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Rôle-play, Livre malazéen des glorieux défunts et clichés

Par Nak, le vendredi 5 novembre 2010 à 14:45:35

DragonL’article que nous vous présentons aujourd’hui sera sujet à débats sur le forum, ça ne fait aucun doute (du moins, on l'espère...).
Tous les ingrédients sont là : On y parle de clichés, tirés cette fois-ci des jeux de rôles et surtout du très connu Donjons et Dragons. De plus, l’article est polémique en soi, car c’est une critique d’un essai publié par Steven Erikson, qui s’insurge justement contre ces clichés…
Donc lisez cet article – au passage vous en apprendrez énormément sur la création de D&D et sur les Royaumes Oubliés que personnellement j’adore -, faites-vous votre opinion et allez donc la présenter !

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L'article traduit

Il y a un argument fort selon lequel le monde secondaire de la fantasy moderne est né en 1977 avec la publication, en l’espace de quelques semaines, de Lord Foul’s Bane de Stephen Donaldson et de L’épée de Shannara de Terry Brooks. C’est arrivé à peu près en même temps que l’éruption de popularité des jeux de rôle, menés par le tout-puissant Donjons et Dragons, créé par Gary Gygax et Dave Arneson, et qui est apparu sur les présentoirs trois ans auparavant. Les romans de mondes de fantasy secondaires et modernes et le rôle-play en général (et D&D en particulier) ont donc grandi ensemble, mais le degré avec lequel ils se sont nourris l’un l’autre est sujet à débat, et le sujet d’une autre discussion à un autre moment.

Virtuellement, tous les écrivains de mondes de fantasy secondaires et modernes ont flirté avec les jeux de rôle, encore que l’on peut les classer en gros en deux catégories : les auteurs dont les expériences de rôle-play les ont conduits directement à leur fiction (comme Feist et Bakker) et ceux pour qui ça n’a pas été le cas (comme Jordan et Williams).

L’auteur de fantasy moderne auquel on fait le plus référence quand on parle d’une fiction puisant sa source dans les jeux de rôle est Steven Erikson. Erikson et son collègue Ian Cameron Esslemont ont créé le monde de Malazan en 1982 alors qu’ils jouaient une campagne en utilisant les règles de Advanced Donjons et Dragons, 1e édition. En 1987 ils ont changé l’ensemble des règles et sont passé au GURPS (Système de Jeu de Rôle Générique et Universel, créé par Steve Jackson), préférant les règles plus libres et adaptables de ce dernier et la possibilité de créer leur propre système de magie plutôt que d’utiliser celui de D&D (qui, pour être exact, n’avait pas été créé par Gygax mais avait été tiré pour l’essentiel des livres de Jack Vance Dying Earth). En réponse aux fréquentes questions pour savoir de combien le développement de Malazan a été influencé par le jeu, Erikson a récemment déposé un post sur son blog sur le sujet.

Cette entrée de blog traite d’un des sujets favoris d’Erikson, à savoir, comment la série Malazan va à l’encontre des tendances et mène son combat contre l’ennemi et fait tout ça pour elle-même, etc. Cette fois-ci, par contre, la frise chronologique (ha !) a plus de sens, quand Erikson dit que la fiction contre laquelle il s’insurge était le travail le plus cliché publié entre les années 1970 et 1980, et combien toute la matière de fantasy épique publiée à l’époque était de mauvaise qualité (exceptés Stephen Donaldson et Glen Cook), ce qui n’est pas complètement faux (encore que j’aimerais bien savoir s’il avait lu du David Gemmel, ou surtout la mega-série géniale de Hugh Cook Chronicles of an Age of Darkness. La dissociation entre la vision d’Erikson du sous-genre de la fantasy épique et la réalité a été déconcertante en 1999 (quand Les jardins de la Lune est sorti, une décennie après avoir été écrit), d’autant plus maintenant, mais comprendre qu’il parlait en fait des années 1980 explique beaucoup de choses.

La vision d’Erikson dans son essai est essentiellement conflictuelle, ce qu’il reconnaît en montrant les limitations des fictions dérivées de D&D, mais aussi l’intérêt qu’il y a d’utiliser toujours les même tropes (et l’aveu que le livre de Malazan en est noyé, parfois de façon évidente, parfois de façon détournée) pour faciliter l’entrée du lecteur dans l’histoire en lui présentant des choses familières. Je trouve cet aveu intéressant, surtout quand on considère que Les jardins de la Lune ne donne pas vraiment grand-chose d’autre qu’une entrée facilitée dans un monde en dehors des aventures à la D&D de Crokus et des Phoenix Inn Regulars, ou l’ensemble des compétences différentes-mais-complémentaires des nombreux Bridgeburners (et même, même si on ne l’aperçoit que de loin, la Garde Pourpre).

Toutefois, la suggestion d’Erikson selon laquelle ce que lui et Esslemont et leur camarades de jeu faisaient était à vous faire tomber la mâchoire et tellement original comparé à ce que d’autres joueurs font est problématique :
Notez la distinction : il y a le jeu de rôles et puis il y a le jeu que l’on faisait.
Le problème, bien sûr, c’est qu’Erikson n’était pas le seul à tenter de répondre aux interrogations qu’il avait sur les limitations de D&D. Scott Bakker, par exemple, a créé le monde de ses séries Le prince du Néant et Aspect-Emperor pour les utiliser en rôle-play mais a rapidement développé des aspects philosophiques et métaphysiques bien au-delà de la plupart des mondes génériques de fantasy. Beaucoup d’autres joueurs avaient des problèmes avec ça et ont quitté le jeu pour développer leur propre narration ou leurs propres jeux, pas limités de cette manière. Même dans les restrictions de D&D, les écrivains et les concepteurs du jeu ont apprécié de pouvoir renvoyer la balle dans le camp des clichés de la fantasy épique, avec les développements du jeu d’horreur Ravenloft, Dark Sun de fantasy post-apocalyptique et, le plus impressionnant de tous, Planescape et la vertigineuse immensité de ses vaisseaux. (Et à chaque fois qu’Erikson, ou n’importe quel autre auteur, cogne sur D&D en l’accusant d’être cliché et générique, je pense simplement au jeu d’ordi officiel de D&D Planescape : Torment et je me demande si l’auteur en question a fourni un travail plus contre-cliché ou tragique que ça, et la réponse est souvent, Non, il ne s’en approche même pas).

En fait, en ajustant et renversant le cadre de fantasy traditionnel du D&D générique, Erikson a fait exactement ce que Gygax et Arneson voulaient que les gens fassent avec D&D. Utiliser les règles pour créer leurs propres histoires, que ça soit une descente dans un donjon ou une aventure fun et à petite échelle, ou même une aventure énorme basée sur le style méga-épique du Seigneur des Anneaux. Bien que beaucoup soit fait pour les limitations des règles de D&D (en particulier l’alignement arbitraire, les limitations de classe et de race des deux premières éditions), toutes ces règles étaient optionnelles et sujettes à changement. Même dans les années 1980, trouver une partie qui n’incluait pas au moins quelques règles maison pour jouer au jeu était assez rare, la gamme allant de ceux qui déformaient les règles (autorisant les sorciers nains) à ceux qui utilisaient des règles si altérées et modifiées qu’elles étaient à peine reconnaissables. Donc ce que faisait Erikson n’était pas particulièrement original, bien que ça ait conduit à une super fiction qu’on a beaucoup appréciée pendant toute la décennie précédente.

Elric Non, mon nom n’est pas Elric et mon épée ne boit pas d’â… Allez vous faire voir. Je retourne dans mon château dans le ciel, qui n’est absolument jamais apparu sur la couverture d’un produit Dragonlance au milieu des années 1980.

Un des points les plus problématiques de l’essai apparaît quand Erikson nous dit avoir ouvert la boîte d’origine des Royaumes Oubliés en 1987 et, après dix minutes d’analyse, en a conclu qu’il voulait la brûler parce qu’elle n’avait aucun sens. Erikson en a dit un peu plus là-dessus dans une interview en 2002 pour SFX Magazine, dans laquelle il identifie plus particulièrement des problèmes comme tous les elfes et les nains vivant en voisins et aucune explication économique n’était donnée pour la localisation des villes et des royaumes.

Ces commentaires sont un peu un but contre son camp. Tout d’abord, Erikson lui-même a souvent suggéré que Les jardins de la Lune est difficile à lire et récompense ceux qui sont allés au-delà des quelques cent premières pages (quelques fans vont plus loin et disent que les gens lisent les trois premiers romans en entier – soit environ 2 800 pages en livre de poche – avant de se faire une opinion sur la série). Il a aussi dit qu’il y a peu de choses dans les romans de Malazan qui sont exposés pour les lecteurs, qui à la place sont invités à former leurs propres réseaux et conclusions. Donc de démolir les Royaumes Oubliés (qui est, à propos, le seul monde de toute la fantasy épique qui se rapproche peut-être le plus de Malazan en termes de niveaux, de tourments divins, de large échelle, une histoire ancienne avec une construction tragique et une géographie modelée par des cataclysmes magiques, bien que peu de tout cela n’ait transparu dans la première sortie en 1987) sur une brève rencontre n’est pas vraiment la meilleure des idées. La boîte d’origine était juste cela, un plan succinct du monde et du panthéon, avec peu de place pour de la profondeur, et cela a été réitéré plusieurs fois pour que les joueurs et les maîtres du jeu puissent inventer leurs propres réponses aux questions. Ces réponses sont maintenant des critères mais ceux qui le veulent peuvent toujours fabriquer leur propre réponse.

Planescape Une ville-forteresse en haut d’une montagne volante ? Intéressant. Et c’était quand ? 1987 ? Vraiment ?

Ces commentaires sont encore plus amusants si on prend en compte les derniers développements des Royaumes : la vaste trame de fond et les histoires expliquent pourquoi les villes et les royaumes se situent là où ils sont, les cartes détaillées montrent les mouvements des échanges commerciaux à travers le continent et, sous la régence de Steven Schend à la fin des années 1990, le développement de l’idée de royaumes construits sur d’autres en ruines, de plus anciens royaumes (qui est quelque chose qu’Erikson fait particulièrement bien dans Malazan) et, hum, des villes qui volent dans le ciel qui sont en fait le haut de montagnes escarpées et retournées à l’envers (même s’ils ont piqué cette idée à un produit de Dragonlance dix ans plus tôt, mais ça ça passe). Toutes ces choses étaient possibles grâce à d’autres écrivains reprenant les créations originales, étoffant les éléments qui leur plaisaient et utilisant des clichés, soit directs ou détournés, quand c’était nécessaire et les laissant de côté quand ça ne l’était pas. Pour faire court, le genre de choses qu’Erikson prétend faire dans son essai.

En résumé, Le livre malazéen des glorieux défunts est un des premiers travaux parmi les œuvres de la fantasy épique, et il y a de fortes chances qu’il en soit ainsi pendant quelques temps encore. C’est un challenge, ça a une échelle très vaste et c’est de temps en temps émotionnellement déchirant et puissant, alors que ses deux créateurs et auteurs ont créé de nombreux personnages, races et histoires impressionnants. Mais est-ce quelque chose de nouveau et de différent, quand on le compare aux romans de fantasy qui l’ont précédé ou aux jeux de rôle ? Non, pas vraiment. Des essais de ce genre donnent l’impression que le genre de fantasy que Malazan est sensé rejeter selon Erikson, est une vision de ce genre uniquement fondée sur des romans D&D vers 1991 de qualité inférieure. Ce n’est pas un problème, mais le genre (à la fois du jeu et de la littérature), les lecteurs et les joueurs sont tous partis vers de nouveaux horizons.

Article originel
Traduction réalisée par NAK


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