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Les Utopiales 2010 : la fantasy, une littérature cartographiée ?

Par Merwin Tonnel, le jeudi 25 novembre 2010 à 14:22:00

CarteSe faufilant entre les nombreuses conférences dédiées à la science-fiction, la fantasy a profité du samedi matin pour s’exprimer.
Le thème ? « La fantasy, une littérature cartographiée ? ».
Les intervenants ? Que du beau monde : Justine Niogret (Chien du Heaume), Jérôme Noirez (Leçons du Monde Fluctuant, Fleurs de Dragon, La Dernière Flèche), Michel Robert (L’Agent des Ombres, Balafrée) et Brandon Sanderson (Elantris, Fils-des-Brumes), le tout animé par Jérôme Vincent, d’ActuSF.

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Le compte-rendu proprement dit

Sans perdre de temps, Sanderson lance le bal en déclarant qu’une carte facilite l’immersion du lecteur : ce dernier a l’impression de découvrir non pas une simple histoire mais bien plutôt l’Histoire. Il considère donc que la carte est un outil pour rendre le monde plus réel. Par ailleurs, située en début de livre, elle facilite également la découverte et l’apprentissage de l’univers décrit : le lecteur ne plonge pas dans l’inconnu, il a au moins une vue géographique à laquelle se raccrocher.
Cependant, pour Brandon Sanderson, il ne faut pas que la carte devienne un passage obligé de tout livre de fantasy. Il prend l’exemple de Bilbo le Hobbit dans lequel la carte est celle avec laquelle les personnages partent à l’aventure. Elle a une histoire et une vraie raison d’être là. Dans le même ordre d’idée, le premier tome trilogie de l’Empire Ultime a été écrit sans carte de Luthadel : elle n’a été créée et placée en début de roman que pour faire comprendre au lecteur qu’il ne s’agit pas d’une cité médiévale mais bien d’une capitale proche de celles de notre monde lors de la Révolution Industrielle.

Jérôme Noirez prend ensuite la parole. Il lui arrive de mettre des cartes dans ses romans, mais ce n’est pas systématique. Il en utilise principalement dans ses romans jeunesse dans un but pédagogique : une carte du Japon dans Fleurs de Dragon n’est pas de trop pour des jeunes qui n’ont pas toujours des facilités en géographie.
Mais pour Noirez, il s’agit avant tout d’un outil pour aider l’auteur à garder une cohérence dans son histoire. C’est également le cas de Sanderson pour sa reprise de la Roue du Temps, où les cartes lui ont été d'un grand secours lors de son travail sur la suite.

Michel Robert rejoint l’auteur de Fils-des-Brumes dans le sens où une carte permet au lecteur d’ancrer son imaginaire dans l’univers proposé. Mais il n’arrive pas à dessiner de jolies cartes et avoue même n’en avoir pas besoin. Son monde est très clair dans sa tête, mais il se trouve incapable de le poser sous forme de plan. Il lui arrive cependant de réaliser des croquis proches de storyboards pour chorégraphier les scènes de combat.

Justine Niogret, elle, n’utilise pas de carte. Dans le cas de Chien du Heaume, qui dégage une ambiance onirique, un plan risquerait de figer le récit de façon historique, de l’ancrer un peu trop dans le réel. Cet aspect étant pour l’auteure un point fondamental de la fantasy, elle ne souhaite pas voir fixé ce qu'elle a construit dans sa propre imagination, comme tous les lecteurs. Plus tard dans la conférence, elle sera rejointe par Jérôme Noirez pour qui le côté GPS des cartes induit une vision en survol de la réalité, totalement incompatible avec l’onirisme.
L’autre raison, plus pragmatique, est simplement que Justine Niogret, tout comme Michel Robert, est incapable d’en dessiner une, notamment par manque de connaissances en géographie. Elle préfère travailler de manière écrite sur les paysages, les couleurs, l’ambiance générale.

Sanderson revient alors sur le processus de création de cartes et notamment celle de Roshar, le monde de The Way of Kings. Dans ce cas précis, il a commencé par un brouillon, inspiré du dessin d’un fractale, sur lequel il a placé les différents royaumes. Puis il a personnellement engagé un artiste pour réaliser une carte en bonne et due forme.

Mais une carte peut-elle façonner le déroulement du récit, l’intrigue elle-même ? Brandon Sanderson cite Terry Pratchett : « On ne peut pas cartographier l’imagination ». L’auteur et son inventivité auront toujours le dernier mot. Mais Sanderson ne nie pas que les limitations imposées par une mappemonde peuvent permettre à un écrivain de se surpasser et d’améliorer l’histoire. Il aime ainsi jouer avec le concept même de la carte, s'en servant aussi, par exemple, pour représenter le système de fonctionnement de la magie, ou comme simple représentation artistique, sans détails spécifiques. Mais il s'agit simplement d'un outil, qui s'il peut rendre l'histoire meilleure peut aussi la gâcher : dans ses livres pour enfants, Sanderson préfère ainsi ne pas proposer de cartes, par crainte de restreindre l'imagination de ses lecteurs.

Noirez, lui, ne se laisse pas dominer par la géographie : dans le cas de La Dernière Flèche, qui se déroule dans l’Angleterre de Robin des Bois et plus particulièrement à Londres, la cartographie historique n’est pas importante. Sans négliger quelques passages obligés, comme la présence de la Tamise, il peut ainsi faire ce qu’il veut de la ville. Le document qu'il a utilisé pour ce roman est d'ailleurs anachronique, puisqu'il n'a pas trouvé de carte de cette époque, mais cela n'a pas de conséquence fâcheuse pour son livre.
L'auteur de La Dernière Flèche explique en outre avoir eu une période de ce qu'il appelait la « cartographie non objective », qui possédait des règles strictes : les cartes ne devaient pas présenter de légendes, avoir une échelle irrégulière, représenter les différents éléments par des signes ambigus, ou bien par l'idée que l'on se fait d'eux – ainsi, représenter un escalier non par une suite d'angles droits réguliers mais par des marches de plus en plus hautes qui correspondraient à l'effort croissant à fournir pour les gravir –, omettre les détails habituels tels que les villes ou les forêts et en ajouter d'autres comme les nuages, les odeurs... Noirez déclare rêver d'un livre de fantasy qui ne serait que cartographique, où par exemple, au lieu de rédiger la description d'une forêt, l'auteur écrirait plusieurs fois le mot « arbre » à l'emplacement correspondant.

Cependant, Michel Robert juge que le principal danger de cartographier un univers fantasy ou, de manière plus générale, de trop le décrire, est de ne pas respecter l’imaginaire des lecteurs. En conservant un certain flou, ceux-ci sont alors plus libres de s’approprier et de personnaliser l’univers.
Il est rejoint en ce sens par Sanderson qui avoue qu’une carte n’est pas toujours un avantage et qu’il ne faut pas donner trop d’informations visuelles au lecteur. Pour The Way of Kings, il a demandé à son illustrateur de réaliser des croquis détaillés des personnages principaux pour finalement les juger trop précis et ne pas les incorporer dans le roman. Il a préféré utiliser une approche différente : les esquisses visibles dans le livre sont présentées comme étant de la main même d’un des personnages, une femme à la fois historienne et biologiste.

Vient alors le tour des questions du public et Lionel Davoust (La Volonté du Dragon), en embuscade, se voit forcé de prendre le micro. Il avoue utiliser beaucoup de cartes voire des plans pour ses navires mais en profite surtout pour critiquer une habitude des auteurs de fantasy fans de géographie : les cartes sont la plupart du temps aussi fiables qu’un atlas moderne. Leur validité et la vision de l’espace des protagonistes ne sont que très rarement remises en cause, notamment à l’aune des limitations techniques du monde en question.
Justine Niogret fait remarquer que dans certaines parties de l'univers de Chien du Heaume les habitants eux-mêmes n'ont pas dessiné de cartes : il s'agit vraiment d'une habitude qui dépend de la vision que chacun a du monde dans lequel il vit.
Encore une fois, Sanderson utilise The Way of Kings pour illustrer son argumentation. Dans son roman, certaines villes ou certains paysages sont cartographiés par un artiste interne au récit. C’est donc sa vision, biaisée par l’endroit d’où il dessine, qui est proposée au lecteur. L’important n’est pas d’être précis mais de décrire l’apparence générale de la ville, l’ambiance qui s’en dégage. La carte doit être là pour mettre en valeur ce qui se trouve déjà dans l'histoire, et pas seulement pour faire joli (« just for fun »).


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