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Interview de Daniel Lauzon pour le Seigneur des Anneaux

Par Foradan, le mardi 30 septembre 2014 à 15:24:59

FraternitéA l'occasion de la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux, une première depuis 1972, il était plus que tentant de faire parler celui qui a eu cette tâche en mains (et ce n'est pas fini), devant les attentes de millions de lecteurs avides. Un complément à ces réponses vous attendra jeudi avec Vincent Ferré, superviseur de la collection Tolkien et fin connaisseur.

Interview de Daniel Lauzon à l’occasion de la sortie de ''la Fraternité de l’Anneau'', premier volume de la nouvelle traduction du ''Seigneur des Anneaux.

Questions réunies par Juliette Amadis, Alexandre Le Roux, Vivien Stocker et Dominique Vigot pour les sites Elbakin.net, Tolkiendil et Tolkiendrim.

Première question qui nous brûle les lèvres : la traduction est-elle déjà terminée intégralement ?
DL : Quand l’éditeur Bourgois a décidé qu’une nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux était à l’ordre du jour – c’était à l’été 2013, si ma mémoire est bonne –, j’ai été consulté sur la forme que devait prendre cette réédition : un volume ou bien trois. C’est ce second choix qui a été retenu, et nous avons décidé que les volumes seraient publiés au fur et à mesure qu’ils seraient traduits. Par conséquent, à la sortie du premier tome, je suis en train de traduire le deuxième. Mais travailler sur le début impose de travailler sur l’ensemble, et j’ai abordé chacune des questions, autant que faire se peut, en considérant la totalité de l’œuvre.

L’arrivée de la nouvelle traduction du Hobbit avait divisé les anciens lecteurs. Comment l’avez-vous vécu ? Qu’en avez-vous retenu ? Cela a-t-il influencé la traduction du Seigneur des Anneaux ? Et comment vous préparez-vous à l’accueil qui va arriver ?
DL : Je savais d’avance, ayant moi-même découvert Tolkien en français il y a plusieurs années, que si quelque chose devait être matière à discussion, ce serait la question des noms. Je suppose que c’est surtout à cela que vous faites référence. Ce qui est difficile, évidemment, avec un lectorat aussi passionné, c’est que les opinions sont très tranchées : vous avez beau avoir réfléchi, pesé le pour et le contre, et agi au meilleur de vos connaissances, dans un respect total de l’œuvre ; si vous vous opposez au goût général, même sur un point de détail, si les habitudes sont contre vous, vous n’aurez droit à aucune pitié ! Mais en général, le sentiment que j’ai en lisant les commentaires un peu partout, c’est que la plupart des lecteurs ont apprécié mon travail ; et que les plus attentifs ont pu se rendre compte de ce que je voulais faire : non pas rendre un texte sur la base de ce qui a déjà été fait, mais sur de nouvelles bases, en partant de la source. Dans Le Hobbit, on a dit que mon texte avait un certain allant ; on a dit aussi, en mauvaise part peut-être, qu’il était parfois « léger ». Mais ça, pour moi, c’est le texte de 1937, c’est Tolkien, ce n’est pas le traducteur. Alors j’ai peut-être gagné mon pari.

Dès les années 2000, on a entendu parler d’un projet de révision du Seigneur des Anneaux mais c’est finalement une retraduction complète qui a eu lieu. Cela s’est passé comme pour Le Hobbit ?
DL : C’est-à-dire qu’après avoir retraduit Le Hobbit, il était beaucoup plus logique de faire la même chose avec Le Seigneur des Anneaux, afin que les deux livres soient enfin harmonisés. De ce point de vue, une révision n’aurait été satisfaisante pour personne. Le projet de « révision », au début des années 2000, s’est arrêté à une liste partielle de « coquilles » ; mais si j’essaie d’imaginer ce que cela aurait donné en fin de compte, je peux vous dire que nous avons ici quelque chose d’assez différent, avec la nouvelle traduction. Une révision ne va jamais aussi loin.

Vous êtes-vous basé sur d’autres sources que le texte de Tolkien et ses indications laissées aux traducteurs (Reader’s Companion qui équivaut au Hobbit annoté pour le SdA) ? La traduction se base-t-elle sur l’édition revue et corrigée du 50th (ou du 60th s’il y a quelque différence entre les deux) ?
DL : Attendez, voyons voir ce qu’il y a sur ma table… Il y a le Reader’s Companion de Hammond et Scull, un ensemble d’annotations que je parcours systématiquement pour voir s’il y a, parmi les points abordés, des choses qui pourraient jouer sur ma traduction. Ce livre contient aussi le Guide to the Names préparé par Tolkien à l’intention des traducteurs, et rebaptisé Nomenclature of the Lord of the Rings. Ensuite, je consulte les volumes pertinents de la série Histoire de la Terre du Milieu, au besoin, car il y a beaucoup de matière ; et je me réfère à certaines encyclopédies en ligne en lesquelles j’ai confiance, pour des points de détail, ce qui me permet de trouver rapidement ce que je cherche. S’est-il écoulé cinq, dix ou quinze mois entre tel et tel événement ? Quelle est l’étymologie exacte de tel nom ? Et ainsi de suite. Les réponses à ces questions influencent mes choix, et j’y perds un temps précieux ! Mais vous pouvez imaginer à quel point c’est agréable.
J’ai travaillé avec le texte de l’édition du 50e, celle du 60e n’étant pas encore disponible. Mais après avoir posé la question aux principaux artisans de l’édition du cinquantenaire, Wayne G. Hammond et Christina Scull, je pense que les différences entre les deux éditions se limitent à quelques corrections de coquilles, déjà répertoriées dans des listes en ligne qui me sont accessibles – sans oublier, bien sûr, les nouvelles reproductions des illustrations d’Alan Lee qui accompagnent la nouvelle traduction. Elle prend en compte toutes les modifications apportées dans l’édition du cinquantenaire, qui pour leur part étaient considérables.

Ce volume 1 fait la part belle aux toponymes ainsi qu’aux noms de famille hobbits. Une grande partie a notamment fait l’objet de commentaires rédigés par Tolkien à l’attention des traducteurs. Pouvez-vous nous expliquer la manière dont vous avez travaillé avec ses directives, avec un exemple ?
DL : D’abord, une partie de ces noms avaient déjà été examinés lors du projet de révision, et quelques idées, qu’elles aient été de moi ou de mes collaborateurs (Vincent Ferré et David Riggs) ont pu être intégrées. C’est le cas de Belpied / Beauxpieds, pour traduire Proudfoot / Proudfeet, où une traduction plus littérale (Fierpied) ne ferait entendre aucune différence : la trouvaille est de Vincent, même si douze ans plus tard, il ne s’en souvenait plus. Dans l’ensemble, j’ai pu suivre les indications de Tolkien dans le détail. Le nom Bamfurlong, par exemple, qui est le nom de la terre de Magotte, comporte deux éléments : bam de l’anglais bean « fève, haricot » et furlong, mesure agraire qui se décompose en deux termes, furrow + long, « long sillon ». C’est, si on veut, le « long sillon de fèves », et Bamfurlong est attesté en Angleterre : il faut donc trouver un équivalent approximatif dans la toponymie française. Il y a en France quantité de lieux-dits qui font spécifiquement référence à un champ de fèves : c’est le cas de Faverolle, que j’ai choisi d’utiliser. On aurait pu en choisir un autre. Parfois, j’adopte une approche un peu plus oblique. Dans le tout premier chapitre, on fait connaissance avec un vieux hobbit appelé en anglais Old Noakes ; ce patronyme, qui existe également en Angleterre, est topographique : il nous dit que le premier à l’avoir porté vivait « by the oak », près du chêne. Le français ne manque pas de patronymes dérivés de noms d’arbres : Chassagne en est un, par exemple, qui désigne un bois de chênes ; mais dans ce cas-ci, j’ai voulu me rapprocher de la sonorité de l’anglais Noakes, et j’ai opté pour Nouguier, qui se rapporte non pas au chêne mais au noyer. Parmi les centaines de noms qui apparaissent dans le premier tome, j’ai retenu quelques suggestions faites par Damien Bador, que je trouvais particulièrement adaptées, surtout dans le Quartier Est du Comté : c’est le cas de Rouchant pour Rushey, Estoc pour Stock, et Grandcroix pour Deephallow. Le « guide » laissé par Tolkien ne comportait aucune indication quant à ces noms, et pour certains, c’est la première fois qu’ils sont traduits (d’autres sources du corpus tolkienien ont pu mettre en lumière leur étymologie, ou des linguistes ont émis des hypothèses quant à leur origine probable).

Dans la traduction du Hobbit, « Mirkwood », devenu « Grand’Peur » continue de perturber les lecteurs. Dans l’interview de 2012 sur Tolkiendil, vous indiquiez que Mirkwood était particulièrement problématique à traduire. Avez-vous retenu un cas similaire dans le Seigneur des Anneaux ?
DL : Ce qui choque certains lecteurs avec Grand’Peur, c’est à mon avis la dissemblance apparente entre VO et VF : on ne reconnaît aucun élément commun entre les deux. C’était suffisant pour m’attirer la méfiance de plusieurs, dont quelques-uns ont lancé des accusations un peu surréalistes : quand je vous disais que les lecteurs de Tolkien sont des gens passionnés… Mais la seule raison pour laquelle Mirkwood est devenu Grand’Peur, c’est qu’il n’y a pas d’équivalent satisfaisant à Mirkwood à mon sens… si l’on persiste à vouloir ignorer le fait que, dans le Prologue et les Appendices, Tolkien nous apprend que la forêt de Vertbois-le-Grand s’est assombrie, si bien que les Elfes l’appelèrent Taur-e-Ndaedelos, la Forêt de la Grande Peur. En fait de trahison, on a vu pire : la mienne aura été de penser que le nom de Vertbois-le-Grand aurait pu devenir Grand’Peur par la force des choses ; avouons que ce n’est pas si improbable. Mais c’est aussi une question de goût, ça, je le reconnais. Je ne vois pas de cas équivalent dans la nouvelle traduction du Seigneur des Anneaux, car il n’y a pas un seul nom où je me suis dit : là, c’est trop dur, je renonce. Mais il faut tout de même faire des concessions, et savoir reconnaître que dans certains cas, la solution parfaite n’existe probablement pas. Tous mes choix ne plairont pas à tout le monde, c’est impossible ; mais en toute justice, reconnaissons que certaines préférences sont avant tout une question d’habitude, quand ce n’est pas de l’attachement pur et simple – ce qui est parfaitement normal au demeurant : là n’est pas la question. C’est donc pour moi une situation un peu ingrate, d’autant que je me fais toujours un point d’honneur de répondre aux lecteurs ; mais je suis convaincu que le temps pourra arranger les choses.

Y a-t-il des éléments traduits d’une certaine façon dans Le Hobbit sur lesquels vous êtes finalement revenu dans Le Seigneur des Anneaux ?
DL : Pas à ma connaissance, et je vous dirais : le moins possible. Maintenir la cohérence entre les deux ouvrages était (et demeure) pour moi très important.

Le titre du premier volume suscite déjà de nombreuses réactions. Pourquoi "fraternité" plutôt qu’un autre mot ? Qu’en est-il des deux tomes suivants, les titres seront-ils traduits différemment et, si oui, pouvez-vous d’ores et déjà nous les révéler ?
DL : Il n’y a pas d’équivalent exact au mot anglais fellowship, comme on peut le constater en ouvrant n’importe quel dictionnaire bilingue à la bonne page. Ironiquement, ce terme n’apparaît pas très souvent dans le premier tome, où il est plutôt question de « la Compagnie de l’Anneau », c’est-à-dire les Neuf Marcheurs. Mais la phrase-clé vient au début du chapitre II,10, qui contient le mot Fellowship dans son intitulé. Cette phrase, c’est celle où Aragorn demande : « What shall now become of our Company that has travelled so far in fellowship ? » – ce qui évoque un lien de fraternité et ne peut se traduire que d’une seule façon. Le terme « fraternité » possède donc les deux sens voulus : 1/ sentiment de solidarité et d’amitié, d’où l’expression « fraternité des armes », lien forgé entre compagnons d’armes ; et 2/ communauté ou groupement, laïc ou religieux. Il est préférable à communauté, confrérie, association, etc. Quant aux deux autres volumes… leur titres sont tout à fait transparents et ne peuvent se traduire que d’une seule manière, vous ne croyez pas ?

(édit Foradan : Que va-t-il advenir à présent de notre Compagnie, qui a voyagé si loin en collectivité ?/Qu’adviendra-t-il de notre Compagnie, elle qui a voyagé si loin dans la fraternité ?)

Quel a été le passage le plus agréable à traduire ? A l’inverse, lequel s’est avéré le plus complexe ?
DL : Oh ! il y en a tellement. Je pense que si Le Seigneur des Anneaux a laissé une marque indélébile chez tant de lecteurs, c’est en partie parce qu’il y a quantité de passages mémorables, et qu’ils sont très variés, en particulier dans cette première partie, qui hésite entre farce hobbite, récit d’aventures et épopée romanesque. Mais lors de cette lecture, longue et lente, qui me permet de découvrir Le Seigneur des Anneaux sous toutes ses coutures, j’ai ressenti une résonance émotionnelle particulière le soir où des Elfes ont été vus marchant à la Pointe-aux-Bois, cette sensibilité particulière à Tolkien qui disait avoir « exposé son cœur aux coups » ; j’ai senti comme jamais les frémissements du vieux saule et je suis tombé sous le charme de Baie-d’or ; j’ai entendu Tom Bombadil parler en chanson, comme pour la première fois. J’ai ri de la bonhomie de Bilbo, de sa malice finaude, et j’ai entendu un Homme du Gondor au verbe étrange et beau. J’ai vu Gandalf briller sur le pont, et j’ai marché, et je marche encore dans l’hiver de la Lórien. Le plus complexe ? Si vous avez déjà lu le premier tome du Seigneur des Anneaux, vous savez déjà que le deuxième chapitre du deuxième livre a de quoi effrayer le traducteur le plus chevronné.

De quel poème ou chanson êtes-vous le plus satisfait ?
DL : Le chant de Beren et Lúthien (chapitre I,11) et le chant d’Eärendel (chapitre II,1), ont été les plus difficiles à mettre en vers français, les deux en raison de leur forme très contraignante, et le second par sa longueur ; mais dans l’ensemble, je suis content du résultat obtenu, avec une mention spéciale, peut-être, pour la Chanson du bain et le Lai de Gil-galad, deux courtes poésies dont la traduction me paraît assez heureuse.

De quel nom propre êtes-vous le plus satisfait ? Et le moins ?
DL : Vous me demandez de choisir deux noms entre deux cents ! Je suis très content, par exemple, du surnom qu’a pris Aragorn, que je ne révélerai pas… Cela m’avait paru un cas difficile, mais en fin de compte, la solution ne pouvait pas mieux fonctionner. Et le moins réussi ? Le moins réussi, je l’ai laissé de côté, voyons.

Comment avez-vous rendu les différents niveaux de langue des protagonistes du roman ? Les Hobbits tutoieront-ils tout le monde, suivant les indications laissées par Tolkien dans les appendices ou une approche plus nuancée sera-t-elle adoptée, à l’instar de Francis Ledoux ?
DL : Non, les hobbits ne tutoient pas tout le monde. Faire ce choix aurait été s’arroger des prérogatives d’auteur, car il aurait fallu transformer les dialogues pour « faire passer » cette étrangeté, adoucir certaines tournures pour ne pas fausser l’interprétation, par exemple. Écrire des dialogues est un art subtil, et je me suis contenté d’essayer de les traduire comme ils sont écrits, c’est-à-dire d’en reproduire l’effet, en français (ce qui exclut, plus que partout ailleurs, ce qu’on appelle abusivement le « mot-à-mot »). Tolkien a bien écrit que les hobbits employaient une forme d’adresse familière dans leur langue d’origine ; mais il n’a jamais tenté de reproduire ce décalage par d’autres moyens – entre Frodo et Elrond, par exemple, ou même entre Frodo et Gandalf. Donc, il vaut mieux traiter cet élément d’information comme une simple donnée linguistique sur le parler des hobbits. Ce qui ne veut pas dire que la distinction, spécifiquement française, entre tutoiement et voussoiement n’est pas mise à profit dans les dialogues : il faut en effet choisir, et parfois les deux options peuvent sembler tout aussi valables, alors qu’à d’autres moments, on peut s’en servir pour donner un éclairage particulier. Il y a évidemment une distinction à faire entre le parler de Frodo, très posh British, et celui de Sam, résolument populaire, ou encore celui de Magotte, qui parle la vieille langue pure des campagnes. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire, mais la moindre des choses est d’en tenir compte, sans qu’il soit possible de tout reproduire. De même, Aragorn, Boromir, Elrond, Gandalf, n’emploient pas tous le même langage ; et pour ce qui est d’Aragorn, il a même plusieurs voix différentes. J’ai tenté de montrer ces différences, même si c’est un exercice très délicat.

Retrouvera-t-on le style léger du Hobbit (destiné à des enfants) dans les premiers chapitres de ce nouveau SdA, malgré le ton résolument plus adulte du roman ?
DL : Dans la mesure où celui-ci est présent dans la version originale anglaise du Seigneur des Anneaux, oui, je pense que vous y retrouverez un peu du Hobbit. Il y a une nuance, cependant, assez difficile à définir : le narrateur et son auditoire ont vieilli depuis la première aventure.

La traduction a-t-elle été testée sur des lecteurs comme ça a pu être le cas du Hobbit ? Et quelle a été leur réaction ?
DL : Vincent Ferré est le seul à l’avoir lue avant le tirage des épreuves ; il me livrait ses impressions chapitre par chapitre. Il avait l’air assez content de moi, mais aux autres lecteurs de juger ! Cela dit, il connaît son affaire…

En parlant de ces deux œuvres, aborde-t-on un livre aussi célèbre et majeur que le SdA de la même façon que Le Hobbit ? Quelle différence concrète y-a-t-il entre les deux ?
DL : Comme je le disais, Le Seigneur des Anneaux m’apparaît comme un livre beaucoup plus varié, d’une toute autre envergure : il évolue et se transforme au fur et à mesure, on sent l’élan, le souffle qui le porte. Mais dans la manière de l’aborder, c’est pour moi la même chose : il ne s’agit pas de produire une traduction consensuelle, qui n’étonnera personne – en nivelant les aspérités ou en évacuant certains détails plus difficiles à rendre, pour m’éviter des reproches, par exemple –, mais de faire le maximum pour restituer la saveur et la musique de l’original, en sachant quand faire preuve d’audace, mais aussi quand me faire discret ; en mettant la langue française et ses richesses au service du texte, au lieu de l’assujettir aux contraintes de la phrase anglaise. C’est un art que je ne prétends pas entièrement maîtriser, mais c’est dans cette optique que je travaille.

Vincent Ferré et Delphine Martin s’étaient déjà chargés de traduire, en 2001, les deux avant-propos du Seigneur des Anneaux, dans l’ouvrage de Vincent Ferré, Sur les Rivages de la Terre du Milieu. La Fraternité les contient-il tous les deux ? Si oui, les avez-vous retraduits eux aussi ou les avez-vous simplement révisés, comme ça a été le cas du texte de « L’Expédition d’Erebor », précédemment traduit par Tina Jolas et présent en appendice du Hobbit annoté ?
DL : C’est l’avant-propos à la seconde édition qui figure dans les éditions anglaises actuelles, et par conséquent, c’est celui-là qu’on trouve dans la nouvelle traduction. Comme Le Seigneur des Anneaux est une œuvre indépendante et entière, j’ai jugé qu’il valait mieux qu’elle soit traduite tout au long de la même main, contrairement à ce que j’avais fait pour « L’Expédition d’Erebor », qui figurait en annexe d’un autre livre.

Dans le Hobbit, une note sur la prononciation a été ajoutée. Sera-t-elle reproduite, voire augmentée ?
DL : Je pense que, pour Le Seigneur des Anneaux, il sera plus approprié d’adapter la note sur la prononciation des noms qui figure déjà dans l’Appendice E, en signalant au lecteur tout ajout de la main du traducteur, s’il y a lieu. Car la version anglaise, bien sûr, était uniquement conçue pour un lectorat anglophone.

La traduction conduit-elle à une carte complète (avec les termes ajoutés dans l’édition de 2004) par rapport à la première traduction ? Autant les cartes présentes dans Le Hobbit sont relativement peu précises, autant celle du Comté et plus largement celle de l’Eriador et au-delà sont riches (même si certains noms ne figurent pas dans le corps du roman, comme la rivière Norbourne). C’est aussi l’occasion de corriger des erreurs de toponymes (comme la rivière Adorn) ou des oublis (comme Pincup et Woodhall).
DL : La nouvelle traduction reproduit la version la plus récente des cartes, transmise à l’éditeur français par la maison HarperCollins. Les cartes ont été traduites à neuf par mes soins, et elles tiennent compte de tous les renseignements à ma disposition, cela va de soi – y compris certaines remarques de Christopher Tolkien dans L’Histoire de la Terre du Milieu.

Avez-vous adapté la dernière ligne de runes du tombeau de Balin comme vous l’aviez fait pour les runes de la carte de Thror dans Le Hobbit ?
DL : Je l’ai fait, au meilleur de ma connaissance et jusqu’au dernier schwa.

Est-ce qu’il a déjà été question de la traduction des HoMe 6-9 qui font la part belle au Seigneur des Anneaux pendant ce travail de retraduction ? Peut-on espérer les voir paraître relativement rapidement après le troisième tome ?
DL : Tout dépend de ce que vous entendez par « rapidement », car vous aurez compris que je ne fais rien en me dépêchant. Quand on m’a posé la question, j’ai moi-même exprimé le souhait de traduire Le Seigneur des Anneaux séparément, en accordant la priorité à celui-ci. C’est ce que je suis en train de faire ; maintenant, qui sait ce qui pourrait arriver, si la nouvelle traduction rencontre le succès espéré ?

Dans une interview publiée en janvier 2014, Ariane Mnouchkine, retraduisant alors le Macbeth de Shakespeare, affirme notamment que chaque traduction, aussi belle soit-elle, a une durée de vie limitée. Êtes-vous d’accord avec cette assertion ?
DL : Je suppose que oui ; et je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Les langues évoluent, se transforment, et la perception des lecteurs change en même temps, devant toute traduction ou toute œuvre littéraire. Mais j’ose croire que, par quelque hasard heureux, certaines arrivent à défier le temps à leur manière, et à retarder un peu leur inévitable obsolescence.

Un mot de la fin, peut-être ?
DL : Merci à vous de m’avoir donné la parole, et surtout de m’avoir écouté. Si vous faites partie des futurs lecteurs de la nouvelle traduction, je vous souhaite du bonheur, car c’est dans cet esprit qu’elle a été faite.


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