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Procrastination #S01E12 : structurels ou scripturaux
Par Sylvadoc, le 1 mars 2017 à 12:41
Le 1er et le 15 de chaque mois, Lionel Davoust, Mélanie Fazi et Laurent Genefort discutent de techniques d’écriture et de narration, partagent leur expérience, et s’aventurent aussi, à l’occasion, dans les domaines de l’édition et du marché du livre. Bienvenue dans la saison 1 de Procrastination : « En quinze minutes, parce que vous avez autre chose à faire, et qu’on n’a pas la science infuse. »
Auteurs structurels ou scripturaux : c’est peut-être la première et la plus fondamentale grille de lecture pour réfléchir à sa propre manière de créer. Dans cet épisode de Procrastination, Mélanie Fazi, Laurent Genefort et Lionel Davoust explorent cette définition, son utilité et ses limites, et en quoi cela peut être instructif pour un écrivain de se placer sur ce qui n’est, en définitive, qu’un spectre entre deux extrémités.
Vous pouvez écouter tout cela directement ci-dessous. Le podcast est aussi disponible sur iTunes et sur Youtube.
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Vous écoutez « Procrastination », Épisode 12 : Structurels et scripturaux
Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire.
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.
Lionel Davoust – Cette différence entre Structurels et scripturaux, c’est quelque chose qu’on a très vaguement abordé ou mentionné en tout cas dans les épisodes précédents et on s’est que comme c’est un notion, peut-être pas fondamentale, mais au moins très utile, pour commencer à cerner le type d’auteur qu’on est et donc son mode de travail, on s’est dit que ça pouvait être intéressant d’écarter cette notion une bonne fois pour toute et de la définir et donc de dire dans quinze ans certainement « rappelez-vous, et si vous ne connaissez pas cette notion reportez-vous à la saison numéro un, épisode douze ». Scripturaux et structuraux, il y a également un peu architecte et jardinier, Laurent tu te proposais pour définir très rapidement ces deux notions et cette distinction.
Laurent Gennefort – Oui, en une seule phrase : un structural ou architecte construit le roman avant de l’écrire, alors qu’un scriptural ou jardinier laisse à l’écriture le soin de définir la structure.
LD – Mélanie, ça te va ?
Mélanie Fazi – Je pense que c’est ça. Après je suis toujours un peu perplexe face à ces définitions, j’ai jamais compris strictement si ça se limite à ça ou si on a la question… moi j’ai souvent beaucoup entendu la question de… on va dire de feeling d’un côté et réflexion de l’autre, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Je ne sais pas quelle est la définition au sens le plus strict, mais je pense que ça convient oui.
LG – L’idée en fait, c’est de travailler le plan. Pour un structural, ça va être de travailler le plan. Et en fait « travailler le plan », ça veut dire considérer son histoire, son récit comme un objet déconnecté du rêve initial, c’est un peu ça l’idée. C’est que quand on travaille le plan, l’histoire devient un objet extérieur à soi et donc on va le traiter comme quelque chose, comme une structure totalement artificielle. Alors qu’un, à mon avis hein, un scriptural lui, il va s’immerger dans la fiction et donc le récit du coup va être plus tributaire de l’inspiration, parce qu’il va vivre l’aventure en même temps qu’il la développe.
MF – Et c’est là-dessus qu’effectivement tu viens de pointer le problème que j’ai avec cette définition. On a déjà exposé nos propres rapports à l’écriture et le problème, c’est que très personnellement je ne me reconnais pas là-dedans parce que je suis quelqu’un qui doit absolument tout savoir à l’avance, je ne peux pas écrire si je ne sais pas où je vais. Par contre, je pense que les épisodes précédents l’ont beaucoup démontré, je suis quelqu’un qui ne contrôle rien, qui ne réfléchit pas. Donc pour moi, il y a un peu contradiction entre les termes. Et d’avoir discuté avec d’autres auteurs, justement c’est pas parce qu’on prépare tout à l’avance qu’on est nécessairement quelqu’un de très réfléchi, très posé, qui met tout à distance ou inversement.
LG – Comme Lionel me l’avait dit et nous l’a préparé, personne n’est 100% l’un ou l’autre. Et donc voilà, ce qu’il faut essayer c’est de déterminer à quel pourcentage on l’est. Enfin, c’est de la curiosité parce que ça n’impacte pas vraiment sur la méthode, je pense. Mais il vaut toujours mieux savoir ce qu’on est. Tout simplement.
LD – Oui, c’est un continuum, c'est-à-dire, on parle un peu de dichotomie, mais on n’est jamais 100% l’un ou 100% l’autre, à la fois en fonction de la tâche, que ce soit pour la rédaction ou pour la création, le rêve initial comme tu disais tout à l’heure, ou à un moment donné aussi de son expérience de l’écriture. Au-delà… pour citer la référence, je ne sais pas si ça vient de lui originellement, mais la première fois que j’ai vu le terme en français, scriptural et structural, c’est dans l’essai de Francis Bertelot Du rêve au roman, un bouquin qui est très intéressant aux Presses Universitaires de je ne sais plus où, mais je le trouverais et on le mettra dans les notes de l’épisode. Au-delà, forcément bien sûr, de l’intérêt intellectuel de la typologie des auteurs, pour un auteur c’est très intéressant d’essayer de cerner à quel endroit du spectre, parce que c’est un spectre, on se place, tout simplement pour faciliter la création et travailler d’une manière qui convient à la personne. La bonne manière de travailler, c’est celle qui permet d’avoir un bouquin au bout du compte. Il y a effectivement pas de bonne manière et je pense qu’on peut même aller plus loin. La manière de travailler ne préjuge absolument de la qualité du résultat final et ne préjuge absolument pas du type de récit qu’on écrit. Je ne sais pas s’il y a une véracité là dedans, mais la légende de ce que j’ai entendu dire, c’est qu’Agatha Christie était scripturale, alors que c’est du polar très structuré, et que il parait, alors la légende peut-être elle est fausse, mais en tout cas elle est belle, c’est que elle écrivait et au moment du roman, elle se disait : « ah tiens oui, c’est lui le coupable ».
MF – J’ai eu une série de discussions récemment qui m’ont fait prendre conscience qu’en réalité, même si ça peut paraitre deux méthodes très opposées, on passe par un certain nombre de phases communes, qui vont être traitées on va dire en amont ou en aval, et que notamment… je parlais avec quelqu’un qui était plutôt du côté des scripturaux, qui découvre qu’il défriche au fur et à mesure et qui, arrivé à la fin du roman, comprend les thèmes qui s’en détachent et qui du coup reprend la matière et la retravaille pour… un peu de la même manière de ce que tu dis sur Agatha Christie, en fait : « D’accord, je sais où je vais, maintenant, je prends toute cette matière… » Qui pour les structuraux est plutôt quelque chose qui va se faire dans la réflexion en amont. Et du coup, ça ne me parait pas absurde ce que tu dis sur Agatha Christie. Je suppose que derrière elle revient et elle remanie tout pour que tout soit cohérent.
LG – Il y a le résultat, clairement, qui peut se voir (?) alors même si, par exemple, dans les scripturaux on a des auteurs populaires comme J. J. Arnaud ou Julia Verlanger qui écrivaient vraiment au fil de la plume et ça se ressent dans la fiction dans la mesure où on est quand même dans l’instantanéité de l’action et la fenêtre de connaissance, elle est très restreinte, donc on a une structure faible, on va dire, mais ce n’est pas grave parce qu’on est dans le flot narratif. Donc ça peut quand même impacter, mine de rien. Après c’est par exemple dans la… on peut imaginer que dans le thriller, la structure est importante, donc on peut imaginer qu’il pourrait y avoir plus de structuraux dans le thriller par exemple. Et c’est pas forcément… ça dépend des gens aussi. Je pense que c’est aussi un rapport à la fiction, d’une certaine manière. Par exemple, écrire au fil de la plume, pour un scriptural, c’est vivre l’aventure en même temps, donc c’est un moteur, en fait, c’est un vrai moteur de l’écriture. En revanche, écrire au fil de la plume pour un structural, ça a quelque chose d’angoissant.
LD – Totalement.
MF – Oui.
LG – On a l’impression d’avancer sur des sables mouvants ou dans une jungle qui peut aboutir à un marigot, c'est-à-dire à une impasse, donc je comprends tout à fait pour un structural l’angoisse d’avoir l’impression de partir sans biscuits. MF – Ça peut même bloquer en fait, oui, tout à fait, totalement.
LG – Alors que travailler le plan, avant de… pour un structural, c’est poser des fondations, donc ça a un sens. À l’inverse, pour un scriptural, travailler le plan, ça va être un peu comme aller à l’usine. Et d’ailleurs, les vrais scripturaux, ils ont du mal avec les ateliers d’écriture, parce qu’on leur impose des choses. Pour eux, c’est une démarche qui doit se construire, en même temps que se fait l’objet. Donc c’est pour ça qu’il n’y a pas de vérité d’écriture dans aucun des deux ou les deux sont bons. Le tout c’est de trouver sa propre voie en fait.
MF – Et j’entends certains scripturaux dire des fois… attendez… oui, scripturaux (je me plante à chaque fois) dire qu’en fait ils ne comprennent pas cette histoire de plan. Parce que… en gros pourquoi… « si je sais où je vais, si je connais la fin je vais m’ennuyer, j’ai besoin de la découvrir ».
LD – Exactement, ouais.
MF – J’entends beaucoup dire ça : « je vais m’ennuyer si je sais où je vais ».
LG – C’est pour ça d’ailleurs que, pour moi, plutôt que jardinier, pour parler des scripturaux, moi j’ai plutôt tendance à parler de randonneurs. C'est-à-dire que voilà, il va faire le chemin, il découvre en même temps, ce qui veut pas dire qu’il va n’importe où. Un randonneur, c’est pas un vagabond. Il va pas à droite à gauche sans savoir. Il sait souvent où il va, il sait pas forcément par quel chemin il va passer, mais ça veut pas dire qu’il n’a pas les coordonnées GPS de son objectif.
MF – Je garde vraiment un gros problème avec cette distinction dans ce qu’elle sous entend de travail de réflexion de préparation du plan, parce que, comme je disais, c’est mon cas et c’est celui de beaucoup d’autres auteurs, ça peut être une phase qui est en réalité totalement spontanée et incontrôlée. Avoir besoin de savoir où on va ne veut pas dire que je me pose et je mets tout à plat, je décortique. Et c’est souvent ce que j’entends sous-entendu dans cette définition et c’est ce qui me gêne.
LD – Non, absolument pas. Alors juste dire vite fait, histoire d’avoir la référence pour la suite, on peut dire chacun où on se placerait sur le spectre, bon Mélanie tu l’as dit un peu, mais… tu es une structurale contrariée.
(Rires)
MF – Oui, je pense que c’est ça : structurale contrariée.
LG – Moi je dirais que je suis à 75% scriptural, c'est-à-dire randonneur, parce que fondamentalement, je vis l’aventure en même temps que je l’élabore. Et même si j’ai des étapes dans mon histoire que je sais à l’avance, je me ménage toujours des périodes de pure improvisation, parce que sinon ce serait un peu ennuyeux.
LD – C’est marrant, parce que moi, je suis l’inverse exact. Je suis probablement 75% structural, mais j’essaye au contraire de me ménager de plus en plus d’espace d’improvisation, de liberté, etc. ce qui est effectivement absolument terrifiant, mais ce qui, je pense, est intéressant et bon. On en a parlé dans les épisodes précédents, mais de toute façon, il faut pas s’inquiéter parce que l’inconscient, en général, trouve toujours une réponse.
MF – J’avais juste quelque chose qui me venait en fait de dire que même si tout est préparé, tout est fixé à priori, je sais pas si c’est le cas aussi pour toi du coup étant dans ce cas de figure, j’ai souvent l’impression qu’il y a beaucoup de choses qui changent au moment où on transforme en écriture proprement dite et pour moi c’est notamment un angle de caméra qui s’approche, donc c’est jamais strictement identique à ce que j’avais en tête et je découvre en fait, je découvre énormément de détails en cours de route.
LD – Complètement. Et ça revient totalement à ce tu disais sur la randonnée, c'est-à-dire que tu as beau avoir préparé tes cartes, préparé tes structures, etc. moi je sens… c’est marrant parce que… alors sans se consulter, sans en avoir parlé avant, vient le moment où je sais qu’il faut faire le chemin avec les personnages, il faut se mettre à l’écriture, même si c’est terrifiant parce qu’on a l’impression qu’on ne maitrise pas forcément tout et qu’à un moment il va se passer des trucs qu’on n’a pas forcément prévus, ça fait partie du plaisir aussi, et en général – ça me fait penser à la citation : « aucun plan de bataille ne survit à sa rencontre avec l’ennemi » – on a besoin de faire le chemin avec les personnages pour découvrir véritablement ce qui va se passer et ça va souvent être… voilà, il faut être ouvert à ses chemins de traverse qui vont s’ouvrir et qui vont rien avoir avec le plan, mais c’est pas grave, c’est normal. Je pense de plus en plus, et j’ai l’impression que finalement le plan est là pour être un filet de sureté ou pour être sûr d’avoir suffisamment malaxé la matière. Une fois que c’est fait, on peut en dévier parce que c’est là que vont venir les choses intéressantes qui vont être servies par le fait de faire le chemin.
LG – Dans la vision scripturale, l’histoire est plus un phénomène émergeant. Donc on va avoir des éléments qui vont se mettre en place, qui vont interagir les uns avec les autres et qui vont faire l’histoire, au final. Et cette façon de le découvrir et d’organiser, presque d’auto-organiser ça, ça fait aussi partie du plaisir d’écrire. C’est pas seulement, justement, une simple façon… enfin, le plaisir ne vient pas que de l’écriture elle-même, mais de ce sentiment que ça se met en place, et qu’on va piocher dans le… c’est comme de faire un puzzle, on pioche au fur et à mesure, mais on sait pas en fait ce qu’on va piocher.
LD – C’est marrant, parce que le… je pense que pour un structurel l’image du puzzle est valable aussi, mais comme on le disait tout à l’heure, c’est un travail qui se fait à priori. Alors mauvaise nouvelle, hein, qu’on soit scriptural ou structurel, c’est la même quantité de travail. Mais dans le cadre d’un structurel, ce travail-là se fait à priori et dans le cadre d’un scriptural, il se fait à postériori ou en cours, en cours d’écriture. Comment vous avez trouvé si vous étiez l’un ou l’autre ou est-ce que vous avez des astuces pour aider éventuellement à déterminer où est-ce qu’on se trouve sur le spectre ?
LG – Alors moi je sais pas si j’avais déjà donné ma méthode, mais moi c’est vraiment une sorte de méthode scripturale au sens où j’accumule des notes et je fais des sortes de liens, comme des liens hypertexte, entre mes notes, chaque note est numérotée. Et au bout d’un moment, au bout d’un certain nombre de renvois, un peu comme des liens hypertexte, sauf que c’est sur des carnets, l’histoire elle va émerger de ce réseau de notes, de ce réseau de renvois plus exactement. Et c’est pour ça que je dis que c’est une sorte de phénomène émergeant, c’est que je vois en fait l’histoire émerger d’elle-même de ce réseau. Alors ça impose, et c’est peut-être là la difficulté, il y en a qui sont, dans les structuraux, il y a aussi des personnes qui ont une pensée plus linéaire. Le fait d’être scriptural, ça oblige d’avoir toute cette masse d’informations un peu flottante et qui fait que ça oblige d’avoir une vision holistique tout le temps, à tous les moments de la rédaction du roman, et qui peut ralentir un certain nombre d’auteurs. Donc moi j’aime bien les grandes structures comme ça, mouvantes, je peux retirer des choses, etc. de façon dynamique, qu’on n’a pas dans le cas structural parce que le plan il est fait, donc à partir du moment où on se fixe à un moment, c’est une façon de fixer l’histoire, effectivement, en amont.
LD – Alors c’est très rigolo, parce que je fais exactement la même chose que toi, sur le mode informatique, mais justement j’établis des plans et des structures et des fiches pour justement structurer ce chaos monstrueux qui me terrifie. Et sans structure j’arrive pas justement à attaquer. Sur la façon de déterminer (il va falloir qu’on boucle) mais moi j’ai trouvé, alors comme tu le mentionnais tout à l’heure, Mélanie, pour moi, il y a une première brique qui me parait intéressante pour se dire « de quel côté du spectre je me trouve », c’est justement comme tu disais tout à l’heure : savoir la fin ou pas. Un structural, probablement, a du mal à écrire s’il n’a pas la fin et un scriptural justement a du mal à écrire s’il la connait parce qu’il se dit « bah à quoi bon, ce n’est plus rigolo si je sais où je vais ». Pour boucler, si vous avez… c’est peut-être un sujet sur lequel il faudra revenir, parce qu’il y a beaucoup de choses encore qu’on pourrait dire. Petite citation pour boucler ? MF – Oui, une citation de Giorgio Agamben qui nous dit : « Écrire serait si triste si on ne déviait jamais de son plan ».
Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivi, maintenant assez procrastiné, allez écrire, quelle que soit la méthode.
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