Vous êtes ici : Page d'accueil > L'Actualité fantasy > Emissions

Procrastination #S01E16 : De ta vie à Google Maps

Par Sylvadoc, le lundi 1 mai 2017 à 09:24:05

ProcrastinationLe 1er et le 15 de chaque mois, Lionel Davoust, Mélanie Fazi et Laurent Genefort discutent de techniques d’écriture et de narration, partagent leur expérience, et s’aventurent aussi, à l’occasion, dans les domaines de l’édition et du marché du livre. Bienvenue dans la saison 1 de Procrastination : « En quinze minutes, parce que vous avez autre chose à faire, et qu’on n’a pas la science infuse. »

« Écrire ce qu’on connaît » est un des conseils les plus répandus, qui a généré au fil de l’histoire littéraire des positions assez polarisées. La narration se nourrit bien sûr de l’expérience de l’auteur, mais cette notion s’effondre tout particulièrement dans les domaines de l’imaginaire, qui ont par nature un rapport à la réalité particulier. Toute la clé, on le verra, se trouve dans le sens que l’on donne au mot « connaître ».

Vous pouvez écouter tout cela directement ci-dessous. Le podcast est aussi disponible sur iTunes et sur Youtube.

Venez commenter cet épisode sur le forum



Vous écoutez « Procrastination », Épisode 16 : De ta vie à Google Maps

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire,
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

Lionel Davoust : Alors, derrière ce titre, ce qu’on cachait c’est : la part du réel dans l’écriture. Quelle est l’influence, l’importance, de la réalité dans l’écrit ? Déjà une question qui peut occuper l’écriture générale, mais qui en plus prend un relief particulier avec nous qui écrivons plutôt dans l’imaginaire. Et même si beaucoup de choses qu’on dit sont valides quels que soient les genres, je pense que c’est plutôt des auteurs d’imaginaire en devenir – ou pas d’ailleurs – qui nous écoutent. Donc : quelle est la part du réel dans l’écriture ? comment on s’en inspire ? Il y a un conseil qu’on entend fréquemment dans l’écriture qui est : il ne faut écrire que sur ce que l’on connaît. Il y a beaucoup d’auteurs d’ailleurs… En cherchant des citations, je suis tombé sur un certain nombre d’auteurs qui disent qu’on ne peut écrire que sur ce que l’on connait et que tout autre comportement est une hérésie. Alors, indice concernant mon parti pris, je n’ai pas retenu ces citations-là.
Alors, qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu’on ne peut écrire que sur ce que l’on connaît ? Est-ce que nous ne sommes donc que limités à cela ?

Laurent Genefort : C’est ce que disait un extra-terrestre de mes amis quand je lui ai demandé si je pouvais écrire sur ce que je connais… Clairement, entre un auteur de polar qui est néophyte et un auteur de polar qui est médecin légiste ou policier, j’aurais tendance à croire davantage celui qui sait. Typiquement, le Nécropolis de Herbert Lieberman est l’exemple parfait. Ou certains romans de hard science écrits par des scientifiques, où il y a une jubilation de lire quelque chose d’une source bien informée. Il y a une immersion dans le savoir, d’une certaine manière. Pour moi, le champ de connaissance – parce qu’en fait c’est ça… C’est pour ça que je n’ai pas vraiment d’avis en réalité. Tout dépend de l’intention de l’auteur. Pour moi, je compare le champ de connaissance au champ de vision. C'est-à-dire on n’a pas à tout savoir, tout comme on n’a pas à tout voir dans une scène. On a un champ de vision d’un certain angle, en général c’est de 110° à 120°. Eh bien, pour les connaissances, c’est pareil. Nécropolis, par exemple, de Lieberman, on a une vue quasiment à 360°, il dit tout de ce milieu de la médecine légale. Et c’est absolument magnifique d’immersion.
À l’inverse, un auteur que je ne nommerai pas, qui a écrit plus d’une trentaine de romans ayant trait à l’aviation… C’est un passionné d’aviation, il a passé une partie de ses loisirs dans des jeux d’ailes et des petits avions. Moi j’ai lu quasiment toute sa production, et il y a très peu de savoir sur l’aviation, paradoxalement. Très peu de mots, très peu de vocabulaire lié à ça. Eh bien, ça marche quand même, étrangement. Il a restreint le champ de connaissance vraiment très fort, on a un champ de connaissance très réduit. Mais l’important c’est que le lecteur croie que l’auteur en sait plus qu’il n’en dit.

LD : Oui, tout à fait.

LG : Donc le champ de connaissance peut-être très restreint à partir du moment où l’attente est faible. En revanche, quand on est sur un roman qui mise sur l’érudition, là il faut l’avoir, clairement. C’est simplement une sorte de paramètres à savoir au départ, qui est un point de vue esthétique, quelque part. Ça implique un niveau de vocabulaire, c’est une immersion différente.

LD : On a parlé pas mal dans les épisodes précédents de la valeur du fait que l’information et l’atmosphère émergent organiquement de ce qu’on raconte, donc forcément, si l’on cherche à faire émerger une ambiance, une atmosphère, un lieu, eh bien il faut en savoir plus que ce qu’on va dire. Pour savoir ne serait-ce que de manière très mécanique quels sont les détails qui vont être signifiants, mais aussi pour que cette imprégnation qui est évidemment au summum quand on a vécu quelque chose ou qu’on s’est rendu dans un lieu etc. puisse émerger. Sinon il faut trouver à s’en imprégner par d’autres moyens, et c’est là la valeur des recherches, mais évidemment en fonction de l’objectif qu’on vise.
Écrire sur ce qu’on connaît… Alors c’est pour ça que l’épisode s’appelle de façon un peu provocatrice « De ta vie à Google Maps », c'est-à-dire on connaît sa vie et si jamais on ne connaît pas les lieux on peut regarder sur Google Maps, est-ce que ça suffit pour pouvoir décrire un lieu ? Derrière ça se place aussi un serpent de mer – que je vais vous jeter en pâture car ce sera moi qui l’aurai dit en premier – c’est la fameuse question de « Est-ce qu’on peut écrire d’après un point de vue qu’on ne connaît pas et qu’on ne maîtrise pas ? ». La tarte à la crème de la chose c’est par exemple : « Est-ce qu’on peut écrire du point de vue du sexe opposé ? », « Est-ce qu’on peut écrire du point de vue d’une nationalité qu’on ne connaît pas ? d’une classe sociale qu’on ne connait pas ? ». Et si on cherche à le faire, comment on fait ?
Fichtre.

Mélanie Fazi : Vaste sujet. Alors, Est-ce qu’on peut ? Oui. On peut toujours. La réponse à « Est-ce qu’on peut ? » est toujours oui.

LG : Oui, tout à fait.

LD : Voilà, fin de l’épisode, merci beaucoup !

(Rires + blanc)

LG : J’aime beaucoup ce blanc.

MF : Je me suis heurtée à ce problème là en écrivant sur des lieux, par exemple. C’est un sujet qui me tient pas mal à cœur. J’ai essayé à un moment donné d’écrire notamment en plaçant le texte aux États-Unis – ce que beaucoup d’auteurs débutants voire tous ont fait à un moment donné (rires de LG) – et en m’imprégnant d’énormément de détails pris dans des films, des livres, pris dans des choses. Il semblerait qu’il y a un ou deux textes où j’ai fait illusion, et il y en a un où je me suis plantée sur des trucs, et quand je suis allée là-bas je me suis rendue compte de l’étendue de mon ignorance, en fait. Et on peut vraiment se heurter à des choses comme ça. Je peux avoir vu des dizaines d’images de maisons et je peux décrire la maison que j’ai vue sur telle photo ; par contre l’architecture rien ne me préparait à ce que j’ai vu là-bas. Il y a des choses qui sont tellement différentes que je pense que si on n’a pas été s’immerger dans ça, on va se planter. Alors après, on peut décider d’assumer totalement que ce soit fantasmé et y aller à fond. Mais il y a un gros, gros risque de se planter.

LD : L’immersion pour moi reste clé. Alors évidemment je suis d’accord, on peut tout écrire, la clé reste pour moi toujours l’empathie. L’empathie et le respect pour le matériau de base, que ce soit un lieu, un endroit, une culture, un point de vue. Un écrivain écrit toujours de l’endroit où il se tient, de qui il est, de son passé, mais il écrit également du point de vue de la culture et de l’époque, de l’esprit du temps dans lequel il est. Pour moi, un truc important c’est si on cherche à se nourrir… Sa propre expérience reste le premier matériau. Mais on est tous humains, et je pense qu’on partage – c’est peut-être mon côté New Age idéaliste qui parle, mais tant pis, j’assume – je pense qu’on partage tous une communauté humaine, et que on est capable, parce que nous sommes des êtres empathiques – tous, même si parfois pour certains il faut chercher et il faut fouiller un peu – on est tous capables d’établir une relation d’empathie avec la personne en face. Si on va chercher suffisamment profondément et qu’on traite la chose avec respect et avec suffisamment d’exhaustivité – en tout cas il faut se renseigner pour s’immerger – on est capable de retranscrire avec respect une altérité qu’on découvre. À mon avis.

LG : Oui, je suis d’accord, les éditeurs sont des êtres humains, ça je l’ai toujours considéré.

(Rires)

MF : Pour moi il y a une question d’équilibre aussi, entre justement ce qui est universel et qui va émerger, et ce qui est très particulier, comme ce que je disais sur l’architecture, en extrapolant.

LD : Ça nous amène aussi sur la question des recherches. Ça aussi, c’est un peu un serpent de mer. Parfois on voit des auteurs qui passent beaucoup de temps à construire un monde, à faire des recherches, et finalement vont se mettre à l’écriture assez tard. Il y a un équilibre, et un danger dans les recherches qui est de s’y perdre et de ne plus faire que ça. Alors, certains auteurs ont besoin de lire 40 bouquins sur un sujet avant d’écrire un bouquin. Je crois que c’est sur son site, Christopher Priest, quand il a écrit La Séparation, je crois qu’il a lu 70 bouquins sur la Seconde Guerre mondiale et ça donne un résultat admirable. C’est encore une fois une question de trouver son équilibre dans les recherches quand on cherche à s’immerger dans autre chose. De quoi on a besoin pour écrire son histoire, de quoi on a besoin pour soi ? Attention à ne pas procrastiner – malgré le titre du podcast – sur ce sujet-là.
Sur la documentation, pour moi ce qui est important c’est de chercher les motifs et les causes, plus que les faits. Les faits en soi… Si je peux prendre humblement mon exemple, je parle beaucoup d’Empire dans mes bouquins, notamment dans La Volonté du Dragon et La Route de la Conquête, je ne cherche pas à m’inspirer plus spécialement de l’Empire d’Alexandre ou des États-Unis, quoi. Moi je cherche juste à savoir comment les empires fonctionnent, l’imaginaire prend juste un décor différent, et après on peut dérouler des fonctionnements à partir de causes différentes, et dérouler une histoire avec un grand H ou un scénario, à partir de ces causes-là, mais d’utiliser son monde.

LG : Alors ça je suis tout à fait d’accord. Un auteur ne doit-il écrire que sur ce qu’il connaît ? Je pense qu’il faut déterminer ce que ça veut dire, connaître. Ça ne veut pas dire forcément « avoir vécu ». Parce qu’à ce moment-là le roman historique n’existerait pas, pas plus que la science-fiction ou les genres imaginaires. Connaître, ça veut dire comprendre, en fait, avant tout. Saisir l’esprit d’un temps, par exemple, d’un lieu, d’une culture. Et certains écrivains y arrivent très bien, à saisir à partir de très peu de choses une mentalité particulière locale ou d’une époque, à la retranscrire, et ça fonctionne très très bien. D’autres n’ont pas ce talent, tout simplement.

MF : Moi j’avais envie de faire un virage et de revenir totalement à l’autre bout du spectre. En fait on ne comprend pas tous la même chose dans « Écrire sur ce que l’on connaît ». Et j’entends beaucoup comme critiques de cette formulation que ce serait ennuyeux si on écrivait que sur ce que l’on connaît, et moi j’ai plutôt l’hypothèse que si on sait s’y prendre, rien n’est ennuyeux.

LG et LD : Oui, tout à fait.

MF : Un exemple me vient tout de suite que je trouve assez brillant, c’est dans les premiers polars de Tonino Benacquista, qui dans tous ses premiers livres met en scène à chaque fois un métier qu’il a pratiqué. Son premier personnage travaille dans les trains de nuit, dans des trains couchette. Le deuxième est accrocheur (de toiles) dans une galerie. Ensuite il est parasite mondain – (rires) ça je ne sais pas s’il l’a vraiment fait – dans Les Morsures de l’Aube. Et scénariste dans Saga évidemment, qui est peut-être mon préféré du lot. Moi j’aime bien cette idée que… J’avais écrit une nouvelle sur une aire d’autoroute, et des gens m’ont dit : « c’est étonnant de choisir ça comme lieu », alors que n’importe quel lieu du quotidien, quand tu commences à laisser ton imagination vagabonder, tout peut être intéressant.

LD : Complètement.

MF : Et j’en reviens du coup à ce que je disais sur le choix des lieux. Je parlais des États-Unis tout à l’heure. Moi j’ai beaucoup de frustration quand je lis des récits qui sont situés justement dans d’autres pays, c’est qu’on va jouer sur quelque chose qui est plus du fantasme et d’une espèce de référent culturel commun. Alors, ça peut être très bien fait. D’ailleurs, Lionel, tu as situé Léviathan aux États-Unis.

LD : Merci (rires).

MF : Mais souvent quand je vois ça chez des auteurs qui ne maîtrisent pas tout à fait, ma frustration c’est de dire « mais retire ton masque, arrête de jouer avec l’imaginaire des autres, qu’est-ce que toi tu aimes dire sur ton pays, ton quotidien, tout ça ? ». Et j’ai une grande frustration notamment de ne voir personne s’emparer de Paris comme on le fait avec Londres ou… Je pensais à ce que Neil Gaiman fait avec les stations de métro dans Neverwhere. Il a pris les stations de métro et les a rendues littérales dans une espèce d’univers parallèle. On peut faire ça avec le quotidien le plus banal. Et souvent je suis très frustrée justement par cette recherche de… tiens on va situer aux États-Unis parce que tout est plus grand, tout est plus… J’ai presque envie de dire « non, mais essaie de t’amuser avec ce que tu as sous la main, ça m’intéresse plus, en fait ». Je ne dis pas que l’un est préférable à l’autre, ce sont deux démarches différentes.

LD : Je suis d’accord, pour les Américains comme pour les Européens, les extra-terrestres débarquent toujours aux États-Unis, quoi. Il n’y a pas de raison, ce parfum d’exotisme, euh… Sur Léviathan, moi j’ai un peu « triché » parce qu’il y a une bonne partie de la série qui se passe dans des sortes de huis-clos, c'est-à-dire en Antarctique ou dans une petite ville du Canada, donc en région polaire ou sub-polaire, qui sont des choses sur lesquelles j’ai pris pas mal de renseignements, mais comme c’est en rapport avec la mer, ça va avec mon cursus et j’ai une certaine habitude pour parler de ça (note : Lionel Davoust était ingénieur halieute). Et pour Los Angeles, j’y suis allé aussi, mais là, Google Maps est quand même d’une grande aide. Ce qui est assez marrant – je ne sais pas, c’est peut-être presque une boîte de Pandore – sur le fait de placer des récits dans le monde réel, au moins il y a toujours un moment quand tu te documentes suffisamment, c’est presque un champ de distorsion. La réalité a presque l’air de servir les pièces et le jeu pour dire « tiens, regarde ton histoire, tu ne le savais pas, mais elle se passe là ». Il y a des lieux qui font sens, quand on se documente suffisamment, en se disant, je ne le savais pas, mais quelque part, toutes les pièces du puzzle me sont servies, et c’est là que l’histoire doit se passer. Et si elles ne me sont pas servies, c’est peut-être parce que je ne cherche pas au bon endroit et que ce n’est pas là que ça devait arriver. Bon, ma foi… Eh bien pour terminer une petite citation de L.P. Heartly (Leslie Poles Heartly), qui nous dit – alors traduction maison parce que je n’ai pas trouvé la VF : « Il vaut mieux écrire sur ce que l’on ressent, que sur ce que l’on connaît. » et je crois que ça résume ce qu’on a dit tous les trois.

Jingle : C’était procrastination, merci de nous avoir suivis, maintenant assez procrastiné, allez écrire !

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Yocko)

Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :