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Entretien : Jean-Philippe Mocci et les éditions Leha
Par Gillossen, le mardi 23 mai 2017 à 13:05:36
Déjà bien présentes sur les réseaux sociaux, les éditions Leha restaient mystérieuses à l'approche du lancement officiel de leurs premiers titres.
C'était donc le bon moment pour Elbakin.net de se pencher sur la question et d'aller chercher des réponses à la source du projet !
Merci encore à Jean-Philippe Mocci pour nous avoir accordé un peu de temps et bonne lecture.
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Questions pour les Editions Leha
- Tout d’abord, une question que tout le monde se pose : mais d’où vient le projet des éditions Leha ? Quelles sont ses origines ?
- La décision de créer Leha vient d’une série de constats, de la volonté d’agir en faveur d’un univers qui nous tient à cœur de longue date et de mon parcours personnel. Tout cela mis ensemble aboutit logiquement à la création d’une maison d’éditions dédiée à l’imaginaire. Les principaux constats sont des paradoxes ambulants : la culture imaginaire n’a jamais été aussi massivement présente et demandée par le public, pour autant elle n’est toujours pas vraiment considérée alors que ses thèmes et nombre de ses auteurs rivalisent largement avec la « littérature blanche » ; la littérature français recèle d’auteurs très talentueux mais très peu sont vraiment portés au niveau où ils pourraient l’être ; le marché de l’imaginaire a explosé depuis deux décennies et pourtant il y a très peu d’éditeurs indépendants ayant atteint une taille critique permettant une action forte sur leur univers ; le jeu de rôle est une incroyable pépinière de talents tant côté auteurs qu’illustrateurs et pourtant il n’existe quasiment pas de ponts avec les éditeurs de romans. Tous ces éléments sont fondateurs de notre décision de créer Leha.
- Pouvez-vous également nous présenter votre parcours ? De lecteur ou professionnel jusqu’à présent, pourquoi pas ! L’arrivée de votre maison se fait visiblement en force.
- Je fais partie de cette génération qui a connu l’explosion de la littérature imaginaire et des jeux de rôles, dans les années 1980, à l’époque où parler d’un dragon, d’une bande d’orcs, d’un sabre laser, d’un X-Wing ou d’un sort de boules de feu dans un bus avec les copains vous valait quelques regards compatissants voire inquiets. Fort heureusement, la guerre des geeks a tourné en notre faveur et qui ne connaît pas aujourd’hui Tolkien, Star Wars, les elfes, les dragons ou autres joyeusetés de ce genre. Côté littéraire j’étais aussi bien féru d’auteurs classiques (Camus en tête, mais aussi Gide, Hesse, Kundera, Zweig…) que de ceux des mondes imaginaires. La liste est longue, de Leiber à Moorcock, en passant par Asimov, K Dick, Orwell, Vance, Zelazny, bien sûr Tolkien, ou les français comme Boule ou Barjavel. Cette littérature a été fondatrice de ma culture et a toujours eu à mes yeux un caractère complémentaire à la classique. Idem pour les jeux de rôle, qui sont à mes yeux une source formidable de créativité,de culture et d’interactivité, en ayant bien conscience que ce n’est pas accessible à tout le monde : tout comme certains acteurs de cinéma ne pourraient pas mettre les pieds sur la scène d’un théâtre, certains ne se sentent pas attirés par ce type de jeu…mais il faut les essayer et, pour ceux qui aiment et/ou osent, quel plaisir !Côté professionnel, j’ai passé 10 ans dans la presse en tant que journaliste puis aussi dans un poste de redac’ chef adjoint avec une dizaine de journalistes et pigistes. J’ai quitté le « merveilleux monde de la presse » il y a une dizaine d’années pour créer une agence de communication dans laquelle on aide nos clients à se faire connaître dans les medias et pour lesquels on écrit aussi dans des parutions professionnelles (rapports annuels, plaquettes, lettres d’informations…). Ajoutons à cela une dizaine de livres et guides que j’ai pondus depuis le début des années 2000. J’ai donc probablement écrit des millions des signes et corrigé tout autant…Finalement, Leha, c’est le fruit de cette passion pour la littérature imaginaire, de la volonté de la soutenir et de la certitude d’avoir des compétences adaptées pour mener à bien ce projet. Je ne dirais pas que nous arrivons en force, mais que nous arrivons de manière structurée et réfléchie dans cet univers. En résumé, de manière professionnelle…
- Comment comptez-vous justement vous positionner sur le marché des littératures de l’imaginaire ?
- Sur un plan éditorial, Leha se positionne comme un éditeur de livres dédié aux mondes imaginaires, qu’elle décline à travers des romans, des guides et des jeux de rôles. Nous visons des univers originaux, riches, permettant l’immersion de nos lecteurs. Nous accordons également une importance particulière à la dimension visuelle. Enfin, nous avons clairement la volonté d’abattre les murs entre les genres, romans, guides et jeux de rôle, qui peuvent se croiser si cela a du sens (ce qui n’est bien évidemment pas systématique).
Sur un plan organisationnel, Leha est dès le départ structurée avec des compétences très fortes et motivées dans tous les domaines. C’était une condition sine qua non à notre lancement : sans les compétences requises à tous les niveaux de la maison d’édition, on est simplement un passionné qui se fait plaisir dans son coin et ce n’est pas notre projet. Là nous avons au contraire choisi de travailler avec des personnes qui excellent toutes dans leur domaine : Céline Antoine (ex Ankama) dans la production et la diffusion / distribution, Aurelia Szewczuk (ex Bragelonne / Milady) dans les relations presse et réseaux sociaux, François Marcela-Froideval dans le conseil éditorial, Isis Wolff (qui vient du journalisme télé) pour notre TV Youtube, ainsi qu’un pool de maquettistes, relecteurs…
Cette ambition se traduit également à travers le choix de notre diffuseur / distributeur qui est Media Diffusion / MDS un des principaux acteurs du marché français (diffusant notamment Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Milady, Ankama, précédemment Bragelonne…), qui nous donne aussi accès à la Belgique, au Canada et à la Suisse. Alliant tout à la fois une puissance très forte sur le marché du livre, une forte expérience sur nos univers et un réel affectio societatis avec nos sujets, Media Diffusion nous est apparu comme le partenaire idéal. Pour la diffusion / distribution numérique, nous avons choisi de travailler avec e-Dantès, qui est là aussi un des principaux acteurs de son marché (Bragelonne, Atalante…).
- Vous ne comptez pas publier uniquement des romans mais également vous tourner vers le jeu. En a-t-il toujours été question ?
- En effet, les romans sont au cœur de notre projet mais pour autant, nous considérons aussi que le jeu de rôle est un livre comme un autre. Certes, nombre de jeux s’adressent à des hard core gamers et ne trouveront pas leur place en librairie, mais certains titres, notamment ceux adaptés d’univers connus, peuvent parfaitement s’adresser à la fois au rôliste et au fan du monde développé. Après tout, qu’est-ce qu’un jeu de rôle, si ce n’est un livre dans lequel on retrouve un corpus de règles de jeu plus une description précise de l’univers concerné, avec des détails sur ses principaux lieux, personnages, objets ou créatures fabuleux… J’ajouterai sur un plan éditorial que depuis une trentaine d’années, la sphère rôliste a fourni une multitude d’auteurs de romans, acteurs, metteurs en scène de très grande qualité. C’est en quelque sorte une pépinière de talents qu’une maison d’édition se doit d’avoir à l’œil à mon sens. Et c’est la même chose pour ce qui concerne les illustrateurs…
- Présentez-nous vos premiers titres, qui rappelleront sans doute des souvenirs à certains lecteurs, en tout cas pour Alexis Flamand !
- Nos deux premiers livres sortent le 23 juin, et grâce à l’excellent travail de Media Diffusion, vous pourrez les trouver dans bon nombre de librairies ou magasins culturels (Fnac, Cultura…). Alexis Flamand nous embarque dans le Cycle d’Alamänder, de la fantaisie totalement folle qui fait immanquablement penser à Terry Pratchett. Jonas, un mage détective est embarqué malgré lui dans une enquête qui fleure bon le complot d’Etat. Il est flanqué d’un petit démon, Retzel, qui lui joue nombre de tours et risque de devenir la mascotte de bon nombre de lecteurs !
Eric Amon nous emmène quant à lui dans un univers où la magie s’estompe peu à peu mystérieusement et où les personnages principaux sont des créatures extraordinaires (méduse, sphinx, manticore, minotaure…) que l’on suit dans leurs aventures, confrontées aux humains. On peut dire que, bien souvent, le monstre n’est pas celui qu’on pourrait croire…
Pour l’automne, nous sortirons le tome 2 d’Alamänder, mais aussi le tome 1 d’un diptyque de fantasy écrit par Philippe Tessier, un roman fantasy renaissance de Sara Doke mêlant imaginaire et polar, et notre premier guide, là aussi totalement fou, rien que le nom vous donnera une idée : Star Marx…
- Vous avez déjà su attirer avant même votre lancement officiel de grands noms comme Pierre Bordage ou Marc Simonetti. Etait-ce indispensable pour tout de suite faciliter l’identification du projet auprès du lectorat fantasy ?
- Nous visons des auteurs et des illustrateurs de talents, qu’ils soient déjà connus avec une forte notoriété, moins connus mais déjà publiés et avec un réel potentiel, voire débutants avec un très fort potentiel. En résumé faire notre travail d’éditeur et créer un esprit Leha, une famille si j’ose dire. Nous voulons en effet dès le départ montrer que notre ambition est de porter haut et fort nos couleurs, défendre des auteurs français talentueux !
A l’heure du lancement, nous avons le plaisir de compter un certain nombre d’auteurs et illustrateurs avec lesquels nous sommes ravis de travailler. Côté auteurs, vous avez cité Pierre Bordage, c’est exact ; il travaille à un livre qui devrait être assez incroyable, et qui sera adapté en jeu de rôle…une première illustration de cette volonté d’abattre les murs entre les univers. Autre exemple avec François Marcela-Froideval, l’auteur de la fabuleuse saga de bandes dessinées les Chroniques de la Lune Noire, qui accompagne Leha sur les sujets éditoriaux et travaille également à la novellisation des Chroniques pour 2018 et, là aussi, leur adaptation en jeu de rôle ! N’oublions pas Philippe Tessier dont nous allons sortir plusieurs livres dans les 18 prochains mois, Sara Doke ou encore Jeanne A Debats que nous devrions publier mi-2018. Avec bien sûr d’autres surprises en cours de discussion…
Les illustrateurs sont aussi au cœur du projet, la dimension visuelle étant souvent une partie importante de la littérature imaginaire. Cela a commencé avec la création de notre logo, qu’Olivier Ledroit nous a fait l’amitié de créer avec son fils. Nous avons en effet également le plaisir de travailler avec d’autres illustrateurs talentueux tels que Marc Simonetti, Jean-Sébastien Rossbach, David Cochard…et là aussi avec d’autres surprises à venir !
Travailler avec des gens talentueux et reconnus, c’est montrer d’emblée le niveau d’exigence et de qualité auquel nous voulons nous situer. Nous souhaitons rapidement atteindre une visibilité suffisante qui nous permette de lancer et valoriser dans les meilleures conditions possibles nos auteurs et illustrateurs qu’ils soient connus ou non.
- Comptez-vous un jour aborder le domaine des traductions par exemple, ou pourquoi pas de la bande dessinée ?
- La traduction est une étape que nous franchirons comme la plupart de nos principaux confrères. Je crois que c’est en quelque sorte un passage obligé ; cela amène à se confronter à la réalité d’un marché qui est ultra dominé par la littérature anglo-saxonne. Mais notre axe principal, notre ADN, c’est celui de la création française que nous voulons soutenir car elle le mérite vraiment et on a parfois l’impression qu’il est plus simple de traduire une saga fantasy lambda à succès sans réel intérêt que de défendre des auteurs français qui font pourtant bien mieux. Quant à la bande dessinée, c’est en effet un sujet auquel on pourrait s’intéresser, mais pas avant quelques années car c’est un métier qui demande des savoir-faire spécifiques et des moyens significatifs. De même, nous projetons également de lancer une collection jeunesse…la culture imaginaire s’attrape de plus en plus tôt !
- Quel est votre regard sur le marché actuel de la SFF en France ?
- C’est un marché qui atteint une certaine maturité du côté des lecteurs, on le voit avec le nombre de parutions annuelles qui demeure à un niveau élevé. On l’a dit, cette culture imaginaire fait désormais partie intégrante de la culture tout court. Je pense que c’est un marché qui devient de plus en plus exigeant et que l’offre des éditeurs doit s’adapter en conséquence, se faire plus ambitieuse, plus innovante.
- Quels sont les chantiers d’avenir de ce marché selon vous ?
- Les principaux chantiers résident à mon sens dans une approche beaucoup plus proactive et innovante des éditeurs. La promotion et la visibilité de la littérature SFF sont encore nettement insuffisantes une fois qu’on est sortis des best sellers de l’année qui se vendent tout seuls et sont souvent venus des Etats-Unis. Faire des livres de qualités et qui soient de beaux objets en même temps, c’est un vrai besoin. En même temps, comme on l’a vu récemment, la reconnaissance du genre est également un véritable enjeu et c’est une très bonne chose que des éditeurs s’allient dans ce sens-là.
- Que peut-on vous souhaiter pour votre lancement ? Où voyez-vous les éditions Leha dans quelques mois ?
- Nous avons le plaisir de travailler avec des auteurs et des artistes de grand talent, notre principal souhait, c’est donc que ce plaisir soit partagé à l’avenir avec le public. Au-delà des livres que nous allons leur proposer et auxquels nous aurons apporté un soin particulier tant sur les récits que sur la dimension esthétique, nous souhaitons aussi créer un esprit de communauté, de famille si j’ose dire, à la fois pour partager des belles histoires ou de beaux univers, mais aussi pour porter fièrement les couleurs de notre culture littéraire.
Dans quelques mois, Leha sera arrivée dans le paysage des éditeurs français de la littérature imaginaire avec une demi-douzaine de livres déjà parus et un bon nombre à venir, dont quelques belles et grosses surprises. Notre volonté est clairement de créer un cercle vertueux dans les univers qui nous intéressent, d’avoir une approche moderne et dynamique avec des compétences et des moyens appropriés pour défendre les œuvres de nos auteurs, de créer de véritables passerelles entre des mondes qui ont beaucoup à s’apporter, de devenir un éditeur qui compte dans le paysage et pourra ainsi soutenir avec force la littérature imaginaire…un beau programme, non ? Et beaucoup de travail en perspective…
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