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Quel chemin du cyberpunk à la dark fantasy ?

Par Nak, le jeudi 19 mai 2011 à 17:00:15

CouvertureLe cyberpunk est tombé de son piédestal dans les années 80 et le début des années 90, mais les grands auteurs de cyberpunk continuent d’écrire. Et certains se sont tournés vers la fantasy. Quelle en est la raison ?
Qu’est-ce qui attire tant d’auteurs de cyberpunk vers la fantasy ? Certains se sont penchés eux-mêmes sur la question : Rudy Rucker, auteur de la tétralogie The Ware et de Postsingular, parmi tant d’autres, a décrit son nouveau roman Jim and the Flims comme étant semblable à de la Fantasy. De même, l’auteur de Black Glass John Shirley a publié le mystique Bleak History en 2009. L’auteur de Metrophage Richard Kadrey a gagné un public énorme à la suite de sa série Sandman Slim. Richard K. Morgan, l’auteur de la série cyberpunk des Takeshi Kovacs (avec Carbone Modifié), a écrit une fantasy sanglante, Rien que l'acier dont la suite, The Cold Commands, sort le 11 octobre en langue anglaise. Dans le même temps, certaines des récentes histoires de Pat Cadigan, l’auteur de Synners, ont semblé être beaucoup plus orientées vers la Fantasy.
Texte de Charlie Jane Anders.

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Qu’est-ce qui se passe ?

Il est impossible d’ignorer le fait que la Fantasy est devenue de plus en plus populaire – il est difficile d’obtenir des données récentes et pertinentes, mais il semble certain que la fantasy épique, la fantaisie urbaine et les histoires paranormales prennent une bien plus grande part du gâteau que dans les dernières années. En 2008, le publieur d’Orbit Books, Tim Holman, a publié une liste montrant que la Fantasy urbaine représentait quasiment la moitié des bestsellers de toute la SF/Fantasy, et en 2009, le New York Times a rapporté que les ventes de livres sur les loups-garous et autres créatures surnaturelles explosaient.
Il y a un intérêt évident à entrer dans un genre qui prend de l’ampleur. Mais une Fantasy qui traite de mythique ou d’apocalyptique est aussi un genre d’actualité qui grandit, quand tant de personnes au pouvoir semblent penser que le Rapture (NdT : courant de pensée lié au millénarisme : l’enlèvement des vrais croyants au ciel, les autres étant laissés ici-bas où ils périront.) va bientôt se produire. Nous avons demandé à Richard Kadrey de nous parler de sa venue dans la Fantasy. Il dit :
J’ai été intéressé par la Fantasy parce que je voulais comprendre Bush et ses copains quand ils sont arrivés au gouvernement. Lire la Bible et d’autres textes religieux m’ont fait m’intéresser aux mythes et aux contes de fées. Pour moi, la connexion entre cyberpunk et fantasy est simple. On regarde des systèmes de croyances modernes de différents points de vue. La division idéologique du 21e siècle ne porte pas sur les désaccords économiques et sociaux de la Guerre Froide, mais c’est plutôt mon Dieu contre ton Dieu (ou ton athéisme). Toutefois, il y a une raison plus simple pour laquelle j’ai commencé à écrire de la Fantasy. L’argent. Je n’ai jamais gagné un centime dans le monde de la SF. La Fantasy est encore tout feu tout flammes. Je ne sais plus qui a dit ça, mais je pense que cette citation concerne tous ceux qui vivent de l’écriture, de la peinture ou de la musique : ‘Quand j’étais jeune, je ne pensais qu’à l’art. Maintenant que je suis un artiste, je ne pense qu’à l’argent.’

Le Cyberpunk est devenu réalité

Il faut aussi se rendre à l’évidence : la plupart des préoccupations des cyberpunk ont rattrapé le présent. Et l’idée de se créer une identité dans l’espace virtuel ne semble plus futuriste ou science-fictionnel. D’une certaine façon, le cyberpunk est devenu réalité – et vous avez le choix, soit d’écrire sur le présent dans le monde réel, ou bien de vous déplacer dans un monde qui semble plus éloigné du nôtre.
John Shirley décrit son roman Bleak History comme une quasi-fusion entre le cyberpunk et la Fantasy urbaine, et dit : Il y a un sentiment de liberté qui me prend quand j’écris de la Fantasy. Le cyberpunk est devenu trop semblable au monde réel et au monde à venir. Ce n’est qu’à quelques minutes dans le futur de mon roman Black Glass. On peut trouver de la fiction mais est-ce qu’on peut vraiment trouver de l’exotisme ? L’exotisme exerce sa propre attraction.
Et bien sûr, Shirley fait ressortir le fait que William Gibson et Bruce Sterling écrivent toujours de la science-fiction, d’une certain façon. Je pense qu’ils ont tous les deux développé des voix qui transcendent la notion de ‘cyberpunk’ et qu’ils sont simplement Gibson et Sterling. Les travaux de Gibson, dit Shirley, n’ont jamais cherché à explorer le fantastique. Il introduisait le fantastique dans le monde réel, grâce à la technologie et à la compréhension des comportements humains.
Selon Rucker, certains types de science sont devenus un peu routiniers et ennuyeux. La relativité, la mécanique quantique, la biotechnologie, la réalité virtuelle – tout cela a perdu de son charme. J’aime l’idée d’une science nouvelle si outrancière et étrange qu’elle en devient magique. Comment la trouver ? Commencez par la magie, et ensuite remontez jusqu’à une science futuriste gangrénée qui pourrait la justifier.
Rucker a déjà indiqué sur son blog combien ça l’ennuyait de devoir donner des explications sur les choses étranges qu’il y a dans son livre. Il nous a dit :
^^Je ne peux pas imaginer écrire de la fantasy sur des rois, des chevaliers et des châteaux. Mais j’aime l’idée d’une fantasy qui montre des choses vraiment étranges, et j’aime que l’explication à tout cela soit si éloignée de la science connue qu’elle en revête une aura magique… Fantasy, SF, réalisme magique, fiction spéculative, contes de fées, mythes, légendes – l’élément commun est qu’on fait sauter les verrous de la réalité quotidienne et qu’on laisse de drôles de choses arriver.

La Fantasy est un genre sur la modernité

On a un peu de mal à continuer à appréhender les changements du monde en racontant simplement des histoires sur des ordinateurs. D’une part, notre compréhension du monde est si colorée par nos interactions en ligne qu’il est difficile de prendre du recul pour voir le système informatisé dans lequel on évolue. D’autre part, raconter des histoires sur nos expériences dans des cyber-espaces et avec des cyber-identités ne parvient pas vraiment à expliquer à nos sens balbutiants, dans un 21e siècle difficile, qu’il y a quelque chose de primaire et de terrible qui nous attend pour nous dévorer et nous entraîner avec lui dans une époque sombre.
Pour le meilleur ou le pire, la Fantasy est devenu l’endroit où l’on peut exprimer un grand nombre de nos anxiétés à propos de la modernité. Regarder la version télévisée du Trône de Fer m’a rappelé quelque chose que j’avais déjà remarqué dans les livres – les personnages sont au seuil de la modernité et de la sophistication. Ils s’intéressent à la science, surtout Tyrion Lannister, et ne sont pas vraiment prêts à croire aux Grumkins, Snarks et Marcheurs Blancs. Une partie de la tragédie du Trône de Fer tient au fait que ça parle de gens qui sont sur le point d’entrer dans la renaissance et sont happés par les éléments du passé.
De plus, la Fantasy offre un endroit où l’on peut parler de questions d’identité et d’individualité, de choses qui existaient auparavant dans le cyberpunk. On s’est habitué à l’idée qu’on peut se fabriquer des identités à l’infini sur le web – même s’il y a toujours des limites inattendues, comme quand Twitter et Facebook veulent que vous ayez la même identité. Mais la Fantasy nous laisse parler de notre vie entre deux mondes, ou de frontières entre un royaume d’existence et un autre.
Comme on l’a vu plus tôt, la Fantasy a une propension à tendre assez facilement vers le noir. Quand le cyberpunk s’inspirait du genre noir pour explorer un environnement urbain sombre, la fantasy urbaine (et parfois la fantasy épique) fait maintenant la même chose, en décrivant des personnages gris, corrompus mais dirigeant des mondes, et d’abondantes bizarreries que les gens ordinaires ne peuvent pas voir.
Intéressons-nous maintenant à l’aspect subversif du cyberpunk, qui montrait souvent des héros hackers se rebellant contre des systèmes dominés par les classes. Rucker répond que la Fantasy peut être toute aussi subversive : Oui, la Fantasy peut être subversive. L’idée est de suggérer que l’apparent consensus de la réalité n’est qu’une illusion fragile, et qu’il y a des choses louches sous la surface. Des choses que vous pouvez découvrir tout seul, là tout de suite.
Mais Shirley n’est pas certain que le cyberpunk ait jamais été un genre subversif.
Parfois je pense que le cyberpunk a renforcé l’idée usée que nous devons accepter le pouvoir de la société et surfer sous son radar pour vivre nos vies avec un semblant de liberté. Mes livres A Song Called Youth étaient subversifs ; Gibson les définissait à sa façon. C’est un portraitiste et l’évolution d’une civilisation, décrite de façon très poétique, est son sujet. Sterling est toujours à la recherche d’une meilleure connaissance de notre condition ; Rucker cherche toujours le passage secret, le chemin de traverse permettant d’échapper aux contraintes de la réalité. Pour ma part, j’espère simplement arriver à vivre avec intégrité et en suivant parfois certaines impulsions.
Si c’est vrai que dans une certaine mesure le cyberpunk est devenu notre réalité – n’hésitez pas à discuter de cela sur le forum ! –, c’est toutefois normal de se demander ce qui va arriver après. Et les possibles candidats pour ce qui va arriver après incluent un effondrement de notre civilisation technologique – ce qui mène naturellement à la Fantasy, un genre qui met en scène l’apocalypse et l’eschatologie mieux que n’importe quel autre – aux côtés d’autres pas en avant presque inimaginables.
C’est assez dur d’imaginer la vie après une Singularité technologique, même si Rucker et quelques autres l’ont déjà fait – mais creuser les aspects magie et supernaturel est certainement une façon de bien saisir l’idée d’un futur incroyablement avancé.

Les étiquettes ne servent à rien

Pour finir, il y a le fait que le cyberpunk et la fantasy sont juste des étiquettes que l’on colle sur les histoires, et qu’on ne devrait pas trop s’y accrocher.
Pat Cadigan dit qu’à une époque les gens ne s’intéressaient pas tant aux distinctions entre les différents genres de la littérature fantastique.
J’ai toujours écrit beaucoup de Fantasy et un peu d’horreur. Si vous jetez un coup d’œil à mes collections Patterns and Dirty Works, vous trouverez beaucoup de Fantasy, d’horreur et de réalisme magique. Je ne suis pas passé d’un genre à l’autre – je fais ce que j’ai toujours fait, c’est-à-dire écrire ce que je veux, quand je le veux.
Je sers l’histoire. Quand l’histoire vient à moi, elle me dit ce qu’elle est et je pars avec elle.
Il y a eu un temps où ce genre n’était pas constitué de tant de catégories. Quand Judith Merrill faisait ses anthologies pour la Meilleure SF de l’Année, tous les genres d’histoires fantastiques étaient représentés, des rouages de la SF au réalisme magique de John Cheever, avant même que le terme de réalisme magique ait été inventé. Ce n’est que depuis les trente dernières années que la littérature du fantastique est devenue si catégorisée. Même si c’est bien pour le marketing, ça limite les écrivains et ça brouille les cartes. Par exemple, ça donne l’impression que les gens ‘bougent’ d’un genre à l’autre alors qu’ils font simplement ce qu’ils ont toujours fait.

Article originel
Traduction réalisée par NAK


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