Vous êtes ici : Page d'accueil > L'Actualité fantasy > A la croisée des mondes

Une musique en or pour Alexandre Desplat

Par Raven, le jeudi 29 novembre 2007 à 13:01:25

La pochetteAlors que la bande originale est prévue dans le commerce le 4 décembre prochain aux Etats-Unis et le 3 en France - chouette, comme le long métrage, nous avons un peu d'avance ! - il est temps de revenir sur le travail d'Alexandre Desplat.
La pochette et la liste des pistes, ça ne fait évidemment pas tout ! Car même si le petit frenchie a de plus en plus la côte, il n'est pas encore particulièrement connu du grand public...
Tâchons de réparer un peu cet oubli avec cette traduction !

La présentation détaillée du travail du compositeur

Un Compositeur Typique

Quand on fait la liste des compositeurs de bandes originales, son nom n'est pas forcément le premier qui vient à l'esprit. Hans Zimmer, James Newton Howard, Harry Gregson-Williams, ou Steve Jablonsky se distinguent par une production plus prolifique dans les films à succès ; la plus proche rencontre de Desplat avec de telles bandes "synthétisées" est sûrement son travail pour le film Firewall, et même ceci est fort éloigné de bandes originales telles que Tranformers.
Ce fait est à la fois une bénédiction et un malheur. Un malheur parce qu'il peut ne pas produire la musique héroïque que les gens attendent pour un film comme la Boussole d'Or. Une bénédiction parce son approche originale pourrait bien mener à une musique non seulement épique, mais aussi riche et complexe.
L'analogie avec le compositeur du Seigneur des Anneaux Howard Shore se fait facilement. Shore était même sans nul doute un compositeur encore moins célébré que Desplat quand il a écrit la Compagnie de l'Anneau. En dépit de cela, il a continué à écrire trois des bandes originales les plus trépidantes de l'histoire du cinéma, gagnant un Academy Award pour deux d'entre elles.
Aussi quand New Line a annoncé qu'ils avaient choisi Alexandre Desplat pour enregistrer la Boussole d'Or, cela n'a pas surpris trop de monde. Après tout, la Boussole d'Or n'est pas un film de fantasy typique et on peut raisonnablement penser que sa musique ne va pas être de celles qu'on entend tous les jours.

Un étrange Orchestre

Les évènements de la Boussole d'Or se déroulent dans le monde de la protagoniste Lyra Belacqua ; un monde semblable au nôtre, mais subtilement différent ; cela ne signifie pas seulement que les créateurs de la production ont dû mettre au point un design de décor unique, mais aussi que les styles musicaux devaient être caractéristiques et originaux.
Alexandre a employé ce qu'il appelle un étrange orchestre, un mélange d'orchestres de la fin du 19ème et du 20ème siècles, avec une grande variété d'instruments. Par exemple, le motif associé à Mrs Coulter comprend un grand nombre de cuivres assourdis, accompagnés par un violon, un orchestre symphonique se trouvant à l'arrière-plan.
Il a expliqué qu'il choisissait toujours les instruments avec beaucoup de soin, tentant de leur trouver des fonctions inhabituelles. Par exemple, le son 'amical' du piano a été paradoxalement utilisé pour le thème de Ragnar ; pour lui donner la puissance nécessaire, Desplat a employé six pianos à queue.

Leitmotivs

Un des facteurs qui a le plus contribué au succès des bandes originales du Seigneur des Anneaux est leur complexité. Avec des personnages possédant chacun son propre thème, ou leitmotiv, les musiques étaient variées et uniques ; chaque piste racontait clairement une partie différente de l'histoire. Ecoutez juste un passage comme 'The Hornburg', quand le thème des elfes est mêlé de façon évidente dans le morceau, annonçant leur arrivée. A la Croisée des Mondes se prête très bien à cette approche. L'histoire est pleine d'individus et d'entités très fortes et distinctes autorisant Desplat, comme Shore l'a fait, à opter pour une riche musique à motifs wagnériens. Cela signifie que la bande originale n'aura sans doute pas l'attraction commune d'une bande à la mode Zimmer telle que celle de Batman Begins, mais contiendra potentiellement une oeuvre maîtresse couvrant les 1300 pages de l'un des plus grands romans de notre temps ; ceci dit, c'est plus facile à dire qu'à faire.

Inspiration

Quand Alexandre m'a parlé de son approche, j'ai remarqué que les adaptations au théâtre et à la radio utilisaient aussi des leitmotivs, et je me suis demandé s'il avait écouté l'une d'entre elles. Il m'a répondu qu'il n'avait jamais eu affaire à cette musique, mais qu'il avait quelques influences très fortes quand il composait sa partition. L'une d'elles était Pierre et le Loup, car l'œuvre de Prokofiev n'est pas seulement fondée sur les leitmotivs, mais l'histoire parle aussi du voyage d'un enfant. John Williams était une autre influence évidente, un des premiers compositeurs à créer de telles musiques wagnériennes. D'autres grands qui ont inspiré Desplat sont Maurice Jarre, qui a composé la BO de films épiques comme Lawrence d'Arabie et Docteur Jivago, et Bernard Herrmann, qui a oeuvré sur Citizen Kane et Jason et les Argonauts. Ils forment deux des influences majeures chez Alexandre Desplat ; comme il s'en souvient, ils créaient ces musiques étranges, amples, originales. Des influences plus traditionnelles incluent Jean Sibelius et Gustav Mahler . Alexandre admire celui-ci principalement pour sa grande vision de l'orchestre.

Thèmes

Alexandre Desplat et Philip Pullman se sont rencontrés en mai à Cannes. Desplat se souvient que la BO était un sujet très indécis encore, il n'y avait pas de thèmes qui me plaisaient vraiment. Est-ce que les daemons devraient avoir leur propre thème ? Est-ce que chaque thème devrait disposer d'un contre-thème ? A la fin... non, de toute façon, les thèmes ont bien leur contrepartie. Les daemons sont là. Certaines lignes mélodiques sont très formées, avec par-dessous un tas de choses qui se passent dans l'orchestre. La façon dont vous pouvez complexifier les thèmes, en ajoutant ses contrepoints...
La difficulté avec l'analyse de l'histoire de la Boussole d'Or tient au fait que tous les acteurs ne sont pas tangibles. Le joueur probablement le plus important de toute la partie est la Poussière, mais nous n'entrons en contact avec elle que de façon indirecte. Cela n'a pas empêché Alexandre d'utiliser le thème en cinq notes de la Poussière comme noyau pour toute la BO ; selon lui, il incarne la nature de la Poussière : sa puissance profonde, pure, mystique et bienveillante. L'instrumentation se place en support de cette idée : l'orchestre joue en accompagnement de gongs et de bols chantants tibétains. Bien que la gamme ne soit pas asiatique, l'influence est notable. Le thème résonne de façon lente, spirituelle, menant l'auditeur dans une sorte de transe.
Lyra est associée à une myriade de thèmes. Non seulement elle a le sien propre, mais son courage en a un, et elle partage également un thème avec Roger. Les différentes groupes ont tous leur thème particulier, donc on en a un pour les Enfourneurs, un pour les Samoyèdes, etc... Iorek est associé au cor ; “voici la cavalerie”, peut-être ?
Composer ces thèmes a été avant tout un voyage pour trouver les bonnes colorations. Il ne s'agissait pas simplement de choisir quelques notes et instruments. Alexandre fait remarquer qu'il ne veut pas simplement avoir “un accordéon à Paris ; il faut que cela soit plus subtil, comme le poignard subtil. Vous désirez avoir différentes facettes. C'est une question de mélanger des colorations.” Cela signifie que le thème des Gypsies consiste en une foule d'instruments allant des tarbukas arabes et des taikos japonais jusqu'aux clarinettes des Gitans de Roumanie et aux mandolines italiennes.
Etant donné que les Gypsies sont basés sur les Hollandais, j'ai posé des questions sur la présence d'éléments hollandais dans le thème. Ca le fait rire et il remarque que les Hollandais ont juste des tulipes et du fromage... pas d'instruments. Hé bien, ai-je suggéré, pourquoi ne pas utiliser des sabots comme blocs de bois ? Hélas, cette idée ne fait pas son chemin, et Alexandre explique patiemment qu'il a fondé ses Gypsies principalement sur des nomades du désert. Donc la plupart des instruments utilisés dans leurs thèmes sont liés soit à l'aspect nomade, soit à l'aspect guerrier de leur vie.
Desplat remarque que la chose amusante avec les thèmes, c'est qu'ils ne sont pas statiques, mais que vous pouvez jouer avec eux pour indiquer des connections entre les personnages. Par exemple, quand Iorek et Ragnar sont confrontés, le thème de Iorek monte d'une octave, tandis que celui de Ragnar descend d'une octave. Ceci indique clairement qui sont les 'bons' et les 'méchants' personnages dans ce conflit. Ensuite, bien entendu, il y a le fait qu'il s'agit d'un film sur trois. Il n'y a pas vraiment de conclusion à la fin du premier film et les personnages de la Boussole d'Or doivent être évalués dans le contexte. Comme l'explique Alexandre, il faut se demander : Quel est le parcours du personnage ? Est-ce qu'il change ? Est-ce qu'il vire de bord ?
Ce que cela signifie en pratique pour un personnage comme Lee Scoresby, c'est que vous ne pouvez pas juste lui assigner un thème et hop ! on passe à autre chose. Ce n'est pas une présence très récurrent dans la Boussole d'Or donc, bien qu'il ait un leitmotiv associé, ce n'est pas encore ça en terme d'intensité. Le thème ne viendra réellement à maturité que durant une certaine scène dans la Tour des Anges. Desplat me dit qu'il a pris beaucoup de plaisir à imaginer la façon dont la musique ferait écho.

Préférences Certaines des scènes favorites d'Alexandre Desplat sont celles ou apparaît Lyra, en particulier parce qu'il a beaucoup apprécié de travailler avec Dakota. “Cette petite fille, se dressant face à tant de situations dangereuses.” Ses scènes combinées avec Iorek ont été un autre point qu'il a aimé. Peut-être ses deux scènes préférées sont-elles celles ou apparaît Mrs. Coulter. Et avant tout le plan où Kidman arrive au dîner du collège, et ensuite la scène où Lyra et Coulter sont dans le ferry aérien. (Les scènes) sont visuellement magnifiques, avec une direction artistique à tomber… Kidman n'a jamais été aussi belle. Il rit : Vous le remarquerez quand vous entendrez la musique qui va avec.

Eurêka

Y a-t-il eu des moments de génie pendant la composition de la musique ? Alexandre explique qu'avant d'avoir trouvé le thème de la Poussière, il a bien dû écrire entre 50 et 60 accroches, donc trouver enfin celle qui lui convenaient vraiment a été une occasion à célébrer. Un autre moment où il a pu dire “Eurêka !” a été la découverte du thème de Billy Costa, et celui de Lyra et Roger. Desplat remarque : Ces découvertes sont déjà loin derrière. Je suis actuellement sous le pont entrain de pelleter du charbon dans la chaudière. Mon plaisir vient à présent de me tenir devant l'orchestre et d'écouter la façon dont cela sonne.

Extras

J'ai posé une question à Alexandre au sujet des scènes supplémentaires, par exemple celle où Asriel se fait capturer, et comment il a été possible de composer la musique pour ces moments. Il m'a expliqué que c'était comme de se voir présenter un puzzle auquel il manquerait une pièce : La musique doit être en accord avec la globalité du film et il s'agit juste de trouver des connections. Vous voulez lier émotionnellement et rythmiquement toute la BO. Vous voulez que tout soit bien en place.

Doutes

La Boussole d'Or est manifestement un projet d'une telle ampleur qu'il a tendance à submerger ceux qui y travaillent. Je souhaite savoir s'il n'y a pas eu un moment où Alexandre s'est senti prêt à laisser tomber. Il répond qu'il a certainement ressenti ce genre de choses ; après tout, il s'agit de son premier gros projet : Il y a une anxiété constante... pouvez-vous trouver toutes les grandes idées dont vous rêvez ? Pouvez-vous donner le jour à ce son épique et hollywoodien ? Vous doutez ; il y a des jours sans la moindre inspiration. Bien sûr, avec le projet, la pression normale est dix fois plus élevée. Je lui demande s'il décrirait la situation comme un iceberg : vous pouvez le voir venir, mais il y a toujours environ 90% que vous ne pouvez pas voir. Vous ne pouvez pas vraiment savoir ce qui émerge. Il se demande si ce n'est pas 66% que l'on ne peut pas voir, mais en tout cas, il est tout à fait d'accord avec cette métaphore.

Accessible

Il y a eu beaucoup de réécritures du script rewrites pour le film, certaines pour le rendre plus accessible aux gens. Je me suis demandé si la tentation avait existé d'en faire autant avec la BO ? Desplat a répondu qu'artistiquement, le film se situe à un assez haut niveau, et qu'il ne voulait pas composer une musique de type "bande-annonce", étant donné qu'en général, on ne voit une bande-annonce qu'une seule fois ; le but est de correspondre aux désirs du public. Une fois qu'ils ont effectivement vu le film, c'est tout autre chose. L'histoire est un voyage intellectuel. Au premier plan, vous avez de l'action et de l'émotion et vous pouvez montrer ça dans une bande-annonce. Mais derrière ça... l’histoire et la musique sont ésotériques et complexes.
Alexandre se demande si la Guerre des Etoiles présentait aussi cette idée. Je note que A la Croisée des Mondes ne se résume pas à une simple histoire de Bien contre le Mal. C'est quelque chose de nouveau, en terme d'envergure et de matériau. Il est d'accord avec cette idée, ajoutant : Ce film ne donne pas de réponses, il pose seulement des questions. Cela laisse les gens réfléchir, au lieu de leur dire quoi penser. Ce n'est pas un film-présentoir. Qui est totalement bon ? Êtes-vous toujours bon parce que vous êtes chrétien, musulman ou bouddhiste ? C'est à chacun de découvrir son âme.

Article originel.


Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :