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Mais pourquoi tant de trilogies ?

Par Alice, le lundi 6 janvier 2014 à 11:18:49

MistbornÔ trilogies !
Vous me fascinez tant. Passer plus de temps avec des personnages adorés s’avère tel un chant de sirène. Plus souvent que je ne voudrais l’avouer, j’aimerais que cela finisse. Ne pouvons-nous pas trouver de conclusions satisfaisantes sans la lourdeur d’un deuxième puis d’un troisième tome ? Je me languis de ces jours où un roman suffisait. Lorsque des écrivains tels que Joanna Russ et Robert Heinlein rivalisaient d’originalité à chaque nouveau livre.
Comment en est-on arrivé à ce jour où la coutume est de régurgiter la même chose pendant trois volumes (voire plus) ?

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J’ai une théorie, mais cela va me prendre un peu de temps pour l’exposer…vous devrez me supporter.

Il a souvent été dit que la trilogie est un héritage du Seigneur des Anneaux de J.R.R Tolkien. Les suppositions sont souvent fausses. Les romans de Tolkien ont été publiés en trilogie, mais cela n’a rien à voir avec comment Tolkien voulait raconter son histoire. Ce n’était même pas une décision commerciale de la part de son éditeur. C’était plutôt une réalité de l’époque. Il y avait une sérieuse pénurie de papier à la période d’après-guerre en Angleterre et les revenus étaient faibles. Sortir le roman en trois volumes distincts permettait de garder des prix bas.

L’autre problème dans cette théorie est que Tolkien voyait Le Simarillion comme faisant partie intégrante du roman. Il voulait qu’il soit publié avec Le Seigneur des Anneaux. Plusieurs choix étaient donc possibles et se bousculaient : faire de l’œuvre iconique de Tolkien un seul roman absurdement long, un roman en deux volumes ou bien encore un prologue avec six livres et cinq appendices. Il y a aussi une chance pour que tout ceci ait été fait pour protéger Tolkien de la horde de lecteurs dérangés (ou juste de moi) qui aurait pu le chahuter en enfer à propos d’une série interminable sans espoir de fin. Il est fort probable que le concept de trilogie n’ait jamais effleuré l’esprit ridé du maître.

Cela ne veut pas dire que les auteurs et les éditeurs d’aujourd’hui ne sont pas toujours influencés par la forme finale du Seigneur des Anneaux. Disons pour le moment qu’ils ne le sont pas. J’y reviendrais cependant, promis.

En vérité, la trilogie date de bien avant Tolkien. On en revient toujours aux toutes premières formes de la fiction. Lors des Dionysies, de grandes festivités en l’honneur du dieu Dionysos, en Grèce antique, des pièces de théâtre découpées en trilogie étaient jouées. L’Orestie est la seule trilogie survivante de l’époque, elle aurait été jouée pour la première fois lors des festivités d’Athènes en 458 avant J.-C. A peu près à la même période en Inde, Mahabharata était écrit. Ou du moins, Wikipédia me dit que c’est le cas. Plus récemment, Henryk Sienkiewicz, qui a remporté plus tard le prix Nobel de la littérature, a écrit une série en trois livres intitulée, sans ironie délibérée, La Trilogie. Le premier livre Par le fer et par le feu a été publié en 1884, je pourrais continuer mais je pense que je me suis fait comprendre : les trilogies existent depuis bien longtemps.

Alors pourquoi ? La réponse la plus évidente est qu’il s’agit simplement d’une interprétation des trois actes proposés par Aristote. En effet, le philosophe grec décrivait les histoires comme ayant un commencement, un milieu et une fin. Une description plus étoffée dirait qu’il y a implantation du décor, conflit et résolution. Peut-être la trilogie est-elle simplement le reflet de cette théorie, dans lequel chaque roman représente un des trois actes comme Chevy Chase est le Dusty Bottoms des Trois amigos ! (cette métaphore n’a aucun sens, mais bon, Dusty Bottoms). Cela semble être une explication logique. Cela semble aussi bien trop facile. Il n’y a pas de pourquoi. Et même si vous pouvez condamner quelqu’un pour un crime sans mobile, cela aide de savoir pourquoi quelqu’un pourchasse Elizabeth Bear avec une baguette au WorldCon. (Ouais, cela n’est jamais arrivé.)

La réponse doit être dans le cerveau humain, psychologique ou physique. C’est peut-être aller un peu loin dans la logique, mais il y a une telle prépondérance des trilogies qu’il doit y avoir plus derrière leur existence qu’une simple explication historique. Je vous présente la Règle des Trois. Quand une célébrité meurt, on suppose toujours que deux autres suivront le même chemin. Nos discours sont souvent parsemés de trois : 1,2,3, partez ! Le bon, la brute et le truand. La troisième fois sera la bonne. Jamais deux sans trois. A vos marques, prêts, partez ! Vous voyez où je veux en venir. La Règle des Trois suppose que toutes les choses mémorables et importantes arrivent en trois étapes. Mais, encore une fois, il y a cette question lancinante : pourquoi ?

Deux est le plus petit chiffre que l’esprit peut utiliser pour former des modèles et il est dans la nature humaine de trouver ces modèles. Mais ces modèles sont à peu près aussi intéressants que des coups répétés avec un tuyau en caoutchouc. Ou, pour quelqu’un qui aurait des tendances masochistes, des coups répétés en mangeant des S’mores . Le troisième d’une série est ce qui bouleverse les attentes. C’est la surprise qui vient rompre le modèle et qui rend les choses intéressantes et on la recherche perpétuellement. Peut-être qu’on la recherche parce que nos cerveaux veulent intrinsèquement grouper les choses ensemble pour mieux digérer les données. Il y a un nom pour ce phénomène !

L’illusion des séries, à la base, est la tendance à percevoir de petits échantillons dans des distributions aléatoires en les considérant avec une importance disproportionnée. Les célébrités qui meurent par trois sont un parfait exemple, comme la notion que Derek Jeter (le Yankee) est un frappeur hors pair. Juste parce que Jeter frappe toujours quand on fait attention ne signifie pas qu’il arrive toujours à frapper. Notre cerveau se souvient et regroupe toutes les fois où il a réussi, et le résultat est cette impression que Derek Jeter est le Ursula Le Guin du baseball professionnel. Cette illusion du modèle est facilement mélangée avec ce qu’on appelle le biais de confirmation. Inconsciemment, nos esprits suppriment les fois où Jeter a échoué parce que nous voulons conserver un modèle et en faire un lien de causalité. Indépendamment de comment nous l’appelons, le fait est que le cerveau humain a grand besoin de modèles. Il veut que les données fassent sens.

Est-ce que les trilogies existent parce que nos cerveaux le veulent ? Est-ce que les rédacteurs et les éditeurs achètent des trilogies à cause d’une résonance psychologique innée et codée à jamais dans l’esprit humain ? Mon dieu, si j’avais la réponse. Mais j’ai demandé à quelques personnes pour trouver. En général, la réponse était que les auteurs lancent des trilogies, et non l’inverse. Eh bien, c’était rapide. Il y a pourtant des exceptions ! Dieu merci.

Le Prince écorché de Mark Lawrence était initialement un seul opus étendu à trois romans après sa soumission initiale. La première version de Germline de T.C. McCarthy était une novella étendue à trois livres à la demande (éventuelle) de l’éditeur. Dans certains cas, un éditeur verra un monde où des personnages qui pourront être encore plus explorés. Un auteur, souvent de nouveaux auteurs, incertain des réactions à la lecture de son œuvre, n’a pas pensé à la possibilité d’ajouter des histoires. J’ai aussi appris quelque chose à propos des mathématiques des séries.

Si le premier livre se vend disons à 1000 exemplaire, puis que le second se vend à 800 et le troisième à 600 et ainsi de suite. Quand une série est un succès, les deuxième et troisième livres auront un total de ventes proches et le déclin sera moins évident. La fin de partie est pour le premier livre qui doit continuer d’augmenter ses ventes pour augmenter aussi celle des livres suivants entraînant ainsi les autres livres dans son sillage. Quand cela fonctionne, vous pouvez finir avec le dernier livre de Charlaine Harris avec 250 000 exemplaires vendus dès la première semaine parce que la demande s’était accrue tout au long de l’année. En d’autres termes, les éditeurs ne chassent pas les trilogies ou les séries, mais ils essayent d’acheter les meilleurs livres au format le plus adapté à l’œuvre qui se vendra.

Ce qui nous ramène à ma première supposition : est-ce que les auteurs écrivent des trilogies parce que Le Seigneur des Anneaux leur a montré que c’est le seul et unique chemin ? Probablement. Pas vraiment. Vous aimez ma clarté, n’est-ce pas ? Je dirais sûrement, parce qu’il est fort probable que certains écrivains écrivent des trilogies parce qu’il s’agit d’une structure familière en fiction d’une part pour les raisons que j’ai évoquées dans cet article mais aussi parce que des choses comme Le Seigneur des Anneaux et Star Wars, et une foule d’autres séries de fantasy iconiques, sont présentées ainsi.

J’ai dit pas vraiment car je pense que nous percevons les trilogies comme un moyen de raconter des histoires dans le genre précisément à cause des choses dont j’ai parlé – les illusions des séries et biais de confirmation. Nous déplorons les trilogies parce que nous voyons le modèle que nous voulons ce qui n’a aucune espèce d’incidence sur sa position dominante sur le marché. Y a-t-il beaucoup de trilogies ? Oui. Il y a aussi des centaines d’autres types de séries. Par exemple la fantasy urbaine est composée en grande partie d’histoires épisodiques étalées sur une longue période. La fantasy épique, préférant toujours les trilogies, s’étend souvent bien au-delà de trois livres.

Alors que la trilogie existe et se développe, je dirais que nous voyons les trilogies comme une structure dominante dans la fiction parce que nous le voulons. Ceux d’entre nous qui observent le marché verront les modèles que nous voulons trouver dans nos propres illusions de modèle et de causalité.

Ou alors, j’expérimente un biais de confirmation d’un genre particulier. L’un dans lequel j’aurais toujours raison.

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