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Procrastination #S01E13 : Conseils de survie pour les personnages

Par Sylvadoc, le mercredi 15 mars 2017 à 09:01:16

ProcrastinationLe 1er et le 15 de chaque mois, Lionel Davoust, Mélanie Fazi et Laurent Genefort discutent de techniques d’écriture et de narration, partagent leur expérience, et s’aventurent aussi, à l’occasion, dans les domaines de l’édition et du marché du livre. Bienvenue dans la saison 1 de Procrastination : « En quinze minutes, parce que vous avez autre chose à faire, et qu’on n’a pas la science infuse. »

Vaste sujet que les personnages, supports et véhicules du récit, qui formeront l’épine dorsale de bien des épisodes à venir. Mais s’il n’y avait qu’un épisode sur ce thème et que ce soit celui-ci, que serait-il possible de dire ? Quel est le, ou la poignée de conseils fondamentaux retirés de l’expérience qu’il serait est de fournir sur les personnages dans un récit ? Comment éviter qu’ils ne soient pas qu’une fonction narrative ?

Vous pouvez écouter tout cela directement ci-dessous. Le podcast est aussi disponible sur iTunes et sur Youtube.

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Vous écoutez « Procrastination », Épisode 13 : Conseils de survie pour les personnages

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire,
Et qu’on a n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

LD : Il est temps qu’on parle des personnages, c’est un sujet extrêmement vaste sur lequel on reviendra longtemps. Mais pour attaquer, on pensait attaquer par des conseils de survie pour les personnages. Alors, il ne s’agit pas de conseils de survie donnés aux personnages, bien entendu, mais pour l’auteur de ceux-ci. Histoire de lancer la discussion sur ce très vaste sujet qui nous ouvrira probablement des tas de boîtes de Pandore et de sujets à reprendre… mais pour lancer sur l’approche, sur les personnages donc… finalement peut-être prendre le processus à l’envers. C’est : s’il y avait une poignée — un, deux, trois — conseils à donner sur… à retirer de l’expérience sur la construction, la mise en scène, etc. des personnages, quels seraient-ils ?

MF : Vaste programme.

LG : Allez, je me lance. Je crois que… En premier conseil, je dirais de ne pas tout balancer en même temps. C’est-à-dire la description physique, les manies, les tics verbaux, ce genre de choses. Mais distiller les infos sur le personnage. En fait, le personnage doit… « Il doit ».

LD : Oui, il n’y a pas de…

LG : Il n’y a pas de devoir absolu, chacun fait de la façon la plus naturelle par rapport à son écriture. Mais en tout cas, cette notion de distiller les infos, c’est simplement d’amener de façon naturelle, et presque cinématographique, un personnage dans une histoire. C’est une sorte d’introduction dans l’histoire en fait. Et que ça se fasse au moment où ça fait sens. Par exemple le fait que le personnage ait tel tic etc. quand l’histoire le requiert, en faisant attention de ne pas tomber dans le piège de l’utilitarisme. Qui est un piège qu’on trouve dans beaucoup de séries américaines, de romans aussi, où par exemple… quand les phobies servent à dénouer tel ou tel truc, on s’aperçoit que c’est mécanique. C’est-à-dire que tout ne doit pas forcément servir l’histoire, sinon ça devient mécanique.

LD : Ça nous ouvre une boîte de Pandore d’ailleurs sur la promesse narrative, qui est… Twain disait, si je ne me trompe pas, c'était Twain, que contrairement à la réalité la fiction est tenue à la cohérence. Je le cite de travers, mais c’est à peu près ça l’idée. Et cette notion que quand il y a une cause dans un récit, il faut qu’il y ait une conséquence, a été finalement poussée au maximum par une certaine école américaine d’écriture, et notamment les scénaristes d’Hollywood, où le moindre détail va servir derrière. Et ça devient téléphoné et le public s’en doute, maintenant.

LG : Oui, voilà, exactement. Et au contraire, donner l’impression d’en laisser, justement, va rajouter du sous-texte, va rajouter une épaisseur, d’abord que permet le roman, que permet la longueur du roman. En fait il faut simplement penser le personnage comme s’il vivait vraiment, tout simplement, et on ne connaît jamais complètement la personne qu’on a en face de soi, tout bêtement, et donc c’est une façon de le traiter de façon réaliste, tout simplement. Le fait de donner l’impression d’en laisser.

MF : Ce que tu disais sur rendre un personnage vivant embraye un peu sur un des conseils que j’avais. En fait, moi c’est curieux parce que c’est vraiment ce qui m’est venu en priorité, et qui presque a pris toute la place en préparant l’épisode, et pourtant je n’appellerais pas ça un conseil de base, en fait. Je bloque sur énormément de personnages en fiction qui sont trop schématiques parce qu’ils sont logiques. Par exemple un personnage apprend une mauvaise nouvelle ou la mort de quelqu’un, il est triste, il y a une espèce de lien de cause à effet comme ça qui est trop simple. Alors que l’être humain n’est pas aussi simple, n’est pas aussi complexe…

LG : Puis il est plus rugueux. Si les personnages réagissent de façon mécanique, ça rend tout ça très lisse. Et donc effectivement les personnages ne sont plus que des mécaniques narratives à ce moment-là.

MF : Et du coup un conseil que je me suis retrouvée à donner à des étudiants récemment, j’y réfléchis encore beaucoup, c’est de réfléchir… à la limite s’étudier soi-même ou son environnement. Réfléchissez à tous les moments où vous avez eu, je sais pas, des réactions que vous n’avez pas assumées, des moments où on devrait ressentir ça, mais où on ressent l’inverse. Je ne sais pas, on apprend la mort de quelqu’un, on n’a pas de la tristesse, on a de la colère, ou on ne ressent rien, ça arrive aussi. C’est des choses qui vont nous… tout ce qui nous a saisis, tous les moments où quelque chose ne s’est pas passé comme ça devrait en théorie etc, insufflez tous ces moments dans vos personnages en fait. Et pour moi c’est souvent ça qui les rend vivants, c’est quand on sent qu’il y a la matière derrière.

LD : On a un peu parlé d’émergence organique dans les épisodes précédents. Moi je vous rejoins totalement sur cette notion d’émergence. Pour moi, deux trucs qui sont fondamentaux dans la créature… dans la créature, oh qu’il est rigolo ce lapsus… dans la création d’un personnage, c’est ce qu’il veut et d’où il vient. Qu’est-ce qu’il veut, c’est-à-dire quel est le moteur de son existence ? Ce sont des moteurs internes, ça peut être sa motivation, ses désirs etc., et puis extérieurs, on veut le tuer, il faut qu’il aille récupérer un héritage ou n’importe quoi. C’est son attitude face au monde. Et d’où il vient, ça fixe le comment et le pourquoi, quelle est sa vision du monde, grande et petite, est-ce qu’il croit aux Dieux, est-ce qu’il aime les frites, etc. Qu’est-ce qu’il sait faire, d’où il vient, ses aptitudes et compétences, si on reprend un peu les termes du jeu de rôle. Qu’est-ce qu’il sait, qu’est-ce qu’il peut faire, et à quel niveau. Qu’est-ce qu’il veut et d’où vient. Et puis là, le jeter dans le monde et voir ce qu’il se passe. Et à nouveau, là, cette émergence, elle va être organique. S’il n’aime pas les frites, à la rigueur ça ne va peut-être jamais apparaître et ce n’est pas grave. Ce qui compte, c'est le fait qu’il soit jeté dans le bain et sa confrontation au monde. Et ce qu’il est va émerger organiquement de ça à partir du moment où on le cerne un peu.

LG : C’est l’élément que je comptais donner en 2.

MF (riant) : On ne s’est pas concertés ! Je l’avais sous un autre angle, aussi.

LG : Pour rejoindre, même si le personnage doit pouvoir tenir debout sans la béquille de l’histoire, il faut considérer le personnage comme jamais seul. Il ne faut pas le considérer en soi et il faut penser aux interactions, tout simplement. Votre personnage, sauf si on fait une histoire avec un seul personnage — ça m’est arrivé, j’ai fait un roman où il n’y a qu’un seul personnage d’un bout à l’autre du roman…

LD : Redonne-nous le titre pour que…

LG : Ça s’appelle L’homme qui n’existait plus, qui raconte l’histoire d’un gérant de station spatiale et qui se retrouve échoué, un peu, c’est une sorte de robinsonnade, c’est une sorte de Robinson Crusoé spatial. Il se retrouve tout seul dans cette station. Là pour le coup il faut le penser en soi. Mais pour tout le reste — on est dans un cas extrême — pour tout le reste votre personnage interagira avec son milieu.

LD : Et il peut évoluer aussi, il faut penser qu’en général quand il y a une histoire, il va y avoir des évènements importants. Alors ça dépend où on place l’importance, l’envergure n’est pas forcément liée à l’importance, ça nous emmène sur la question des enjeux. Mais au moins l’histoire a de l’importance pour les personnages — sinon qu’est-ce qu’ils font là, à la rigueur, ils ne justifient pas leur salaire, leur salaire narratif au moins — donc les évènements peuvent avoir une influence sur eux et les changer. Ou pas, d’ailleurs. Le personnage n’est pas un bloc monolithique qui est amené à ne réagir que d’une seule manière. Sauf si c’est Conan le Barbare par exemple — en tout cas en version film.

MF : Ce qui est intéressant dans les interactions — mais alors là c’est un sujet, je crois qu’on pourrait presque faire un épisode tellement c’est vaste —, c’est garder en tête que les interactions ne sont pas nécessairement… Comment dire… Tous les personnages évoluent chacun de son côté. C’est marrant, en réfléchissant aux personnages, je me suis retrouvée à retrouver des références très précises qui n’ont rien à voir, l’une Harry Potter et l’autre Buffy contre les vampires, que je conseille à toute personne qui s’intéresse à la création de personnages, parce qu’il y a tout, là-dedans. Et qui montre notamment comment une relation d’amitié va évoluer parce qu’un personnage à un moment donné de sa vie n’est pas au même stade que le personnage d’à côté, et tout ça va créer des tensions, des choses, et… Une erreur qui est souvent faite par des débutants — pas que débutants d’ailleurs — c’est qu’on va avoir un héros, les personnages autour interagissent avec le héros mais ne sont que des faire-valoir, ils n’ont pas leur propre vie, leur propre existence, et du coup ça sonne faux en fait.

LD : Tout à fait. Et ça nous amène — par la tangente aussi — sur la notion de conflit en narration, qui est souvent mal comprise. On pense qu’un conflit c’est… on pense tout de suite conflit politique international, donc c’est forcément le héros qui est poursuivi par les tueurs du KGB…

LG : Ou coup de poing dans la figure.

LD : Ou coup de poing dans la figure, voilà. Il faut qu’il aille tuer le méchant pour que ça se passe bien, un peu en mode Jason Bourne. Le conflit en narration, ce n’est pas que ça. Ça, c’est même que la partie émergée de l’iceberg. La partie à mon sens plus intéressante, c’est tous les conflits subtils. C’est-à-dire un conflit pour moi plus intéressant, ce n’est pas « A va casser la figure à B », c’est par exemple « A et B se retrouvent à devoir bosser ensemble et se détestent, comment vont-ils réussir à atteindre un but commun ? ». C’est ça qui va mettre en valeur les personnages de façon intéressante, à travers ce qu’ils sont, et une histoire peut émerger quasiment comme ça.

LG : Oui, et puis c’est une façon de montrer le caractère en action. Plutôt que de décrire un caractère, on va le montrer en action. On n’a pas besoin en fait de dire que quelqu’un est colérique, il suffit qu’il se mette en colère sur des situations clés et on le voit bien, en fait. Et c’est peut-être aussi un conseil à donner : plutôt que de décrire, montrez en action.

MF : Et on en revient au « Show don’t tell » d’un épisode précédent.

LD : Et ça nous amènera aussi à l’épisode sur les dialogues qui arrivera plus tard.

MF : Je voulais revenir en fait sur ce que tu disais tout à l’heure, sur ce que veut un personnage, d’où il vient, etc. Moi j’avais noté ça en préparant parce que j’avais le même conseil mais autrement. En termes de… dire qu’un personnage a une histoire, mais ça peut être mal compris, ça. Je parlais donc de l’exemple de Harry Potter que j’avais cité à des étudiants récemment, où je leur disais la différence pour moi entre un personnage très vivant et un autre. Une histoire, ce n’est pas nécessairement celle de Harry qui a ses parents assassinés, il y a une prophétie, il y a tout ça. Ça marche, mais pour moi c’est un personnage moins vivant que Ron et Hermione à côté, qui a priori sont les faire-valoir et tout ce qu’on veut, mais qui ont une histoire avec un contexte. Qui va être pour l’une « je suis la seule sorcière dans une famille où personne ne l’est, donc complexe d’infériorité, donc je veux être la première partout », Ron qui vient d’une famille pauvre, tout le monde se refile les vêtements, tout ça, il y a des tensions de lutte des classes et tout ça. Pour moi ces petits éléments-là sont une histoire aussi forte que « on a tué mes parents et le grand méchant… ».

LG : C’est un peu l’apport du roman par rapport au conte. C’est-à-dire que tous les intervenants d’une histoire peuvent être de véritables personnages, et pas uniquement des simples fonctions narratives. On peut développer n’importe quel personnage, quel que soit son rôle dans l’histoire, c’est ça la force du roman aussi. La force du roman moderne par rapport à la chanson de geste, aux formes primitives de fiction, à L’Illiade et L’Odyssée d’Homère.

LD : Il y a une quantité d’auteurs anciens et modernes qui disent tous qu’ils ont au moins un personnage qui un jour s’est imposé dans l’histoire. Un personnage secondaire qui passait par là et qui d’un seul coup est devenu un personnage primordial, qui parfois a eu ses propres séries au point d’éclipser le projet d’origine.

MF : En fait pour revenir en arrière, ce sur quoi je voulais vraiment insister, c’est que considérer qu’on donne quelque chose, cette espèce de force motrice qui va guider un personnage, ça ne doit pas nécessairement être quelque chose de grandiose, de dramatique…

LD : Non pas du tout.

MF : Ça peut reposer vraiment sur des choses minuscules mais qui vont vraiment être la logique interne du personnage et qui peuvent prendre toute la place finalement.

LD : Je pense que ça nous ramène… Dans les exemples en atelier d’écriture sur les personnages, ce que je mets, c’est sous-jacent à la notion de volonté du personnage, c’est la notion d’enjeu. L’enjeu, ce n’est pas forcément quelque chose de cataclysmique. Ce n’est pas forcément « Le monde va être détruit et il faut vite sauver le monde en 24h ». Ça peut être… à l’autre extrémité totale, ça peut être une petite fille riche qui doit absolument réussir son contrôle de maths parce qu’on va lui offrir un poney. Ce qui est tout sauf apocalyptique — enfin ça dépend de votre vision du monde, mais bon —, mais pour elle, ça l’est, parce que le poney c’est le rêve de sa vie.

LG : Dans les romances, l’enjeu c’est de sortir avec son copain.

LD : Exactement.

LG : On n’est pas dans sauver le monde, clairement.

MF : J’ai vu il n’y a pas longtemps un conseil d’écriture qui m’a un peu énervée : « pour que le lecteur s’attache au personnage, mettez-le en danger ». J’avais trouvé ça assez simpliste en fait comme conseil, parce que non, on peut aboutir justement à des clichés si on prend ça de manière trop littérale, je dirais.

LD : J’aurais tendance à dire… Je ne sais pas de qui est le truc, mais je vais honteusement me permettre de reformuler : pour le rendre intéressant, mettez-le en conflit.

MF : Plutôt, voilà.

LD : Ce qui n’est pas du tout la même chose !

MF : Parce qu’en plus un personnage qu’on met en danger en permanence, moi ça ne le rend… vous je ne sais pas, mais ça peut le rendre antipathique très vite. Et au bout d’un moment, on ne s’y intéresse plus.

LD : Oui, complètement. Et un bon personnage n’est pas forcément un personnage sympathique, sinon il n’y aurait pas d’antihéros. Alors, il est haï par le monde entier, j’ai déjà dû citer l’exemple mais pour moi c’est un excellent exemple d’écriture : Joffrey Barathéon (Note : personnage du Trône de Fer/Game of Thrones) est absolument haï et détesté, mais c’est un personnage, au sens littéraire, que tout le monde connaît.

MF : Que tout le monde adore haïr, justement.

LD : C’est ça. Et c’est un excellent personnage, parce qu’il est parfaitement… pour le coup, il est cohérent, il tient sur ses deux pieds, il est parfaitement compréhensible, il est très fort. Alors certes, il a quand même une importance sur le royaume, mais à la rigueur il nous scandalise davantage par son quotidien qu’à travers son influence sur le royaume. Parce que finalement, ce n’est pas lui qui gouverne.

LG : Moi je pense qu’on en parlera dans l’épisode suivant.

LD : Tout à fait. Une petite citation pour terminer ?

LG : Allez, je m’y colle, une citation d’André Malraux. Allez, faisons dans le grand aussi. « Un personnage n’est pas un individu en mieux ».

Jingle : C’était procrastination, merci de nous avoir suivis, maintenant assez procrastiné, allez écrire.

(Transcription : Symphonie ; Relecture et corrections : Luxia)


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