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Ce qui est vraiment fantastique, un essai de Richard K. Morgan
Par Lisbei, le lundi 16 mars 2009 à 23:20:25
Richard Morgan a signé dernièrement son arrivée dans la cour de la fantasy avec The Steel Remains. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que cet auteur de science-fiction ne fait pas les choses à moitié. Voire même il met les pieds carrément dans le plat !
En effet, rien de tel que de s'en prendre au "maître" Tolkien pour qu'aussitôt la polémique enfle et que les blogs anglo-saxons soient en ébullition. Néanmoins son analyse de départ est intéressante et bien construite. Il nous a donc semblé intéressant de vous en proposer la traduction afin que vous puissiez vous aussi donner votre avis !
Traduction
Je te le dis, ça n’a rien de drôle d’être de service dans cette ville
Gorbag, capitaine orc oublié de Minas Morgul
Je ne suis pas un grand fan de Tolkien ; en tous les cas, pas depuis que j’ai eu douze ou quatorze ans (ce qui, il me semble, est pile le bon âge pour lire et aimer ses livres). Mais seul un auteur totalement ignare en matière de fantasy méconnaîtrait la place prépondérante de cet homme dans les canons du genre. Et il serait bien sot et superficiel le lecteur de Tolkien qui ne discernerait pas, au milieu de toute cette prose sur-écrite, des louanges pour l’Angleterre rurale à donner la nausée, et de ces satanés elfes chanteurs qui infestent les pages du Seigneur des Anneaux, les traces d’un sombre paysage humain esquissé, qui est à des kilomètres de l’épopée héroïque pour laquelle cette œuvre est plus connue.
Ce petit détour dans l’angoisse existentielle urbaine est l’une de ces traces. Il débarque à la fin des Deux Tours et fait partie d’une série de dialogues interrompus entre deux capitaines orcs de la tour de Cirith Ungol. Et pendant un temps (le temps que Tolkien se souvienne qu’il s’agit de Méchants et qu’il envoie contre eux le sempiternellement Bon et Salvateur Sam) nous avons droit à un aperçu fascinant de la vie des simples troufions en Mordor. Les orcs sont désabusés, peu informés et constamment stressés par les incertitudes engendrées par ce manque d’informations. Ils soupçonnent que la guerre pourrait être en train de mal tourner pour leur camp et que leurs commandants, loin d’être infaillibles, semblent commettre de sérieuses erreurs de jugement. Ils craignent qu’en cas de défaite, ils ne puissent attendre que peu de pitié de la part de leurs ennemis victorieux. Ils marmonnent leurs griefs à voix basse car ils savent qu’il y a des espions dans leurs rangs, et une culture de la discipline par la terreur du haut en bas de l’échelle. Ils semblent aussi dotés d’une bonne humeur un peu rude et d’une certaine loyauté envers les soldats placés sous leurs ordres. Et ils n’apprécient pas plus la guerre que Sam ou Frodon ; ils veulent la voir finie autant que n’importe qui d’autre.
Pour moi, c’est là l’un des meilleurs passages du Seigneur des Anneaux. Cela semble, même si un tel qualificatif peut être considéré comme incongru pour un roman de fantasy, réel. Soudain, je ressens de l’intérêt pour ces orcs. Gorbag est transformé par cette simple phrase, passant du statut de brute esclave du mal à celui de survivent désabusé et cynique. Les archétypes simplistes du Mal ont disparus et ce qui reste en dessous est bien trop humain, que ce soit mieux ou pire. C’est ça qui nourrit véritablement une histoire, c’est ça le détail qui fait sens (comme le dirait le personnage de Faber dans le Fahrenheit 451 de Bradbury), ni Bien, ni Mal, juste les misérables réalités humaines d’une Grande Guerre vue au niveau des tranchées. Et je ne pense pas qu’il soit tiré par les cheveux de dire que nous regardons probablement là les restes fossilisés des expériences de première main de Tolkien pendant sa propre Grande Guerre, quand il a traversé l’enfer des tranchées et la boucherie de la Somme en 1916.
Ce qui est bien dommage, bien sûr, c’est que Tolkien n’a pas été capable (ou n’a pas voulu) de creuser cette veine d’expérience pour ce qu’elle valait réellement ; en fait, il semblait même la fuir de toutes ses forces dans la panique la plus totale. Je suppose que c’est en partie compréhensible ; la génération qui a combattu pendant la Première Guerre Mondiale a dû regarder le moindre idéal qu’elle avait à propos du Bien et du Mal s’effondrer en ruines sanglantes autour d’elle. Cela demande une grande force d’endurer ce genre de chose et d’y survivre, puis de redessiner votre appréhension des choses pour la faire correspondre à la dure réalité que vous avez vue. Il est bien plus simple de se retrancher dans une nostalgie simpliste pour les valeurs fanées ou oubliées dans lesquelles vous aviez l’habitude de croire. Donc le temps que nous retournions à Cirith Ungol dans Le Retour du Roi, Gorbag et ses camarades avaient été heureusement dépouillés de leurs caractéristiques humaines les plus intéressantes pour redevenir de bruyants esclaves du Mal sortant tout droit du Mordor et d’une histoire pour faire peur aux enfants. Notre aperçu de quelque chose humainement plus intéressant a disparu, remplacé une fois de plus par le ton pédant et épique du Mal Formidablement Caricatural dressé contre le Bien Irritablement Rayonnant (oh, et devinez qui gagne).
Bref, je suppose qu’il y a une raison pour que l’on appelle ça de la fantasy.
Je me demande simplement pourquoi quiconque (adulte) sur terre pourrait avoir envie de lire quelque chose comme ça.
Et j’ai écrit un roman de fantasy pour ces adultes qui n’en auraient pas envie.
J’espère que vous l’aimez.
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