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Le poids des notes, le poids des mots

Par Gillossen, le jeudi 19 janvier 2012 à 18:34:52

NotesParmi les éléments qui caractérisent Elbakin.net, difficile de faire l'impasse sur les chroniques de romans (ou de bandes dessinées et autres).
Depuis toujours, dès la création du site en septembre 2000, ces chroniques ont fait partie intégrante de notre projet. Et si nous avons choisi d'emblée une notation sur 10, l'important n'est bien sûr pas la note proprement dite, mais le texte qui l'accompagne.
La note n'est qu'une indication globale, une sorte de repère. Mais allons un peu plus loin...

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Une affaire de posture

Si nous évitons tout bonnement de chroniquer certains ouvrages par manque d'intérêt ou de temps en sachant qu'il y a de toute manière peu de chances qu'ils nous plaisent, nos critiques ont parfois entraîné des réactions enflammées, notamment sur notre forum (ou d'autres, par répercussion). Après tout, elles sont aussi là pour ça.
Récemment, après plus de dix ans de bons et loyaux services à l'égard de la fantasy, il nous est apparu nécessaire de resserrer notre notation et donc de noter non pas plus durement mais parfois d'une façon qui soit plus en adéquation avec le texte de la chronique. Notamment du fait d'une augmentation globale de la production. Évidemment, pour ne pas entraîner de fossé illogique entre « l'avant » et « l'après », nous avons commencé à revoir certaines notes attribuées par le passé. Mais il faut souvent revoir cela au cas par cas, d'où un travail de longue haleine qui est encore loin d'être terminé. Bien sûr, certaines notes ne vont pas changer pour autant, car il ne s'agit pas d'une démarche mathématique – enlever un demi-point à toutes les notes par exemple – mais bien d'une réflexion au long cours en pesant une fois encore le pour et le contre quelques mois ou bien quelques années après la première lecture d'un roman ou d'un cycle.
Cela dit, inutile de préciser qu'un 8/10 ne se changera pas brusquement en 4.

Mais venons-en au cœur du sujet justement. Il y a quelques semaines, nous avons reçu, pour la première fois en onze ans, un courriel signé d'un éditeur se plaignant de l'une de nos chroniques et nous faisant part notamment de sa déception devant notre manque de « clairvoyance » et de « soutien » à l'égard de l'un de ses titres. Un courriel proposant également que l'on discute de notre chronique de vive voix... Un cas de figure tellement nouveau qu'il faut bien avouer que j'en suis resté tout simplement estomaqué, peut-être naïvement.
Et puis, pensez-vous, une seule « réclamation » en 11 ans (de ce type en tout cas, car il est déjà arrivé que l'on nous fasse remarquer de vive voix que l'on n'avait pas été très gentil)... Il y aurait presque de quoi se sentir vexés ! Ne sommes-nous pas capables de nous attirer plus souvent les foudres des éditeurs ?
Après tout, une fois votre roman en librairie, à la portée de tous, il faut bien partir du principe qu'il ne plaira pas à tout le monde. Si quelqu'un doit le savoir, c'est bien l'éditeur. C'est le jeu. Que les éditeurs nous contactent, libre à eux. Nous n'avons rien contre la discussion, les échanges, tant que la conversation en question ne se transforme pas en dialogue de sourds. Mais si une maison d'édition espère pouvoir nous faire revenir sur une chronique négative mais argumentée sous prétexte qu'elle ne partage – évidemment – pas son verdict, autant en profiter pour le rappeler ici, c'est peine perdue.
Car si nous ne prétendons pas détenir la vérité absolue, nous revendiquons en tout cas le droit d'affirmer nos positions. Et nous appelons les éditeurs, quels qu'ils soient d'ailleurs, à ne pas s'arrêter à la seule note, eux non plus. Car une chronique négative ne signifie pas forcément que les lecteurs hésitants ne se laisseront pas tenter, en la commentant simplement par exemple d'un « bon, merci, je passe mon tour ». C'est parfois tout le contraire, pour peu justement que le chroniqueur ait su faire passer ce qui ne lui avait pas plu sans tomber dans la caricature ou la dérision.

Mais les éditeurs auraient-ils perdu l'habitude des chroniques négatives, sortis par exemple d'un Bifrost réputé pour son mordant ? Depuis quelques années, la multiplication des blogs et l'essor fulgurant des réseaux sociaux a changé la donne (dans bien des domaines hors littéraire et fantasy, bien entendu). Le moindre roman, et même les parutions à très petit tirage voire à compte d'auteur, peut désormais avoir droit à une dizaine de chroniques sur la toile. De même, quel éditeur n'a pas aujourd'hui son blog ou sa page facebook dédiée ? Et il faut bien alimenter tout cela en contenu, faire vivre sa page. Et quoi de mieux dans ce cas que des chroniques ? Des chroniques que l'éditeur espère positives. Et, pourquoi le nier, car nous sommes passés par là, découvrir son nom, ou plutôt celui de son blog ou de son site cité sur un site d'éditeur, de même que parfois au dos d'un roman, cela fait toujours plaisir. Cela donne l'impression de voir son travail et sa passion reconnus au grand jour. De ne pas être perdu dans la masse, perpétuellement anonyme. Alors, de là à se laisser tenter, à se montrer un peu plus gentil que de coutume dans le but d'être mis en avant par l'éditeur... Là encore, c'est un jeu, mais peut-être surtout un cercle vicieux, une pression artificielle ou pas entretenue par les éditeurs, consciemment ou non.
Mais au-delà du comportement des éditeurs, c'est bien internet qui a brisé certains codes établis. Auparavant, les envois de SP, les invitations à des soirées de promo, etc, se faisaient pour l'essentiel entre professionnels, éditeurs et critiques de presse par exemple. Désormais, « monsieur tout-le-monde » peut avoir un pied dans le bel univers de la prescription. Conséquence, les professionnels doivent traiter avec un microcosme amateur – par définition – et le rapport de force n'est pas le même que de pro à pro. La légitimité se construit, en partie avec le temps, nous avons pu le constater au fil des ans. Comment aurions-nous réagi si nous avions reçu le courriel à l'origine de cet article trois mois après le lancement du site, quand nous étions encore très loin de connaître les us et coutumes de ce milieu  ? Aurions-nous considéré ce service presse comme un « cadeau », impliquant que l'on ne morde pas la main qui nous avait nourri de lectures ? Certes non, mais à chacun sa personnalité et son mode de fonctionnement.
Toujours est-il que ce cercle vicieux a sans doute ses limites pour les éditeurs eux-mêmes. Quand les chroniques relevées s'apparentent au final à un torrent de louanges, le lecteur n'est pas idiot et finit (du moins, espérons-le) par se méfier, en tout cas lorsqu'il est question de romans finalement moyens, pour ne pas dire parfois médiocres. C'est même sans doute dommage pour les éditeurs : certaines chroniques tièdes, mitigées, ignorées justement car ne tombant pas dans le dithyrambe, auraient sans doute de quoi déclencher de véritables discussions, peut-être plus abouties, plus franches. Sans pour autant que cela soit fatalement négatif pour l'éditeur, car chronique négative ne signifie évidemment pas chronique objective ou juste ! Et difficile de ne pas se lasser de quelqu'un qui serait au contraire perpétuellement dans le contre-pied et ne parlerait que de ses déceptions.
Quoi qu'il en soit, ce constat s'avère valable dans bien des domaines, quand le phénomène ne va pas plus loin encore, comme sur les affiches de cinéma ou les tests de jeux vidéo. Sortir une phrase de son contexte pour en faire un point fort du film à vendre alors que la critique proprement dite n'est pas des plus enthousiastes, voilà un grand classique !
Évidemment, le risque pour l'éditeur serait sans doute justement de s'impliquer ouvertement et de se changer en « fan » de son auteur. Car même si l'éditeur soutient forcément un roman qu'il a choisi de publier et de mettre en avant, et même si sa passion est sincère, le regard extérieur le considère fatalement comme n'ayant pas su accepter les règles du jeu. À juste titre d'ailleurs, du moins, c'est notre avis dans le cas présent où l'éditeur concerné prétendait ni plus ni moins nous expliquer en quoi nous nous étions trompés, pour ne pas dire qu'il nous qualifiait de pisse-froids.

Avec Elbakin.net, nous avons la chance d'être installés depuis longtemps maintenant (Ah, ces fameux 11 ans...) dans le paysage fantasy et de pouvoir passer outre ce phénomène. Si l'une de nos chroniques se retrouve mise en avant par un éditeur, tant mieux. Ne nous en cachons pas, c'est gagnant/gagnant. L'éditeur peut démontrer que son roman a été apprécié et nous bénéficions d'un coup de projecteur. Mais ne pas être cité parmi une pluie de chroniques positives dans le cas d'un carton de librairie, au hasard, L'Épée de Vérité, tant pis. Ou même tant mieux là encore. Nous pouvons nous en passer.
Toutefois, « casser » pour casser n'est pas notre but. Mais c'est notre liberté. Y compris dans le cas de L’Épée de Vérité pour rester un instant supplémentaire sur cet exemple. Si nos chroniques, mes chroniques (après tout, je suis le seul concerné dans le cas présent et je ne cherche pas à me cacher derrière l'entité Elbakin.net), ont souvent été féroces, je crois sincèrement avoir toujours justifié ce qui ne me plaisait pas dans les romans de Terry Goodkind, bien au-delà de la seule personnalité de l'auteur, qui après tout ne devrait pas entrer en compte.

Cela dit, L’Épée de Vérité constitue un exemple intéressant. Malgré notre « pilonnage », malgré des fans de la première heure reconnaissant eux-mêmes, du moins pour certains, que la qualité de la série allait en décroissant, malgré une série TV pas forcément flatteuse pour son image, la saga a toujours été un véritable carton, du premier au dernier tome. Car peu importe le manque de succès critique là encore de son pendant télévisé, peu importe que cette série TV ait été arrêtée au bout de deux saisons. Au final, elle aura malgré tout réussi à faire gagner quelques lecteurs de plus à Terry Goodkind. Quel poids peut bien avoir un site comme le nôtre au final ? Et si malgré notre longévité, malgré, si l'on peut dire, notre reconnaissance, malgré des milliers de visiteurs chaque jour arpentant nos pages, nous ne pouvons influencer les ventes d'un roman qu'à la marge, une marge infime, que dire sans doute d'un blog certes dynamique mais ne dépassant pas les 100 ou les 200 visites par jour ? Surtout quand, comme n'importe quel site ou blog, la fréquentation est aussi une affaire d'habitués, en partie.
On pourrait croire en lisant ces quelques lignes que nous cherchons à minimiser notre « influence » voire que nous nous tirons une balle dans le pied. Mais il s'agirait plutôt de rappeler que la toile entraîne souvent un effet de loupe qui ne se traduit pas, ou très rarement, en ventes brutes. Le bouche-à-oreille existe, mais de là à porter un roman au-delà d'un succès d'estime, toujours appréciable, certes... Si c'était le cas, le marketing et les opérations promotionnelles pourraient être remisée au placard, au grand dam de certains. Et cela n'empêche de toute façon pas telle enseigne de grand magasin d'inviter des blogueurs et des sites par dizaines pour l'inauguration de son espace dédié à la SFF ! Mais pour quels retours, en dehors du cercle des passionnés ?
Et pourtant, à en croire cet éditeur, nous sommes un site « qui compte ». Dès lors, avons-nous un devoir ? Devrait-on soutenir un roman par principe, par rapport à son originalité, voire la nationalité de son auteur ? Mais le marché lui-même ne fonctionne pas ainsi. Les romans français se retrouvent par exemple soumis à la concurrence des titres étrangers, par la force des choses. Voir arriver de nouveaux auteurs français (ou francophones), dotés d'une véritable voix, porteur d'une ambition assumée, nous ne demandons que ça. Qui ne le souhaiterait pas ? Mais nous estimons que les bons livres passent avant tout, avant le contexte, avant les enjeux mercantiles, avant une quelconque volonté de protéger qui que ce soit.
Ce qui bien sûr ne nous empêche pas de reconnaître les mérites de chacun.


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