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La fantasy serait-elle conservatrice ?

Par Luigi Brosse, le jeudi 11 octobre 2007 à 12:58:19

C'est la question que pose Jonathan McCalmont sur son blog et à laquelle il tâche d'apporter une réponse, plus particulièrement selon le prisme de la fantasy dite épique.
Autant dire que le sujet n'est pas facile à traiter et que les réactions des lecteurs ont été comme qui dirait quelque peu houleuses, chacun ayant bien entendu son propre point de vue.
Voici donc pour vous, et pour se faire votre idée, la traduction de l'article originel par Thys.

La traduction

En février dernier, j’ai écrit quelques articles dans lesquels je tentais de me glisser dans la tête d’un fan de fantasy pour essayer de comprendre ce qui fait la différence entre la bonne et la mauvaise fantasy. Cette petite odyssée était vraiment nécessaire parce que je déteste la fantasy en tant que genre littéraire. Dès que la magie pointe le bout de son nez j’ai tendance à perdre tout intérêt et la présence d’un elfe est assez pour me donner envie de balancer un livre à travers la pièce. En fait, il est remarquable que je continue à jouer à Donjons et Dragons de temps à autres, quand on y pense.

Dans la perspective de ces articles, cependant, R. Scott Bakker est apparu et m’a un peu secoué au vu de mon analyse réductrice, j’en suis venu à l’idée que je n’avais pas bien compris la fantasy et j’ai conclu que, même s’il y avait quoi que ce soit qui vaille le coup d’être compris, ça n’allait probablement pas me plaire. Mais ce matin, j’ai noté que mes articles avaient été commentés par Kit Whitfield, un nouveau visage de la scène fantasy dont le nom m’est familier même si son travail ne l’est pas.

Whitfield se concentre sur mon affirmation que la fantasy est un genre conservateur et fait quelques remarques intéressantes sur lesquelles je vais m’attarder point par point.

Premièrement, Kit suggère que le conservatisme artistique se trouve à la fois dans le respect des poncifs qui font le genre fantasy et dans une réaction et un rejet de ces poncifs. Elle suggère une « troisième voie » dans laquelle l’auteur écrit de la fantasy sans avoir ces lois et ces poncifs en tête. C’est une approche faussement complexe d’une vieille question car elle contient nombre d’idées intéressantes.

D’un côté, cette observation est évidente. Comme on me l’a fait remarquer, si on regarde les nominés à un grand prix fantasy tel que le World fantasy award on pourra noter l’absence des elfes, hobbits ou autres rois sorciers. A la place, vous aurez des idées bizarres et merveilleuses exprimées sans les limitations philosophiques imposées par le respect d’une méthode et d’une manière de penser scientifique. En fait, ça vaut la peine de se rappeler qu’alors que la SF amplifie artificiellement l’importance des romans primés qui se détachent du lot jusqu’à ce qu’ils reçoivent bien plus d’attention que ne méritent leurs ventes, la fantasy est impardonnablement populiste avec le fond du panier, les livres qui se vendent obtenant bien plus d’attention que certains autres plus intéressants et qui le mériteraient plus mais ne sont remarqués que par les critiques et les jurys de prix. Whitfield a donc raison…il y a un chemin bien tracé en fantasy qui ne s’attache pas au genre traditionnel, j’ai tendance à oublier ça dans ma hâte à cracher sur les Robert Jordan et George RR Martin et leurs légions de fans dociles. C’est bien noté, Kit.

Ceci dit, d’un autre côté, la remarque est un sacré défi puisque les genres sont définis par leurs poncifs. Est-il donc possible d’écrire de la fantasy sans avoir aucun des poncifs du genre à l’esprit et, si c’était possible, est-ce que ça serait toujours de la fantasy ? Le Réalisme magique, par exemple, ne côtoie pas aisément Goodkind ou Lynch et de nombreux critiques ont été inhabituellement rapides à prétendre que The Road de McCarthy n’appartient pas au même genre que Mad Max ou A canticle for Leibowitz. Whitfield parle de ce problème d’un point de vue intéressant, selon Wikipedia :

Bareback/Benighted est un thriller basé dans un monde alternatif où la plus grande part de la population est constituée de loups-garous – bien que le mot ne soit pas utilisé dans l’histoire – et parle du statut de la minorité de ceux qui, par leur naissance, n’ont pas la possibilité de se transformer à la pleine lune. Le genre du roman fait débat, il est publié par l’éditeur de SF Del Rey aux Etats-Unis et par le très classique Jonathan Cape en Angleterre, tout en étant critiqué par des critiques de différents genres, dont le genre policier, et l’auteur affirme dans The Gardian son opposition aux stéréotypes des genres comme une manière très constructive de penser la littérature.

En fait, Kit a écrit un article pour The Gardian à propos des livres qui s’affranchissent des frontières littéraires. Personnellement, je prends ça avec des pincettes puisque, alors que le livre de Whitfield s’inspire clairement de nombreux genres littéraires, je considère qu’un degré de postmodernisme et une flexibilité générale vont assez bien de pair lorsqu’on parle de fantasy contemporaine. Etant donné l’influence de Joss Whedon et Neil Gaiman, il est difficile d’imaginer de la fantasy contemporaine qui reste dans les limites du genre. Donc, Whitfield a plutôt raison lorsqu’elle affirme qu’il y a une autre attitude à avoir que d’être pour ou contre les poncifs des genres traditionnels mais je ne pense pas qu’il n’y ait que trois options.

Deuxièmement, Whitfield revient sur mon affirmation que la fantasy est pleine de pensée autoritaires et réplique que le problème vient du fait que les autoritaristes font souvent de la fantasy. C’est une idée intéressante mais ça ne sort pas la fantasy d’affaire parce que ça suggère tout de même qu’il y a une relation problématique entre la fantasy en tant que genre littéraire et l’autoritarisme politique. Mon exemple préféré de cela, comme je le dis dans les articles Aesthetics of Fantasy, est le cas de Stark dans le premier livre du Trône de fer, qui se charge lui-même des exécutions. Martin voit cela comme une preuve que Stark ne prononce pas la peine de mort à la légère et considère les choses tellement sérieusement qu’il exécute la sentence lui-même, mais derrière cela se cache l’idée que la peine capitale est nécessaire et que la volonté d’exécuter quelqu’un soit-même indique une personnalité plus illustre que de le faire faire par un sous-fifre. Si Gordon Brown insistait pour être autorisé à décapiter les gens pour leurs crimes, la plupart des gens le prendraient pour un sadique sociopathe, mais dans le contexte d’un roman fantasy, la plupart des gens ne réagissent même pas.

Mon problème avec l’idée de Whitfield est que je ne suis pas sûr de pouvoir trouver une cause historique plausible ici. Si je dis que la fantasy est autoritaire par essence, ça revient à dire que le genre fantasy trouve ses racines dans une attitude politique dépassée et depuis longtemps rejetée par une large part de la société, mais qui demeure incontestée par des écrivains paresseux et des lecteurs passifs. Etant donné l’influence de Tolkien, les attitudes envers les races et la société qui dominait à l’époque de ses écrits il est facile de voir comment ces attitudes des années 30 ou 40 se retrouvent encore dans la bonne grosse fantasy moderne. Arès tout, si on n’arrive pas à se lasser des elfes et des nains en 50 ans, pourquoi en irait-il différemment pour le racisme ordinaire et les politiques pro statu quo ? Cependant, si on retourne la théorie et que l’on tente de voir les autoritaristes faisant de la fantasy le lien devient bourbeux. Pat Robertson est-il un grand fan de Tad Williams ? Je pense que « les autoritaristes font de la fantasy » sonne bien, mais je ne suis pas sûr que ça fasse grand chose d’autre. Après tout, je suis sûr qu’ils disent la même choses sur nous, les libéraux, avec nos notions fantaisistes que la télé ne corromps pas les jeunes et que le sexe avant le mariage n’est pas un péché mortel.

En fait, je pense que la seule manière de tirer quelque chose de cette idée est de l’appliquer au Christianisme. Après tout, la Bible est sans doute la description d’un monde imaginaire plein de monstres et de pouvoirs magiques la plus lue. Tolkien a écrit Le Seigneur des Anneaux dans le but de créer une nouvelle mythologie et les livres de Narnia de Lewis reviennent à une description de la Chrétienté dans une fantasy peu convaincante. On y trouve même le racisme et la misogynie.

Je pense donc que la question devrait être, est-il possible d’écrire de la fantasy épique qui ne soit pas conservatrice ? Iron Council de China Mieville peut être vu comme une tentative d’ancrer la fantasy dans la véritable politique, mais comme Mieville le découvre lui-même, même la véritable politique aboutit à verser le sang et à l’autoritarisme au royaume de la fantasy. Je dirai que les poncifs même de la fantasy, qui reposent sur la violence et la simplicité morale, rend impossible d’échapper à l’autoritarisme.

Article originel


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