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C.S. Lewis et l’Etoile de Bethléem

Par Izareyael, le jeudi 27 mars 2008 à 19:49:45

Nous avions évoqué dans une précédente brève, la parution fin janvier d'un ouvrage de Michael Ward, Planet Narnia : The Seven Heavens in the Imagination of C. S. Lewis.
Nous vous proposons aujourd'hui la traduction d'un article de l'auteur, paru sur le site du magazine Christianity Today, revenant sur l'intérêt de Lewis pour l'astronomie, et particulièrement la conception médiévale du ciel.

L'article traduit

C'était beau, confiait CS Lewis, pendant deux ou trois nuits successives autour de la Nuit Sainte, de voir Vénus et Jupiter briller l'un vers l'autre, une fois avec la Lune juste au milieu : la Majesté et l'Amour reliés par la Virginité – qu'est-ce qui pourrait être plus approprié ? Lewis écrivit ainsi au poète Ruth Pitter début janvier 1953, évoquant ce qu'il avait vu dans le ciel nocturne pendant la Noël précédente.

Comme l'histoire de la Nativité est de nouveau racontée toutes les années, tous ceux qui l'entendent sont obligés de penser – brièvement cependant – à l'Etoile de Bethléem, celle-là même qui guida les Mages jusqu'au berceau du Christ, mais peu vont ensuite aller examiner l'horizon à la recherche de vestiges du lever de cette étoile. Lewis était différent. Il était fasciné par les cieux et par l'astrologie – cependant, ce qu'il entendait par astrologie est différent de ce que la plupart des gens modernes comprennent en ce mot, comme nous allons le voir.

C'était un astronome amateur plein d'enthousiasme et il avait un télescope sur le balcon de sa chambre aux Kilns, sa maison d'Oxford. Selon une des filles évacuées là-bas pendant la Seconde Guerre mondiale, il l'utilisait pour initier ses jeunes protégés à nombre des merveilles sidérales de l'univers. A l'oeil nu, il faisait la même chose pour ses élèves du Magdalen College : Derek Brewer se souvient comment Lewis, un jour, nous fit remarquer la conjonction extrêmement rare de cinq planètes toutes brillamment visibles dans un cercle. Ses lettres détaillent fréquemment les plaisirs qu'il prenait au firmament : Jupiter n'est-elle pas splendide ces nuits ? s'exclamait-il à l'adresse d'un de ses correspondants en 1938 ; As-tu déjà remarqué Vénus ces matins-ci vers sept heures et quart ? demandait-il à son filleul en 1946. Elle a été terriblement brillante ces temps-ci, presque plus que Jupiter.

Jupiter était l'objet d'attention préféré de Lewis dans le ciel nocturne ; c'était parce que, selon la cosmologie médiévale, Jupiter était la meilleure planète, "Fortuna Major". Lewis avait coutume de dire aux auditeurs de ses conférences à l'université que Les personnes nées sous Jupiter ont tendance à parler fort et être rougeaudes. Il faisait alors une pause avant d'ajouter : Il apparaît avec évidence sous quelle planète je suis né – ce qui soulevait toujours des rires.

Il donnait des conférences sur le sujet car il pensait qu'être familier du cosmos pré-copernicien était essentiel à une compréhension correcte de la littérature du Moyen Age et de la Renaissance, et dans The Discarded Image (ouvrage non traduit en français, NdT), la version publiée de ses lectures, il encourage à plusieurs reprises ses lecteurs à se promener sous le ciel la nuit. Lever les yeux vers le ciel de nos jours, explique-t-il, est une expérience très différente de ce que c'était au Moyen Age. Maintenant nous sentons que nous regardons une vacuité sans fin, noire comme la poix et mortellement froide. Alors, nous nous serions sentis comme si nous regardions dans une concavité vaste et illuminée. Dans la partie du ciel la plus proche nos yeux auraient vu – ou, plutôt, vu à travers – la sphère transparente dans laquelle tourne la Planète Lune, puis la sphère plus large de Mercure, puis celle encore plus grande de Vénus, et ainsi de suite à travers les sphères du Soleil, de Mars, Jupiter, Saturne, chaque sphère tournant plus rapidement que la précédente et chacune exerçant une influence particulière sur les habitants et les événements terrestres. Au-delà de la sphère de Saturne nous aurions vu le firmament des étoiles fixées, le Stellatum [littéralement étoilé, NdT], et, au-delà de cela, le Primum Mobile [Premier mobile, NdT], la sphère qui met en mouvement toutes les autres sphères plus basses. Nous n'aurions pu voir plus loin que le Primum Mobile, car cela aurait mené notre regard hors de l'ordre créé vers l'Empyrée [Selon les notions de l'antiquité, la plus élevée des quatre sphères célestes, celle qui contenait les feux éternels, c'est-à-dire les astres. (Littré)], la maison même de Dieu. Un des titres divins était la Mère Immobile car Dieu faisait se mouvoir le Primum Mobile par le fait d'être aimé, et non d'aimer ; par le fait d'être l'objet suprêmement désirable. C'est en ce sens, dit Lewis, que nous devrions comprendre le vers immortel de Dante, les derniers mots de La Divine Comédie : L'Amour qui meut le soleil et les autres étoiles.

Lewis ne fait aucun effort pour cacher le plaisir qu'il retire de cette vue du cosmos. Il remarque que l'imagination humaine a rarement imaginé un objet si sublimement ordonné ; l'univers médiéval était fourmillant d'une vie anthropomorphique, dansante, cérémoniale, une fête, pas une machine. Sa qualité fourmillante[tingling en anglais, qui peut aussi être traduit picotant ou chatouillant, NdT] est spécialement digne d'être remarquée car Lewis fait ici un jeu de mots anglo-saxon. Il écrivait à son père en 1922 : [L'anglo-saxon] donne l'impression d'une parodie d'anglais mal épelé. Ainsi... Tingul pour une étoile... fait penser à Twinkle, twinkle little star [Scintille, scintille, petite étoile, NdT]. Presque invariablement, quand le mot apparaît dans ses travaux ultérieurs, il est chargé de connotations astrologiques. Par exemple, dans L'Odyssée du Passeur d'Aurore, quand Lucy passe ses mains sur le livre de sortilèges dans la maison de Coriakin, l'étoile tombée, ses doigts fourmillèrent quand elle le toucha, comme s'il était chargé d'électricité.

L'attrait de Lewis pour cette ancienne représentation des cieux n'était pas confiné à sa vie professionnelle d'historien littéraire ; il y avait aussi un investissement beaucoup plus personnel et imaginatif. Il aimait, disait-il, l'idée planétaire tout entière en tant que mythologie, et dans sa poésie cette idée est souvent traitée sous un angle chrétien. The Turn of the Tide [ouvrage non traduit en français, NdT], une méditation sur la signification cosmique de la Nativité du Christ, est un exemple remarquable. Du propriétaire de l'auberge de Bethléem jusqu'à Saturne dans la sphère planétaire la plus extérieure, l'univers entier retient son souffle dans l'attente de ce qui est sur le point de se produire dans l'Etable derrière l'Auberge. Lorsque Jésus est enfin né :

Saturne rit et perdit le gel de son dernier âge,
Sa barbe, semblable au Niagara, dégela ;
Des monstres sur le Soleil se réjouirent ; l'Inconstante,
La Lune demoiselle, oublia ses malheurs.

La joyeuse nouvelle bondit d'une sphère vers l'inférieure, apportant le choc / De la vie renaissante à l'ordre créé tout entier. Lewis utilisait l'imagerie des sept cieux dans sa poésie car les planètes, comme les concevait l'astrologie médiévale, me semblent avoir une valeur permanente de symboles spirituels – pour parer à une Phänomenologie des Geistes [en allemand dans le texte, Phénoménologie de l'esprit, ouvrage du philosophe Hegel, NdT] particulièrement digne d'intérêt dans notre propre génération. Ce ne sont pas de petites prétentions. Elles aident à expliquer pourquoi les corps célestes apparaissent si fortement dans sa fiction aussi bien que dans sa poésie.

Dans le premier volume de la trilogie romanesque de Lewis, Out of the Silent Planet (1938) [Au-delà de la planète silencieuse en français, ancienne traduction sous le titre Le Silence de la Terre, NdT], le héros, Ransom, voyage vers Mars ; dans le deuxième, Perelandra (1943) [ou Voyage to Venus, Perelandra en français, ancienne traduction sous le titre Voyage à Vénus, NdT], il va sur Vénus ; et dans le troisième, That Hideous Strength (1945) [Cette hideuse puissance], il reste sur Terre mais agit comme un pont sur lequel les intelligences de la planète passent lorsqu'elles viennent pour provoquer un formidable dénouement. Celles-ci et les autres corps célestes submergent Ransom par leur beauté quand il flotte à leurs côtés au début du premier livre : les étoiles, foisonnant comme des marguerites sur un gazon non tondu, régnaient perpétuellement sans nuage, sans lune, sans lever de soleil pour contester leur domination. Il y avait des planètes d'une majesté incroyable, et des constellations dont personne n'avait rêvé : il y avait des saphirs, des rubis, des émeraudes célestes et des pointes d'épingle d'or brûlant. Comme Ransom s'émerveille, il prend conscience qu'il y a une raison spirituelle à l'éclaircissement progressif et l'exultation de son coeur :

Un cauchemar, longuement engendré dans l'esprit moderne par la mythologie qui marche dans les pas de la science, déclinait en lui. Il avait lu des choses au sujet de l'Espace : au fond de sa pensée depuis des années s'était tapie la lugubre envie de la noire, froide vacuité, la mort totale, qui était supposée séparer les mondes. Il n'avait pas su combien cela l'affectait jusqu'à présent – à présent que ce nom même, Espace, semblait un libelle blasphématoire pour cet océan d'éclat empyrée dans lequel il nageait. Il ne pouvait pas appeler cela mort ; il sentait la vie affluer en lui, venant de cela, à chaque instant... Non : Espace était le mauvais nom. D'anciens penseurs avaient été plus avisés quand ils avaient nommé cela, simplement, les cieux – les cieux qui déclaraient la gloire – les

climats heureux qui s'étendent
Là où le jour ne ferme jamais l'oeil
Là-haut dans les vastes champs du ciel.


Il cita les mots de Milton en s'adressant à lui-même amoureusement, à ce moment-là et souvent.

Il est significatif que Ransom doive citer des vers de Milton (de Comus, 1634), car Milton n'était pas seulement l'un de ces penseurs anciens qui comprenaient l'espace comme les cieux, il était aussi le premier écrivain (c'est l'avis de Lewis dans The Discarded Image) à utiliser le mot espace dans son sens moderne. Milton était à cheval sur l'ancienne et la nouvelle vision du cosmos ; il marqua la transition de la vision traditionnelle de l'univers au nouveau modèle désenchanté qui a suivi l'éveil de la découverte copernicienne que la Terre n'est pas au centre. La Trilogie de Ransom [également appelée la Trilogie Cosmique, NdT] est en grande partie une tentative de réhabiliter (de façon imaginative, non scientifique) cette vision traditionnelle. Dans quelle intention ? Parce que Lewis la considérait comme étant, de quelque importante façon, une meilleure conception que la moderne. Depuis la révolution copernicienne, les corps célestes avaient été régulièrement vidés de toute signification spirituelle jusqu'à être regardés comme rien de plus que de grosses agrégations de roche ou de gaz. Les lecteurs de Narnia se souviendront d'une conversation dans L'Odyssée du Passeur d'Aurore au cours de laquelle Eustache est réprimandé par Ramandu pour avoir prétendu que Dans notre monde, une étoile est une immense boule de gaz enflammée : Même dans votre monde, mon fils, ce n'est pas là ce qu'est une étoile, mais seulement ce dont elle est faite. Parce que le modèle pré-copernicien du cosmos considérait les planètes comme plus que purement matérielles, c'était un modèle digne d'être gardé à l'esprit. C'était, en ce sens, un modèle plus chrétien que les versions de Newton ou d'Einstein qui lui ont succédé.

Le modèle pré-copernicien du cosmos était catégoriquement un modèle chrétien non en dépit, mais à cause de son acceptation de l'influence astrologique. Lewis tenait à son aspect astrologique, non parce qu'il considérait l'astrologie comme littéralement vraie, mais parce que l'astrologie représentait une lecture spirituelle de la matérialité.

Bien sûr, pour nos ancêtres pré-coperniciens, l'astrologie était littéralement vraie, dans la mesure où ils avaient une science discrète qui portait ce nom. (Comme Lewis le fait remarquer dans English Literature in the Sixteenth Century [ouvrage non traduit en français, NdT], astrologie et astronomie ne pouvaient être vraiment distinguées l'une de l'autre jusqu'à la révolution copernicienne.) Aucun théologien chrétien avant cette période ne niait la théorie générale sur les influences des planètes. Ces dernières n'étaient pas adorées ni considérées comme déterminantes par leur influence, mais dans la limite de ces paramètres l'Eglise était satisfaite de punir ce que l'on appelerait aujourd'hui astrologie. Après tout, la Bible semblait soutenir la croyance qu'il y avait sept planètes et qu'elles possédaient des influences. L'auteur du Livre des Juges (5:20) rapporte : Du haut des cieux les étoiles ont combattu, de leur course, elles ont combattu Sisera [qui est dans la Bible un ennemi du Peuple d'Israël, NdT], un verset auquel Lewis fait allusion dans Au-delà de la planète silencieuse : Les étoiles de leur course combattaient contre Weston [qui est dans la Trilogie un savant manipulé par le diable, NdT]. Tout au long des Ecritures, les étoiles sont vues comme des signes (la plus célèbre, bien sûr, est celle de Bethléem, qui signifie la naissance du Christ) et parfois comme une cour céleste ou un choeur d'anges. Le Christ lui-même, dans l'Apocalypse de saint Jean (1:16 ; 1:20 et 2:1), est montré tenant sept étoiles dans la main droite, une vision qu'Austin Farrer, ami de Lewis et expert en imagerie apocalyptique, comprenait comme un portrait de l'autorité du Christ sur le temps, car c'est d'après ces sept-là que sont nommés les jours de la semaine. (Saturne donne son nom au samedi [Saturn et Saturday en anglais, NdT], le Soleil au dimanche [Sun et Sunday, NdT], la Lune au lundi [Moon et Monday, NdT], etc.)

Suite au changement de paradigme causé par Copernic, astronomie et astrologie se distinguèrent progressivement et la première prospéra tandis que la seconde connaissait des difficultés. L'astronomie est à présent une science respectable. L'astrologie, dans un contraste frappant, est devenue la marque d'un sujet dont on pense généralement qu'il ne mérite pas d'attention sérieuse. Mais pour Lewis, en tant qu'érudit du XVIe siècle, cela aurait signifié une chose très différente : cela signifiait que les cieux avaient une signification spirituelle, de quelque façon qu'elle fût conçue. Il n'était pas convaincu que la découverte de l'héliocentrisme par Copernic exigeait des planètes de perdre leur signification spirituelle. Il pensait que le désenchantement était un aspect de la mythologie qui marche dans les pas de la science.

Son volume sur le XVIe siècle commence par 14 pages traitant de la nouvelle astronomie dont Nicolas de Cusa fut le pionnier, théorisée par Copernic et vérifiée par Kepler et Galilée. Lewis conclut que ce qui s'avérait important au sujet de la nouvelle astronomie n'était pas la simple altération dans notre carte du ciel mais la révolution méthodologique qui vérifiait celle-ci :

En réduisant la Nature à ses éléments mathématiques, elle substitua une conception mécanique de l'univers à une autre, ingénieuse ou animiste. Le monde fut vidé, d'abord des esprits qui y cohabitaient, puis de ses sympathies et antipathies occultes, finalement de ses couleurs, odeurs et goûts. (Kepler, au début de sa carrière, expliquait le mouvement des planètes par leurs anima motrices [littéralement esprits moteurs^^, NdT] ; avant de mourir, il expliquait cela par la mécanique.) Le résultat fut le dualisme plutôt que le matérialisme. L'esprit, des constructions idéales duquel dépendait toute la méthode, s'éleva contre son objet avec une différence de plus en plus vive. L'homme, avec ses nouveaux pouvoirs, devint riche comme Midas mais tout ce qu'il touchait s'était retrouvé mort et froid. Ce processus, agissant lentement, assura pendant le siècle suivant la perte de l'ancienne imagination mythique : la vanité, et plus tard l'abstraction personnifiée, prend sa place. Plus tard cependant, comme une tentative désespérée de combler un vide que l'on commençait à trouver insupportable, nous avons la poésie de la Nature des Romantiques.

Les passages les plus importants de cet extrait sont les références à l'esprit, des constructions idéales duquel dépendait toute la méthode et l'imagination mythique. L'isolation de l'un et la perte de l'autre n'étaient pas des conséquences nécessaires ou logiques de la théorie de Copernic : c'étaient les effets collatéraux non scientifiques causés par son avance scientifique. On pourrait penser que Lewis reprend ici les idées de Max Weber, dont la théorie du désenchantement possède quelques similarités frappantes avec ces propos, mais Lewis n'a jamais mentionné Weber dans ses écrits et peu de choses peuvent suggérer qu'il l'avait lu. Si Lewis est redevable à quelqu'un en particulier pour l'image qu'il peint d'un cosmos désenchanté, c'est à son ami proche Owen Barfield, qui avait écrit dans Poetic Diction [ouvrage non traduit en français, NdT]:

La science traite du monde qu'elle perçoit, mais, cherchant de plus en plus à pénétrer le voile de la perception naïve, progresse uniquement vers le but du rien, parce qu'elle n'accepte toujours pas en pratique (quoi qu'elle puisse admettre en théorie) que c'est l'esprit qui a d'abord créé ce qu'elle perçoit comme des objets, y compris les instruments que la Science utilise pour cette pénétration elle-même. Elle insiste pour traiter de données, mais on ne doit pas en donner, sauf le seul percept. Le reste est imagination. Le monde ne peut donc être connu que par l'imagination. Et ce dont on a besoin, ce n'est pas seulement de construire des télescopes de plus en plus grands, mais aussi, pour l'esprit humain, de devenir de plus en plus conscient de sa propre activité créatrice.

Barfield poursuit en soutenant que Newton avec sa gravité (poids à l'origine) et Kepler avec son foyer (coeur à l'origine) [centre des orbites des planètes, situé sur le soleil, selon la première des lois de Kepler, NdT] exposaient un sens, mais ne découvraient pas un fait. Ces termes était autant une partie de leurs instruments que leurs instruments matériels eux-mêmes ; c'étaient des concepts appliqués à des percepts d'une nouvelle façon jugée éclairante, mais qui étaient fonction de l'imagination plus que d'outils objectifs. Les connaissances scientifique et poétique étaient par conséquent impossibles à distinguer en deux catégories. La méthode scientifique ne nous donne pas une nouvelle façon de savoir, seulement une nouvelle façon d'examiner.

Pour Lewis, comme pour Barfield, les scientifiques de l'époque moderne étaient souvent trop naturalistes dans leur vision du monde [ceux qui attribuent tout à la nature comme premier principe (Littré)], sujets à l'erreur de repousser leur propre esprit et leur processus de pensée de l'image totale du monde qu'ils essayaient de comprendre et d'habiter. Cette erreur retire sa spiritualité à l'univers, car l'esprit logique est lui-même spirituel, dépendante du logos [en théologie chrétienne, le Verbe, la parole de Dieu qui régit l'univers, NdT] qui sature l'univers et qui, à son tour, dépend de Dieu lui-même. L'univers, perçu à l'intérieur d'une telle structure naturaliste, devient entièrement fait et non signification. Ce qui en réalité fourmille dans la vie se réduit à rien de plus qu'une machine compliquée.

S'il y a des parallèles entre les arguments de Lewis contre le naturalisme et les arguments de ceux qui soutiennent le Dessein Intelligent, ils ne devraient pas être poussés trop loin. Lewis ne tente pas de guider les astronomes des étoiles vers un Créateur transcendant au-delà des étoiles. Il tente de les guider tout d'abord au-delà de leurs propres yeux, puis à l'intérieur de leur propre esprit. C'est uniquement en faisant de leur propre esprit un facteur de l'équation qu'ils pourraient découvrir un monde pénétré de la Raison, un univers dans lequel matière et esprit sont déjà mariés dans le miracle de la pensée rationnelle et à partir duquel il n'est, par analogie, qu'une petite étape à franchir pour parvenir à un univers dans lequel la matière et l'Esprit, l'Esprit de Dieu, sont liés au Christ. Comme Lewis l'écrit dans Les Miracles : étude préliminaire [Miracles, a preliminary study] :

La différence entre un mouvement d'atomes dans le cerveau d'un astronome et sa compréhension qu'il doit y avoir une planète encore non observée au-delà d'Uranus est déjà si immense que l'Incarnation de Dieu Lui-même est, en un sens, à peine plus saisissante.

Neptune, qui tourne en orbite autour du soleil à plus de quatre mille trois cent millions de kilomètres de la Terre, fit connaître sa présence à l'esprit de John Couch Adams, assis à réfléchir dans l'Observatoire de Cambridge en 1845 ; il déduisit son existence mathématiquement avant de l'observer dans les faits. Cet achèvement phénoménal du raisonnement n'est en un sens pas moins saisissant que la venue sur Terre du Fils de Dieu. La pensée rationnelle et l'incarnation du Christ rendent tous deux présentes aux êtres humains des réalités qui autrement sont immatériels. Bien évidemment, il y a une grande différence à la fois de degré et de sorte entre le ministère de la Raison et l'incarnation du Divin Raisonneur, mais il y a néanmoins une analogie. Le lien entre l'esprit et la matière que le raisonnement humain forge est un reflet du lien forgé entre Dieu et l'Homme lors de l'Annonciation et mis en lumière sous l'Etoile de Bethléem, cette étoile qui était une immense boule de gaz enflammé – et beaucoup d'autres choses encore.

Article originel.


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