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Entretien avec Guillermo del Toro

Par Linaka, le dimanche 8 novembre 2009 à 23:17:15

Guillermo del ToroIl y a dix-huit mois, Guillermo del Toro avait un projet défini sur dix ans. Sa vie était toute planifiée, et cela n'avait rien à voir avec la cartographie des Terres du Milieu amoureusement restituée par J.R.R. Tolkien.
J'étais en train d'aménager tranquillement la prochaine décennie de ma vie quand le Hobbit est apparu, dit-il en riant. Je préparais plein de choses, quand tout à coup le Hobbit se montre et s'empare de ma vie.
Ne vous y trompez pas : Bilbo le Hobbit est son Précieux. Del Toro sait mieux que personne que ce dyptique pourrait – devrait – déterminer sa carrière.
Ainsi, le réalisateur s'est affairé à construire un monde qui honore non seulement le livre de J.R.R. Tolkien et la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, mais qui émergera triomphalement et assurément comme étant le sien.
Jamie Graham est allé à la rencontre de Del Toro, à sa base d'opérations de Wellington, et a discuté avec lui en exclusivité des plus grands films de la prochaine décennie.

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Del Toro et son précieux Hobbit

La conception du Hobbit a été beaucoup plus longue que celle de vos autres films...
Cela a pris presque un an. Ce qui pour moi est très, très long, car normalement je mets environ trois fois moins de temps pour concevoir des films comme Hellboy, par exemple. Et si vous prenez en compte qu'en fait nous avons trois à quatre fois plus d'artistes... [rires]
Nous avons produit des centaines, littéralement, des centaines de dessins ; des douzaines et des douzaines de maquettes ; des douzaines de tests matériels. C'est épique. Et nous ne sommes pas encore parvenus à la phase de production des conceptions...
Comment cela a-t-il marché pour l'écriture du script ? Je présume que vous y avez autant contribué que Peter Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens ?
Il y a bien des mois, nous nous sommes attablés pour discuter de la structure, avec des cartes de 3 pouces sur 5, et nous avons agencé les deux films.
Nous nous rencontrions quotidiennement à neuf heures du matin, et nous nous y mettions jusqu'à l'après-midi. Ensuite, durant l'après-midi, j'allais contrôler le design.
Puis à un moment nous nous sommes séparés en deux équipes : je m'occupais de certaines choses tandis qu'ils s'occupaient d'autres choses ; c'est à peu près la façon dont je suis habitué à co-écrire.
Mais je dois dire que ce qui était génial, ce qui faisait la différence, était la quantité de super idées qui étaient je pense générées en un seul jour – c'était prodigieux.
Nous aurions pu écrire trois ou quatre versions du Hobbit ! [rires]
Vous avez fait mention de la structure. Est-ce que le livre remplira tout le premier film, avec un second volet tiré des appendices voire peut-être de votre imagination ? Ou est-ce que des parties du livre seront réservées pour le second volet ?
Nous respectons la structure établie par le professeur Tolkien, car le déroulement des aventures dans le Hobbit est bien connu par des générations et des générations d'enfants. Personne n'a envie de bouger un matériau de ce genre. Mais nous intégrerons les allées et venues de Gandalf, car il disparaît assez souvent dans le livre.
Ainsi, contrairement au livre, on peut voir où il va et ce qui lui arrive.
Vous et Peter êtes tous les deux des cinéastes visionnaires, qui se battront pour ces visions. Que se passe-t-il quand vous êtes en conflit ?
Jusqu'ici nous ne sommes pas parvenus à un tel carrefour. Nous discutons, et nous gagnons à différentes phases. Mais je pense que Peter a été, jusqu'ici, le producteur parfait.
Deux cinéastes m'ont produit dans ma vie, tous les deux s'appelant Peter. L'un était Pedro Almodóvar et l'autre est Peter Jackson.
A chaque fois, mon expérience s'est soldée par la conclusion que ce sont de parfaits producteurs, car ils comprennent que le producteur n'est pas un producteur/réalisateur.
Un producteur est un producteur. S'il y a une urgence, si tout va mal, alors le producteur peut – et devrait – avoir vraiment son mot à dire.
Mais si tout va bien, dans les temps, dans le cadre du budget et si les choses sont solides du point de vue de la créativité, cela devient inutile.
J'imagine que travailler avec Peter Jackson n'est pas si différent que de travailler avec Mike Mignola sur les films Hellboy ?
Dans le mille. Je dirai que Mike est aussi obstiné que s'il était un autre réalisateur, essentiellement parce qu'il réalise d'après le script. Et Mignola, comme Pedro et Peter, connaît le processus – ils savent tous qu'à un certain point vous serez seul avec la bête [rires].
Vous ne pourrez compter que sur vous-même, et vous ne pouvez faire confiance qu'à vos propres instincts.
Vous n'allez pas passer un coup de téléphone depuis une location isolée pour poser une question ; vous allez devoir prendre une décision par vous-même.
Est-ce qu'il a été difficile de faire le trajet entre L.A. et Wellington tous les jours ? Vous êtes maintenant en permanence en Nouvelle-Zélande, n'est-ce pas ?
Oui. Je ne vais maintenant que rarement à Los Angeles. Quoiqu'il en soit, c'est un trajet incroyablement facile à faire pour moi. J'y suis habitué. Je suis habitué au London – L.A., et de la même façon je suis habitué à faire Wellington – L.A. Je bouine dans l'avion [rires] et j'ai 13 heures pour moi tout seul, alors c'est un privilège.
J'écris, je prépare des emails, je lis – donc c'est un jour de travail vraiment génial.
Et le grand avantage entre LA et Wellington est que vous êtes essentiellement dans votre fuseau horaire. Vous perdez un jour, mais vous allez vous coucher pendant votre nuit à LA et vous vous réveillez le matin suivant à Wellington.
Trouvez-vous le temps de jeter un coup d'oeil furtif au film bizarre qui passe dans l'avion ?
Oui ! Mais j'essaye de regarder principalement la télévision, car cela ne nécessite pas un grand écran !
Vous adorez créer vos propres créatures, et de toute évidence le Hobbit offre de superbes opportunités. Il y a le dragon Smaug, les araignées de Mirkwood, les Wargs, Beorn l'homme-ours...
Comme je l'ai dit à Weta, l'ADN restera dans le même patrimoine génétique que pour la trilogie du Seigneur des Anneaux, mais nous allons générer un type de personnages différent. Par exemple, dans la trilogie la plupart des créatures sont bestiales ou ne savent pas s'exprimer.
Dans Bilbo le Hobbit, les créatures parlent : Smaug a de belles répliques, le Grand Gobelin a de belles répliques, de même que beaucoup d'autres créatures. Nous avons donc dû les concevoir avec une approche différente, car nous n'étions pas simplement en train de créer des choses qui doivent faire peur.
Je voulais aussi que certains des monstres du Hobbit soient majestueux.
Je voulais que les Wargs aient une certaine beauté, afin qu'il n'y ait pas une définition claire et massive du style : ce qui est beau est bon et ce qui est laid ne l’est pas. Certains des monstres sont absolument splendides.
Disons que Smaug ne sera pas comme le dragon dans Le Règne du feu. Était-ce un gros défi que de parvenir à rendre ce personnage ?
Je pense qu'un des designs dont je suis le plus fier est celui de Smaug. De toute évidence, c'est celui qui nous a pris le plus de temps.
En fait nous travaillons encore dessus : nous achevons sa palette de couleurs, et un peu de la texture. Mais la majeure partie du design a pris environ une année complète. C'est à cause des caractéristiques uniques du dragon.
Un peu plus tôt dans la production, j'ai eu une idée très forte qui séparerait Smaug de tous les autres dragons jamais créés. Le problème était de mettre en application cette idée. Mais je pense que nous y sommes parfaitement parvenus.
Quelle était cette idée ?
Je ne peux pas vous le dire, car ce serait un énorme spoiler ! Mais je suis cent pour cent satisfait de notre Smaug. S'il existe quelque chose comme cent dix pour cent, alors c'est là que je suis !
Et à propos des araignées ? A quel point sont-elles fidèles à Shelob dans Le Retour du Roi ?
Eh bien, ce sont les rejetons de Shelob, mais Shelob était un peu une fille aux moeurs légères [rires]
Elle s'est accouplée avec beaucoup de partenaires. Et les insectes ainsi que les araignées sont des créatures incroyablement adaptables. Il y aura des araignées.... [rires]
Ça sonne comme une suite de Paul Thomas Anderson : Il y Aura des Araignées ! Mais elles sont visuellement assez frappantes, et d'une façon différente que ne l'était Shelob.
J'aimerais pouvoir vous en dire plus, mais je vous donnerais encore des spoilers. Elles sont très différentes. Elles sont plus des créatures de l'ombre, plus des créatures de la forêt profonde. Elles ne font pas leur nid dans la terre. Elles font leurs nids dans les cimes des arbres, donc elles se sont physiquement adaptées à cet environnement.
Est-ce que les séquences incluant Smaug et les araignées seront vraiment effrayantes ?
Je le pense. Je l'espère. Tout du moins, c'est la façon dont nous l'abordons. Tout bon film pour enfants, que ce soit les premiers Miyasaki ou les Disney, doit toujours avoir une scène ou deux qui soit palpitante. Quand j'ai lu le Hobbit, enfant... Eh bien, vous avez des choses comme les têtes de gobelins fichées sur des pieux à l'extérieur de la maison de Beorn ! [rires]
Tolkien n'allait pas contre cela. On ne peut pas faire en sorte que l'attaque d'un village par un dragon ne soit pas effrayante. C'est la même chose pour les araignées : que des araignées géantes enferment des gens dans un cocon, ça ne se fera jamais en douceur !
Avez-vous étudié de véritables araignées ? Il y en a de grandes en Nouvelle-Zélande !
Nous l'avons fait, oui. Une ou deux personnes dans l'équipe de design sont obsédées par les araignées.
En fait, ils font leurs propres petits documentaires et reportages, puis ils vont à l'extérieur capturer des araignées pour prendre en photo leur bouche et ceci et cela, avec des macro-objectifs.
Le problème principal avec la conception des araignées est de faire en sorte de traduire leur poids dans un design très agile – et haut sur pattes, car une araignée a de longues pattes. Avec Shelob, comme elle avait un centre de gravité assez bas, elle se déplaçait comme un tank. Nos araignées doivent donner l'impression d'être massives, mais rester très agiles.
Les vraies araignées vous laissent-elles indifférent ?
Non. J'adore les insectes, et je suis complètement fasciné par les araignées... Mais je suis aussi complètement et absolument horrifié par elles ! [rires]
C'est quelque chose que je partage avec Peter !
Qu'en est-il de l'échelle du Hobbit ? Vous avez réalisé de grosses scènes d'action dans Mimic, dans les films Hellboy et dans Blade II, mais vous ne vous êtes jamais attaqué à quelque chose comme la cruciale Bataille des Cinq Armées.
Non, et je pense que je suis vraiment impatient de m'y lancer et de le faire. Mais en même temps, il y avait beaucoup de batailles dans la trilogie. Donc l'une des premières choses est : comment faire en sorte que les batailles ou les scènes d'action du Hobbit soient différentes de ça ?
Car il était nouveau, quand la trilogie est sortie, de voir ces énormes vallées ou forteresses se faire envahir par des guerriers.
Mais ensuite, après la trilogie, il y a eu Troie, Narnia, un peu de tout. Il est devenu assez commun de voir deux massives armées générées par ordinateur s'affronter.
Mais nous avons trouvé une bonne solution, je pense. Cela rendra les batailles éclatantes.
Est-ce que ce sera plus intime ?
J'aimerais pouvoir tout vous révéler ! Tout ce que je peux vous dire est que nous avons une équipe incroyablement douée, qui sait que nous ne sommes pas en train de faire un autre Seigneur des Anneaux. Nous n'essayons pas de faire une quadrilogie ou une pentalogie. Nous essayons de faire deux films qui soient dans la continuité, mais qui sont complètement à part.
Nous voulons éviter tout ce qui ne fait pas partie de l'ADN, ce qui ne fait pas partie du lexique, mais nous ne voulons pas non plus que les gens se disent Nous avons déjà vu ça.
Excepté quand cette familiarité est réconfortante, comme Hobbittebourg ou Fondcombe – là, on a envie de sentir que l'on revient chez soi, dans un film que l'on aime et que l'on chérit.
Utiliserez-vous la même palette que dans la trilogie, sombre et féconde ?
Je pense que le Hobbit est un peu plus coloré. Et un peu plus théâtral. Et fantasque. Une des choses que le livre souligne fortement est le passage des saisons, donc nous utilisons cela comme base de réflexion.
Vraisemblablement, ce sera aussi un peu plus magique ? Avec une atmosphère féérique plus marquée ?
Sur beaucoup de points, c'est simplement ce que l'on apprécie dans le livre. Vous profitez presque d'une pièce de chambre, comme quand les trolls de pierre parlent de cuire les nains.
C'est une pièce si petite, mais en même temps c'est magique et c'est presque une comédie d'avoir ces énormes créatures parlant de cuire des nains!
Ce ne serait pas un film de Guillermo del Toro s'il ne possédait pas une touche poétique, n'est-ce pas ?
Il y a beaucoup de magie dans le film. Peter a l'oeil d'un véritable historien, dans la mesure où la trilogie est incroyablement précise par rapport au monde qui a été créé. Il est comme un archéologue qui mettrait au jour quelque chose d'existant. Je pense que Bilbo le Hobbit a un peu plus de licence poétique.
Il a... comment dire ? Il a un peu plus de flamboyance.

Traduction : Annaïg Houesnard

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