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Un entretien avec Romain d’Huissier - Les 81 frères

Par Gillossen, le lundi 2 novembre 2015 à 08:30:00

81L'auteur des 81 frères récemment paru aux éditions Critic nous a accordé quelques minutes de son temps !
Evidemment, pour l'occasion, on parle de son parcours, de la Chine, mais aussi d'urban fantasy, de jeu de rôle ou bien encore de financement participatif.
Encore merci à Romain et bonne lecture !

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L'entretien

Une question toute bête pour commencer, mais comment est né le projet des 81 Frères ?
Dans le recueil l’Amicale des Jeteurs de Sort, pour lequel Malpertuis avait lancé un appel à textes ! Comme c’était l’anthologie-partenaire du festival Zone franche de Bagneux et que j’étais encore un débutant inconnu, je tenais à y figurer. Mais la consigne était plutôt drastique : traiter de la figure du magicien dans le genre du fantastique-contemporain – et pas de la fantasy. J’ai donc pas mal cogité pour trouver le bon angle d’approche et comme souvent dans de tels cas, je suis revenu à ce que je connais bien : la culture et la mythologie chinoises.
J’ai donc eu l’idée de recycler la figure du fangshi (fat si en cantonnais) – qui est un magicien taoïste, à la fois exorciste, alchimiste, devin… – dans un contexte moderne. Et quel meilleur décor pour un tel personnage que Hong Kong : cette métropole atypique ayant un pied en occident et l’autre en orient, à la fois pétrie de tradition et tournée vers l’avenir. Un contexte idéal pour un bon récit d’urban fantasy tel que souhaité par Malpertuis – qui en plus possédait sa touche d’originalité grâce à son exotisme assumé.
Vengeance pour un Dragon, une assez longue nouvelle (qui se trouve rééditée à la fin des 81 Frères, évidemment révisée pour l’occasion), est donc née de ces réflexions et a été retenue par Christophe Thill et Thomas Bauduret pour figurer au sein du recueil – paru en 2013.
Mi-2014, j’étais un peu perdu dans mon écriture, je ne savais plus trop vers où aller. Le héros de Vengeance pour un Dragon me revenait souvent en mémoire et l’envie de raconter d’autres de ses enquêtes se faisait de plus en plus insistante. Mais je n’avais jamais mis un pied à Hong Kong : écrire une nouvelle dans ce décor, passe encore ; mais je me sentais totalement illégitime pour accoucher de tout un roman situé dans cette ville…
Puis j’ai finalement abdiqué et accepté de répondre aux appels du pied de ce bon vieux Johnny Kwan. Je me suis attelé aux 81 Frères après avoir fait de considérables recherches sur Hong Kong (car la partie mythe et bestiaire chinois était déjà maîtrisée), notamment grâce à un ami vivant sur place – l’illustrateur Fred Boot, que je ne remercierai jamais assez.
Les Chroniques de l’Étrange (le titre de ma trilogie, en hommage à Pu Songling et ses histoires de fantômes chinois) – et leur premier tome, les 81 Frères – sont donc nées ainsi !
Comment s’est passée la collaboration avec les éditions Critic ?
Critic est un éditeur très épris d’urban fantasy, comme en témoignent leur excellente série Lasser – Détective des Dieux (de Philippe Ward et Sylvie Miller) ou le très beau American Fays (de Xavier Dollo et Anne Fakhouri). Je leur ai envoyé le manuscrit des 81 Frères, comme à quelques autres éditeurs, et ils l’ont rapidement accepté.
J’ai bien sûr dû accomplir un gros travail de relecture, réécriture et correction sous leur bienveillante égide afin d’améliorer ma version initiale – ce fut un travail stimulant qui m’a beaucoup appris et m’a rendu meilleur écrivain (enfin, je l’espère !).
Cerise sur le gâteau, les 81 Frères a rejoint American Fays dans la collection « luxe » de Critic : couverture cartonnée, dos toilé… Un objet magnifique ! Et ne parlons même pas de l’illustration de Xavier Collette, qui capture à la perfection l’atmosphère que j’ai souhaité instiller dans le roman.
Bref, j’ai été gâté. Critic était l’éditeur idéal pour ce roman particulier et ils lui donnent toutes ses chances de trouver son public. En tant qu’auteur, on ne peut rêver mieux.
Vous semblez très intéressé par la culture chinoise. À quand remonte votre passion pour ce sujet ?
Difficile à dire…
Je pense que comme beaucoup d’enfants de ma génération, j’ai été fasciné par la figure de Bruce Lee – quand ses films passaient en boucle sur la Cinq. Je me souviens que gamin, tout ce qui avait un parfum oriental m’attirait, sans que je puisse en expliciter la raison profonde. Une histoire de réincarnation, peut-être ?
La flamme s’est entretenue quand les premiers John Woo sont sortis au cinéma et en vidéo, quand HK Vidéo a commencé à éditer des films de rêve et un magazine spécialisé, quand Wild Side s’est mis à importer le catalogue de la Shaw Bros en France…
Je me suis formé en autodidacte sur l’histoire et la culture de la Chine grâce à tous ces supports et bien d’autres. Ce qui m’a notamment permis d’écrire des jeux de rôle sur l’Empire du Milieu (Wuxia et Qin – les Royaumes combattants) ainsi que des récits de chevalerie et d’arts martiaux chez les Carnoplaste (la Rédemption du Phénix et les Quatre Elixirs du Docteur Zhu).
Parlez-vous vous-même cantonnais ou mandarin ? Vous êtes-vous déjà rendu à Hong Kong par exemple ?
Je ne parle aucun idiome chinois ! Je n’ai jamais eu le temps de me lancer dans ce difficile apprentissage et je n’ai pas grandi dans le genre de coin où de telles options étaient proposées au lycée… J’aimerais beaucoup m’y plonger mais entre le travail, l’écriture, la famille : j’avoue ne pas en avoir le courage.
De la même façon, je ne me suis jamais rendu en Chine – et n’ai donc jamais mis un pied à Hong Kong. Là aussi, à mon grand regret. Mais vu le coût d’un tel voyage, il va falloir que je vende beaucoup de 81 Frères pour espérer me le permettre !
Par chance, comme je l’ai mentionné, un ami résidant sur place a su me guider dans la découverte de cette ville. Et grâce à des outils modernes comme Google Street View, il est possible de se plonger virtuellement dans les rues de n’importe quelle cité du monde. Bien sûr, ce n’est pas la même chose que de s’y rendre en personne pour en goûter l’ambiance…
De ce fait, la Hong Kong des 81 Frères n’est pas la Hong Kong réelle – après tout, elle est peuplée d’esprits, de fantômes et de rois-dragons ! Il s’agit d’une version fantasmée du Port parfumé, mais je l’espère suffisamment documentée pour que le lecteur y soit happé et découvre ce décor si enivrant.
Aviez-vous justement des références en tête pour créer votre personnage principal ?
Les 81 Frères est un roman d’urban fantasy – genre qui est à la croisée du fantastique et du polar. Afin de caractériser Johnny Kwan, j’ai donc pris l’archétype du héros de ce type de récit : un détective de l’occulte avec un peu de bouteille, un don certain pour se mettre dans les ennuis et des capacités pour s’en sortir vivant tout de même – bien que parfois salement amoché. À ce titre, on peut le comparer à un personnage comme Harry Dresden par exemple.
Je l’ai affiné en lui donnant son identité chinoise – hongkongaise, plus exactement. Notamment la magie qu’il pratique (l’exorcisme taoïste essentiellement), les arts martiaux qu’il maîtrise, son rapport viscéral qu’il entretient avec Hong Kong, etc. Ou par exemple, un détail comme le fait que les fat si sont selon la tradition des personnages assez érudits et lettrés : ce qui explique que Johnny n’emploie pas d’argot et s’exprime toujours correctement.
Mais ce protagoniste reste finalement proche du classique héros d’urban fantasy, ce qui est voulu : l’univers, la mythologie, la magie ou le bestiaire changent déjà beaucoup des habitudes du lecteur (plus pétri de fantastique occidental) ; aussi je tenais au moins à ce que son référent – le narrateur des 81 Frères – lui paraisse plus familier dans un souci d’immersion facilitée.
Auriez-vous un ouvrage à recommander sur les fat si ?
Pas vraiment. Hélas en France, la littérature populaire chinoise – tant de fantasy que d’aventure – est très peu traduite. Or c’est dans ce type d’ouvrages que l’on peut voir des magiciens taoïstes à l’œuvre. Il y a bien Chroniques de l’Étrange chez Picquier, qui compile de nombreuses histoires fantastiques dans lesquelles on peut parfois croiser la route d’un fat si…
On peut toujours se tourner vers le cinéma, bien sûr. Dans Histoire de Fantômes chinois, le taoïste (vous savez, celui qui crie « Poyé Polomi ! ») qui aide le jeune héros à affronter les démons est un fat si. Dans M. Vampire, l’exorciste qui combat les zombis bondissants en est un aussi.
La figure du fat si (ou fangshi en mandarin) est un agrégat de plusieurs archétypes. Il mélange des caractéristiques du shaman des temps antiques (avant même l’organisation du Taoïsme en une religion formelle), de l’alchimiste quasi scientifique d’époques plus éclairées, du prêtre d’une religion polythéiste pétrie de philosophie, du guerrier affrontant démons et esprits avec une épée magique, etc. Son équivalent japonais est le maître du Yin et du Yang de la tradition de l’onmyodo.
Vous êtes également connu pour vos activités dans le domaine du jeu de rôle. Quelles différences justement entre la rédaction d’un jeu de rôle et celle d’un roman ?
Ce sont deux approches que je différencie.
Quand je m’attèle à un jeu de rôle, mon but est de créer un univers dans lequel des joueurs vont vivre leurs propres aventures par le biais de personnages qu’ils auront créés. Je dois ainsi prendre soin de leur offrir le décor le plus attrayant pour cela – regorgeant d’accroches, de lieux, de figurants qui sauront les séduire et leur donneront envie d’explorer le monde que je leur propose. L’essentiel du travail se fait donc sur cet univers un peu figé dans le temps : je n’y inclus pas de dynamique narrative mais je fournis des outils pour que les joueurs la créent eux-mêmes.
Quand j’écris un roman, l’histoire et les personnages qui la vivent doivent venir au premier plan. C’est le récit qui prime et mon univers ne doit jamais le parasiter – mais toujours lui permettre de se développer. C’est un équilibre délicat, surtout dans un cas comme les 81 Frères : il faut présenter le décor (pour le coup peu familier sous nos latitudes) où prend place l’intrigue de façon à ce que le lecteur en ait les clés, mais sans pour autant l’assommer avec une approche encyclopédique qui noierait la narration.
Bien sûr, il y a des passerelles et des points communs. Dans un cas comme dans l’autre, je m’efforce de livrer le meilleur texte possible ou de respecter les délais demandés. La discipline d’écriture est strictement la même – le jeu de rôle est une formidable école pour cela et il n’est donc guère étonnant que tant d’écrivains (et quels écrivains ! Fabrice Colin, Mathieu Gaborit, Pierre Pevel, Charlotte Bousquet, Fabien Clavel, Jean-Philippe Jaworski, Cédric Ferrand, Julien Heylbroeck, etc.) aient fait leurs premières armes en tant qu’auteurs de jeux de rôle. Je suis donc fier de faire partie de ce mouvement à mon tour !
Et plus généralement, entre les deux marchés, si l’on peut dire ? Leur fonctionnement, leur public, etc...
Je suis un tout nouveau-venu dans le milieu de la SFFFF, dont je ne connais pas encore très bien le fonctionnement ou le public.
Je pense toutefois que ces marchés sont poreux et très proches l’un de l’autre. Les rôlistes sont majoritairement fans de science-fiction et de fantasy, évidemment ! Ils constituent donc une sous-partie de l’ensemble des lecteurs de ces genres littéraires. Il n’y a qu’à voir les adaptations d’œuvres en jeux de rôle : Le Seigneur des Anneaux ou Star Wars bien sûr, mais aussi Les Lames du Cardinal ou Wastburg. Et L’Appel de Cthulhu reste l’une des locomotives du jeu de rôle en France.
Au niveau du marché, il faut comprendre que le jeu de rôle est une niche mais que parfois, ses chiffres de vente sont proches de ceux de certains romans (un succès pouvant se vendre entre 1.000 et 3.000 exemplaires, par exemple). Il y a donc selon moi un intérêt à ce que ces deux milieux se rapprochent encore plus, que l’on crée des passerelles entre eux, que l’on mélange les publics, etc. Chacun en tirerait des bénéfices. Ce mouvement est déjà initié – par exemple Bragelonne et Sans Détour ou Mnémos et les XII Singes nouent des partenariats. Il n’y a plus qu’à le consolider !
Les deux ont tendance de plus en plus à avoir recours au financement participatif (l’édition moins, mais on y vient). Comment considérez-vous ces plate-formes ?
Dans le cas du jeu de rôle, c’est un outil qui a des avantages clairs. Une levée de fond permet d’éditer un produit risqué ou de niche sans risquer le plantage – qui serait fatal à une maison d’édition de ce milieu. Cela fait en quelque sorte office d’étude de marché, sans compter qu’il devient possible – en fonction de l’engouement du public – de proposer un produit plus luxueux, accompagné de nombreux bonus.
Mais il faut faire attention aux abus ! Quand cette méthode devient systématique, l’auteur peut se poser la question du recours à un éditeur : puisque celui-ci n’assume plus le risque financier inhérent à sa fonction, pourquoi ne pas se lancer dans l’auto-édition et faire sauter les intermédiaires afin de récolter une plus grosse part du gâteau ?
Bref, je ne fais aucune généralité. La levée de fond peut se justifier au cas par cas mais elle ne devrait pas devenir une béquille pour un éditeur ne souhaitant plus prendre aucun risque.
Quel fut votre parcours de lecteur, ou même de cinéphile si on songe aux 81 Frères, et quelle place pour la fantasy ?
J’ai connu plusieurs étapes dans ma vie de lecteur ! Je lis des romans depuis l’âge de six ans environ. À cette époque, je piquais les Fleuve noir Anticipation de mon frère aîné : des romans courts aux couvertures fascinantes, des récits dynamiques avec une bonne dose de science-fiction et de violence – de quoi séduire n’importe quel enfant attiré par l’interdit !
Puis j’ai eu ma période horreur : vers dix ans, je dévorais King, Koontz, Campbell, Masterton… Là encore, le frisson de l’interdit (bien que mes parents n’aient jamais fait aucune difficulté pour m’acheter un livre, grâce leur en soit rendue).
À l’adolescence, je me suis tourné vers la science-fiction : la découverte de Dune et de Fondation, bien sûr – et donc une plongée dans les classiques américains avant de revenir à des auteurs français dont Ayerdhal, que je tiens à mentionner comme l’un de ceux qui me prouva que nous autres français n’avions rien à envier aux Américains dans ce domaine.
La fantasy, j’y suis venu encore après – vers mes vingt ans, quand j’étais déjà étudiant. J’ai découvert Le Seigneur des Anneaux à cette époque, trop tard pour en devenir un véritable fan (honte à moi de révéler cela sur Elbakin !). Ce qui ne m’a pas empêché de lire de nombreuses saga du genre.
Depuis, je lis énormément de styles différents. Depuis que je me suis lancé moi-même dans l’écriture littéraire, je m’efforce d’ailleurs de lire le plus d’auteurs français que je peux – aussi bien pour voir ce qui se fait dans le milieu que par respect pour des confrères bien plus doués et expérimentés que moi, dont j’ai tout à apprendre. Et qui, tout comme Ayerdhal, me montrent chaque jour qu’en matière d’imaginaire, la France n’a rien à envier aux autres pays !
Sur ma cinéphilie, j’ai déjà développé dans une question précédente. Le cinéma chinois m’a toujours fasciné mais, ayant grandi dans les années 1980, j’ai bien sûr baigné dans une culture cinématographique assez classique des geeks de ma génération. Je suis par exemple un inconditionnel de la trilogie originelle de Star Wars !
Aujourd’hui, Internet et les réseaux sociaux occupent tout de même une place très importante pour les auteurs. Comment gérez-vous cet aspect-là des choses ?
J’ai un blog pour parler de mon actualité : j’y donne notamment les clés de mes œuvres, comme les inspirations, le parcours éditorial, etc. Je gère une page Facebook d’auteur et je dispose d’un compte Twitter. C’est à peu près tout : je suis auteur avant tout et je ne tiens pas à perdre trop de temps sur Internet (c’est déjà bien assez difficile de se sortir de la procrastination !).
Pour la promotion de mes ouvrages, je fais entière confiance à mes éditeurs – dont c’est après tout l’un des rôles.
Le tome 2 est-il d’ores et déjà prévu et à quoi peut-on s’attendre ?
Le tome 2 des Chroniques de l’Étrange est terminé : il est à présent entre les mains de Critic. Il sera dûment retravaillé début 2016 et paraîtra tout juste un an après les 81 Frères. Le tome 3 (dernier de la série) suivra le même chemin : le but étant de sortir un volume par an afin que le lecteur ne doive pas patienter trop longtemps.
Dans le tome 2, Johnny Kwan se confronte à de nouvelles affaires – dont certaines éclaireront sous un nouveau jour des éléments des 81 Frères… De quoi surprendre le lecteur et développer l’univers et les personnages, avant un tome 3 qui terminera la saga en apothéose ! Et bien sûr, magie, action et investigation sont au rendez-vous dans la droite lignée du premier volume.

Propos recueillis et mis en forme par Emmanuel Chastellière


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