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Sang, caféine, sexe et magie : l’écriture de Game of Thrones
Par Alice, le mardi 19 mai 2015 à 20:00:00
Il existe une prophétie bien connue dans la saga de fantasy écrite par George R.R Martin, Le Trône de Fer au sujet des trois têtes du dragon.
Peut-être cela signifie-t-il quelque chose sur les héros qui sauveront Westeros des Marcheurs Blancs. Peut-être n’est-ce rien d’autre qu’une allusion à la maison Targaryen (ou à King Ghidorah) mais, appliqué à l’adaptation à succès par HBO des livres de Martin, le sens est évident. Les créateurs et responsables David Benioff et Dan Weiss sont les têtes numéro un et deux. La troisième est le producteur de la série, le grand maître officieux, et le seul scénariste à avoir travaillé sur les cinq saisons : Bryan Cogman.
Et c'est lui justement qui s'est retrouvé interviewé par The Observer, peu de temps avant le début de cette saison 5. Alors que le sixième épisode de la saison suscite un peu partout sur la toile des réactions épidermiques, il nous semblait intéressant de revenir sur cette prise de parole, traduite ici pour vous.
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L'interview
- Cette série est un grand, grand succès. C’est la série la plus populaire dans l’histoire de la chaîne, et l’une des plus regardées à la télévision. Cela vous a-t-il rendu plus fier ? Donné l'impression de pouvoir imposer vos idées quand c’est nécessaire ?
- Personnellement, j’éprouve comme jamais une grande nervosité, donc je ne pense pas être plus arrogant. Je pense que David et Dan ont une certaine vision de la série et de son univers. Et même si la série est populaire, et nous en sommes ravis, D&D n’ont jamais considéré cette situation comme acquise. Ils prennent toutes les décisions avec précaution, comme elles viennent. Ils veulent vraiment que chaque saison soit construite comme si c’était la dernière et, c’est très important, très différente de celle qui l’a précédée.
- Comment ça ? Y a-t-il une brève description de ce à quoi chaque saison ressemble, qui les rendent chacune différentes ?
- Non… je veux dire que, avec du recul, on pourrait trouver un « thème » une fois que tous les épisodes sont achevés, et peut-être que D&D ont eu des discussions de ce genre auxquelles je n’ai pas assisté. Mais nous ne fonctionnons pas vraiment de cette façon dans la salle des scénaristes, on parle surtout des personnages et de l’histoire. Je pense que George fonctionne de la même façon quand il écrit ses livres. Quand je dis que chaque saison est différente, c’est plus à propos des personnages qui vont de l’avant, qui changent.
- Je sais très peu de choses sur le véritable processus d’écriture que vous, Dan et Dave avez, je ne savais même pas qu’une « salle des scénaristes » existait. Comment faites-vous pour écrire ces épisodes ?
- Cela varie selon les saisons, car on finit par comprendre comment tout s’emboîte au fur et à mesure. Mais, de façon générale, nous avons fonctionné de la même manière que les années précédentes. Pendant qu’on tourne une saison, on échange des emails et/ou on bavarde sur le plateau des grandes lignes de la prochaine saison : tel personnage commence à « Machin » et nous voulons qu’il ou elle finisse à « Truc ». Puis, quand on commence à approcher de la fin de la production, David et Dan, certaines années, assignent à plusieurs scénaristes quelques personnages. Dans mon cas il s’agissait, pour la saison 4, du personnage d’Arya. Quand je rentrais travailler pendant quelques semaines sur la « saison 4 d’Arya », je gardais donc à l’esprit certaines scènes dont nous avions déjà discuté, ainsi que les chapitres, scénarii et thèmes des livres que nous pourrions utiliser. Puis, en janvier, lorsque nous retournons à Los Angeles, nous nous rassemblons pendant deux à trois semaines environ, munis du travail de chacun, et nous balançons tout sur le tableau. On débat, on utilise quelques trucs, on en jette d’autres, on en invente d’autres. Nous finissons parfois avec quelque chose de très proche du travail individuel de départ, d'autres fois, c’est très différent. Après avoir planifié tous les arcs narratifs de chaque personnage principal, en utilisant des cartes indexées avec un code couleur, on les arrange par épisode et on a une vague idée de l’ordre des scènes. De là, on sépare tout encore une fois et chacun s’attaque à un gros morceau du tableau, un tableau détaillé, qui fait parfois plus de cent pages à la fin. David et Dan le peaufinent et c’est ce que nous utilisons pour écrire le script de nos épisodes. Généralement, on me donne les épisodes de mi-saison, ça semble bien fonctionner de cette manière. George a écrit un script par saison pour les quatre premières, mais il a fait une pause pour la cinquième, car il travaille à fond sur le prochain livre. Et quand George n’est pas dans la salle des scénaristes, il lit les grandes lignes et nous fait part de ses commentaires. Ensuite, j’écris mes deux scripts, cela me prend à peu près un mois et demi pour les deux, D&D les lisent, me font part de leurs commentaires, je fais une réécriture, et parfois D&D travaillent dessus eux-mêmes. Et on continue de peaufiner tous les scripts à travers la pré-production et la production. Mais ils sont généralement prêts à être tournés quand nous les avons terminés. Ils doivent être prêts, puisque nous devons avoir les dix scripts complets bien avant de commencer le tournage. On tourne les dix épisodes en simultané, dans le désordre comme un très long film de dix heures, avec deux équipes de tournage qui travaillent en même temps, parfois dans des pays différents.
- Comment arrivez-vous à allier les aspects de votre travail de scénariste avec vos autres responsabilités en tant que producteur ?
- Quand on tourne, je me mets en mode producteur. Deux équipes de tournage travaillent en simultané donc, généralement, je couvre le plateau sur lequel ne sont pas David et Dan, travaille avec les réalisateurs, leur donne toutes les notes dont ils ont besoin et des conseils sur tout ce qui concerne l’histoire. En bref, je m’assure que l’histoire que l’on raconte derrière la caméra est la même que celle que nous avons écrite dans la salle des scénaristes. Quand nous sommes en postproduction, je ne suis pas réellement impliqué, à part pour donner mes propres notes sur le montage des épisodes. À ce moment-là, je me concentre plutôt sur l’écriture de la prochaine saison.
- Même au plus fort de son succès, vous restez une petite équipe de scénaristes. Pourquoi ?
- Jusque là, je pense que ça a bien fonctionné, je ne sais pas si cela aurait été pareil sur une autre série. Mais pour nous, c’est vraiment sympa et on est concentrés. Nous sommes présents durant toute la production, en relation avec tous les acteurs et les différents départements, ce qui est inhabituel. Nous n’avons jamais été plus de quatre en même temps dans la salle des scénaristes, et dans le cas des saisons 1 et 4, c’était seulement David, Dan et moi. Pour les saisons 2 et 3, nous avions également la merveilleuse Vanessa Taylor et pour la saison précédente, le génialissime jeune scénariste Dave Hill qui nous avait rejoints, c’était vraiment bien. Mais au final, la voix de la série c’est celle de David et Dan. Mon travail est de soutenir cette voix et d’écrire pour elle.
- Vous êtes sur le point d’atteindre la fin de l’histoire que George R.R Martin a publiée jusqu’à maintenant. Aviez-vous vu ça venir ?
- Eh bien, pour les deux premières années, je pense qu’il ne s’agissait vraiment que de produire de bonnes saisons en espérant que les gens regarderaient. Mais au moment de préparer et de tourner les saisons 3 et 4, à partir du moment où on savait où on allait, David et Dan ont commencé à vraiment penser l’ensemble de la série pour être capables de voir plus loin. Au final, la série suivra son propre chemin et George devra écrire ses livres à sa façon. Lui et D&D communiquent évidemment de façon très régulière à propos des livres et de la série. Mais la série est indépendante, comme elle doit l’être.
- Une partie du fandom a peur de cela, craignant que la série télévisuelle ne « spoile » les deux tomes restants de la série littéraire. Est-ce une inquiétude que l’équipe de la série partage ?
- Je pense que nous devons simplement faire les meilleures saisons 5 et 6 possibles et au-delà, ce que nous pouvons. Je ne suis pas sûr d’être libre de faire plus de commentaires sur ce sujet.
- Le « nouveau » mis de côté, il semble également, au vu des trailers, du casting, des lieux de tournage et ainsi de suite, que cette saison changera beaucoup certaines des histoires déjà existantes. Quand vous faites des choses qui ne sont pas dans les livres, qu’importe la raison, quelle est l’atmosphère créative qui les entoure ? Est-ce une atmosphère du type « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » ou plutôt « hoho ! On s’éloigne du bouquin là ! »
- Eh bien, je pense qu’au point où nous en sommes, nous avons la grande responsabilité envers les spectateurs, qu’ils aient lus les livres ou pas, d’essayer de produire dix heures de télévision extraordinaires. Il existe beaucoup de facteurs qui viennent faire diverger une sous-intrigue, un personnage ou un rebondissement, en particulier de ceux des livres. Encore une fois, tout est abordé et débattu de façon individuelle, au cas par cas. En fin de compte, on se remet à ce que David et Dan pensent être le mieux pour la série.
- La gigantesque et intense audience amène un examen bien plus approfondi, et la réaction peut être très virulente. Je pense à « cette scène » dans la dernière saison avec Jaime et Cersei dans le caveau familial à côté du corps de Joffrey. Les puristes du livre ont ressenti la scène comme une altération de la dynamique des personnages, les spectateurs principalement concernés par les problèmes de justice sociale l’ont ressentie comme une excuse pour les agressions sexuelles et les gens ont décortiqué chaque mot prononcé par Dan, Dave, le réalisateur Alex Grave, et les acteurs Lena Headey et Nikolaj Coster-Waldau à propos de ce que cette scène représentait « réellement ». Si vous deviez spécifiquement en parler, que s’est-il passé ?
- Mes patrons, les responsables de la série, n’ont pas commenté de façon publique cette scène. Donc je pourrais dire beaucoup là-dessus et sur la réaction des médias… je ne pense pas que cela soit approprié.
- De façon générale, faites-vous attention aux critiques, quelle qu’elles soient, quand vous écrivez ?
- Je répondrai par un poli et respectueux « non ».
- Grâce aux livres, il semble que la série possède tous les ingrédients pour devenir un phénomène culturel tout juste sorti du four depuis le début. Les maisons, les signes magiques, les devises, les rivalités, tout s’est naturellement transformé en T-shirts, Tumblrs, Lannister vs. Stark, envois et ainsi de suite. C’est comme un univers mi-drame, mi-super-héros, mi-équipe de sport. Ces éléments sont-ils un facteur pour vous ?
- C’est ce pour quoi sont là les talentueux commerciaux de HBO. Je ne pense pas à ces facteurs dans notre histoire. Je veux dire, évidemment, les rivalités et la fierté des maisons sont des parties importantes de la narration mais… je vais un peu me répéter, mais vraiment nous progressons pas à pas, moment par moment quand nous confectionnons les épisodes. Que veut ce personnage ? Comment peuvent-ils l’obtenir ? Qu’est-ce qui se trouve sur leur chemin ? Les mêmes questions qu’un acteur se pose quand il travaille sur sa performance. Tout ce qu’il y a autour tend à venir se mettre en place à partir de là.
- Comment attirez-vous l’attention de l’audience sur ces questions, sur ce qu’ils expérimentent vraiment dans la série au moment de sa diffusion, contre ce qui pourrait un jour arriver dans les futures saisons ? Les trailers, les teasers, les nouveaux membres du casting, les fuites, les spéculations sur l’histoire, les spoilers, les théories. C’est dans notre culture d’être très impliqués dans l’anticipation de l’art, presque plus que dans l’art lui-même. Bon sang, j’en suis moi-même coupable dans cette interview. Est-ce que cela vous préoccupe ? Est-ce même possible ?
- Oui, c’est très difficile. On veut vraiment que les spectateurs vivent l’histoire en même temps qu’ils la regardent se dérouler. C’est certainement comme cela que je préfère expérimenter une série télé ou un film. Les spoilers me rendent fou. Mais c’est un sentiment personnel. C’est encore plus dur en ce moment… Je pense qu’on s’en est pas mal sortis jusqu’ici. J’ai été surpris du nombre de spectateurs qui ont été étonnés du Red Wedding. On a fait de notre mieux pour étouffer les fuites, on a demandé aux acteurs et aux membres de l’équipe de ne rien révéler, de choisir seulement quelques informations à révéler dans les trailers, les publicités, etc. C’est vraiment quelque chose auquel on fait face, il est impossible de s’en tirer parfaitement tout le temps. Mais on s’en est pas mal tirés.
- Comment restez-vous concentré ? Que faites-vous quand vous écrivez ?
- J’ai tendance à travailler dans les coffee shops. J’ai besoin de sortir de la maison, et j’ai aussi besoin de café. J’en fréquente environ trois en ce moment. Quelques fois, j’écris juste au son des bavardages des gens dans le café, mais habituellement, j’écoute une playlist de musique avec mes écouteurs, cela dépend sur quoi je travaille. Pour GoT, naturellement j’écoute différentes musiques extraites de la série. J’ai écrit un film intitulé The False Prince, et j’écoutais beaucoup de bandes originales classiques de films d’aventures, Erich Wolfgang Korngold, des trucs comme ça. Je suis en train d’écrire Magic : The Gathering à présent, donc c’est beaucoup de musiques épiques fantasy/SF. Je passe des heures précieuses dédiées à l’écriture à élaborer ces playlists.
- Avez-vous une BO préférée dans toutes les saisons de GoT ? La mienne est définitivement celle de la saison 4, qui est totalement gothique. Peut-être est-ce à cause de toutes les musiques de la Garde de Nuit, puisqu’ils portent tout le temps du noir.
- Oui, je dirais aussi celle de la saison 4, en entière. Mais c’est sûrement ma préférée des quatre saisons qui ont déjà été diffusées, donc ça a sûrement un rapport.
- Quand vous n’écrivez pas, que regardez-vous ?
- Je pense que The Americans est exceptionnel à tous les niveaux. J’adore vraiment Justified – c’est probablement ma série favorite, bien que ce soit du pur divertissement. Je pense que ces deux séries sont sous-estimées. En fait, j’ai même trouvé quelques similarités entre GoT et Justified : les histoires en parallèles, les familles rivales, les jeux de pouvoir, les trahisons, les guerres de territoire. Mad Men, bien sûr ; j’allais l’oublier. The Suitcase, dans la saison 4 est mon épisode TV préféré de tous les temps. J’attends avec impatience la nouvelle liste des drames de HBO qui va être révélée. La nouvelle série de Terence Winter en particulier, j’ai trouvé la dernière saison de Boardwalk Empire exquise ! Et cette série n’a rien à voir avec ce que j’écris, mais je voue un véritable culte à Community. Mais je dois en rattraper énormément. Nous avons tous adoré Breaking Bad, donc je dois commencer à regarder Better Call Saul. Il y a tellement de choix sur tellement de plateformes. C’est une époque très excitante et malheureusement, je n’ai pas beaucoup de temps !
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