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Procrastination S01E03 : les trois genres de l’imaginaire

Par Gillossen, le samedi 15 octobre 2016 à 17:02:22

ProcrastinationLe 1er et le 15 de chaque mois, Lionel Davoust, Mélanie Fazi et Laurent Genefort discutent de techniques d’écriture et de narration, partagent leur expérience, et s’aventurent aussi, à l’occasion, dans les domaines de l’édition et du marché du livre. Bienvenue dans la saison 1 de Procrastination : « En quinze minutes, parce que vous avez autre chose à faire, et qu’on n’a pas la science infuse. »
Dans ce troisième numéro de la saison 1, il sera question de Science-fiction, fantasy, fantastique : des étiquettes et des genres construits au fil de l’histoire littéraire mais qui correspondent actuellement à des classements importants, à la fois économiques et intellectuels. Cet épisode les définit simplement, tout en laissant la place aux évolutions inhérentes aux expérimentations qui forment les littératures de l’imaginaire. Où les auteurs s’inscrivent-ils, et faut-il absolument se fixer sur un genre ?
Vous pouvez écouter tout cela directement ci-dessous. Le podcast sera bientôt disponible sur iTunes et sur Youtube.

Venez commenter cet épisode sur le forum.

Référence citée :

La parabole du chat de Denis Guiot




LD : Vous écoutez « Procrastination », Épisode 3 : « Les 3 grands genres de l’Imaginaire »

Podcast sur l’écriture en 15 minutes.
Parce que vous avez autre chose à faire, Et qu’on n’a pas la science infuse.
Avec les voix de : Mélanie Fazi, Laurent Genefort, et Lionel Davoust.

LD : Je pense qu’on aurait pu mettre « trois grands » entre parenthèses, parce que souvent on identifie les genres de l’imaginaire comme étant Science-Fiction, Fantasy, Fantastique. Mais ils sont tellement métissés, en évolution constante justement, parce qu’on est quand même dans un domaine qui expérimente constamment avec la représentation du réel et crée de nouveaux courants. Il y a des tas de choses qui se situent aux marges qu’on pourrait peut-être éventuellement rattacher à l’imaginaire comme le surréalisme et le réalisme magique. Il y a la mouvance steampunk qu’on ne sait pas trop comment classer. Est-ce que c’est un genre, est-ce que c’est une esthétique, etc. ? Bref, tout ça est en constante évolution. Laurent, tu es probablement le plus érudit de nous trois sur la question. Moi, il y a un truc, une distinction qui tombe un peu en désuétude, qui n’est plus vraiment bankable de nos jours, mais que j’aimais bien, qui était la distinction entre littérature mimétique et non mimétique. Celle qui mime le réel tel qu’on l’admet consensuellement. Si vous croyez aux ovnis, aux anges, etc. ça peut être votre réel, mais en gros la réalité consensuelle telle qu’on la définit à l’heure actuelle, ça ne rentre pas vraiment dedans. Et la littérature non mimétique, c'est-à-dire qui nous pose une hypothèse de monde qui ne relève pas d’une réalité consensuelle.
LG : Ben tu as tout à fait défini le truc. Simplement, quand on dit non mimétique, c’est que dans le récit, il y a quelque chose de surnaturel, il y a quelque chose qui n’appartient pas à notre expérience quotidienne, plus exactement. Donc même s’il y a des gens qui croient aux ovnis, par exemple, ou aux apparitions de la Vierge, ce n’est pas quelque chose qui est consensuel dans la vie quotidienne. Tout le monde n’a pas vu d’ovnis ou d’apparitions de la Vierge, donc ça reste quelque chose de surnaturel. Et en plus, dans le cas d’apparitions de la Vierge, de quelque chose de métaphysique, alors que les ovnis, ce n’est pas métaphysique. À l’intérieur des genres de l’imaginaire, déjà, le but c’est de les identifier, pas de les hiérarchiser. C’est important, je pense, de le dire dès le départ. Parce que dans l’approche classique, le but c’était aussi de les hiérarchiser. Il y avait des arts nobles, il y avait des arts moins nobles. On classe les genres depuis le XIXe siècle. Enfin, ils ont été figés, au niveau des arts, au XVIIe siècle, mais les genres littéraires ont été fixés au XIXe. Le Fantastique moderne est apparu vers 1830 par là. La Science-Fiction, en tant que genre défini, est apparue vers 1900, dans ces eaux-là. Et la Fantasy, on peut dire qu’elle est apparue, en tant que genre, dans les années 1950, même si on trouve plein d’œuvres qui sont antérieures. Et on peut remonter, notamment pour la Fantasy, presque à l’antiquité.
LD : Oui, c’est vrai, on entend parfois dire : « oui mais Gilgamesh, c’est de la Fantasy, c’est un mec en quête d’immortalité », c’est un anachronisme de dire ça.

LG : C’est un peu un anachronisme. C’est comme de dire, d’imaginer que la Science-Fiction puisse avoir été antérieure au XVIe siècle. Moi je ne pense pas. Parce que pour qu’il y ait Science-Fiction, il faut qu’il y ait l’idée de la science, et la conception de la science moderne, elle est née avec la Renaissance. Quand la science se distingue de la théologie, c’est le XVIe siècle et c’est quelque chose de définitif. Et à ce moment-là, on peut avoir un imaginaire scientifique réellement. Voilà, ça va être Swift qui va imaginer une ville volante, Laputa, qui est maintenue grâce à un aimant, grâce à la répulsion d’un aimant géant. Donc là, on a une tentative de rationalisation, on a un imaginaire scientifique qui commence à émerger. Donc là, on peut dire que c’est de la proto Science-Fiction. Mais la Science-Fiction en tant que genre, c'est-à-dire avec un vrai corpus de texte, ça commence vers les années 1900, qui en plus est la fin de l’âge mécaniste. La Science-Fiction elle est vraiment née avec la relativité d’Einstein, Paul Valéry et ses civilisations mortelles, la naissance de l’écologie, c'est-à-dire qu’on commence à avoir l’idée qu’on est dans un monde avec des interactions avec le vivant, etc. Ça va illustrer ce changement de monde, la SF.
LD : Tout à fait.
LG : Et la Fantasy, alors là, c’est encore plus complexe, on va dire, puisque ça fait partie des genres du merveilleux. Et là, pour le coup, dans la distinction des genres, je rapprocherais la Science-Fiction de la Fantasy. C’est une autre façon d’envisager l’imaginaire, par rapport au Fantastique moderne qui va être une littérature de rupture par rapport au réel. Dans la Science-Fiction et le merveilleux, on va déterminer de nouvelles règles, de nouvelles règles du monde, irrationnelles pour la Fantasy et rationnelles pour la Science-Fiction, mais dans le Fantastique, on va être en rupture par rapport au réel. Dans le Fantastique c’est anormal qu’il y ait des fantômes, des loups-garous et des phénomènes surnaturels, et là on va se poser la question : est-ce que le personnage est fou ou est-ce le monde qui est fou ? Donc souvent, moi souvent ce que j’utilise comme image, c’est l’image du chat qui parle. C’est la plus efficace pour caractériser les genres. Mélanie est-ce que tu veux…
MF : Oui, c’est une image que j’utilise souvent quand je fais de rencontres, en lycée notamment, et qu’on me demande de définir les genres. Je n’arrive plus à me rappeler de qui est cette image.
LD : C’est Denis Guillot, si je ne me trompe pas.
MF : Effectivement, ça doit être de lui. Donc le chat qui parle. Un personnage rencontre un chat qui parle. Si nous sommes dans un avenir où le chat a été génétiquement modifié, il y a des chats qui parlent parce que scientifiquement on les a produits, c’est de la Science-Fiction. Si on est dans un monde, plus ou moins imaginaire où tous les chats parlent, de la même manière qu’il y a des fées, etc. il y a des chats qui parlent, on est dans la Fantasy. Et si le personnage est absolument tétanisé, mais quelle horreur, un chat qui parle ça n’existe pas ! c’est du Fantastique. Grosso modo.
LG : Donc dans les deux premiers cas, c’est naturel. Ça ne contrevient pas aux règles du monde qu’on a créé, alors que dans le Fantastique… Alors, c’est marrant parce que, pour moi, la Fantasy et la Science-Fiction, ce sont des genres réalistes, mais simplement, c’est une autre réalité. Mais ce sont des genres réalistes. D’où l’importance de l’immersion. Dans ces deux cas-là, l’importance de l’immersion, elle est essentielle. Et c’est ça qui va déterminer les genres de la SF. Par exemple, dans Star Wars on est à un niveau de réalisme très faible, puisqu’on peut avoir des vaisseaux qui font du bruit dans l’espace, ou des lasers qui ne sont pas des lasers, qui ne peuvent pas exister, parce que, en réalité, on est dans la métaphore. Les planètes, c’est des châteaux forts, les vaisseaux spatiaux c’est des chevaux. Il y a des chevaliers, il y a des princesses, on est dans une littérature métaphorique, et donc le pacte avec le lecteur il est : « voilà, je vous offre une belle histoire avec des archétypes, en revanche, vous allez accepter le fait qu’il y ait un niveau de réalisme, de crédibilité, scientifiquement bas ». Voilà, donc l’immersion, elle est d’un autre type que celle par exemple de la Hard Science-Fiction, à forte vraisemblabilité scientifique. Là, l’immersion dépend vraiment du côté vraisemblable et de la pelote logique qu’on va dérouler.
LD : Ce qui est important aussi, c’est que ces genres-là sont des continuums. C’est Theodore Sturgeon, je crois, qui disait, quand on lui demandait ce qu’est la Science-Fiction, il montrait du doigt et disait : « ce que je montre du doigt, c’est de la Science-Fiction ».
LG : Voilà. Ou Spinrad qui disait : « la Science-Fiction c’est ce qui est publié sous le label Science-Fiction ».
LD : Tout à fait.
LG : En fait c’était une boutade, mais en même temps, c’était une boutade qui montre bien comment s’est construite la Science-Fiction et les genres de manière générale. C’est à la fois une création d’auteurs et d’éditeurs.
LD : Oui.
LG : Et ça montre aussi comment un genre se construit. Il se construit sur des images communes qui vont ensuite être groupées pour des nécessités commerciales dans des collections. Et ce qui a modelé les genres dans la deuxième partie du XXe siècle c’est les collections.
LD : Tout à fait. Les lecteurs plus jeunes ne seront pas forcément au courant, mais je pense qu’on se souvient de Pocket, qui à un moment multipliait les sous étiquettes.
LG : Les labels.
LD : Science-Fiction, Science Fantasy, Dark Fantasy… Lovecraft est en Dark Fantasy par exemple. Il y a un courant alternatif entre les étiquettes, ce que les auteurs font, etc. Est-ce que pour vous, sur la dimension d’écriture, est-ce que la distinction a un sens, au niveau de l’écriture, des genres ? Bon ça c’est une question un peu provocatrice, mais surtout est-ce que c’est important pour un auteur de savoir dans quel(s) genre(s) il opère ?
MF : C’est plus une question que je vais poser qu’une réponse. En fait, je m’aperçois que c’était extrêmement important quand j’ai commencé à écrire. Et que plus j’avance dans la pratique de mon genre qui est vraiment le Fantastique, c’est vraiment mon domaine de spécialité, on va dire. Plus j’avance et moins je suis sûre de ce qu’est le genre, et de là où je me situe entre ça et quelque chose qui est en marge de la Fantasy. Et j’ai l’impression que c’est peut-être très important comme… De la même manière qu’on apprend la technique, on commence par apprendre comment fonctionne un genre, et après on y trouve peut-être une place particulière, et peut-être qu’on va osciller entre la frontière de plusieurs genres.
LG : Moi ma pratique elle est d’abord une pratique de lecteur. Moi la Science-Fiction ça a toujours été une revendication de lecteur. Je n’avais pas honte de lire de la Science-Fiction, donc je n’ai pas plus honte d’en écrire aujourd’hui que d’en lire à l’époque. Donc je me revendique en tant qu’auteur de SF.
LD : Et tu as bien raison.
LG : En ça, l’étiquette ne me fait pas peur et je me sens très à l’aise dans le Space Opera qui est mon genre de prédilection, c'est-à-dire des aventures qui se passent ailleurs et demain, si on peut résumer en deux mots le genre. Moi ça ne me fait pas peur dans l’identification du genre, d’autant que je sais très bien qu’il faut redéfinir le genre tous les dix ans. Puisque le contenu… encore une fois c’est les auteurs qui font le genre, pas l’inverse. Donc, ben les genres ça évolue. Il va arriver de nouveaux tropes, des nouveaux thèmes vont s’incorporer, tout ça se mélange. Par exemple, le Cyberpunk qui était le genre clef des années 1980 a infusé les genres adjacents, et même des genres lointains comme le Space Opera se sont fait contaminer par le Cyberpunk. On trouve des IA dans les vaisseaux, des IA conscientes, avec des… voilà, la fin des états, le libéralisme, etc. les méga corpos. On retrouve ça dans le Space Opera. Le Cyberpunk tel quel, il est mort, littérairement, à la fin des années 1980, parce que c’était un genre qui était très ancré dans un certain état de société. Il a vécu, il est mort, mais il a fait des petits enfants, voilà. Il s’est infusé autour. Donc voilà, ça bouge, ça s’interpénètre, comme tu dis, c’est un continuum. Donc, il faut être décomplexé par rapport à ça, quoi.
LD : Moi je pense que… c’est un peu un fil rouge dans ce podcast. On revient toujours à qu’est-ce qu’on a envie de faire, où on a envie d’opérer, et la définition des genres, finalement, se fera plus tard. J’ai une petite anecdote. J’avais fait une table ronde, il y a quelques années aux Utopiales, il y avait Pierre Bordage, il y avait surtout Laurent Kloetzer et Pierre Pevel, et il me semble que c’était autour de la Fantasy, et notamment la création d’univers, il me semble. Et on pose la question : « comment vous créez un univers ? » et moi très candidement, je disais : « ben en fait, moi, je pars de ce que je trouve cool, de ce qui m’amuse ; il y a des dragons parce que j’aime les dragons, il y a des machines magiques parce que j’aime les machines magiques, et puis après je réfléchis à comment je vais mettre tout ça dans un univers crédible qui fonctionne. » Et Pierre Pevel avait répondu plus ou moins la même chose : « ben oui, moi j’aime les dragons, je mets des dragons partout, je trouve ça cool ». Et Laurent Kloetzer lui avait dit : « je ne suis pas sûr qu’on puisse construire une esthétique du cool ».
Rires
LD : Tout revient à, je pense, Laurent si tu nous écoutes pardonne-moi cette extrapolation, mais je pense que, pour Laurent, construire une esthétique c’est cool, quelque part. Tout revient à l’envie. Parfois la question qu’il y a derrière c’est : « est-ce qu’il faut que je regarde quelle sont les attentes du marché, qu’est-ce qui marche, si le vampire fonctionne est-ce que je vais faire du vampire ? » À mon avis, non certainement pas.
MF : Il y a quand même une petite nuance que je voudrais apporter à ça. C’est tout dépend dans quel but on écrit un texte. Et si on écrit par exemple une nouvelle pour une anthologie ou un roman pour une collection qui a des consignes spécifiques, il peut arriver que justement on ait la consigne d’être dans tel genre ou dans tel sous-genre. Et à la limite, on peut s’amuser, justement, à rester dans les clous ou à aller à la frontière, à s’amuser avec ça.
LD : Oui.
LG : Mais en tout cas, moi, une chose est sure, c’est que quand on me demande ce que je fais dans la vie, je ne dis pas que je suis écrivain, je dis que je suis écrivain de Science-Fiction et un peu de Fantasy. Mais je suis écrivain de Science-Fiction, parce que j’ai besoin de ce décalage, et la Science-Fiction, comme les autres genres de l’imaginaire, c’est une littérature du décalage. On va décaler le regard, et ça va être ça, l’élément surnaturel. Voilà, se transposer dans le futur, c’est faire ce pas de côté qui fait qu’on va regarder, quand on va traiter d’un thème, qu’on va le regarder sous une lumière différente. Et cette lumière, ça peut être la transposition temporelle dans un lointain passé ou dans le futur, ou traiter le thème de robot pour traiter de l’altérité. C’est ce pas de côté, voilà. Et pour moi, il est absolument essentiel. C’est pour ça d’ailleurs que je n’arrive pas à écrire autre chose, finalement. J’ai besoin de ce pas de côté pour traiter un sujet, pour écrire.

LD : Je suis tout à fait dans le même cas. Chaque fois que j’essaie d’écrire quelque chose de réaliste, il finit toujours par débouler un ange, ou quelque chose qui… voilà. Le côté du pas de côté, je pense que c’est une notion qui est vraiment très importante, commune aux trois grands genres, et qui encore une fois, même s’ils ont une histoire différente, et qu’ils ne se sont pas cristallisés à la même époque, il y a toujours cette communauté d’approche. Souvent elle est utilisée par les détracteurs en disant : « oui, mais de toute façon la littérature de l’imaginaire se projette ailleurs, donc ce n’est pas de la littérature sérieuse ». Au contraire, elles utilisent le biais de la métaphore pour toujours parler de l’Humain, parce qu’on ne peut pas parler d’autre chose que de l’Humain. Je pense qu’on peut boucler. Laurent je pense qu’aujourd’hui c’est toi qui avais une citation. LG : Alors, c’est une citation… c’est une citation boutade presque. Elle est de Carlos Zanon qui disait :« La réalité a dépassé la fiction, ensuite c’est la fiction qui a dépassé la réalité, et à partir de là, tout est devenu une copie d’une copie dont on a oublié l’original. »

Jingle : C’était Procrastination, merci de nous avoir suivis. Maintenant, assez procrastiné, allez écrire !

(Transcription par Umanimo ; Corrections par Symphonie)


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