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Les tropes de la fantasy, une forme de rébellion face la littérature classique ?

Par ThinkBecca, le lundi 17 octobre 2011 à 15:02:47

LGLa radio américaine STUDIO 360 a récemment diffusé un entretien avec Lev Grossman au sujet des éléments de la fantasy qui commencent à envahir la littérature conventionnelle. L’introduction de cette interview faisait brièvement allusion à la popularité croissante de la fantasy à la sauce Trône de Fer, mais aussi au roman de Tom Perellota The Leftovers.
En à peu près dix minutes, le journaliste de STUDIO 360, Kurt Anderson, a essayé d’analyser l'émergence de cette tendance, et le vénéré Lev Grossman lui a fourni quelques réponses choc. Le propos le plus intéressant était peut-être quand Grossman a dit que « avouer être un écrivain de fantasy », c’était un peu sa « période punk ». Est-ce que l’utilisation d’éléments fantastiques constitue une espèce de rébellion punk pour les auteurs ?

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L'article

En tant que rédacteur de Tor.com, je dois admettre que j’ai un faible pour Lev Grossman. Pour être parfaitement honnête, je le trouve génial. Il a écrit pour Tor.com et nous avons publié un extrait de son nouveau roman The Magician King. Mais bien qu’il ait remporté cette année le prix John W. Campbell de la meilleure révélation littéraire (alors qu’il n’est pas vraiment un nouvel écrivain !) Grossman n’appartient pas uniquement au camp de la SFF. Contrairement à certains dont je parle dans mon Genre in the Mainstream, Lev connaît bien les lecteurs des deux côtés de la frontière. Pour cette raison, on parle beaucoup de Lev Grossman en tant qu’auteur, mais ce qui est révélateur dans cette interview est la façon dont Lev Grossman le critique répond aux questions sur les codes SFF dans la littérature grand public.

Grossman affirme qu’il aimerait que certains écrivains qui jouent avec la fantasy « arrêtent de faire de la m**** » et « se mettent vraiment à la narration de genre ». Cela semble en contradiction avec ce que nous avons entendu de la part de Steven Millhauser dans ma dernière chronique, où il affirmait que définir les codes du fantastiques mettait un auteur en « opposition à la réalité ». Et pour Millhauser, c’est problématique, car la fantasy aide à se rapprocher de quelque chose de plus réel encore que la réalité. Alors je sais, on dirait que j’essaie d’entraîner Grossman et Millhauser dans un débat que j’aurais scripté pour mes propres raisons, mais ces points de vue de deux auteurs et penseurs du genre semblent se mettre naturellement en contradiction. D’un côté, on dirait que Millhauser considère le fantastique comme un outil d’une boîte à outils plus vaste, tandis que Grossman le considère comme la boîte à outils elle-même, dont on peut s’emparer. (Emparez-vous de votre boîte à outils !)

Au lieu de commencer par les débuts de l’écriture d’une œuvre littéraire grand public (ou d’une série de romans), puis d'ajouter des couches d’évènements ou d’éléments fantasy, l’approche de Grossman semble plutôt être de commencer avec un roman fantasy, puis en retirer les éléments que l’on trouve habituellement dans les grandes fresques du genre. Il parle en particulier du fait d'exclure tout méchant super-puissant. Il trouve que cela donne une « complexité morale » au roman. Un roman qui n’a pas de méchant n’a par conséquent pas de héros, et ne peut pas appartenir à la high fantasy ou à l’epic fantasy, du moins pas au sens où nous entendons ces sous-genres. Et pourtant, au moins dans son esprit, Grossman jouait avec la boîte à outils fantasy, en retirant certains des éléments qui la compose. Ça en fait doublement un punk, puisqu’il s’agit d’une rébellion à l’encontre de la littérature d’une part, puis une rébellion face à la fantasy d’en exclure certains codes. De ce point de vue, on pourrait se dire que Millhauser s’apparente un peu à un punk de la littérature, à la manière de Grossman, dans sa façon de rejeter le réalisme conventionnel dès le début de sa carrière, tout en affirmant que son œuvre est « plus réelle » que la fiction réaliste. Si Grossman et Millhauser sont tous les deux des punks, alors peut-être que leurs philosophies ne sont pas si différentes. Voilà. J’ai déjà réconcilié ces deux-là, dans ce combat artificiel que j’avais moi-même provoqué.

Mais est-ce que les écrivains fermement ancrés dans la littérature de genre ont un comportement vraiment punk ? Peut-être. On pourrait dire que l’une des raisons pour laquelle le Trône de Fer de G. R. R. Martin est si populaire est parce que dès le début, elle minimise l’idée d’un « grand méchant » dans la narration. Pourtant, de mon point de vue, ça ne fait pas de Martin un rebelle de la fantasy, parce qu’il ne tient pas compte des codes.
Millhauser ne prétend pas se rebeller contre quoi que ce soit, et il semble que Martin non plus. Peut-être qu’un vrai punk ne se considère pas comme tel, mais il semble que la notion de protester contre une forme d’art institutionnalisée soit le résultat d’une sorte de stigmatisation ou de honte associée à ce choix d’être punk. Quelqu’un avec un background littéraire comme Grossman va davantage devoir faire face à cette stigmatisation ou cette honte quand il donnera dans la littérature de genre que quelqu’un comme G. R. R. Martin lorsqu’il a un comportement un peu punk dans le Trône de Fer, en n’y incluant pas un grand méchant ou une quête. Peut-être que Martin n’a jamais du faire face à cela, alors les « risques » qu’il a pris nous semblent moins punk que ceux de Grossman.
La littérature de genre vraiment... hum… pointue, n’est pas en soi une rébellion envers la littérature. C’est seulement quand il y a un mélange des genres que l’on a cette impression. J’aime souvent dire que grandir sans inclinaison pour un genre en particulier m’a permis de lire à peu près tout et n’importe quoi. Un background d’histoires de science-fiction et fantasy permet en réalité au lecteur de plonger dans n’importe quelle histoire ayant un contexte historique ou social auquel il n’est pas habitué. Dans mon cas, la fiction historique a été un choc après avoir lu Dune. Mais je ne pense pas que Frank Herbert était un punk, car de ce que j’en sais, il n’est jamais passé par un contexte littéraire grand public auparavant. Et Tolkien non plus.
Mais si G. R. R. Martin devait un jour écrire un recueil de nouvelles dans le style de Jim Shepard ou Steven Millhauser, on lui reprocherait sûrement de négliger ses fans. Serait-ce un comportement punk. Qu’un auteur de genre écrive quelque chose pour le grand public ? Peut-être que le prochain roman de J. K. Rowling n’aura rien de fantastique, peut-être que ses fans auraient moins envie de le lire. Mais peut-être que ce n’est pas juste. Après tout, si nous sommes fans d’un auteur, c’est peut-être une bonne idée de lui laisser une chance, peu importe ce qu’il écrit.

Et vous, chers lecteurs, avez-vous des idées d’auteurs passés d’un genre à l’autre dans une sorte de rébellion ?

Article originel sur Tor.com.


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