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Un entretien avec Audrey Petit : Orbit en 2011

Par Gillossen, le lundi 25 avril 2011 à 15:45:45

Audrey PetitAlors que le printemps semble déjà glisser vers l'été, Audrey Petit, directrice de collection chez Orbit France, a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions !
La situation du label, les sorties majeures et les perspectives pour 2011 et même un peu plus, la situation de la fantasy en général en France, la Bit-Lit... Audrey Petit répond à toutes nos interrogations pour l'occasion, sans botter en touche.
Merci encore à elle pour sa disponibilité !

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Copyright photo: Patrick Imbert

L'interview proprement dite

Quel est votre état d'esprit alors que le premier trimestre 2011 est déjà derrière nous ?
Je suis à la fois plutôt sereine et fatiguée. Des titres importants sont parus en ce début d’année, dont deux qui sont de gros coups de cœur, Sans Âme de Gail Carriger et La Cité des eaux d’Amanda Downum ; en ce moment, toute l’équipe travaille d’arrache-pied sur le lancement du Livre perdu des sortilèges de Deborah Harkness. Je suis plutôt sereine de constater que malgré un climat très morose en librairie, le Carriger se défend bien, idem pour le Jaye Wells (Métisse, la première aventure de Sabina Kane), un nouvel auteur aussi, sans parler de l’engouement pour le Harkness : non seulement il cartonne aux Etats-Unis et en Angleterre, mais toutes les personnes à qui nous l’avons fait lire en France sont enthousiastes et nous demandent la suite. C’est bon signe.
Dans votre catalogue 2011, vous mettez en avant le fait que l'imaginaire est ouvert à tous, qu'il ne faut pas se mettre de barrière. Est-ce vraiment votre volonté première, une véritable ligne directrice ?
Absolument. J’ai toujours quelques minutes d’incompréhension quand je comprends que quelqu’un a décidé, par principe ou a priori, de ne pas lire de roman de genre. Pourquoi se couper de 30 à 35 %, au bas mot, des parutions ? Qu’est-ce qui peut bien justifier une telle attitude ? J’aime beaucoup cette phrase de Conan Doyle, qui dit en gros qu’il n’y a pas de limite à la crédulité des incrédules, autrement dit ceux qui ont décidé qu’ils ne croiraient rien et qu’on ne la leur ferait pas se privent du coup de pas mal de choses. La suspension consentie d’incrédulité requise pour apprécier la fiction marche à plein avec la fantasy et la SF. Les lecteurs qui mettent le nez dans le genre pour la première fois sont souvent surpris de découvrir la richesse des histoires et des univers, les différences entre les auteurs. Réduire la fantasy aux elfes et aux nains, ou la SF aux vaisseaux spatiaux, c’est un peu comme réduire la littérature générale à l'autofiction. Inversement, disqualifier un roman de fantasy parce qu’il met en scène des elfes et des nains est aussi ridicule que disqualifier comme telle une autofiction. En d'autres termes, ça se joue ailleurs : l’histoire, son traitement, l’univers, les personnages, etc... Mes plus grands plaisirs de lecture commencent avec la surprise et le ravissement, que dispensent parfaitement bien les littératures de genre.
Avec un peu plus d'un an d'existence maintenant en France, êtes-vous satisfaite de ces premiers résultats pour Orbit ?
Oui, mais... Oui, parce que rien n’était joué d’avance. Ce n’est pas parce qu’on arrive avec un label dont le nom est prestigieux, chargé ailleurs d’histoire, qu’on gagnera le pari du lancement. Le marché français est particulièrement difficile et rien ne nous assurait que Kristin Cashore, publié six mois avant en jeunesse, aurait avec Graceling les résultats que nous avons eus. Ça s’est bien passé également pour les romans de Brandon Sanderson ou encore ceux de Lilith Saintcrow, et le Gail Carriger fait un très bon démarrage. Et les voyants sont au vert pour le Deborah Harkness.
Mais... Mais que le marché français est ardu ! Que d’efforts pour faire comprendre notre travail et fédérer le lectorat autour de textes qui rencontrent ailleurs un succès franc et souvent immédiat ! Et je n’ose parler de la presse… Pour résumer, les résultats d’Orbit en France aujourd’hui sont bons par rapport à nos concurrents et par rapport au marché des littératures de genre, mais il reste encore pas mal de chemin à parcourir pour tout le monde...
Le marché était déjà concurrentiel à votre arrivée, il l'est encore plus aujourd'hui, avec l'arrivée du label Eclipse par exemple. Comment voyez-vous ce marché français du grand format en 2011 ?
Je le trouve riche et vivace, et extrêmement stimulant. D’une manière générale, les tables et rayons des libraires, quand ils sont bien approvisionnés et présentés de manière pertinente, me réjouissent, et j’y trouve mon compte.
Le problème n’est à mon sens pas tant celui de la concurrence que celui de la défection à l’égard de la lecture en général, ou plutôt de la baisse inquiétante des achats de livres, et d’une forme de procès en dissolution mené contre la littérature de genre en particulier : tout se passe parfois comme si, pour vendre un titre d’imaginaire, il fallait l’habiller des oripeaux d’autres genres – le thriller, la littérature générale, le roman historique, la littérature jeunesse. De ce point de vue, je suis très attachée aux structures ou collections dites spécialisées, qui se font une mission de publier et d’assumer les genres.
Quel est à vos yeux votre plus grande réussite pour le moment ? Le succès de Brandon Sanderson ?
Les romans de Kristin Cashore et ceux de Brandon Sanderson ont bien marché, mais ils sont aussi de très gros succès anglo-saxons. La véritable réussite, c’est sans doute d’avoir imposé Orbit sur le marché de l’imaginaire, et d’avoir proposé des nouveaux auteurs qui tirent leur épingle du jeu. Les chiffres 2010 et ceux de ce début d’année montrent que nous sommes bien placés sur le lancement des nouveaux auteurs, ce qui, encore une fois compte tenu de la morosité en librairie et de la difficulté à lancer un nouvel auteur, tient de la performance.
En parlant de Brandon Sanderson, vous nous aviez annoncé Warbreaker ou sa nouvelle série The Stormlight Archive pour l'année prochaine. Ça n'a pas bougé ?
Si, un peu... Brandon est tellement prolixe, il a tellement d’idées, qu’il a trouvé le moyen de boucler son Fils-des-Brumes 4 en début d’année. Et après réflexion, nous avons décidé de publier The Alloy of Law avant les autres. Il se passe quelques siècles après le Héros des Siècles, il est excellent – imaginez l’allomancie avec des armes à feu ! Nous publierons ensuite Warbreaker, puis le mastodonte The Way of Kings. En attendant les suites d’Elantris, des Fils-des-Brumes, de Stormlight Archives...
Et, a contrario, avez-vous quelques regrets sur un titre précis par exemple ?
Deux regrets : Les Cent Mille Royaumes de N.K. Jemisin peine à démarrer depuis sa parution en novembre dernier, alors qu’il est à mon sens une des meilleures surprises de ces dernières années en littérature de genre. On est semble-t-il assez nombreux à partager cet avis outre-atlantique, puisque comme vous le savez le roman est finaliste au Hugo, rien de moins ! En France, en revanche, à l’exception notable de votre site et de quelques blogs, il a été plus ou moins ignoré par les prix et la presse. Incompréhensible, et surtout dommage. Quoi qu’il en soit, l’auteur sera présente aux Imaginales : avis à ceux et celles qui sont passés à côté !
%Un regret aussi pour J.V. Jones, qui est à mon sens un des grands auteurs de fantasy de ces dix dernières années avec Robin Hobb ou G.R.R Martin, et qui, si elle fonctionne pas mal en France, n’est pas du tout à la hauteur de ce qu’elle mériterait.
Chez vous comme ailleurs, la Bit-Lit a pris de plus en plus d'importance au fil des mois. Pour vous, le phénomène est-il parti pour durer ou s'essouffle-t-il déjà, la faute peut-être à une certaine surproduction ?
Si l’on en croit les chiffres, le phénomène est assez loin de s’essouffler, les démarrages de nos titres Bit-Lit de ce début d’année le prouvent, je pense à Sans Âme de Gail Carriger, Métisse de Jaye Wells ou au 2e Danny Valentine de Lilith Saintcrow. Et que les choses soient claires, les titres étaient déjà achetés lorsque nous avons lancé le label, restait simplement à les faire traduire.
Phénomène de mode, si l’on veut, rappelons que la fascination pour les vampires et autres créatures de la nuit n’est vraiment pas nouvelle, et le regain d’intérêt dont ils font l’objet ne doit pas nous faire oublier les anciens. Quand je dis les anciens, je ne pense pas à Bram Stocker, paix à son Dracula, mais à Buffy, qui date tout de même de… ma foi, 1997. Ou Charmed. Sans parler des romans de Anne Rice, dont le premier je crois date de 76. Les premiers romans de Charlaine Harris datent de 1989, le premier Sookie de 2001… Alors bon, la Bit-Lit, c’est super et ça se vend bien, mais le commentaire que tout ça m’inspire, c’est quelque chose comme : « enfin. » Le genre de soupir de contentement qu’on pousse quand les choses rentrent dans l’ordre, si vous voulez. On peut penser que Platon a tout dit sur la philosophie ou que Whedon a tout dit sur les vampires avec Buffy, et on aura raison :-), mais ça n’empêche pas de s’extasier sur Kant, Heidegger, Charlaine Harris ou Gail Carriger, non ?
Pour 2011, on entend déjà beaucoup parler du Livre perdu des Sortilèges de Deborah Harkness. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
A l’automne 2009, j’ai reçu un coup de fil d’un agent qui me dit en substance qu’elle avait un manuscrit qui pouvait m’intéresser. Coïncidence, j’avais repéré quelques jours avant le titre et j’avais fait une note à ce sujet « le demander en lecture », quelque chose comme ça. C’était le Livre perdu des sortilèges (A Discovery of Witches en vo), l’histoire d’un manuscrit perdu, qu’une jeune femme emprunte un après-midi à la bibliothèque boldéienne d’Oxford, et qui réveille ce faisant un sortilège ancien, et la convoitise de toutes les créatures qui vivent parmi les hommes : vampires, démons, sorcières. Que contient le manuscrit ? Pourquoi tout le monde est prêt à tuer pour lui ? Elle-même est une sorcière, issue d’une lignée puissante et dévastée, bien qu’elle refuse au départ d’assumer son héritage. Vous voyez le Nom de la Rose, et ce fameux livre qui sème la mort sur son passage, celui par où tout a commencé, et où tout finira, etc. ? L’Ashmole 782, au centre du roman de Deborah Harkness, est un manuscrit alchimique qui a réellement existé et qui a réellement disparu, il est manquant aujourd’hui à Oxford. Deborah Harkness a essayé d’imaginer ce qu’il pouvait contenir, tout en posant de manière crédible et approfondie l’existence des créatures parmi les hommes, sans oublier l’histoire d’amour impossible. C’est fascinant et difficile à reposer sur la table de nuit une fois commencé !
Pour le reste, le roman a été vendu dans 34 pays avant même de paraître aux Etats-Unis. Il est sorti là-bas le 8 février dernier, et le verdict est tombé : 1er sur les listes UK, 2e au New-York Times, ils ont dépassé en deux mois les 300 000 ex vendus en Angleterre et aux Etats-Unis, ils en sont à la 7e réimpression.
Il sera chez nous en librairie le 4 mai.
Comment voyez-vous la collection dans un an, deux ans, ou même cinq ans ?
Je ne vois rien, je ne suis pas prophète ! J’espère simplement que le label aura confirmé son bon démarrage, que les auteurs déjà publiés s’installeront durablement, et que nous aurons toujours la capacité à lancer de nouveaux auteurs. Dans un an, Orbit comptera en France environ 100 titres à son catalogue en comptant le poche.
Calmann-Lévy, dont dépend votre label, a-t-il apprécié votre démarrage ? Vous semblez déjà bien installé en un an et demi à peine.
Calmann et Lévy vont bien, merci :-) et ils attendent à présent comme moi qu'Orbit souffle ses deux bougies dans la joie et l'allégresse. N'oublions pas que Calmann-Lévy a été l'éditeur, un jour, de Dumas. Amusant, non ?

Espérez-vous augmenter votre rythme de production, à moyen terme par exemple ?
Nous n’espérons pas, nous en sommes certains : si l’on compte seulement le grand format, nous avons publié 7 titres pour le lancement fin 2009, 12 en 2010, 17 en 2011 et une vingtaine sont prévus pour 2012. Sans oublier les poches. Cela nous permet ainsi de poursuivre les cycles et séries entamées, mais de proposer, toujours, de nouveaux auteurs.
Pour en revenir à 2011, pouvez-vous évoquer en quelques mots les parutions du second semestre ?
Pas mal de Bit-Lit pour l’automne : une nouvelle série de Lilith Saintcrow et une nouvelle héroïne : Jill Kismet est plus dure et plus marquée que Danny Valentine, et c’est aussi bon ; la suite de Sabina Kane, Rouge sang noir magie, la suite des aventures de Danny Valentine et de son démon, et celles de l’inénarrable Miss Tarabotti, qui transportera pour l’occasion son ombrelle et son teint mat en Écosse, le tout en dirigeable. Ça s’appellera Sans forme. Et toujours de la fantasy, avec J.V. Jones et le Veilleur des Morts, le retour des guerriers Macht avec Corvus de Paul Kearney (vous avez des amateurs chez Elbakin je crois), sans oublier quelques surprises en poche Nous finalisons actuellement les couvertures
Et, pour voir un peu plus loin, 2012 devrait être placée sous le signe de... ?
Des suites, toujours, Sanderson, Saintcrow, Downum, Jemisin, Kiernan, Wells, Carriger ou Kearney, mais aussi des nouveaux : trop tôt pour en parler, mais disons qu’il y aura au moins deux nouveaux auteurs, et le retour de Kristin Cashore. Et puis… de la science-fiction.
Et, enfin, selon vous, quelle serait votre définition d'un bon roman, tous genres confondus ?
Heu... C’est un piège ? J’ai sept heures et vous ramassez la copie, c’est ça ? Vous n'auriez pas plutôt une question sur la métaphysique ? :-)

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