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De la promotion des ouvrages de fantasy

Par Gillossen, le mercredi 30 mai 2012 à 14:45:00

Buy!Pour tout vous dire, ce billet aurait dû être posté sur le site au mois de… février, pour faire suite à celui-ci. Puis en mars. En avril. Par chance, nous éviterons tout de même d’en arriver au mois de juin !
Les raisons de ce retard ? Elles sont diverses. Mais, parmi elles, on peut citer le raz-de-marée de parutions qui nous tombent dessus mois après mois. Dans un paysage éditorial de plus en plus surchargé, comment un roman peut-il encore se distinguer, quand il n’est pas signé par un poids lourd déjà reconnu ?
Retour sur cette problématique ardue.

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Les chiffres le prouvent, la situation en librairie est préoccupante, et la fantasy n’y coupe pas, bien au contraire, notamment en grand format. Si le panier moyen d’un acheteur est de 18 euros actuellement, cela ne suffit donc même pas à investir dans une nouveauté qui serait par exemple vendue au prix de 22 euros. Et si notre récent sondage, avec plus de 3000 votes au compteur, démontrait qu’apparemment 40% des votants n’ont pas changé leurs habitudes ces derniers mois, n’oublions pas que vous, visiteurs d’Elbakin.net, êtes généralement composés d’un public de passionnés.
Au-delà de la situation en librairie, et de l’importance de la « crise » dans cette équation, la fantasy pure et dure a donc dû également composer avec la montée en puissance de la Bit-Lit et de la littérature Young Adult. Nous n’y reviendrons pas une fois de plus ici, mais il suffit de jeter un coup d’œil dans les rayons des librairies pour s’en rendre compte. Quand on songe dès lors à la façon de promouvoir un roman, du point de vue des éditeurs, il faut bien avouer qu’il n’y a pas 36 solutions. Mais plutôt deux démarches, souvent opposées. La débrouille et le plan com’ d’ampleur.

Chacune a ses avantages et ses défauts, bien entendu. Le plus facile reste ainsi, par exemple, de proposer un ou plusieurs chapitres d’une sortie à venir, de faire monter la pression autour d’une couverture, d’organiser des jeux concours… Ce genre de procédés n’exige en général pas un investissement particulier de la part de l’éditeur, si ce n’est quelques exemplaires disponibles en SP et un peu de temps. Il peut aussi justement arroser de SPs divers sites et blogs littéraires afin de profiter rapidement d’une certaine « masse » de chroniques visibles en ligne pour qui aura la curiosité de chercher un petit peu. De préférence positives, d’où l’importance pour l’éditeur de « cibler » ses envois et donc de savoir à qui il a affaire sans forcément accepter toutes les propositions qui lui sont faites. Bien sûr, rien ne dit qu’un blog spécialisé en Bit-Lit n’apprécierait pas le dernier David Gemmell, mais, à première vue, il y a tout de même peu de chances que ce soit le cas, ou, du moins, que les visiteurs de ce blog soient en quête de lectures de ce type.
L’autre démarche, celle de la communication largement visible, demande évidemment un tout autre investissement, souvent purement financier pour le coup. Tout le monde ne peut pas investir en PLV - publicité sur le lieu de vente – ou en campagne sur la toile (vous avez déjà vu la page d’accueil d’Elbakin.net aux couleurs d’une sortie du moment). Même les jeux d’épreuves non corrigées, déjà un peu moins lourds à produire, sont en général réservés aux sorties les plus importantes. On peut aussi citer la publicité dans tel ou tel magazine, la distribution de flyers… On a vu monter certaines campagnes à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Sans garantie de succès pour autant ; souvenons-nous de plusieurs démarrages récents en-dessous des espérances de leurs éditeurs pour des romans et autres sagas pourtant, soi-disant, très attendus.
Au-delà des ventes, il n’est même pas certain que la chose puisse installer un auteur dans le paysage sur la durée. Si, le temps de quelques semaines, le roman en question est forcément sous le feu des projecteurs car mis en avant un peu partout, rien ne dit que ce sera encore le cas quelques semaines plus tard, ne serait-ce que parce qu’une sortie en chasse une autre.

Il est communément admis que trois romans sont en général nécessaires pour qu’un auteur puisse véritablement se faire une (petite) place. Mais encore faut-il que les éditeurs aient la patience, et les reins suffisamment solides, pour encaisser le choc si les ventes réelles sont en-deçà des attentes. La plupart des sorties représentent donc des paris et dans un temps d’incertitude comme celui-ci, les paris prennent encore davantage des allures de coup de poker. Et la publicité doit tenir compte d’une part d’incertitude. Certaines campagnes se sont même déjà avérées contre-productives. Ne vous êtes-vous jamais demandé si un éditeur connaissait vraiment le livre qu’il tente de promouvoir ? Qui plus est, sans parler de possibles fiascos, c’est une chose de faire connaître un « produit », voire de donner envie aux lecteurs de se laisser tenter, mais encore faut-il qu’ils sautent le pas concrètement et passent à la caisse, tout simplement. En dehors des sempiternelles allusions à J.R.R. Tolkien quand il est question d’élargir au maximum la cible, peu de noms parlent immédiatement au grand public. Et la fantasy se retrouve donc encore une fois prisonnière des mêmes références, répétées encore et encore. Quant au public de passionnés, il s’est souvent renseigné en amont, a pu discuter avec d’autres amateurs ici ou là pour se faire une première idée. Difficile de quantifier le réel impact des panneaux publicitaires 4 par 3 dans les couloirs du métro pour Robin Hobb il y a quelques années. L'auteur rencontrait déjà un grand succès quand cette nouvelle phase a débuté. Même si l’on préfèrera toujours voir ça que la même chose pour le dernier Guillaume Musso !
On en arrive à l’un des problèmes des campagnes de promotion trop visibles. Les promesses qui vont avec sont rarement tenues quand un roman a été présenté comme la nouveauté incontournable du moment… et que ce « moment » se répète plusieurs fois par an. Certes, la fantasy, heureusement, pour compter à intervalles réguliers sur quelques pépites, mais de là à trouver le « coup de cœur », « la claque », la « révélation » qui va bouleverser le paysage tout entier tous les trois mois… Outre le fait de diminuer l’impact des réelles sorties majeures – peut-on vraiment comparer par exemple Le Nom du Vent et le sympathique mais limité Baiser du rasoir, pour prendre deux exemples chez Bragelonne ? – le lecteur finit par se détourner, voire nourrir un réel sentiment de méfiance vis-à-vis de ces « déclarations d’amour », aussi enflammées soient-elles. Les rouleaux-compresseurs ne sont donc pas une assurance de succès mais on ne vous apprend rien. Et personne ne niera que certains romans méritent d’être mis en avant, au-delà des dérivés surfant sur le succès de séries précédentes.

Mais reste la place de la fantasy chez les éditeurs. On pourrait croire que les plus grosses campagnes viennent des maisons d’édition majeures, mais c’est finalement loin d'être toujours le cas. La fantasy, et la science-fiction bien sûr, n’ont pas vraiment de poids chez les éditeurs généralistes pour qui il s’agit souvent d’une collection comme une autre, parfois bien plus mal considérée. A moins de pouvoir garantir des ventes importantes à l'aune des habitudes de l'éditeur, on ne peut pas franchement dire que la fantasy soit particulièrement bien vue. Et pourtant, quand un Harry Potter ou un Seigneur des Anneaux cartonnent au cinéma, les collections concernées sont priées de vite trouver de quoi alimenter la machine... Bref, l'imaginaire passe souvent pour le vilain petit canard, surtout à une époque où la vague semble refluer après plusieurs années de croissance. Certains titres qui pourraient relever de l’imaginaire sont même publiés hors collection, pour tenter d’augmenter le public potentiel en attirant tous ceux qui seraient frileux à l’idée d'ouvrir un roman de Science-Fiction ou de Fantasy. Une démarche qui peut parfois porter ses fruits (on peut comprendre que The City & The City, de par sa dimension enquête, ait été publié en polar, mais c'est bien le Grand Prix de l'Imaginaire que le roman de China Miéville vient de décrocher), certes, mais qui prive les collections dédiées de leurs forces vives. Comment espérer améliorer les ventes, ou même l’image de la fantasy, quand des titres potentiellement porteurs viennent au final gonfler les chiffres d’une autre branche de la maison ? Ce constat a tout de même tout d’un cercle vicieux. Une démarche qui illustre bien en tout cas le manque de confiance à l’égard des littératures de l’imaginaire, hors tendance du moment déjà évoquées, comme la Bit-Lit ou toute la production Young Adult.

Il est ainsi paradoxal de constater que la place de la fantasy chez les grands éditeurs joue aussi sur l’image que l’on peut avoir d’elle à travers ces groupes, loin de consacrer le travail de 20 ou 30 personnes à la seule cause du genre. Si certaines collections n’étaient pas condamnées à « bricoler » au quotidien, la mise en avant de la fantasy ne s’en porterait sans doute que mieux. Mais pourquoi accorder des moyens supplémentaires, qu’ils soient humains ou financiers, à des collections qui font rarement parler d’elles pour leurs succès en librairies ? On en revient toujours à la même problématique. Cela dit, ce n’est pas parce qu’une catégorie a le vent en poupe que les éditeurs n’essaient pas de s’assurer un maximum de pub avec un minimum d’investissement : prenez cette initiative. Franchement, comment être dupe de la volonté de l’éditeur de profiter de la passion de celles et ceux qui se porteraient volontaires ? Tout en affirmant mettre en avant leur travail, ce sont bien au final les ouvrages de l’éditeur qui en tirent le plus gros bénéfice. Bien sûr, l’astuce n’est pas propre à la fantasy, mais les littératures de l’imaginaire sont sûrement parmi les mieux représentées sur la toile, avec des centaines de blogs, se renvoyant souvent la balle et entretenant donc une véritable communauté. On ne peut guère reprocher aux éditeurs de chercher à flatter un tel ou un tel – y compris nous – ne serait-ce que pour obtenir un concours à telle date plutôt qu’une autre, pour mieux coïncider avec telle ou telle sortie.
Dans le même ordre d’idée, certains éditeurs, comme Bragelonne, ont très tôt voulu fédérer justement une communauté autour de leur marque. Forum, blog, club… De quoi donner l’impression d’être proches de ses lecteurs. Et les rallier à sa cause en cas de besoin. On se montre généralement davantage compréhensif à l’égard de quelqu’un qu’on connaît bien qu’envers un « géant » qui vous annoncerait de but en blanc que votre série préférée s’arrête du jour au lendemain. Surtout si vous avez été « biberonnés » aux parutions en question et que pour vous fantasy = Bragelonne. Maisons elles aussi indépendantes et donc libérées de l'effet d'inertie des grands groupes (Ah, Brazil...) où la moindre décision semble parfois dépendre de dix personnes différentes, les éditions l’Atalante ou bien Mnémos ont nettement renforcé depuis quelques mois leur présence sur le réseau Twitter, dans cette logique de proximité avec les lecteurs, acheteurs potentiels. Pour conclure sur cette question de structure, les grands groupes offrent tout de même une certaine sécurité à leurs collections alors que les indépendants sont évidemment davantage soumis aux avis de tempête du marché. Ce qui n'a pas empêché Pygmalion, qui relève de Flammarion, d'être pour ainsi dire placé en hibernation.

Toutefois, le but de ce billet n’est pas de pointer du doigt la publicité en elle-même. Une fois encore, nous n’allons pas nous plaindre de voir la fantasy profiter de temps à autre d’une vraie visibilité, surtout quand le livre souffre. Mais la tâche n’est pas aisée. Entre des parutions comme passées sous silence ou le déluge, il y a sans doute une voie médiane à emprunter, une voie qui pourrait profiter au plus grand nombre. Cependant, la fantasy doit également composer avec sa propre image, qui lui joue souvent bien des tours. Fragilisé, le secteur peine à se renouveler et les éditeurs doivent lutter contre des clichés qui, ironiquement, sont parfois savamment entretenus par les mêmes intervenants.
Avec le succès de Game of Thrones et l'arrivée prochaine de Bilbo le Hobbit sur grand écran, la fantasy va peut-être connaître une nouvelle embellie en librairie. Peut-être. Espérons alors que sa mise en avant se fera de façon un peu plus ciblée et sache trouver un juste milieu. Tout en ayant bien conscience de notre côté que le genre a besoin de têtes d'affiche et qu'il est utopique d'imaginer un jour un Gene Wolfe avoir droit à la même couverture qu'un Christopher Paolini... Malheureusement !


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