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Un samedi avec Alain Damasio

Par Luigi Brosse, le jeudi 1 novembre 2007 à 23:30:10

Comme vous le savez probablement si vous suivez un peu l'actualité Damasio du moment, il était en dédicace à la librairie Omerveilles à Grenoble, le samedi 13 octobre. Ce fut l'occasion pour nous de profiter des questions que lui posaient différents lecteurs, mais également de l'interviewer en exclusivité en fin d'après midi.
Cette interview exclusive va prendre sans doute quelque temps à être entièrement transcrite. Pour patienter, nous vous proposons dans un premier temps un petit résumé des questions posées par les différentes personnes lors de la dédicace, mais aussi une courte vidéo de notre interview spéciale.

EDIT du 02 novembre : L'interview exclusive est enfin disponible en troisième page !

Les questions des lecteurs

À l'origine fut la vitesse, le pur mouvement furtif, le "vent-foudre".

Soyons honnêtes, tout le monde était comme foudroyé quand il est arrivé, mélange d'appréhension, de stress, de peur. Le petit groupe présent était intimidé. Pas facile dans ces conditions de lancer une discussion. Le grand méchant blanc commençait à faire planer son ombre sur la dédicace. Heureusement, Fred, le libraire, eut la joyeuse idée de lancer le DVD, présent dans la nouvelle édition de La Zone du Dehors. La littérature fait peur ; le cinéma un peu moins, il faut croire ! En tout cas, la discussion a pu démarrer sur le court métrage de la Zone et la bonne humeur de Damasio a suffi à faire le reste.

On a tout d'abord abordé le sujet de qui avait lu quoi. Faut pas croire, mais un auteur se préoccupe quand même de sa popularité ! Il en est ressorti que beaucoup (tous ou presque) avaient lu la Horde, mais que la Zone n'avait pas rencontré la même faveur du public. Devant cette impardonnable erreur, le stock de la Zone a beaucoup diminué, chacun tentant en effet de corriger cette hérésie !

S'ensuivit un bref tour de table pour aborder les points préférés de chacun. Comme vous pouvez vous en douter, les points les plus fréquemment cités étaient la richesse de l'univers, mais aussi son originalité ; les personnages parmi lesquels chacun semblait trouver au moins un miroir lui correspondant ; le style, qui, comme Alain le dira plus tard, permet de surmonter beaucoup de choses. Evidemment, peu de points négatifs ou d'avis mitigés, il est sûr que les personnes n'aimant pas un livre ne vont pas en plus se déplacer à une dédicace de l'auteur. Mais c'est vrai qu'une petite touche d'antagonisme aurait pu aboutir à des résultats intéressants : nous essaierons d'y revenir dans notre interview un peu plus tard.

L'échange s'est ensuite orienté sur des points spécifiques de La Horde et sa conception. A ma connaissance, bon nombre de ces réponses n'ont encore jamais été diffusées au grand public. Peut-être que des personnes ayant participées à d'autres dédicaces les connaissent déjà, mais il nous a semblé intéressant d'en prendre note pour qu'un maximum de lecteurs puissent découvrir cette génèse.

Attention, nous ne pouvons pas absolument garantir que cette discussion soit sans spoiler.

L'une des premières questions a concerné les chrones, et l'idée qui les a engendrés. La réponse est assez intéressante. Les chrones ont été imaginés alors qu'Alain était chez sa mère à Alès. A l'époque, il était concentré sur un bouquin traitant du temps ; sa représentation principale est linéaire, identique quel que soit l'endroit, identique pour tous. Cela à amener Alain à chercher une nouvelle façon d'appréhender le phénomène, à le localiser en quelque sorte. L'idée des chrones, qui sont une sorte de bulle, lui est venue alors qu'il était dans la piscine, la tête à l'envers en train de regarder le paysage. Tout semblait comme englobé dans une sphère. Il n'y avait plus qu'à réunir ces deux composantes, et les chrones, ces bulles de temps étranges, étaient nés. Damasio a conclu en évoquant la faible utilisation qu'il en a fait : si on retrouve bien des chrones qui accélèrent ou ralentissent le temps, ainsi que quelques-uns plus tordus, la grande majorité de ce qu'il avait développé sur le sujet n'a pas été abordée ou portée par écrit.

Un bref interlude sur le tome 2, dont beaucoup ne connaissaient pas l'existence, n'a pas révélé grand chose de nouveau. Alain est revenu sur son idée originale de diptyque, en forme de gorge ; c'est à dire en partant avec une horde de 23 pour terminer à 1. Puis Sov, arrivé à à l'Extrême-Amont se fait rejeter par tout Aberlaas, contraint de vivre avec les parias, il découvre progressivement qu'il a le pouvoir de capturer les vifs pour ainsi faire revenir la Horde. Tout ceci est connu depuis longtemps, la seule précision que l'on a apprise c'est que l'écriture de ce tome 2 n'est pas pour tout de suite. Le premier ayant demandé 7 ans dont 3 d'isolement total, Alain se demandait s’il allait pouvoir retrouver de telles conditions à présent qu'il est marié et jeune papa.

Une brève question sur son futur livre (sur lequel nous aurons l'occasion de revenir dans notre interview) a ensuite lancé le débat sur son métier actuel. Alain s'occupe à présent de scénario pour la télévision. En particulier, il travaille actuellement sur une série fantastique pour France 3. Ce n'est pas le plus passionnant des métiers, mais il avoue y trouver de nouvelles façons de faire qu'il ne connaissait pas. En particulier, alors que La Horde n'avait pas eu un plan de chapitres, un découpage préalable, il se rend compte à présent que cela peut être une technique facilitant la rédaction. Il considère donc cette expérience comme enrichissante sur le plan pratique et il espère que ces nouveaux concepts l'enrichiront.
Néanmoins, cela reste un travail "alimentaire", peu d'auteurs de SF (sans parler de fantasy) arrivent à vivre de leur plume en France, il faut vraiment avoir une production soutenue pour espérer gagner suffisamment d'argent. Ce n'est pas sa façon de voir les choses, son choix actuel est de produire peu de livres, mais pour chacun il souhaite donner le meilleur de lui-même. Comme il le dit lui-même : L'écriture n'est pas mon métier, c'est mon rapport au monde. Et de nous préciser cette volonté de perfection : Je fais des choix, je décide de prendre le temps de finir, de faire quelque chose d'abouti, même si pour ça je dois moins écrire. Je ne supporterais pas d'avoir le sentiment, au moment où je finis, que j'aurais pu faire mieux. En le reprenant quelque temps après, oui, bien sûr, qu'il y ait des choses qu'on regrette, c'est normal, mais pas en le finissant.

Cela nous a permis de poursuivre sur sa façon de travailler. Alain écrit sur ordinateur, même si la plupart de ses notes sont sur cahiers, malheureusement à force de corrections, ceux-ci deviennent de plus en plus illisibles. Lors de son isolement en Corse, il s'était imposé un cahier des charges très précis. Sa journée devait comporter plusieurs heures de randonnée, il essayait de travailler environ 6 heures (en fractionné) intenses à la production d'un premier jet, puis à la correction de ce qu'il avait déjà couché sur le papier - cette seconde partie nécessitant une intensité mentale bien moindre. Il y avait également, bien entendu, les nombreuses recherches documentaires. La difficulté aujourd'hui serait de retrouver de telles conditions de travail.Là j'ai eu les meilleures conditions d'écriture possibles sur un livre, a-t-il déclaré. J'étais 24 heures sur 24 dans l'univers, et ça change tout. Il s'inquiète donc pour son prochain projet, étant très conscient du risque de ne pouvoir faire un si bon travail s'il ne retrouve pas les conditions adéquates.
A noter également que la Horde a été son moyen de lutter contre la solitude, ceci explique aussi le nombre de personnages et la raison pour laquelle ils sont aussi humains : J'ai entièrement sublimé la solitude par l'écriture, je vivais à travers les personnages, a-t-il confié. Si tu vis constamment au milieu des gens, je pense que tu as envie d'écrire un bouquin solitaire. Si tu es seul, tu as envie d'écrire un livre où tu es bien, comme dans cette Horde, où tu es entouré de tout le monde. C'est très important, je pense que la qualité du lien dans la Horde vient de ça.

On bascule ensuite sur des questions plus stylistiques. Pour Alain Damasio, le style peut habiter tout, il peut rendre vivant tout : si l'on veut décrire un univers imaginaire, c'est par le style qu'on le rend vivant, réel ; alors qu'avec une écriture plate et banale il reste une simple idée, vague, mal développée par l'auteur, quelles que soient la longueur et la précision de la description.
Nous avons également pu apprendre que beaucoup de ce que nous considérions comme des néologismes n'en sont pas. Un grand nombre provient du langage précieux par exemple, quant aux mots créés de toutes pièces, l'auteur a essayé autant que possible de regrouper des mots existants pour que le sens soit facilement compréhensible.

Le passage sur les palindromes (le duel de scribes) lui est venu alors qu'il parcourait un site de palindromes justement. Il a trouvé l'idée d'un combat de palindromes géniale et cela a constitué une sorte de défi pour ce chapitre-là. En effet, il fallait arriver à transformer un jeu stylistique en un moment crucial pour la Horde, bien qu'artificiel, il fallait néanmoins qu'il y ait un enjeu : J'aurais pu dire "il y a un combat de mots" et directement passer à la suite, comme d'autres l'auraient fait, mais je ne me suis pas défilé, explique-t-il. Il faut se mettre des défis, si pour un chapitre tu ne te mets pas de défi, tu n'as pas envie d'écrire. Sans ce jeu, ça ne changeait rien au récit. Et pourtant si, et pourtant plein de gens parlent de ce truc-là, parce que je ne sais pas, ça leur fait quelque chose, ça reste. Alors que, au fond, dans la narration, ça sert à quoi ? à rien ! C'est le chapitre qu'il s'est le plus amusé à écrire, même si le seul combat de palindromes lui a demandé 15 jours, utilisant des palindromes classiques mais s'adaptant aussi au contexte et aux noms des personnages. J'adore ça, a-t-il ajouté, tu fais croire que le personnage est super fort et qu'il trouve ça en trente secondes, alors que toi tu rames pendant des heures !

Il revient ensuite sur l'importance des morts. C'était quelque chose de réfléchi et volontaire :

« Ce qui est important sur la mort des personnages vers la fin, c'est que s'il n'y a pas ces morts, c'est comme dans les films d'action américains, c'est-à-dire que tu sais que le héros va toujours s'en sortir. Là, comme tu as des gens qui meurent, tu flippes beaucoup plus parce que tu te dis "Ah ouais !". Quand je fais mourir Caracole, je pense qu'après le lecteur se dit "Ah ouais, l'enfoiré ! Ça veut dire que les autres peuvent mourir !" Sinon tu te dis "ben ils vont aller jusqu'au bout, ouais, bon..." Et ça c'est vachement important, ça donne une crédibilité énorme à toutes les séquences finales, parce que tu flippes vraiment, tu te dis "lui, il est mort, lui, il est mort, elle, elle est morte... Il va aller jusqu'où ?" Et à la fin il n'en reste qu'un... Là, c'est des choses auxquelles tu réfléchis. »

En outre, il a expliqué son choix de couper le récit lors de la mort de Callirhoé : Je voulais que la mort d'un des personnages soit contée à travers l'absence, le blanc entre les personnages, qu'on ne voie pas sa mort, mais qu'ensuite, deux ans après, on se rende compte, on voie qu'ils vivent sans Callirhoé.

Le dernier point abordé est sa prédestination à l'écriture. En fait, il ne pensait pas du tout devenir écrivain : tandis que d'autres commencent dès l'adolescence à écrire, son premier contact devait être autour de 20 ans. C'est une exaspération politique qui l'a conduit à l'écriture, à la fin de ses études. Il souhaitait réagir face à l'uniformisation du monde qu'il percevait ; La Zone a été son moyen pour exprimer ce sentiment. : J'étais impuissant dans le monde réel à réagir et à essayer de trouver une structure militante qui m'aurait permis d'exprimer ce qui m'exaspérait dans ce que j'avais vécu. Je vivais ce sentiment de normalisation très forte, très subtile... Finalement le seul moyen que j'ai trouvé c'était de faire un livre.

Voici pour les points que nous avons pu noter au cours de la dédicace, les questions précisément sur La Zone du Dehors, son avenir et toutes les questions précises sur le sujet n'ont pas forcément été relevées vu que l'on sortait un peu du contexte traité par Elbakin.net. En guise d'amuse-gueules, vous pouvez visionner quelques minutes de notre interview spéciale, qui sera en ligne dès que possible.

  1. Les questions des lecteurs
  2. Trailer de l'interview
  3. L'interview exclusive

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