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Un entretien avec… John Norman !
Par Julie, le jeudi 14 avril 2011 à 14:20:46
Il y a des cycles de fantasy volontiers moqués, à la réputation "sulfureuse", et Le cycle de Gor en fait partie.
Mais John Norman, l'auteur, ne se limite pas à cela : il enseigne depuis des décennies au New York Queens College, sous son nom de naissance, John Lange. Aussi, quand nous sommes tombés sur cette interview de l'auteur, nous l'avons lu avec curiosité et nous avons décidé de vous la proposer.
De quoi changer notre regard sur son œuvre ? Tel n'est pas le but, mais on pourra à tout le moins s'apercevoir que notre homme a plus d'une corde à son arc...
L'interview proprement dite
- Comment c’était de grandir pendant la Dépression ? Et en quoi cette expérience a-t-elle modelé votre vision de la société et des individus ?
- Comme le raconte la légende familiale, quand l’entreprise de mon père a sorti sa liste d’employés, il a été le dernier type gardé, les suppressions d'emplois commençaient au gars suivant. Par exemple, s’ils avaient été cent sur la liste, et que la moitié avait été dégagée, et qu’on comptait à partir du bas de la liste, il aurait été le numéro cinquante et un. Le père de ma femme n’a pas été si chanceux, et il semblerait qu’il en ait été réduit à cueillir des pommes quand elles étaient mures, et des trucs comme ça. Le diner type, c’était des haricots. Il est évident que la Dépression, la grande dépression, avec ses bouleversements, les privations, les salaires bas, quelque chose comme mille Dollars par an, et le chômage massif, quelque chose comme 20%, a été une période difficile pour de très nombreuses personnes et la plupart du pays. D’un autre côté, la Dépression n’a pas été si terrible pour les 80% restants, ou à peu près, qui avaient du travail, car les prix étaient par conséquent très bas. Ainsi, comme père avait un travail, en tant qu’enfant, et comme beaucoup de gens, je n’ai pas personnellement expérimenté les pires aspects de la Dépression. Étonnamment, de nombreux « vétérans » de l’époque, même ceux qui ont connu la privation, le risque et le manque, considèrent cette période avec nostalgie, et même avec satisfaction et fierté. Ils ne voient pas ça comme ayant été rabaissant et dévastateur, mais plutôt comme ayant été positif et stimulant. La vie était dure, difficile, et pas seulement, mais surtout, ils n’ont pas baissé les bras ; ils se sont accroché, ont compté les uns sur les autres, ont travaillé, comme ils ont pu, ont maintenu leur famille unie, ils ont survécu. Dans une certaine mesure, je crois que c’était une bonne période pour grandir, une période difficile mais bienfaitrice. Statistiquement, malgré toute la pauvreté, il y a eu très peu de criminalité pendant la Dépression, et il y avait, je pense, une éthique plus stable, et un consensus moral plus cohérent qu’aujourd’hui. Le pays était moins politisé, moins Balkanisé, moins mercenaire et compétitif, moins confus et désordonné, que maintenant. Pour répondre plus généralement à votre question, je suppose que les époques affectent les individus de manières différentes. Personnellement, je suis content d’avoir vécu l’expérience de grandir à cette époque ; c’était, d’une certaine manière, pour citer Dickens, « le meilleur des temps, le pire des temps », et certainement un temps comme aucun autre. Imaginer ce que cela aurait pu être de grandir du temps de la frontière, ou lors de la Déclaration d’Indépendance et autres. Temps particuliers, temps comme aucun autre. J’en ai conclu que la société, idéalement, était constituée d'individus convenables, honnêtes, travailleurs, autonomes, courtois et gentils, pas de moutons en quête d'un berger, opprimés derrière les barrières de l’état, des troupeaux de l’état, prêt à se faire dorloter, tondre ou massacrer au bon vouloir de l’état. L’individu, selon moi, bien que cela soit périlleux de nos jours, et malgré des risques évidents, devrait être indépendant, et penser pour lui-même. Cela ne vous permettra pas de gagner un prix, et génèrera la haine, entre autres, mais il y aura toujours quelqu’un qui comprendra. Et même s’il n’y a personne d’autre qui comprend, jamais, que vous compreniez vous-même est suffisant. C’est suffisant.
- Quand vous êtes-vous intéressé à la science-fiction et à la fantasy ? À quels auteurs vous êtes-vous d’abord intéressé, et comment vous êtes-vous impliqué dans le fandom ?
- Je n’ai aucune idée du moment où j’ai commencé à m’intéresser à la science fiction et à la fantasy. Cela remonte à longtemps. La série des Big Little Books, par exemple, les Flash Gordon, et différentes bandes dessinées, par exemple Buck Rogers, y sont certainement pour quelque chose. La série des Flash Gordon qui passaient au cinéma du coin le samedi après-midi était géniale. Je me souviens des livres de Tarzan de Burroughs, mais je crois n'avoir découvert ses différentes œuvres de science fiction que de nombreuses années plus tard. J’adorais lire Planet Stories, un pulp magazine d’aventure. C’est probablement gênant pour les aficionados de science fiction plus sophistiqués, mais je garde malgré tout mon calme. John Norman l’assume complètement. Tout le monde sait comment il est. Admettre une telle chose pour lui, à l’opposé de certains autres, ne risque pas de menacer de futures ventes, des invitations à des fêtes, etc. Comme Sam Moskowitz l’a dit un jour à propos des pulps, les histoires avaient des débuts, des milieux, et des fins, et des héros et héroïnes. Et, autant que je sache, il n’y a rien de mal à cela. Un auteur français s’est vu demandé une fois, à ce qu’on prétend, s’il pensait que les histoires devaient avoir un début, un milieu et une fin, et sa réponse a été, « Oui, mais pas nécessairement dans cet ordre. » Je pense que les pulps auront toujours une grande place dans le cœur de certains. Mon auteur préféré en ce temps était, je pense, Emmett McDowell, beaucoup doivent ne pas s’en souvenir. Bien sur, j’ai lu H. G. Wells, Heinlein, et Bradbury. Je ne me souviens pas comment je me suis impliqué dans le fandom, probablement en ayant été invité à participer à une de leurs conventions. Pendant de nombreuses années j’ai assisté et participé à un certain nombre de conventions. A ce moment là, il semble qu’un grand bouleversement ait eu lieu dans le milieu de la science-fiction. Par exemple, malgré des millions de ventes, je n’ai pas été autorisé à participer à la World Con de Philadelphie en 2000. Comme ma femme le dit joliment, « à Philadelphie, la Cloche de la Liberté ne retentit pas. » Dans tous les évènements, des changements ont lieu, l’épanouissement d’une pensée unique, les orthodoxies ne doivent pas être menacées, la solidarité politique doit être maintenue, la censure est géniale, quand on l’applique, et ainsi de suite. Cela fait maintenant des années que je n’ai pas été invité aux conventions, où je suis certainement représenté, et peut-être d’autres auteurs, aussi, qui sont peut-être assez astucieux pour capter ces signaux. Si on peut faire ça à John Norman, alors on peut te le faire à toi. Je suppose qu’il est question d’avoir raté son entrée dans le Crédo des Disciples. Dans tous les cas, je ne suis plus intéressé par aucun évènement, aucune convention. Je leur souhaite bonne chance, et j’espère, qu’un jour, ils redeviendront ce qu’ils étaient, des théâtres où flottaient mille drapeaux, où mille voix se mêlaient, des conventions de science-fiction authentiques, pas des réunions d’église, pas des conventions de parti politique.
- Dans votre livre de 1970, The Cognitivity Paradox, vous semblez essayer de remettre en question la « valeur de la vérité » des prémisses philosophiques en tant qu’entité – et de ce fait, le domaine de la philosophie tout entier. Quel genre de réponse a reçu le livre dans le milieu ?
- Comme je suis heureux que vous connaissiez le livre Cognitivity Paradox !
Les questions philosophiques, une fois que vous avez dépassé les questions de nourriture, de toit, de boire de l’eau, de la disponibilité de Susan, etc., sont les questions les plus importantes qu’un humain puisse se poser. Elles sont inévitables, récurrentes, continuelles. Qui plus est, comme beaucoup d’autres questions importantes, on ne peut y soumettre de résolution quantitative. On ne peut pas les résoudre en mesurant ou pesant, regardant ou comptant, ainsi de suite. Les repères et les échelles, les microscopes et télescopes, les accélérateurs de particules et réseaux électrostatiques sont vains. Il n’est pas évident que toutes les sortes habituelles de théories de la vérité, par exemple, la correspondance, la cohérence, et la pragmatique, du moins telles qu’on les comprend généralement, suffiront pour résoudre des questions de vérité philosophique, si tant est qu’il y en ait. Par conséquent, le livre s’adresse lui-même à la possibilité d’une vérité philosophique, que cela soit possible ou non, quoi que cela puisse être, si possible, ou ce pour quoi on pourrait raisonnablement le prendre, si l’on souhaite maintenir les affirmations de sa vérité, et ainsi de suite. J’ai l’impression que la communauté philosophique n'a pas trop su que faire d’un tel livre. Les philosophes s’enorgueillissent d’envisager les hypothèses et présuppositions, mais ils ne semblent pas disposés à envisager les leurs. Il est bien plus facile de continuer à faire « comme si de rien n’était ». Je trouve que Nietzche l’a bien formulé, quand il a noté que chacun pouvait avoir le courage de ses convictions. C’est facile et bateau. Ce qui requiert réellement du courage c’est d’attaquer les convictions de quelqu’un. Je suis moins théâtral que Nietzsche bien sur. Je ne demandais pas vraiment à mes collègues d’attaquer leurs propres convictions, mais, si je puis dire, de regarder et voir ce qu’elles pourraient être, ou s’ils en ont ou pas.
- Comment avez-vous été influencé par des auteurs tels que Edgar Rice Burroughs et Robert E. Howard? Et comment avez-vous ressenti que vos travaux pouvaient se développer d’après ces influences ? Qu’est ce qui vous a inspiré, en particulier, dans ces genres de narration héroïques ?
- Je pense, assez clairement, que les trois principales influences sur mon travail sont Homère, Freud et Nietzsche. Étonnamment, aussi évidente cette influence soit-elle, peu, pour ne pas dire aucun, critiques, journalistes, ou autres, n’y ont prêté attention. Peut-être est-ce si évident que c’est simplement tenu pour acquis. Chez Homère vous avez l’éthique primitive, hardie, aristocratique guerrière; chez Nietzsche, le rang, la distance et la hiérarchie, la préoccupation pour l’étiologie de la croyance, la critique tranchante de la culture, etc. ; et chez Freud, bien sûr, vous avez la profonde psychologie, et un sens de la centralité radicale du sexe dans la condition humaine.
Quand j’étais jeune, si mes souvenirs sont bons, j’ai lu des livres de Tarzan. Si j’ai été influencé par eux, j’espère que ça a été bénéfique. Il est évident que j’ai de l’affection pour Edgar Rice Burroughs, et son travail. Je trouve que c’était un homme merveilleux, et qu’il possédait une des plus grandes imaginations dont notre espèce peut être dotée. Comme je l’ai également mentionné, je ne connaissais pas trop le reste de son travail, ou du moins, pas avant d’avoir été adulte, employé, enseignant à l’université, et tout ça. Je crois que je faisais de la recherche à Berkeley, il me semble que j’étais boursier, quand « l’explosion » Burroughs a eu lieu, et quand certaines de ses œuvres, les copyrights ayant certainement expiré, sont arrivées sur le marché du livre de poche. Je crois, en l’occurrence, que les copyrights avaient en réalité été renouvelés pour les publications originelles de magazines d’une partie de son travail, ce qui présentait, si je me souviens bien, des problèmes juridiques délicats. Je me souviens, j’ai été particulièrement impressionné par plusieurs de ces séries, et sans aucun doute, plus particulièrement, par la série martienne. Étant donné mes précédentes lectures dans le magazine Planet Stories, et le reste, vous pouvez imaginer. Comme précédemment, si j’ai été influencé par Burroughs, j’ose espérer que cette influence a été bénéfique, et que cela aura été au bénéfice d’un magnifique genre de littérature.
Deux remarques s’imposent maintenant. D’abord, Burroughs, je suppose, avait ses propres influences, ce qui est naturel et évident, et, c’est sûr, il n’a pas inventé le genre dans lequel il a brillé, et dans lequel il s’est tant distingué, et c’est évident, le genre ne lui appartient pas. La fantasy d’aventure n’appartient à personne en particulier, sauf peut-être à l’auteur, ou aux auteurs, de l’épopée de Gilgamesh, et ses, ou leurs, copyrights, auraient certainement expiré maintenant. Deuxièmement, on peut tout simplement lire Burroughs, et me lire. Il me semble clair, et c’est le cas pour la plupart des gens, que les deux corpus, heureusement ou non, sont considérablement différents. Le test est simple. Lisez. J’ai lu du Robert E. Howard, je me souviens. Et, une fois encore, s’il y a là une quelconque influence, j’espère qu’elle s’est avérée bénéfique. L’écriture jaillit d’une vie humaine, et d’une vision du monde, et il y a des milliers d’influences, au fil des ans, qui contribuent à la nature de n’importe quel individu, qu’il soit écrivain ou non. Tout compte fait, ça serait très difficile pour un écrivain de commenter de façon instructive ce genre de chose. Il y a au moins une chose cela dit que je souhaiterai attribuer à M. Burroughs, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’il a fait, plutôt avec la façon dont il l’a fait. Il a eu, dans une période de snobisme, de style, de grandiloquence, de sophistication arrogante, et autre, le courage de traiter de façon honnête et directe, émouvante, franche les sentiments et émotions simples et primitifs. Pour le dire de façon désobligeante, il a eu le « courage d’être cucul », ou plus gentiment, et c’est plutôt comme ça que je le formulerais, il a eu le « courage d’écrire avec son âme et son cœur, sans s’excuser, sans se soucier des conséquences. » N’a-t-il pas touché le héros et l’héroïne, le guerrier et la princesse, le scribe et le poète sommeillant en chacun d’entre nous ? Il semble qu’il ait parfois manqué de confiance quant à la qualité de son propre travail. Il a le droit d’avoir ses propres opinions bien sur, mais je trouve ça un peu triste. Il sera lu génération après génération, après génération, alors que continueront de se succéder le spirituel et le dédaigneux, le superficiel et l’intelligent, le raffiné et le sophistiqué, les gagnants de prix reconnus, etc. Les gens ont des sentiments, la vie a des sentiments. Il a eu des sentiments. Nous sommes reconnaissants, et avons des sentiments, nous aussi.
- Dans votre nouveau livre, « The Philosophy of Historiography », vous dites que la tentative de Nietzsche de créer un nouvel idéal humain pour remplacer Dieu dans le cœur des gens a été très mal compris. Comment pensez-vous que cette incompréhension se soit produite ? Et aussi, les gens décrivent souvent Gor comme une société nietzschéenne – selon vous, que penserait Nietzsche de Gor s’il s’y rendait ? Que pensez-vous de la popularité de Nietzsche chez les jeunes philosophes et certains théoriciens postmodernes?
- Chez Nietzsche, l’expression est « Übermensch », qui peut être traduite de différentes façons. Une traduction courante aujourd’hui pourrait être « surhomme ». Cela peut aussi se comprendre comme une personne supérieure, un idéal de ce que l’être humain pourrait être, un idéal compréhensible auquel un être humain pourrait aspirer, etc. On ne doit pas le terme à Nietzsche. On le trouve chez Goethe, et même en grec, « Hyperanthropos ».
Brièvement, l'origine ici est liée avec l’appréhension qu’avait Nietzsche des conséquences sociales qui pourraient suivre la perte totale de croyance en l’existence d'une entité divine, qui pourrait, supposément, constituer une fondation pour, et un renforcement des règles morales et autres. C’était vraisemblablement une chose pour les « intellectuels », l’élite cognitive, et ainsi de suite, dégagée des masses, conversant en privé entre eux, pour rejeter l’existence d’une telle entité et tout une autre pour la population, dont la moralité pourrait être essentiellement motivée par l’avidité, la peur, et autres préoccupations prudentielles, par exemple éviter la punition et accéder aux récompenses.
« Dieu est mort », bien sûr, n’implique pas que Dieu ait jamais été vivant, d’aucune manière sérieuse. Si les dieux sont immortels, vraisemblablement ils ne mourront jamais, disons de la rougeole, ou autre, mais ils pourront être oubliés. Par exemple, qui se souvient de Khnum, le dieu de la première cataracte du Nil ? En conséquence, « Dieu est mort » serait une métaphore adorable, poétique, mais déchirante de la perte de la croyance en une entité divine. S’il s’agissait d'une croyance en ce qui était "le plus sacré et le plus puissant", une croyance qui, en effet, modela et stabilisa une société, on pourrait se préoccuper des conséquences de sa disparition. Cela ne pourrait-il pas « désenchainer la terre de son soleil » ? La nuit ne pourrait-elle pas « nous entourer » ? N’errerions-vous pas « comme à travers un rien infini » ? Supposant que la plupart des êtres humains veulent avoir quelque chose pour vivre, en termes de, quelque chose de, pour ainsi dire, « culte », il est naturel de spéculer sur ce qui serait capable de remplir le vide spirituel qui s’ensuivrait. Nietzsche avait l’air de craindre, assez plausiblement, que le candidat le plus amène à gravir ce trône, à prendre place dans ce colossal poste spirituel vacant serait une idole, une idole particulière, une « nouvelle idole », à savoir, l’état. Cela semble s’opposer aux origines de ces deux considérations, la perte d’une croyance traditionnelle, et le besoin supposé d’une nouvelle croyance, qui pourrait bien être aussi monstrueux que l’état, que l’on pourrait comprendre la proposition d’un nouvel idéal, pas à vénérer ou prier, mais une assignation d’ordre d’existence plus élevé, plutôt comme une rose des vents qui servirait de phare, à la lumière de laquelle on pourrait mener sa vie, sans espérer l’atteindre.
Je crois qu’il est assez clair chez Nietzsche que le Übermensch ne s’entend pas biologiquement. Le mot est toujours utilisé au singulier, jamais comme si il pouvait y en avoir plus d’un. Il serait absurde de dire, par exemple, que l’Übermensch avait les cheveux blonds et les yeux bleus, ou des cheveux bruns et des yeux marron, qu’il mesurait un mètre quatre-vingt et pesait quatre-vingt dix kilos, qu’il était expert en maths, qu’il chaussait du quarante-quatre, que vous aviez son autographe, que vous lui avez prêté quinze dollars, etc. Un idéal est impliqué, pas une prédiction. Les espèces qui correspondraient le mieux, au vu de l’évolution, serait la termite, le crocodile, le requin, etc. Nietzsche, comme la plupart des intellectuels du 19ème siècle, croyait en l’eugénisme, et il a réfléchi à la possibilité de produire une « race maitresse », en réunissant les meilleurs spécimens de toutes les races, ethnicités, et origines, mais c’est clairement indépendant, et séparé des références à l’Übermensch. Je crois que la meilleure interprétation du concept est en termes d’un soi plus élevé, jamais atteignable. Il semble y avoir un indice à ce sujet dans son Schopenhauer Éducateur, un de ses essais dans ses Considérations Intellectuelles (Unzeitgemässe Betrachtungen), où nous entendons « …Car ton être vrai n’est pas caché tout au fond de toi : il est placé infiniment au-dessus de toi, à tout le moins au-dessus de ce que tu prends communément pour ton moi. »
À la lumière de ce qui précède, je pense qu’il est raisonnablement clair que l’interprétation de l’Übermensch en termes d’une entité biologique particulière, ou d’entités, par exemple, traversant les frontières, tirant à l’arme à feu, envahissant Paris, lâchant des bombes, et autres, les « surhommes » aryens, ou quoi que ce soit, est erroné. Nietzsche détestait l’état, l’autorité, la force, la réglementation excessive ; et la superstition ; il était pour la découverte de sa propre voie, de la diversité intellectuelle, et de la créativité. Comme il a souvent été souligné, il semble probable que s’il avait vécu du temps de Hitler, il aurait été l'un des premiers à être envoyé en camp de concentration. Je crois que le malentendu le plus courant à propos de Nietzsche est largement du à son appropriation illégitime par les National Socialistes, qui étaient à la recherche d’intellectuels, et la propagande des alliés, qui étaient avides de défier et exploiter le précédent détournement.
Je ne suis pas sûr de ce à quoi une société nietzschéenne ressemblerait, car il me semble être un anarchiste de cœur. Il estimait réellement la virilité, n’a quelque part pas réussi à croire que les femmes étaient identiques aux hommes. Il semble qu’il ait pensé qu’elles étaient assez différentes, et très intéressantes. Je n’ai aucune idée de ce Nietzsche penserait, s’il visitait Gor. En tant que spécialiste classique, je suspecte qu’il trouverait ça fascinant.
Je n’avais pas réalisé que Nietzsche était populaire chez les jeunes philosophes et théoriciens postmodernes. J’accepte cette information, cela dit, avec sérénité. Il est clairement une voix philosophique inhabituelle et magnifique, incisive, perspicace, lyrique, poétique, et puissante. Il est de façon assez évidente un philosophe majeur du 19ème siècle et, si on permet à la philosophie d’avoir des choses importantes à dire, si on permet que cela fasse une différence dans le monde, alors il est assez certainement le plus grand philosophe du 19ème siècle, et, au « sens de la vie », un des plus grands de tous les temps. Il s’intéresse à de grandes choses, et parle bien, par opposition aux valeurs philosophiques habituelles qui consistent à s’intéresser à de petites choses et à parler pauvrement. On souhaiterait qu’il y en ait plus des comme lui. Peut-être des comme lui comme antidote à l’étatisme, à l’autoritarisme, au collectivisme, au redistributionisme, à l’égalitarisme, aux poisons de la pensée unique, aux demandes abrutissantes de conformité politique, et autres. Je suis sur qu’il n’obtiendrait pas d’avancement aujourd’hui, et qu’il pourrait oublier le mandat.
- Pourquoi pensez-vos que les livres de Gor bénéficient d’une popularité aussi durable ? Pensez-vous que des publics plus jeunes soient en train de découvrir ces livres à nouveau ? Pensez-vous qu’ils parlent au public du 21ème siècle comme ils le faisaient à celui du 20ème ?
- Les livres de Gor ne sont pas de la pure science-fiction ou fantasy d’aventure. Ce sont aussi des romans intellectuels, philosophiques, et psychologiques. Ils ont beaucoup de choses à raconter, et sont disposés à le raconter. Un de leurs attributs, heureusement ou non, est le fait qu’ils examinent une culture étrangère de l’intérieur, la voyant plutôt comme une population indigène pourrait la voir et la comprendre, plutôt que comme une critique venant de l’extérieur. Ils sont, bien sur, écrits pour un public minoritaire, hautement intelligent, des adultes très sexués, à la fois les hommes et les femmes. Cela limite le lectorat, mais, je pense, en améliore la qualité. Dans tous les cas, le lecteur est respecté, pas insulté.
Je suppose qu’il y a toujours de nouveaux lecteurs qui découvrent les livres. On peut l’espérer, en tous cas. Comme mentionné plus tôt, les livres sont écrits pour des adultes ; ce n’est pas, cela dit, pour nier le fait que de nombreux jeunes lecteurs sont tout à fait capables de lire ces livres. Beaucoup de jeunes lecteurs sont, en effet, des lecteurs adultes. L’âge adulte ne s’indexe pas toujours sur la chronologie. Certains adultes sont essentiellement des enfants et certains enfants sont, pour des raisons plus pratiques, intellectuellement, et autres, des adultes. Je considèrerais toute personne capable de lire les livres de Gor intelligemment comme, pour des raisons plus pratiques, un lecteur adulte. La vraie distinction ici n’est pas adulte/enfant, mais bon/pas si bon.
Vu que les chroniques Goréennes traitent de choses humaines d’une façon humaine, et ont à voir avec des constantes humaines, je ne pense pas qu’elles soient indexées sur un temps ou un lieu particulier. On lit toujours Homère, Hérodote, la Chanson de Roland, Cervantès, Austen, Dickens, Nietzsche, et ainsi de suite. J’aime à penser que les livres s’entendent bien sans horloges ni dates. Il est possible, bien sur, que des valeurs particulières ou locales diffèrent quelque peu de temps à autres. Par exemple, en période de haine, de censure, et de suppression, ils pourraient, en vertu de leur intégrité et différence, jouer par inadvertance un rôle qu’ils ne joueraient pas dans une période plus ouverte et libérée, dans laquelle la diversité était bienvenue et célébrée, et où les portes du marché littéraire n’étaient pas contrôlées par une police étroite, incertaine, politiquement uniforme.
- Avez-vous passé du temps parmi les communautés Goréennes sur internet, comme Second Life ? Que pensez-vous de la réelle popularité de l’esclavage Goréen chez certaines personnes dans la communauté BDSM ?
- Non. Je ne suis pas très ordinateur. Je suis, pour ainsi dire, toujours en train d’essayer de comprendre comment utiliser les plumes. J’ai entendu parler de Second Life, mais je n’en connais pas grand-chose. J’ai entendu qu'un grand nombre de mes livres avaient été « piratés », si je puis dire, et distribués gratuitement dans cette communauté. Je suis déçu que des personnes fassent ça, si elles le font. Espérons que cette affirmation soit fausse. Si les gens se soucient d’un auteur, et de son travail, il me semble qu’ils devraient, par respect, s’abstenir de telles pratiques. La propriété intellectuelle est une propriété, après tout, tout autant qu’un gant de baseball ou un vélo.
Je ne sais rien de la « réelle popularité de l’esclavage Goréen chez certaines personnes dans la communauté BDSM ». La référence « BDSM » m’inquiète. Je ne m’associe pas au « BDSM », du moins au sens où je l’entends. Il est possible, bien sur, que je ne comprenne pas bien. Je me demande si qui que ce soit opterait purement et simplement pour le « réel esclavage Goréen », parce que tel que je le comprends, le BDSM n’est pas Goréen. Si quelque chose n’est pas beau, alors ce n’est pas Goréen. Dans tous les cas, j’assume le fait que ce qui est impliqué ici, quoi qu’il en soit, est consensuel. Si une femme choisit de se soumettre, volontairement, à un maître, il me semble que c’est son problème à elle, et à lui. Elle serait alors, bien sur, une esclave, et serait traitée comme une esclave. On peut supposer que de remarquables épanouissements puissent naitre d’un tel arrangement. Il est bien sur important de traiter l’esclave, aussi implacablement strict puisse-t-on être avec elle, aussi effrayée puisse-t-elle être, d’une façon humaine, comme on traiterait n’importe quel animal. Certains hommes, parait-il, n’aiment pas les femmes, et se plaisent à les faire souffrir. Ça n’a aucun sens à mes yeux. Les femmes sont merveilleuses, et précieuses. C’est un délice d’en avoir une ; pourquoi lui faire du mal ? Quel serait l’intérêt de faire une telle chose, un pur plaisir sadique ? Je pense qu’on devrait faire la distinction entre, disons, le sexe S/M, ou le sexe sadomasochiste, et le sexe M/S, ou sexe maitre/esclave. Dans un sens ils semblent opposés. L’amour est important. Il ne faut pas le confondre avec la cruauté. La cruauté gratuite me semble être injustifiée, et laide, moralement et esthétiquement. Également, cela semble indigne d’un vrai maître. L’intérêt c’est d’aimer et de servir, et de posséder et dominer, pas de faire souffrir. Pour être sur, l’esclave doit comprendre que si elle n’est pas plaisante, elle est sujette à la discipline. Elle ne doit avoir aucun doute quant au fait qu’elle est esclave. C'est facile d’éviter la discipline ; elle doit seulement être obéissante, soumise, et plaisante, entièrement, complètement. Parfois, une esclave peut souhaiter être rassurée sur sa servitude. Il y a de nombreuses façons pour le maître, s’il le souhaite, de s’en occuper. J’ai écrit tout un livre, « Imaginative Sex », dans lequel mes opinions à ce sujet doivent être assez claires.
- Avez-vous vu les adaptations cinématographiques de Gor faites dans les années 80 ? Etiez-vous impliqué ? Qu’est ce qui n’a pas fonctionné selon vous ?
- J’avais, en théorie, un rôle de consultant pour les films, et, si je me souviens bien, j’ai écrit quelque chose comme soixante ou quatre-vingts pages à interligne simple de commentaires, critiques, suggestions, ronchonnement, hoquets de stupéfaction, cris, propositions, et autres. Si je me souviens bien, le seul changement opéré en rapport avec mes suggestions fut le changement de nom d’un des personnages. C’était au départ « Zeno ». En philosophie, il y a deux Zeno, un est le présumé fondateur du Stoïcisme, et l’autre est un disciple de Parménide, célèbre pour avoir construit une série de paradoxes classiques, Achille et la tortue, par exemple. Comme je suis fan de ces Zeno j’ai suggéré que l’on trouve un autre nom pour le personnage du film. Le nom a été changé en Xeno, qui se prononce de la même façon. C’était bien d'avoir pu apporter une contribution.
En réalité, je suis assez content que les deux films aient été faits. C’est assez rare, statistiquement, pour un auteur, d’avoir assez de chance pour qu’un film soit réalisé en rapport avec son travail, et j’ai eu cette chance deux fois. J’en garde de l'affection pour le producteur, l'équipe, les acteurs, et tous les autres. Et ne valait-il pas la peine de s’offrir un ticket de cinéma rien que pour la présence de Rebecca Ferratti ? Cela me semble assez probable.
J’ai travaillé une fois pour Warner Brothers Motion Pictures, dans la grande période de Jack L. Warner. Grâce à cela, j’ai sans doute une idée un peu meilleure, au moins, des challenges et difficultés que représente l’adaptation d’un livre au cinéma. C’est généralement un processus long et complexe. De plus, des contraintes rigoureuses sont souvent impliquées, la plupart d'entre elles étant dues au temps imparti et aux coûts entrainés. Quand on travaille à Hollywood, il est courant de parler de produit, de propriétés, de « l’industrie », etc. Le studio de tournage de Platon est très bien, mais les vrais films sont faits dans le vrai monde, avec de la vraie matière, et des vrais problèmes.
Dans l’ensemble, je suis content que les deux films aient été faits. Cela aurait été encore mieux, bien sur, s’ils avaient eu quelque chose à voir avec mon travail. Je pense que cela aurait été faisable.
C’est toujours une question ouverte, à ce jour, de savoir si un vrai film Goréen, disons, avec des tarns, des villes avec des tours, des flottes de galères à voiles latines, des armées qui s’affrontent, une culture véritablement étrangère, etc. est toujours possible.
On peut supposer que non, pour des raisons politiques, si ce n’est pas pour autre chose.
- Maintenant que vous avez écrit plus de deux douzaines de livres de la Chronique de Gor, en quoi pensez-vous que votre approche de la série ait changé ?
- Je crois que l’approche de la série est à peu près la même. On essaie de bien écrire, d’écrire honnêtement, profondément, et attentivement. La plupart des vrais auteurs feront ça.
J’ai écrit sans me soucier du marché, et le marché, étonnamment, est venu à moi.
Dans un pays gris, pollué, où les âmes sont sensées porter des uniformes, où des hectares de livres ne peuvent être distingués les uns des autres, où les valeurs sont construites, et les attitudes emballées comme des cornflakes, où un petit nombre d’individus détermine ce que vous pouvez lire ou non, quelque chose de différent, qui fait allusion à des vérités que vous reconnaissez mais que l’on vous a ordonné d’ignorer, risque d’attirer l’attention.
Quand la galère Goréenne est arrivée au port, elle contenait des denrées exotiques et des nouvelles venant de terres lointaines et étonnantes.
Même si elle est chassée, elle ne sera peut-être pas oubliée.
Elle aura été au port une fois, et on s’en rappellera. On aime entendre parler des autres terres.
Elles existent.
Je vous souhaite le meilleur,
John Norman.
Auteur
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