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Aucun souvenir assez solide
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : Alain Damasio
Alain Damasio nous invite à la rencontre de grands « vivants », c’est-à-dire de grands claustrophobes, amoureux de l’air et de l’Ouvert. Champions de toutes les aérations, celles de l’espace, du son, des mots, du collectif, et de ce fait totalement libres, entrés en un jeu d’échos fou avec les mouvements du monde, ils tracent et suivent leurs lignes de fuite, tel le surfeur qui n’existe et ne consiste que dans la furtivité.
Dix nouvelles par l’auteur de La Zone du dehors et La Horde du contrevent.
Critique
Par Izareyael, le 11/04/2013
Depuis la réussite éditoriale et littéraire de La Horde du contrevent, nombreux sont les lecteurs qui attendent de pied ferme le prochain roman d’Alain Damasio. S’il faut encore patienter pour cela, l’auteur n’est cependant pas resté inactif, et le présent recueil le montre en réunissant huit nouvelles publiées dans diverses anthologies et revues et deux inédites.
Autant le dire d’emblée, on y retrouve et reconnaît immédiatement la patte Damasio, ses thèmes de prédilection et son style caractéristique.
Dès la première nouvelle, qui constitue une belle entrée en matière, on retrouve ainsi un sujet souvent abordé dans ses textes – le contrôle des pensées par le contrôle du langage et la résistance des poètes par la créativité linguistique – et ici encore traité par la prose bondissante d’un Damasio en forme. La deuxième nouvelle évoque quant à elle le thème du lien, lui aussi cher à l’auteur, mais cette fois il s’agit plus inhabituellement de la famille, des liens de sang. Les lecteurs de La Horde ou de La Zone – et surtout de ce dernier roman – sont donc en terrain connu. L’une des nouvelles clairement fantasy du recueil plutôt orienté SF, Une Stupéfiante salve d’escarbilles de houille écarlate, se déroule d’ailleurs à Alticcio, ville que l’on avait pu découvrir durant le périple de la 34e Horde, et reprend le principe du dernier roman : chacun des deux personnages prend tour à tour la parole, un symbole indiquant qui est le narrateur.
Sur la forme, l’auteur est fidèle à lui-même et on ne peut lui nier son sens de la formule, ne serait-ce que dans les titres pour commencer, que ce soit celui du recueil ou celui de la nouvelle citée ci-dessus. Cela finit d’ailleurs parfois par être un reproche que l’on pourrait lui adresser : des formules et des sentences un peu trop abondantes justement, préférant le bon mot ou la phrase qui frappe plutôt que la beauté du style ou la clarté de l’écriture, parfois jusqu’à donner l’impression d’une suite de mots et de sons accordés certes avec talent mais dont le sens peine à s’exprimer immédiatement. Là encore, c’est une critique souvent soulevée par les lecteurs de ses précédents romans. Si cela passe sans problème dans un texte comme Les Hauts® Parleurs® qui s’interroge et joue justement sur ce langage, c’est parfois moins agréable pour d’autres. De même, le lecteur appréciera plus ou moins selon ses goûts les métaphores que l’auteur affectionne, mais celles-ci sont parfois trop appuyées pour que l’on ne regrette pas ce manque de subtilité qui détruit occasionnellement la poésie de l’instant. Mais la prose audacieuse et étudiée de Damasio, associée aux situations étranges et souvent absurdes qu’il met en scène, crée une atmosphère poétiquement insolite qui lui est propre, évoquant des images qui marquent l’imagination : pensons par exemple au père d’Annah venant au secours de sa fille sur la Harpe, à celui de Sam seul dans Paris inondé, aux flots de bitume illuminés de So Phare Away ou bien encore à El Levir écrivant avec chacun des éléments qui le composent le secret ultime de l’Univers…
Si ce recueil n’a pas l’ampleur ou le souffle de La Horde du contrevent, il montre donc clairement une ambition semblable, notamment celle d’amener son lecteur à penser, ne pas se contenter d’observer ou de lire passivement, le langage et le monde que celui-ci exprime. C’est une lecture exigeante qui pousse plus à la réflexion qu’à la rêverie. Notons d’ailleurs la présence d’une postface qui va dans ce sens en apportant aux textes de Damasio un éclairage philosophique instructif bien que parfois discutable.
En résumé – pour ceux du fond qui cherchent des indications claires ! – si vous aimez déjà les précédents écrits de l’auteur, vous pouvez vous jeter sur celui-ci sans danger si vous ne l’avez pas déjà fait ! Aucun souvenir assez solide permet en outre de suivre son évolution entre ses romans, sans que les drogués de l’attente n’aient pour autant l’impression de devoir se contenter d’un produit de substitution, loin de là. Si vous avez adoré La Horde du contrevent mais moins apprécié La Zone du dehors, à l’orientation beaucoup plus SF et politique, vous risquez de passer à côté de certaines nouvelles plus proches dans le style comme dans le sujet du premier roman de Damasio, mais la fantasy et la force de La Horde ne sont pas oubliées. Si en revanche vous avez refermé les autres livres de l’auteur dès leur premier chapitre, vous ne changerez probablement pas d’avis avec ce recueil – à moins que seule la taille des romans vous ait rebuté et que le format court vous convienne mieux.
Hormis pour les réfractaires de la prose damasiesque, des textes à lire donc, pas forcément de ceux dont on peut dire qu’on les a « adorés » ou qu’ils étaient « un coup de cœur », mais en tout cas tout à fait intéressants.
7.5/10
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