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Livre Paris 2018 : un entretien avec V. E. Schwab
Par Gillossen, le mercredi 4 avril 2018 à 15:30:27
L'une des invitées à ne pas manquer au dernier salon Livre Paris n'était autre que V. E. Schwab, l'auteure de This Savage Song ou bien encore Shades of Magic.
Grâce aux éditions Lumen, qui publient cette dernière série en France, nous avons eu le plaisir de la rencontrer pour un grand entretien, à lire (en français mais aussi en anglais, si ça vous dit !) dès maintenant, ci-dessous.
Et mille mercis à Saffron pour s'être chargée de cette interview et de sa retranscription dans les deux langues.
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L'interview en français
- Comment se passe le Salon ? Êtes-vous satisfaite de la façon dont Shades of Magic a été reçu en France jusqu’à présent ?
- Je suis ravie ! Ma famille vit en France et c’est la seule langue étrangère que je lisais étant enfant. Mon français est déplorable aujourd’hui, mais c’est techniquement toujours la seule langue étrangère que je sois capable de lire. J’ai attendu des années d’être publiée en France. En voyant toutes les autres langues s’accumuler, je ne pouvais m’empêcher de me demander où était le français. Et puis la traduction française est enfin arrivée, ce qui est très excitant. Aujourd’hui s’est d’ailleurs tenue ma toute première séance de dédicaces françaises, j’ai signé au Salon pendant une heure. Sincèrement, je ne pourrais pas rêver mieux. C’est une expérience formidable, tout le monde est adorable. Je suis honorée d’être ici.
- Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ? Comment avez-vous commencé à écrire, et comment avez-vous fini par publier votre premier roman à tout juste 20 ans ?
- J’ai commencé à écrire au début de l’adolescence, mais je n’avais jamais écrit de roman. Je n’arrive pas à rester concentrée très longtemps et je pensais que ce déficit d’attention ne me permettait pas d’écrire un roman. Je me suis plutôt tournée vers la poésie, ce qui est une des raisons pour lesquelles je suis un peu obsédée par la cadence, les mots, la façon dont ils sonnent et s’enchaînent, le lyrisme. Je me suis essayée à la poésie, aux scénarios, à la non-fiction… J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour éviter d’écrire un roman, parce que je ne pensais pas avoir la concentration nécessaire pour ça. Finalement, quand je suis arrivée à la fac, j’ai compris que je n’avais pas voulu écrire de roman par peur de l’échec. Ce n’était même pas la peur de ne pas être publiée qui me retenait, simplement la peur de ne pas réussir à finir un roman. Je suis très dirigiste, j’aime avoir le contrôle et je ne supporte pas l’idée de ne pas pouvoir finir quelque chose. À l’instant où j’ai compris que j’avais peur de l’échec, j’ai su qu’il fallait que je me lance. Je suis quelqu'un de très antagoniste : j’avais le vertige, je suis allée faire de la chute libre ; j’avais peur du changement, j’ai coupé mes cheveux, j’avais peur d’être loin de la maison, je suis allée visiter l’Europe avec mon sac sur le dos. Du coup, en deuxième année de fac, quand j’ai compris que j’avais peur de ne pas pouvoir terminer un roman, je me suis assise et j’ai fini terminé un roman. C’était une catastrophe, il n’y avait aucune histoire. C’était Alice au Pays des Merveilles sous acide, ce qui n’est pas peu dire quand on parle d’Alice au Pays des Merveilles ! Mais je suis allée jusqu’au bout. C’était comme une drogue et ça m’a ouvert de nouveaux horizons, même si le roman ne s’est pas vendu. Pendant ma dernière année d’université, je me suis dit que j’avais à nouveau peur de l’échec et que je devais retenter l’expérience. Soit je renonçais à écrire pour la décennie à venir et j’y revenais plus tard dans ma vie, soit je devais me remettre à mon bureau et réessayer. C’était mon dernier semestre à l’université, j’étudiais la conception graphique et l’histoire de l’art, et j’avais même commencé l’astrophysique. C’est là que j’ai écrit ce qui allait devenir mon premier roman publié. Je l’ai fini une semaine avant la remise des diplômes. J’ai trouvé un agent, le roman a été proposé à des éditeurs, et il s’est vendu à la fin de l’été. J’avais 21 ans quand j’ai signé mon premier contrat. J’en ai aujourd’hui 30 et j’ai à présent 13 livres publiés aux États-Unis, là où j’ai commencé. Dans le reste du monde, ils commencent à faire un peu parler d’eux. Je fais ça depuis presque dix ans, maintenant.
- Réussir à vendre son deuxième roman, ça ne se voit jamais !
- Non, j’y suis arrivée à force d’entêtement ! Mais ça n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Je parle beaucoup de mon parcours en ligne, j’ai écrit des messages de blog intitulés « La longue route vers le succès immédiat ». Shades of Magic était mon huitième roman aux États-Unis, et celui qui a vraiment lancé ma carrière. Le public voit ça et se dit que le succès a été immédiat. Mais c’était mon huitième livre ! Beaucoup de gens pensent que j’ai de la chance, parce que tout ça est arrivé quand j’étais très jeune. Mais depuis, j’ai été confrontée à des annulations de séries, à des romans écrits et jamais publiés, à des échecs. Je suis vraiment très reconnaissante pour chaque chose positive, car je sais à quel point il est difficile d’en arriver là.
- Comment prend forme l’un de vos romans ? Quel élément vous vient en premier ? L’histoire, le monde, les personnages ? Êtes-vous du genre à planifier un roman du début à la fin ou laissez-vous parfois vos personnages faire ce qu’ils veulent ?
- L’une des raisons pour lesquelles je n’ai pas de roman entamé et jamais terminé, c’est que je ne commence pas à écrire tant que je ne suis pas certaine d’avoir toute l’histoire – ou les éléments les plus importants, en tous cas. Je connais la fin avant même de me lancer dans l’écriture. C’est pour cette raison que le processus de gestation est très long. J’aime utiliser une comparaison culinaire : pour faire une soupe, vous devez commencer par rassembler tous les ingrédients. Vous les mettez ensuite dans la cocotte, mais vous ne savez pas que c’est de la soupe avant d’ajouter un ingrédient spécifique. Jusque-là, ce ne sont que des ingrédients. Pour moi, les éléments d’une histoire sont comme les ingrédients d’un repas. Je dois parfois attendre que le bon ingrédient se présente pour créer un vrai repas. Ça peut prendre six mois comme six ans. Je suis toujours en train de travailler sur quelque chose, mais généralement, ce quelque chose a mis du temps à prendre forme. Pour Shades of Magic, je voulais écrire une lettre d’amour à Harry Potter et utiliser la magie élémentale, comme dans Avatar : Le Dernier maître de l’air ou FullMetal Alchemist. De ces prémices au moment où j’ai écrit la première phrase, « Le manteau de Kell était absolument unique en son genre », il s’est écoulé à peu près un an et demi.
- Vous commencez à avoir une bibliographie conséquente. Que conseilleriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait découvrir vos romans (si la langue n’était pas une barrière) ?
- Je conseille généralement Vicious ou Shades of Magic, parce que ce sont deux points de départ et qu’ils sont tous les deux extrêmement différents. Pour les amateurs de comics ou les fans de Marvel, je recommande Vicious. Pour les fans de fantasy, ou, curieusement, pour ceux qui hésitent à se lancer en fantasy, je recommande Shades of Magic. C’est devenu une sorte de passerelle pour beaucoup de gens, surtout de jeunes adultes, qui se sentent un peu découragés par l’intensité et l’ampleur de la fantasy. Je vois que vous avez un tatouage elfique ! Vous savez, en grandissant, j’étais très intimidée par Le Seigneur des Anneaux, parce que j’avais le sentiment de devoir prouver que je méritais d’être là en apprenant des langues fictives. Ça ressemblait à un test, et c’était ce que je ne voulais pas faire avec Shades of Magic. Je voulais que les lecteurs puissent ouvrir le livre et s’immerger directement dedans, et que les langues fictives soient la cerise sur le gâteau, pas un ingrédient essentiel. En grandissant, je me suis tenue à l’écart de la fantasy parce que j’étais intimidée. C’est pourquoi je recommande généralement Shades of Magic – à moins que la personne n’ait une sensibilité très sombre, auquel cas j’opte pour Vicious. Si elle vient de la littérature YA sombre, je recommande Monsters of Verity, et son premier tome This Savage Song, qui est extrêmement sombre. Je dis toujours que This Savage Song et Shades of Magic sont deux réactions opposées à un monde très sombre : Shades of Magic est du pur escapisme et permet de s’évader de ce monde, tandis que This Savage Song permet de se battre. L’histoire vous invite à prendre les armes, pour ainsi dire, dans ce monde brisé.
- Shades of Magic est présenté comme de la littérature YA dans plusieurs pays, y compris la France, ce qui me surprend beaucoup car ce n’est pas du tout l’ambiance que j’ai ressentie en lisant les romans. Êtes-vous d’accord avec ce label pour cette série ?
- C’est une question difficile. La tranche d’âge varie d’un pays à l’autre. Dans certains pays, le young adult va jusqu’à 16 ans – c’est le cas au Royaume-Uni. Il me semble qu’ici, c’est 23 ans, et aux États-Unis, 18. Mais je m’en fiche ! Les gens ne savent jamais où ranger Shades of Magic : ils le mettent en YA alors qu’il devrait être en adulte, ou dans certains pays, en adulte alors qu’il devrait être en YA. Ça m’est égal, ce n’est que de la place sur une étagère. Je pense que les livres, comme les puzzles, ont une limite d’âge inférieure, comme dirait un ami. Si vous prenez un jeu ou un puzzle, vous verrez qu’il est écrit : « À partir de 8 ans ». C’est l’âge à partir duquel le jeu est approprié. Je pense que mes livres ont parfois une limite inférieure, en fonction de leur contenu. Mais au-delà de cela, ça m’est égal. Si vous vous sentez suffisamment âgé pour lire mes livres, bravo ! Je reçois des messages de fans qui ont 70 ou 80 ans, et d’autres qui n’ont que 11 ou 12 ans. C’est un problème pour l’éditeur, un concept marketing, une place sur une étagère. En tant qu’auteur, la tranche d’âge à laquelle le roman est vendu ne m’intéresse pas, du moment que ceux qui veulent le lire y ont accès.
- Le problème est que certains adultes peuvent refuser d’ouvrir un livre que l’éditeur destine aux plus jeunes.
- S’ils abordent le roman avec ce niveau de prétention, en se disant qu’ils sont au-dessus de ça, ils n’aimeraient sans doute pas mes livres, de toute façon. Toute la littérature de genre est victime de ce type de prétention. Les gens passent leur temps à critiquer la fantasy, jusqu’à ce qu’ils tombent sur un roman de fantasy qui leur plaît – et ce roman devient soudain l’exception à la règle. Mais une bonne histoire reste une bonne histoire, et la fantasy est tenue de respecter des normes de qualité autant que n’importe quel autre genre (voire plus, parce qu’il s’agit d’un sous-genre).
- J’ai entendu dire que la décision de classer le roman en young adult en Russie n’était pas bien passée, et qu’il avait été censuré en raison de la relation homosexuelle entre Rhy et le capitaine Emery. Comment avez-vous résolu cette situation avec l’éditeur ?
- C’était une situation très contrariante. Ils voulaient publier le roman sous l’étiquette young adult plutôt qu’adulte, et en Russie, cela veut dire censure. Ils ont supprimé des morceaux de texte sans mon accord. Je ne l’aurais probablement jamais appris si des lecteurs qui avaient lu le livre en anglais et en russe ne me l’avaient pas rapporté. Nous avons tout fait pour travailler avec l’éditeur. Nous avons exigé qu’ils détruisent les exemplaires déjà imprimés et qu’ils résolvent la situation, mais ils ont fini par refuser. Comme ils étaient en rupture de contrat, j’ai mis un terme à notre accord. C’était très contrariant, parce que j’appartiens moi-même à la communauté LGBT, et ce genre de mise en avant est très important pour moi. Je veux me reconnaître dans un livre, et je veux mes lecteurs le puissent aussi. Beaucoup de lecteurs russes m’ont dit que j’étais trop émotive, que ce n’était que quelques pages et qu’il n’y avait pas de quoi en faire un plat. Mais c’est une identité. Je ne comprends même pas comment ils avaient l’intention de publier le troisième tome, car leur relation se transforme en véritable histoire d’amour ! Heureusement, un autre éditeur russe a racheté les droits et promis de le publier en tant que roman adulte. Comme la censure est toujours très présente en Russie, ils doivent malgré tout emballer le livre dans du plastique en raison de son « contenu adulte ». Mais je préfère que le livre soit sous plastique et vendu aux adultes plutôt que de voir mon texte modifié sans mon autorisation. Ça n’a pas été simple, j’ai entendu dire que je n’étais pas en odeur de sainteté auprès de la communauté littéraire russe. Comme ils n’avaient acheté que les doits d’une partie de la série, ils me reprochent de ne pas avoir été franche avec eux. Mais ce n’est pas mon problème ! Je n’arrive pas à croire qu’ils aient cru pouvoir s’en sortir impunément. J’ai longtemps hésité à critiquer l’éditeur, qui travaille dans un climat de terreur et d’extrême censure, mais ce n’est tout simplement pas acceptable. Je préfère que mes livres ne soient pas du tout publiés en Russie que de les voir modifiés de cette façon. Ça m’a valu beaucoup d’animosité de la part des lecteurs russes, qui me trouvaient égoïste et m’ont accusée de les priver du roman à cause d’une intrigue secondaire. Mais le sujet est trop important pour moi.
- Vicious et This Savage Song se suffisaient parfaitement à eux-mêmes, mais vous avez à présent publié Our Dark Duet, et la suite de Vicious est attendue pour la fin de l’année. Ces suites étaient-elles prévues ou avez-vous réalisé une fois ces premiers tomes finis que vous aviez autre chose à raconter ?
- Non, elles étaient toutes les deux prévues. Savage Song et Dark Duet, plus particulièrement, sont comme deux moitiés d’un tout. Je dis toujours que l’un est la cause, et l’autre est l’effet. This Savage Song montre comment Kate et August deviennent ceux qu’ils sont dans Our Dark Duet ; c’est la raison pour laquelle il est indispensable de les lire comme un diptyque. Le cas de Vicious est un peu différent. J’ai toujours voulu donner une suite à Vicious, mais c’était mon premier roman adulte et nous n’avions aucune idée de la façon dont il allait marcher. Il était plus sûr de le concevoir comme un roman indépendant ; comme ça, si les ventes n’étaient pas au rendez-vous, il n’y aurait pas de suite et les lecteurs ne seraient pas déçus. Je suis également convaincue que le premier livre d’une série, quel que soit le nombre de tomes prévu, doit pouvoir se lire de façon indépendante. À mes yeux, pour que le début d’une série soit solide, il doit pouvoir se suffire à lui-même. De cette façon, on peut lire Shades of Magic en tant que roman indépendant. Les héros gagnent une bataille, mais pas la guerre ; le secret des romans indépendants est là. Pour Vicious, ce qui est très ironique, c’est que certains lecteurs y voient un roman autonome alors que le dernier page apporte un cliffhanger. Sidney Clarke n’a encore jamais été capable de ressusciter un EO un individu ExtraOrdinaire, qui possède(..) sans provoquer de conséquences catastrophiques – et à la fin du livre, elle y arrive. C’est intéressant de voir que la moitié de lecteurs de Vicious ont trouvé qu’il se suffisait à lui-même, alors que l’autre moitié y a vu un énorme cliffhanger. Mais ce que je dois préciser au sujet de Vengeful, le deuxième livre, c’est qu’il ne s’agit pas d’une suite directe. Vengeful a ses propres thèmes et plusieurs nouveaux personnages principaux. J’espère que les lecteurs comprendront que ce n’est absolument pas conçu comme une suite directe à Vicious.
- Vos romans ont tous des histoires et des cadres très différents, mais tous ont en commun une atmosphère très sombre, comme nous l’avons déjà dit. Les happy ends n’existent pas et j’ai appris à ne pas trop m’attacher aux personnes. On ne sait jamais ! Je n’ai pas oublié ce que vous avez fait subir à Rhy pendant trois livres. C’est certainement une question très naïve, mais qu’est-ce qui vous pousse à écrire des histoires si sombres ?
- J’ai tout de même envie de dire que la fin de Shades of Magic est heureuse ! Ou en tous cas, optimiste. Et si sombre que soit Our Dark Duet, la fin est aussi pleine d’espoir – pour les personnages encore en vie ! (rires) Our Dark Duet est parti à l’impression très tard aux États-Unis, et l’une des raisons de ce retard, c’est que j’ai tenté de rendre la fin moins sombre. Mais cela n’aurait pas collé avec le monde que j’avais créé. Ma réponse va sembler vraiment banale… Je crois que c’est Stephen King qui a un jour répondu à la question : « Êtes-vous vraiment déséquilibré ? », en disant : « Non, j’exorcise tous mes démons sur le papier, ce qui fait de moi quelqu’un de très équilibré dans la vie ». J’aime les sujets sombres. J’étais une enfant morbide, je suis devenue une adolescente morbide, et aujourd’hui, je suis une adulte morbide ! Nous vivons dans un monde sombre, et parfois, la fantasy est le meilleur moyen d’explorer des thèmes très sombres et très réels. C’est une métaphore idéale. Comment puis-je évoquer la violence aux États-Unis, sinon au travers du prisme de Monsters of Verity, avec cette idée que la violence a des conséquences physiques bien réelles ? J’aime l’idée que la fantasy nous permet d’explorer des thèmes très sombres au travers d’un prisme bien spécifique. J’ai bien essayé d’écrire des choses plus légères, mais ça ne fonctionne pas ! Ça ne m’intéresse tout simplement pas ! Quand je m’essaie au réalisme, j’écris environ dix pages avant de me dire : « Tu sais ce qui serait encore mieux ? Si la fille était un démon ! » (rires) Je préfère ça. Mais je pense aussi que, plus mes livres sont sombres, plus ils sont drôles. Je m’efforce d’apporter des moments de légèreté et d’humour. Je ne pense pas qu’on puisse être sombre en permanence. Je ne serai jamais capable d’aller au bout d’une série télé comme ça. Je me souviens avoir arrêté Battlestar Galactica à cause de cette noirceur permanente. J’ai arrêté The Walking Dead parce que je me demandais où était l’espoir. Aussi sombres que soient mes livres, ils ont toujours une part d’espoir, ce qui est très important pour moi.
- Vous aimez aussi briser les clichés : Vicious nous dit qu’avoir des super-pouvoirs ne signifie pas forcément être un super-héros, votre série YA ne comporte pour ainsi dire aucune histoire d’amour (et par conséquent aucun triangle amoureux…). Est-ce une volonté de votre part ou est-ce quelque chose de naturel lorsque vous commencez à écrire ?
- Il arrive que ce soit une volonté de ma part. Concernant les personnages de Shades of Magic, j’ai toujours su que je voulais faire de Lila une Serpentard et de Kell un Poufsouffle. Une de mes dynamiques préférées consiste à faire de la fille quelqu’un de beaucoup plus ambitieux, de plus passionné, plus machiavélique, et de faire du garçon un personnage plus émotif.
- C’est également la dynamique dans Monsters of Verity.
- Exactement. Mais concernant les clichés et les stéréotypes de la romance, j’essaie de les briser parce que… Ce n’est sans doute pas la chose à dire en France, où l’idée de romance est très importante. Mais il y a tellement d’autres types de relations fascinants, et ils passent toujours après les histoires d’amour. Les relations familiales, les rivalités entre frères et sœurs, les relations parent-endant, l’amitié, les antagonismes, les amis d’enfance qui deviennent adultes… Il y a tellement de relations intéressantes, et elles s’effacent presque toujours devant les sentiments amoureux. Je ne dis pas que je n’aime pas la romance, elle a sa place dans mes histoires. Mais je n’arrive pas à y voir autant d’intérêt qu’une amitié compliquée ou une relation entre frères et sœurs. À mes yeux, ce type de relation est beaucoup plus dynamique. En tant qu’auteur, mon crédo est d’écrire ce que j’ai envie de lire. Tout ce que j’écris m’est avant tout destiné. Et en tant que lectrice, ce que j’ai envie de lire, ce sont des relations complexes. C’est la raison pour laquelle je suis davantage attirée par les liens fraternels entre Kell et Rhy, ou la dynamique parent-enfant de Baron et Lila, ou l’amitié compliquée de Kate August, qui se transforme en antagonisme pour revenir à l’amitié. Je trouve ces relations bien plus intéressantes. Et parfois, cela me permet de faire naître une histoire d’amour – pas entre frères et sœurs, évidemment ! Mais ça peut arriver, comme entre Kell et Lila. Kate et August s’y essaient et c’est un échec spectaculaire, ce qui m’a beaucoup amusée ! J’aime le long terme ; je veux que mes lecteurs s’investissent dans les personnages en tant qu’individus, et non en tant que couple. Alors seulement, je peux décider de faire évoluer les choses en ce sens. Mais dans ce cas, leur valeur aux yeux du lecteur ne sera pas limitée par leur histoire d’amour.
- Vous vous partagez entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, où vit votre famille, comme vous l’avez mentionné tout à l’heure. Voyez-vous une différence dans la façon dont la fantasy est traitée entre ces trois pays ?
- Oh oui ! Mais je vois ça comme une extension de la façon dont la littérature et la lecture de façon générale sont traitées. Les publics sont très différents, de même que l’enthousiasme dont font preuve les gens, ou encore la démographie et le nombre de personnes participant aux différents événements. Tous les éléments sont différents. Les États-Unis ont un énorme problème avec la fantasy, qui est un genre méprisé. Je ressens moins ce problème en Grande-Bretagne, mais aux États-Unis, la fantasy est un citoyen de seconde zone dans la communauté littéraire. Elle n’est pas traitée comme une forme valide de littérature et subit des conflits internes (c’est toujours le cas avec les sous-genres). Il y a toujours des conflits entre science-fiction et fantasy, ce que je trouve absurde, car 99,9% de la science-fiction n’est rien d’autre que de la fantasy ! L’auteur n’écrit pas pour un public technique. Quand j’entends certaines personnes affirmer que la science-fiction est plus valable que la fantasy et citer l'exemple de Star Trek, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’on parle de science fantasy. Que ça se passe dans l’espace ou à Londres, ça reste de la fantasy ! Si quelqu’un devait écrire de la pure science-fiction, ce serait illisible pour le commun des mortels. Ces bisbilles internes me fatiguent – et c’est la même chose en YA. J’entends les gens se battre pour savoir si Shades of Magic doit être classé en adulte ou en young adult, mais je m’en moque ! J’ai des lecteurs passionnés, et c’est tout ce qui compte ! Je ne me rends pas bien compte, quel est l’état de la fantasy en France ? Je suis encore trop novice ici.
- C’est une catastrophe ! J’ai été surprise de vous entendre dire que le genre était méprisé aux États-Unis. Ici, on ne parle même plus de genre de seconde zone, mais de troisième ou quatrième zone.
- Je me demande pourquoi. Quel est le genre principal, ici ?
- C’est ce que l’on appelle la « littérature blanche », c’est-à-dire ce qui ne relève pas des littératures de l’imaginaire.
- En anglais, on appelle de la « fiction littéraire ». Mais c’est intéressant : au Royaume-Uni, le genre le plus populaire, et de loin, c’est le roman policier. Il suffit de se rendre dans une librairie et d’observer quel espace est accordé à tel genre. Dans une librairie britannique, l’espace dédié au roman policier est deux fois important que celui accordé à la SF et à la fantasy, et deux fois celui accordé au YA. Dans une librairie américaine, la littérature blanche occupe deux fois plus de place que tout le reste, malgré le fait que les lecteurs ne s’y intéressent pas tant que ça. Au final, ça m’est égal, du moment que les lecteurs ont accès à mes livres. Mais chaque pays est différent. Au Brésil, la distinction n’était pas si marquée, mais j’y ai passé peu de temps. Je pense que je devrais passer plus de temps dans plus de pays pour me faire une meilleure idée. Mais oui, c’est vraiment curieux. Tout ce que je veux, c’est écrire des livres, et je veux que les gens puissent se les procurer.
- Vous vivez à Edimbourg, ce qui me fait particulièrement plaisir étant donné l’amour que je porte moi-même à cette ville. J’y ai vécu quelques mois quand j’étais étudiante, et tout dans cette ville hurle « urban fantasy ». Votre nouveau roman, City of Ghosts, à paraître en août, se déroule au moins pour partie à Edimbourg. Comment la Ville des Morts vous inspire-t-elle en tant qu’auteur ?
- Oh, énormément. À l’origine, j’y ai vécu quand j’étais étudiante de troisième cycle. La première chose à m’avoir frappée, c’est l’obsession de cette ville pour l’histoire. Où que vous alliez, vous trouverez des petits panneaux disant : « Ici, à telle date, s’est passée telle chose ». L’histoire de la ville a été conservée. Mais ce que j’ai remarqué lorsque j’ai vécu en Grande-Bretagne… Je ne sais pas comment cela se passe en France, et c’est très différent aux États-Unis. Les États-Unis blancs et colonisés (je ne parle évidemment pas des Amérindiens) sont un pays jeune et très puritain, sans fondation païenne. À l’exception de ce qu’il s’est efforcé d’annihiler, il n’a pas de mythes, pas d’histoire. Je suis moi-même païenne, et il suffit de passer du temps en Grande-Bretagne pour se rendre compte que même les Chrétiens ont un immense respect pour les bases païennes sur lesquelles le pays s’est construit. On y célèbre encore un certains nombre de fêtes qui sont prises très au sérieux. Et en parallèle, les gens ont un lien incroyable et parfaitement blasé avec le surnaturel. Ils croient en tout et ils l’incorporent au quotidien. Mais cela ne les définit pas et ce n’est pas considéré comme de la simple superstition. Vous pouvez vous rendre dans un lieu bien spécifique, entendre ou voir des choses curieuses, et les locaux vous diront de ne pas faire attention. J’ai vécu à Liverpool pendant quelque temps, dans une maison particulièrement hantée. Personne n’avait pensé à me prévenir, mais au bout d’un mois, j’ai fait remarquer que je pensais que l’endroit était hanté. Tout le monde m’a répondu : « Oh, évidemment ! » Personne ne m’avait rien dit, mais ils pensaient bien que je finirais par m’en rendre compte. En Écosse, tout ça est poussé à l’extrême. Tout le monde à une histoire de fantôme à raconter, et on vous la racontera avec le même naturel que si on vous parlait d’un membre de la famille qui est allé faire un tour au pub. Ça fait partie du quotidien ; les mythes et l’histoire coexistent d’une façon incroyable qui finit par vous faire croire que la magie existe. J’ai grandi en cherchant les portes qui se dissimulaient dans le mur, en voulant voir la magie, en souhaitant que le monde soit plus étrange qu’il ne l’était. C’est la raison pour laquelle l’une des dédicaces de Shades of Magic dit : « Pour ceux qui rêvent de mondes inconnus » – parce que c’est ce que je recherchais. La Grande-Bretagne rêve d’inconnu au quotidien, et écrire une histoire de fantômes se passant en Écosse était naturel. Dans l’une des toutes premières scènes, les personnages arrivent à Edimbourg et montent dans un taxi. Le chauffeur leur demande ce qu’ils viennent faire en Écosse, et ils répondent qu’ils viennent chasser les fantômes pour une émission de télé. Plutôt que d’opter pour le silence ou de se montrer sceptique, le chauffeur leur dit : « Oh, vous savez, il m’est arrivé ça, un jour… » Et dans la vraie vie, c’est exactement comme ça que les choses se dérouleraient ! Tout le monde vous dirait : « Oh, des fantômes… J’ai fait ça, une fois… » Tout le monde a une histoire à raconter. J’ai pu associer cet amour pour l’histoire en Écosse à cette affinité avec le surnaturel. Ça fait partie intégrante de ce pays. J’étais très enthousiaste à l’idée d’écrire ce roman. Et Edimbourg est tellement riche en histoires de fantômes ! La grande scène de bataille finale se passe dans le célèbre cimetière de Greyfriars Kirk – l’endroit idéal. Je travaille actuellement sur la suite, qui se passera à Paris, et j’ai la possibilité de m’appuyer sur de vraies histoires de fantômes. La seule à être totalement inventée est celle qui constitue le cœur de l’histoire. Tout le reste se base sur des légendes locales.
- Puisque nous sommes actuellement au Salon du Livre, j’aimerais conclure en vous demandant quel est votre sous-genre ou votre auteur de prédilection – si vous avez encore le temps de lire !
- J’ai le temps et j’essaie de lire environ 100 livres par an. J’y suis arrivée ces trois dernières années, mais je ne suis pas sûre que ce sera le cas cette année. Quand j’écris de la fantasy, je n’en lis pas. J’ai besoin de lire autre chose que le genre que j’écris. Du coup, je mets de côté la fantasy et la science-fiction pour les moments où je me trouve entre deux projets, ce qui est une fenêtre assez courte. Je lis des tonnes de non-fiction et de mémoires. J’adore les mémoires, parce qu’elles vous donnent un aperçu de la vie d’autres personnes. En ce moment, je lis Educated, de Tara Westover, une autobiographie formidable et très perturbante de cette femme élevée en tant que survivaliste aux États-Unis. Les mémoires m’apportent beaucoup d’idées pour des personnages. Une bonne moitié de mes lectures annuelles appartiennent au genre non-fiction, historique ou mémoires.
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