comment se déplaçaient-ils d'un endroit à un autre ? Je voulais en faire un monde inhospitalier, dans lequel il est difficile de se creuser une place pour développer la vie et la culture, et afin de faire ça je me suis dit que le voyage par les mers devait être un vrai challenge pour ces gens. Les îles sont protégées par des récifs, donc le voyage par bateau est possible au sein de chaque archipel, mais au-delà les bateaux peuvent facilement être perdus.
C'est là que les bateaux volants sont arrivés. Je pensais que le voyage par les airs pourrait peut-être être plus fiable que le voyage par les mers. Mais ce n'est vrai que s'ils avaient trouvé le moyen de le maîtriser correctement. Et en gros c'est ça qui a conduit aux Aramahn. Je suis revenu à l'idée des tribus, mais je l'ai remaniée de façon à ce qu'elles puissent contrôler les éléments, sauf pour les gens du Grand Duché. Et donc un accord étrange a été conclu entre ces deux peuples : les Aramahn apportent leurs capacité à contrôler ces vaisseaux, et le Grand Duché leur donne en échange un accès libre aux îles, les Aramahn parcourant le monde pour méditer et s'efforcer de trouver l'illumination.
C'est à ce point, quand les vaisseaux sont arrivés, que le monde de Winds a vraiment fusionné en moi et je savais que je tenais quelque chose de sympa. Et à partir de là il a juste fallu que j'essaye de faire vivre cette promesse.
Quelle est votre force, selon vous, en tant qu'auteur ?
Je passe beaucoup de temps sur la construction du monde. J'aime à pense que je crée un monde qui est à la fois intéressant et intrinsèquement cohérent. J'aime que l'on ait l'impression qu'il vive entre les pages. J'essaye aussi de me concentrer pour garder l'attention du lecteur, que l'histoire soit tout le temps en mouvement. Mon mantra pour l'écriture est du suspense à chaque page. Il est difficile d'atteindre ces idéaux, mais j'essaie vraiment de garder l'intrigue en mouvement, de dresser des choses faces aux héros, mais pas d'une façon déséquilibrée ou frénétique. L'écriture consiste surtout à trouver un équilibre, donc j'essaie d'adoucir l'action par des moments tendres ou émouvants, mais même là j'essaie de me focaliser sur le poids des événements auxquels les personnages doivent faire face.
De la même façon, quelles sont vos faiblesses, ou les aspects de votre métier que vous sentez avoir besoin d'approfondir ?
Je sais depuis longtemps que je suis un écrivain conduit par l'intrigue. Je pense que c'est parce que je n'étais pas un lecteur avide dans mon enfance jusqu'à mon entrée au lycée. J'ai lu, bien sûr, mais j'aimais aussi beaucoup les films, et je pense que c'est pour ça que je suis plus attiré par l'intrigue que par les personnages. Je suis arrivé à l'écriture par un biais plus cinématographique que d'autres auteurs. Donc bien que ce soit une faiblesse, j'essaie vraiment de réfréner mes envies pour être sûr que les décisions qui sont prises et les émotions qui sont exprimées sont cohérentes avec les personnages.
Vous avez été un auteur de nouvelles prolifique ces dernières années. Avez-vous une approche différente quand vous écrivez des nouvelles que quand il s'agit de projets de romans ?
Et bien, je dirais que les deux se recoupent beaucoup. Dans la construction de monde, des personnages, les mécanismes d'écriture ; toutes ces choses diffèrent très peu d'un support à l'autre. Mais la portée de l'histoire est bien sûr différente. Ma tendance naturelle est de penser en grand, ce qui n'est pas (comme vous vous en doutez) le chemin le plus direct pour les nouvelles. C'est la première différence majeure. Mais au-delà de ça il y a des techniques simples qui sont essentielles pour un écrivain de nouvelles. Commencer des scènes plus tard que je n'aurais tendance à le faire, les clore plus tôt, utiliser davantage de sous-entendus : ce sont là les clés du marché pour le nouvelliste. Je ne dirais pas que je suis un spécialiste – je trouve que c'est un vrai challenge de créer une nouvelle satisfaisante – mais je continue de travailler ces muscles, en les utilisant de temps en temps quand j'écris mes romans.
Il y a un certain nombre d'opinions différentes en ce qui concerne la fonction que le monde secondaire ou la fantasy épique remplit pour le lecteur. Le Guin a écrit un jour qu'une telle fantasy approfondissait et intensifiait les mystères de la vie. De son côté R. Scott Bakker a mis en avant que l'humanité n'est pas neurologiquement équipée pour un monde moderne et rationaliste, ce qui conduit certains à chercher un accès vers une vision du monde pré-moderne (ou sa fiction), où la réalité se conforme à l'irrationnel de l'esprit, aux attentes évolutionnaires bien ancrées. D'autres l'ont dénigrée en la traitant de simple échappatoire, une alternative à l'opium pour les peuples.
Quelle fonction doit remplir la fantasy selon vous ?
La question a été posée lors d'une récente convention, bien que d'une façon détournée. Le sujet portait sur la fantasy médiévale – rois, reines et châteaux – et la raison pour laquelle cette branche particulière de la fantasy – surtout les histoires ayant pour cadre une pseudo Europe occidentale – a dominé le genre depuis Le Seigneur des Anneaux. A un moment on a commencé à parler de la naissance même de ce genre de fantasy, et je pense que l'une des raisons est que c'est une forme d'échappatoire. Pas juste des gens qui veulent s'évader, mais plutôt qui recherchent un agencement différent du monde qui les entoure. Sur quoi ces histoires mettent-elles l'accent ? Des rois et des reines, oui, mais aussi des chevaliers et des mages, des assassins et des voleurs. Quelle que soit leur position dans la vie, les histoires qui sont racontées parlent de gens qui possèdent du pouvoir, quel qu'en soit la forme. La royauté a la capacité de contrôler son monde d'un simple mot, les chevaliers à la force de leur épée, les assassins par leurs lames acérées. Je pense que dans le monde d'aujourd'hui, où l'on se sent de plus en plus impuissant, la perspective de s'immiscer dans un monde dans lequel vous, lecteurs, devenez l'un de ces puissants personnages, est en effet très forte.
Je pense qu'un autre but premier est d'examiner certains aspects de nos vies modernes sous un jour nouveau. Ce retrait, cette abstraction, nous permet de voir les conflits à travers une lentille sans s'encombrer de nos biais et de nos préjugés. Bon là, je dis ça et je sais que c'est un idéal. On ne peut pas s'échapper complètement de notre monde, même en lisant. Nous sommes des créatures de ce temps et de ce monde, liés par notre éducation, et donc nous voyons naturellement l'histoire à travers nos lentilles internes et pas seulement à travers celles présentées dans l'histoire elle-même. Toutefois, je pense que ce serait une chose terrible à faire, de développer ou déstructurer notre dialogue moderne d'une façon qui pourrait encourager une nouvelle compréhension.
Ceci dit, je fais très attention à ne pas écrire de façon didactique. Il y a des parallèles clairs dans The Winds of Khalakovo avec la tension au Moyen-Orient. Des thèmes comme le terrorisme, le colonialisme et l'exceptionalisme sont abordés dans le livre, mais ce n'est pas une histoire sur notre monde. C'est une histoire en soi et par elle-même, séparée de nous. En tout cas, c'était mon intention. Quelle parle d'une façon ou d'une autre de ce à quoi nous devons faire face aujourd'hui, je laisse les lecteurs en juger.
Est-ce que vous avez voulu déformer ou casser certaines des conventions perçue dans le genre de la fantasy quand vous avez entrepris d'écrire The Winds of Khalakovo et sa suite ?
Je voulais me détacher du motif de l'Europe occidentale de la fantasy épique. Je suis toujours inquiet de manquer d'originalité, et je voulais trouver quelque chose qui soit nouveau, qui soit un défi pour moi en tant qu'auteur et qui fournisse, avec un peu de chance, quelque chose de frais pour le lecteur. Je suis tombé sur l'idée de la Russie un peu par accident, en parcourant différentes Terres parallèles jusqu'à leur conclusion naturelle dans mon monde, mais une fois que je suis tombé dessus, je l'ai vraiment adorée. Je suis très difficile concernant les noms, et une fois que j'ai commencé à joué avec les noms des duchés (comme Khalakovo) et des personnages (comme Nikandr et Atiana), l'idée est restée et il ne restait plus qu'à faire les recherches et à remplir le monde pour le rendre le plus réel possible.
Je voulais aussi éviter le grand méchant qui fait son apparition dans tant d'histoires de fantasy. J'adore Tolkien mais je ne pense pas que j'écrirai un livre avec un mal suprême. Peut-être que je le ferai un jour juste pour briser mon propre moule, mais pour l'instant j'aime vraiment les histoires grises qui parlent de personnes réelles en lutte avec des problèmes personnels et profonds. Et j'adhère aussi à l'idée que chaque personnage est le héros de sa propre histoire, et donc je ne voulais pas que mes méchants soient du genre à la moustache frisonnante. Je voulais qu'ils croient ardemment en leur cause, d'une façon qui soit compréhensible pour le lecteur, et même pour (certains) des personnages de l'histoire qui s'opposent à eux.
Le dessin des couvertures est devenu un sujet brûlant depuis quelques temps. Qu'est-ce que vous pensez de cet aspect d'un roman, et de la couverture qui illustre votre livre ?
Je savais depuis longtemps que je ne pourrais jamais apporter de grande contribution aux couvertures de mes romans. Je suis aussi parfaitement conscient qu'une couverture est une représentation du roman. Une abstraction qui a un but : vendre le roman à son public cible. Donc j'étais bien armé quand les couvertures ont été créées pour les livres. Ceci étant dit, j'ai eu la chance de pouvoir apporter ma contribution. J'ai essayé de préparer les artistes aussi bien que j'ai pu, mais au-delà d'une proposition et de l'apport d'une aide quand on me la demandait, je suis resté en retrait. Ce n'est pas mon boulot. Le directeur artistique à Night Shade et les artistes savent ce qu'ils font.
Toutefois mon cas est assez intéressant. J'ai deux couvertures qui sont très différentes l'une de l'autre. The Winds of Khalkovo montre une scène au paysage magnifique, pleine de couleurs pétillantes, et une réalisation sensationnelle des vaisseaux du roman. C'est très évocateur et ça donne une bonne idée du ton du livre – grandiose, sombre et menaçant. De son côté The Straits of Galahesh a une couverture beaucoup plus orientée vers les personnages. C'est très dynamique et ça donne une impression d'action et d'aventure. C'est là que les directeurs artistiques gagnent leur vie. Les deux couvertures reflètent leur contenu, mais l'une ou l'autre l'emportera sur le marché. Laquelle ? Ça reste à voir. Revenez me voir dans neuf mois environ…
Le fait qu'un site internet soit dédié à votre travail est une indication que l'interaction avec vos lecteurs est importante pour vous en tant qu'auteur. Qu'est-ce que ça fait d'avoir la chance de pouvoir interagir directement avec vos lecteurs potentiels et fans en devenir ?
Le premier but de mon site est surement de faire passer le mot sur mes livres. Mais je veux absolument entendre mes lecteurs. J'apprécie énormément tous les retours que j'ai eus jusqu'ici. Ça fait partie des choses dont vous rêvez quand vous êtes un auteur en devenir, d'avoir le retour des fans qui ont lu votre travail. Vous courrez le risque, bien sûr, d'entendre des choses que vous ne voudriez pas entendre, mais c'est un risque que j'accepterai de prendre à tout moment. La chance d'interagir avec des gens à propos de mes livres est l'une des choses les plus gratifiantes de ce travail, peut-être le plus gratifiant.
Quels auteurs vous font hocher la tête d'admiration ? Beaucoup d'auteurs de fiction spéculative ne lisent pas vraiment des choses du même genre. Est-ce que c'est pareil pour vous ?
J'ai aussi entendu ça pas mal, le fait que beaucoup ne lisent pas les choses du même genre, mais je suis l'exact opposé. Je lis très peu hors du genre. C'est quelque chose qu'il faut que je surveille. Je me force à lire en dehors du genre pour continuer à être plein d'entrain. Je nourris mon esprit, pour ainsi dire, en lisant d'autres genres comme les thrillers, les romans policiers ou les œuvres non fictionnelles.
Des auteurs qui me font hocher la tête ? Guy Gavriel Kay en est certainement un. J'adore la façon dont il marie poésie et prose. Un nouvel arrivant est Rob Ziegler, qui a sorti son premier roman en novembre dernier, Seed. Seed est une histoire puissante et impitoyable, mais contient des tournures de phrases qui m'ont fait rire tellement elles étaient bonnes. J'ai récemment découvert le travail de Laird Barron, un autre qui m'a fait me plonger complètement dans l'histoire, laissant à l'obscurité de sa voix une chance de progresser jusqu'à ce qu'elle s'empare fermement de moi. D'autres que j'adore sont Tim Powers, Michael Swanwick et Kelly Link.
Vous avez mentionné que plusieurs auteurs du genre vous ont influencé. Vous dites que ceux qui ont eu le plus d'effet sur votre écriture sont C. S. Friedman, Guy Gavriel Kay, Glen Cook et George R. R. Martin. Quels aspects de leurs styles avez-vous essayé d'imiter dans vos propres travaux de fiction ?
J'aime George Martin pour la profondeur et l'ampleur de son monde. Son monde ne donne pas exactement l'impression d'ancienneté de la Terre du Milieu de J. R. R. Tolkien, mais chaque bout est aussi grand et profond. Et j'aime le fait qu'il est capable, en très peu de temps, de vous faire vous soucier de chacun des personnages dont il raconte l'histoire. C'est le maître de la sympathie du lecteur, même quand les personnages dont il parle ne sont pas si sympathiques.
J'aime Guy Gavriel Kay pour sa prose lyrique et le romantisme qu'il apporte à ses histoires. Elles me rappellent les peintures des maîtres pré-raphaélites, avec leurs superbes couleurs et leurs sujets majestueux. J'essaie d'obtenir le même effet d'ensemble dans mes romans. Souvent je vais imaginer des scènes de cette manière pour m'aider à me concentrer sur l'effet que je veux donner.
J'aime Glen Cook pour son réalisme terre-à-terre. Même si je m'efforce de raconter une histoire romantique, il y a des moments où il faut laisser ça de côté et attirer le lecteur dans la boue, le sang et les boyaux. C'est ce que je prends de Cook, la nature sauvage et rhombencéphale de la guerre, quand vient le moment de combattre.
Et j'aime C. S. Friedman pour son incessant ton sombre et sérieux. J'admets que je pourrais utiliser un peu plus d'humour dans mes livres, mais je pense que l'on peut défendre l'utilisation d'une sorte d'oppression implacable. Ça vous fait éprouver d'autant plus de choses pour les personnages quand le chemin à venir est si sombre, surtout quand les personnages sont aussi humains que les décrit Friedman.
Si on vous donnait le choix, vous prendriez le bestseller du New York Times ou un World Fantasy/Hugo Award ? Et pourquoi, exactement ?
J'ai eu cette discussion récemment avec un autre auteur lors d'une convention, et je vais vous donner la même réponse que je lui ai donnée alors. Je prendrais le NY Time Bestseller. Pourquoi ? Parce qu'au final, je cherche à partager mon histoire avec autant de gens que possible. Il y a une tonne (une tonne !) de livres superbes qui ne reçoivent jamais de prix. J'admets aussi que je ne pense pas que mes livres (en tout cas ceux que j'écris et que j'envisage d'écrire dans un futur proche) atterrissent à la saison des prix. Ne me comprenez pas mal. Je suis très fier d'eux, et je pense qu'ils apportent quelque chose de nouveau au genre, mais les prix tendent à récompenser ces livres qui repoussent les frontières, cassent les tendances, ou font revivre des tendances que l'on croyait éteintes depuis longtemps. Je n'écris pas ce genre de fiction – en tout cas pas à ce point de ma carrière – donc je serai très content si un jour j'ouvre ma boîte mail et je découvre que j'ai gagné le NY Times.
De plus en plus, les auteurs/éditeurs/publicitaires/agents découvrent le potentiel des forums/blogs/sites internet de SF-F sur Internet. Est-ce que vous surveillez d'un œil ce qui se dit là-bas, surtout si ça vous concerne ? Ou est-ce que ça fait trop de distractions ?
Je garde un œil sur ce qui se passe. Déjà parce que vous et d'autres bloggeurs lisez un tas de trucs. Je pense que vous avez des opinions assez fondées, donc c'est une façon d'évaluer comment mes livres sont reçus. C'est aussi, comme vous dites, vers là que les choses se dirigent. Les gens passent de plus en plus de temps sur Internet, remplaçant les loisirs et les informations récupérées par d'autres biais, les sources traditionnelles par des sources en ligne, donc j'aime bien prendre le pouls via ce moyen. J'admets qu'il y a aussi une part de fascination. C'est assez fascinant de voir les badineries entre bloggeurs, quand ils parlent de tel ou tel livre. De plus, c'est marrant de voir les feux d'artifices quand il y a une divergence d'opinions.
Ceci étant dit, j'essaie de ne pas m'investir trop dans les opinions extérieures. Je veux savoir comment les gens accueillent mes livres, mais d'un autre côté il faut tempérer cela en gardant une certaine distance. Sans cela vous devez esclave, non pas de votre propre voix artistique, mais de votre audience, et ce chemin mène à la ruine. Vous devez rester fidèle à votre moi artistique. Donc, alors que j'essaie d'absorber les choses qui valent la peine d'être écoutées, je travaille aussi très dur pour éteindre ces voix et retourner à l'endroit qui m'a poussé à écrire sur ce monde-là, quand je m'assieds devant mon clavier. En d'autres termes, quand j'écris j'essaie de me plonger dans mon monde, en laissant notre monde loin derrière moi. C'est un idéal qu'on ne peut jamais atteindre complètement, mais je pense qu'il est sage d'essayer quand on travaille activement sur l'histoire.
Autre chose que vous voudriez partager ?
Deux petites choses. Je fais un podcast avec un ami écrivain, Greg Wilson, qui s'appelle Speculate ! C'est un podcast pour les écrivains, les lecteurs et les fans. On a tout un tas de sujets, y compris des critiques de fiction spéculative, des interviews d'auteurs et des discussions sur les techniques d'écriture. Vous pouvez nous trouver sur www.speculatesf.com.
J'ai récemment écrit une nouvelle de science-fiction avec Stephen Gaskell qui s'appelle Strata. On a eu des critiques formidables, et on espère que ceux qui aiment lire un bon thriller dystopien de temps en temps y jettent un coup d'œil.
Et un rapide merci à Pat. Merci de m'avoir convié à une interview si approfondie. C'était très sympa.

Article originel
Traduction réalisée par NAK


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