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Procrastination #S01E14 : Gentils et méchants

Par Sylvadoc, le samedi 1 avril 2017 à 19:01:49

ProcrastinationLe 1er et le 15 de chaque mois, Lionel Davoust, Mélanie Fazi et Laurent Genefort discutent de techniques d’écriture et de narration, partagent leur expérience, et s’aventurent aussi, à l’occasion, dans les domaines de l’édition et du marché du livre. Bienvenue dans la saison 1 de Procrastination : « En quinze minutes, parce que vous avez autre chose à faire, et qu’on n’a pas la science infuse. »

On dit que la qualité d’un récit se mesure à celle de son « méchant ». Qu’en est-il ? Le rôle moral des personnages constitue-t-il une règle fondamentale ou un simple guide ? À l’aide d’exemples, Mélanie Fazi, Laurent Genefort et Lionel Davoust explorent les notions d’éthique des personnages, du récit, leur rapport au lecteur, les portes que cela ouvre pour l’écriture – et la responsabilité des auteurs.

Vous pouvez écouter tout cela directement ci-dessous. Le podcast est aussi disponible sur iTunes et sur Youtube.

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Vous écoutez « Procrastination », Épisode 14 : Gentils et méchants

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire,
Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

LD : Ça fait un peu suite directe, et ça spécialise disons, ou détaille, l’épisode précédent sur les personnages. Les gentils et les méchants. Il paraît que pour une bonne histoire, il faut un bon gentil et un bon méchant. On dit qu’un bon James Bond, c’est parce qu’il y a un bon méchant. Qu’est-ce que vous pensez de la notion de « gentils » et de « méchants », est-ce que c’est quelque chose d’utile, d’opérant, etc. ? Pour vous ? Ou pas ? On dit souvent que… Il y a pas mal d’articles d’écriture qui disent qu’il faut un gentil à qui on s’identifie et qu’il faut un méchant très méchant.

LG : Je crois qu’il y a deux notions en fait. Dans la notion de personnage, il y a deux choses, en particulier dans le roman. Il y a l’actant, c’est-à-dire celui qui va agir, qui va avoir une fonction narrative. Donc un méchant, ça va être un antagoniste, ça va être quelque chose qui va avoir une action dans l’histoire, une action en général opposée à celle de… ça va être un obstacle dans la progression dramatique, par exemple. Et en même temps, c’est une personne. Dans le personnage, il y a la notion de personne, c’est-à-dire qui va avoir sa psychologie, qui est indépendante de sa fonction d’actant. C’est là que ça se joue, c’est là qu’est le nœud de la problématique des méchants et des gentils, je pense. Donc avoir des méchants et des gentils dans une histoire, je pense que c’est privilégier la fonction narrative.

LD : Oui, tout à fait.

LG : Donc le conte. Donc pour moi ça ne pose pas de problème, à partir du moment où on est « clairement », entre guillemets, dans un conte, dans une fiction à tendance conte, il n’y a pas de problème, à priori. Ça, c’est la première chose. La deuxième chose, c’est qu’un récit… il y a une économie du récit. Les méchants et les gentils, c’est très avantageux en coût énergétique, on pourrait dire.

LD : Oui, en budget narratif.

LG : En budget narratif, c’est avantageux parce qu’on se passe d’explications pour leurs actes et leurs pensées. Un méchant va agir comme ça parce qu’il est méchant, un gentil va agir comme ça parce qu’il est gentil. Ça, c’est économique pour faire avancer l’histoire, un peu comme un réflexe. Un réflexe, c’est une économie de pensée. Penser par réflexe. Le problème, c’est justement comme les réflexes, c’est-à-dire qu’on essentialise.

LD : Tout à fait.

LG : Si on commence à se dire « ce personnage-là, il agit comme ça parce qu’il est méchant », on va l’essentialiser. Ça ouvre des tas de problèmes, en fait, liés au fait d’essentialiser une personne.

MF : Alors moi je voulais rebondir. Déjà je préfère nettement le terme d’antagoniste, il n’y a rien à faire, « gentil/méchant », ça fait cours de récré. Je sais qu’on n'a pas beaucoup de termes beaucoup plus pratiques, mais enfin… moi ça me rappelle pourquoi je bloque sur cette notion. Et à titre personnel, d’une part je ne suis pas sûre d’avoir déjà écrit des « méchants » entre guillemets. Je trouve aussi très intéressants les récits où on arrive à faire l’économie de ça et où l’intérêt est ailleurs, voire où la menace vient du personnage du héros lui-même. Je digresse un peu. Cela étant dit, récemment j’ai vu une série où un personnage d’antagoniste m’a beaucoup fait réfléchir sur ça. C’est une série sur Netflix qui s’appelle The OA, qui est parue… qui est vraiment diffusée tout récemment (Note : série de 2016). Et il y a un personnage d’antagoniste qui est extraordinaire dedans. Où, sans spoiler le récit, c’est quelqu’un qui rappelle une fonction qui me paraît essentielle, qui est que chaque personne dans la vraie vie, et chaque personnage donc, est le héros de sa propre histoire. C’est que, justement, le bien, le mal tout ça, c’est quand même assez schématique. Que quelqu’un qui va faire quelque chose qui sera considéré comme mal par quelqu’un d’autre, en réalité, lui est persuadé qu’il fait ce qu’il faut. Et donc ce personnage dans cette série, sans dévoiler ce qu’il s’y passe, est quelqu’un qui croit à une cause, et pour cette cause il va faire quelque chose qui est moralement plus que douteux, qui est même atroce. Et on voit ce personnage qui est quand même tiraillé, il a tout à fait conscience que ce qu’il fait franchit une ligne, mais il est persuadé que cette cause est tellement importante qu’il n’a pas le choix. Et on le voit constamment être tiraillé et être à deux doigts de se rendre compte de ce qu’il fait, et se raccrocher à cette idée que « non, je ne peux pas me poser ces questions-là, ce que je fais est trop important ». Et j’ai trouvé ça extraordinaire. Pour moi, c’est vraiment quelque chose d’essentiel.

LG : Alors, moi je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi.

MF : Ah.

LG : Parce que… D’abord, de dire que finalement il n’y a pas de méchants, il n’y a pas de gentils, il n’y a que des antagonistes ou des protagonistes, je pense que c’est mettre de côté la norme morale. Or dans une histoire, une norme, c’est une sorte d’espace commun. C’est presque une sorte de définition. Une norme morale définit un espace commun, qui est un espace abstrait, intellectuel, mais c’est un espace commun dans lequel évoluent les personnages justement. Si chaque personnage… si on finit par établir qu’ils ont leur propre norme, eh bien ça n’est plus une norme finalement, puisque ça ne vaut que pour eux, il n’y a plus cet espace commun. Or, la tension dramatique vient aussi de la confrontation à un espace commun, de la singularité à un espace commun. Donc si on se dit « ah oui, mais ce personnage-là a sa propre morale, ses propres enjeux, ses propres intérêts », et de ne faire plus des personnages que les porteurs de leurs propres intérêts, on va éliminer un truc intéressant qui est le décalage par rapport à sa propre norme. Et donc par exemple, un personnage n’est jamais aussi intéressant que, justement comme tu disais, un méchant tenté par le bien et vice versa, un gentil tenté par le mal, c’est intéressant. Mais ça veut dire qu’il a conscience qu’il n’est pas tout seul, et donc il va agir par rapport à une norme morale. Donc il ne faut peut-être pas évacuer les termes de « gentil/méchant » sous prétexte que ça a l’air d’être manichéen, comme ça. Parce qu’en fait, une norme morale – même si je ne la défends pas, je ne suis pas un moraliste – je définis ça plutôt comme un espace de tension, qui peut faire progresser l’histoire.

MF : Cela dit, dans l’exemple que je citais, ce personnage est troublant parce qu’on peut tout à fait comprendre pourquoi il fait ce qu’il fait. Par contre il n’y a pas… c’est vraiment l’antagoniste clairement identifié, et ce qu’il fait est vraiment considéré comme « mal ». Ce qu’il fait est mal. Ce n’est pas « le personnage est méchant ». Pour moi, il y a une nuance entre les deux.

LD : Moi je suis d’accord et pas d’accord avec vous deux, en fait. Je suis tout à fait d’accord avec la notion de protagoniste et d’antagoniste. On suit le protagoniste qui a une volonté active dans l’histoire. Pour reprendre ce que je disais dans l’épisode précédent, le cœur du personnage est dans ce qu’il veut et d’où il vient. Et l’antagoniste s’y oppose. Après, la morale qu’ils ont leur est personnelle — j’ai même noté moi aussi « tout le monde est le héros de sa propre histoire ». Mais l’écriture et la narration amènent le lecteur à être actif, et donc à... On retrouve ton espace de norme, mais pour moi la norme et le rapport à la morale, et donc avec le fait d’être gentil/méchant, va se faire presque dans un rapport méta, c’est-à-dire entre eux. Ce que les personnages vont faire, et ce que ça va susciter comme interrogations chez le lecteur ou le spectateur. C’est l’exemple de… tu parlais de The OA que je n’ai pas vu, il y a une période pour moi très intéressante dans Battlestar Galactica 2004, quand… Alors, c’est vieux, donc je spoile un brin, ça ne devrait pas poser de problèmes, j’espère… À l’époque où ils sont posés sur Caprica, les Cylons ont plus ou moins pris l’ascendant, les protagonistes, les gentils, c’est-à-dire les Humains qu’on suit depuis le début, se mettent à faire des attentats suicides pour essayer de mettre les Cylons dehors. Et c’est à l’époque où… si je ne me trompe pas, c’était plus ou moins à l’époque de la guerre en Afghanistan où il y avait la même chose. Et le fait que… Alors, si vous regardez BSG aujourd’hui, il n’y a plus ce lien avec l’actualité qui était quand même très fort à l’époque. Et le fait que les gentils le fassent, pour moi, il n’y a pas de discours moral derrière, en tout cas je ne l’ai pas perçu comme ça de la part des scénaristes. Quand ils le font, ce n’est pas en disant « regardez c’est bien parce que c’est les gentils », ce n’est pas du tout ça. C’est « les personnages sont poussés par une certaine situation à faire ça », et ça pousse le spectateur – américain – à se dire « regardez, qu’en pensez-vous ? ». Et pour moi l’espace avec la norme morale se trouve là, et le rapport aux questions que ça pose. C’est pour ça que je suis un peu entre les deux.

MF : Ça recouvre tout le spectre.

LD : Oui. Mais en tout cas, les conflits, quelque part, deviennent beaucoup plus intéressants pour moi quand ils se complexifient de cette manière-là. Dark Vador est beaucoup plus intéressant quand on apprend que c’est le père de Luke, quelque part. Au début, oui, il est cool, il est noir, il a un sabre laser rouge, il tue Obi-Wan Kenobi, waaah… Mais au bout d’un moment, ça devient un mal désincarné. Il devient finalement plus attachant, en un sens, quand on a cette histoire de chute que l’on découvre dans L'Empire contre-attaque et dans Le retour du Jedi. Bon, j’espère ne pas avoir spoilé, hein…

LG : C’est plus facile en fait quand on est dans un espace imaginaire comme la fantasy ou la science-fiction, parce qu’on est plus proche du conte, donc on peut tout à fait avoir, donner à son histoire une sorte de portée psychanalytique. À ce moment-là, les méchants sont des instances psychiques. C’est le « Ça ». Le gentil, c’est le Surmoi.

LD : Sauron est un très bon exemple de force immanente.

LG : Voilà, exactement. Mais pour moi, on est dans des cas extrêmes, dans ces espaces fictionnels vraiment très métaphoriques, pour le coup. C’est moins évident quand on est dans un récit réaliste, où on prétend à un certain réalisme, tout simplement, des rapports humains et de la vision du monde.

LD : Je pense que derrière – alors ça nous entraîne un peu loin – mais je pense qu’il y a derrière un mécanisme narratif qui est presque automatique. C’est-à-dire que quand on suit un protagoniste, même si c’est le dernier des salopards, le fait qu’on le suive, et que comme chacun est le héros de sa propre histoire, et que l’on a ses justifications de ce qu’il fait… Tu parlais de norme morale, Laurent tout à l’heure, et on sait bien que le médium c’est le message... On peut orienter la perception du lecteur rien qu’en se mettant à côté d’un protagoniste. Et quelque part, je pense que, pour revenir sur la notion de bien et de mal, très manichéenne mais morale, de l’écriture… Mine de rien, l’auteur a une responsabilité morale concernant le point de vue qu’il va choisir d’accompagner, et la manière dont il va le faire. Parce que oui, tout le monde est le héros de sa propre histoire, donc à la rigueur on peut justifier tout et n’importe quoi. Et si on prend un personnage qui est complexe ou même carrément discutable… Ça peut être rigolo, ça peut être fun, notamment dans un contexte de fantasy ou d’imaginaire, où il y a un écart vis-à-vis du monde réel donc quelque part moins de responsabilités historiques… Mais on a quand même une responsabilité morale de ce qu’on va présenter comme étant justifiable. Je ne dis pas qu’il faut se censurer, mais ça peut être intéressant, et c’est à mon avis une responsabilité qu’on a, de garder ça à l’esprit en se disant « je choisis de présenter ça, est-ce que j’en suis bien conscient ? ».

LG : Mais il y a une jouissance à suivre les méchants.

LD : Oui.

LG : C’est ce qu’on dit souvent, l’histoire est réussie quand le méchant est bon, et il n’est jamais aussi bon que quand il dit des choses vraies. Le méchant, dans beaucoup de thrillers, c’est celui qui va se permettre de dire des choses que le politiquement correct ne permet pas de dire. Et donc on va trouver le méchant attachant et intéressant. Le méchant dans Die Hard, il a cette fonction-là qui est vraiment cathartique. C’est libératoire de l’entendre dire certaines choses. Il y a cette dimension-là chez les méchants que le gentil ne peut pas… n’a pas.

MF : Alors il y a tout un aspect… C’est peut-être plus dans le fantastique, qui est vraiment le domaine qui m’intéresse, où on va avoir des personnages qui vont basculer de l’un à l’autre. Un exemple qui me revient tout le temps en pensant à ça, c’est Shining (Note : de Stephen King), où d’abord l’antagoniste au départ n’est même pas un personnage, c’est l’hôtel, et finalement l’antagoniste devient ce père de famille qui se retourne contre sa famille, mais qui est un personnage vraiment extrêmement émouvant et jusqu’au bout, jusque dans ça. Et je trouve qu’on peut créer quelque chose d’extrêmement inquiétant, et justement une tension très forte, en faisant basculer un personnage de l’un à l’autre, ce qui rejoint un peu ce que je disais tout à l’heure.

LD : Je pense qu’au-delà de la notion gentil/méchant, protagoniste/antagoniste, finalement il me semble que l’outil le plus utile, quelque part la première qualité de l’auteur, c’est l’empathie en fait. C’est l’empathie avec les personnages, l’empathie aussi avec ce qu’il va donner au lecteur - alors « Le » lecteur n’existe pas, mais au public qu’il espère toucher. Et comment il va jouer avec l’empathie de ses personnages, ou leur inhumanité le cas échéant, et, sans tomber dans le moralisme, dans la responsabilité qu’il a vis-à-vis du discours qu’il va porter quelque part. Parce qu’aucun discours n’est neutre.

MF : Oui, ça on est d’accord.

LD : Eh bien, pour terminer là-dessus une petite citation. Allez, je m’y colle. Donc c’est Amélie Nothomb dans Barbe Bleue qui nous dit : « Récemment, un best-seller mondial a prétendu qu’il y avait des vampires gentils et innocents. Les gens ne sont jamais aussi contents, désormais, que quand on leur affirme que le mal n’existe pas. Mais non, les méchants ne sont pas de vrais méchants, le bien les séduit, eux aussi. Quelle espèce de crétins abâtardis sommes-nous devenus pour gober et aimer ces théories à la noix ? »

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis, maintenant assez procrastiné, allez écrire !

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Luxia)


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