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Les Chroniques de l’athéisme ?

Par Raven, le vendredi 7 décembre 2007 à 12:45:38

Allez, un dernier "verre" pour la route !
Alors que le film est maintenant en salles aux Etats-Unis, la "polémique" va probablement retomber d'elle-même, sans faire de vague. Et ce d'autant plus que ces derniers jours, plusieurs dignitaires religieux se sont exprimés pour affirmer qu'ils n'avaient rien à reprocher au long-métrage de Chris Weitz et qu'il n'y avait pas de raison de le boycotter !
Toujours est-il que cela n'empêche pas de se pencher en détail sur les points qui font débat, pour certains...

L'article en question

Quand la Boussole d'Or arrivera dans les cinémas ce mois-ci, nombreux sont ceux qui vont être plongés dans les oeuvres de Philip Pullman, un écrivain qui déteste le monde fantastique de C.S. Lewis.

L'histoire commence avec une petite fille se cachant dans une armoire. Elle continue avec une série d'aventures dans lesquelles la petite fille passe à travers des portes dans d'autres mondes, rencontrant des sorcières, des figures de l'ancienne mythologie et des animaux parlant tout au long du voyage. Au final, cela l'entraîne dans l'au-delà et vers une bataille apocalyptique entre des puissances surnaturelles.
La trilogie de Philip Pullman, A la Croisée des Mondes, possède des parallèles frappant avec les Chroniques de Narnia de C.S. Lewis. Entre des bêtes protectrices, des paysages enneigés et des références à une prophétie que seule la petite fille peut être en mesure d'accomplir, les publicités pour la Boussole d'Or – premier tome de la série de Pullman à débarquer sur grand écran le 7 décembre – semblent faites pour attirer les fans du Lion, la Sorcière et l'Armoire magique. New Line Cinema a aussi fait en sorte de relier le nouveau film au Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, que le studio a également adapté.
Mais A la Croisée des Mondes représente un genre tout à fait différent de conte par rapport à ceux racontés par Lewis et Tolkien ; à un certain niveau, il leur est même opposé. Pullman, écrivant dans The Guardian à l'occasion du centenaire de Lewis en 1998, a déclaré que les livres de Narnia sont “une des choses les plus laides et empoisonnantes que j'aie jamais lues” sans “se voir épargner... un tas de sornettes à vomir.” Peter Hitchens, écrivant dans The Spectator en 2003, a surnommé Pullman “l'Anti-Lewis”.
Alors que Lewis et Tolkien ont écrit des histoires imprégnées d'imagerie chrétienne, la trilogie de Pullman – qui s'est vendue à des millions d'exemplaires et a remporté de nombreux prix littéraires, dont la Carnegie Medal et le prix Whitbread – dépeint la mort de Dieu et la création d'une “république du Paradis” qui n'a pas besoin de roi. Et tandis que Lewis et Tolkien conservaient les éléments chrétiens à un niveau assez subtil – même les livres de Narnia ne contiennent pas de références explicites à Jésus – une scène clef de la trilogie de Pullman montre une ancienne nonne racontant à deux enfants qu'elle a abandonné la foi chrétienne car il s'agit “d'une très puissante et très convaincante erreur, c'est tout”.
L'histoire de Pullman commence dans un univers parallèle similaire au nôtre, quoique différent sur certaines notions-clefs. L'héroïne, Lyra Belacqua, est une petite fille de onze ans originaire d'Oxford qui part à la recherche d'un ami, un des nombreux enfants enlevés par des scientifiques travaillant pour l'Eglise. Tout au long du chemin, Lyra reçoit l'assistance de gitans, de sorcières et d'un ours en armure. Alors que la Boussole d'Or atteint son point d'orgue, Lyra voit avec horreur son père, Lord Asriel, tuer un enfant en employant une technique libérant tant d'énergie qu'elle en ouvre un portail vers un autre monde.

La mort de Dieu

Certains chrétiens ont exprimé leurs inquiétudes, sachant que si la Boussole d'Or a du succès, elle conduira à des films fondés sur les deux autres livres de la Croisée de Mondes, la Tour des Anges et le Miroir d'Ambre – qui tous deux véhiculent de façon beaucoup plus explicite le thème de la mort de Dieu. Dans ces livres, Lyra découvre que Lord Asriel prépare une guerre contre Dieu et elle rencontre un garçon de notre monde appelé Will, qui acquiert un couteau qui peut tout trancher, y compris la barrière entre les univers. Le couteau a même un nom prophétique, Æsahættr, qui signifie “destructeur de dieu”. A la fin de la trilogie, Dieu est mort, et Will et Lyra ont rejoué la chute dans le Jardin d'Eden – mais ce faisant, il sauvent l'univers au lieu de le détruire.
Dans l'histoire de Pullman, le Dieu de la Bible n'est pas réellement le Créateur, mais simplement le premier ange qui émergea de ce que Pullman appelle “la Poussière”. Quand les autres anges émergèrent, il leur mentit et dit qu'il les avait créés – et il continua à installer des Eglises dans de multiples univers pour assurer son contrôle sur eux. Mais à présent cet ange, qui est appelé “l'Autorité”, est vieux et faible, et doit faire face à une rébellion à la fois des anges et des humains.
Le réalisateur-auteur Chris Weitz, qui se décrit lui-même comme un “catholique manqué crypto-bouddhiste” a déclaré dans une interview que le film ne fera pas référence à “l'Eglise”. Mais le site officiel du film indique que la cruelle scientifique Mrs Coulter travaille pour une entité mauvaise, chargée de renforcer le “dogme”, connue en tant que “Magisterium”, terme latin qui, dans le monde réel, désigne l'autorité enseignante de l'Eglise catholique.
Nicole Kidman, qui joue Mrs. Coulter, a assuré à Entertainment Weekly que le film “a été quelque peu édulcoré”, ajoutant : “J'ai été élevée dans un milieu catholique et je ne pourrais pas faire ce film si je pensais qu'il était anti-catholique d'une façon ou d'une autre.”
Mais tout de même : “Si le premier film était isolé, je dirais : la belle affaire”, dit Tony Watkins, rédacteur en chef du site internet basé en Grande-Bretagne www.culturewatch.org et auteur de Dark Matter (Damaris/IVP), un livre qui analyse la trilogie via un canevas chrétien. “Mais il n'est pas isolé, et il fait partie d'une plus grande machinerie.”
Néanmoins, Watkins, bien que n'étant pas d'accord avec la vision du monde de Pullman, dit qu'il apprécie la façon dont Pullman soulève d'importantes questions religieuses, spécialement dans une Grande-Bretagne laïcisée, où les livres ont déjà été mis en scène à la radio et au théâtre.
“Bien que je ne veuille pas encourager des attaques à répétition contre l'évangile, de façon évidente, la vérité peut se défendre seule si on lui prête une oreille équitable”, dit Watkins. “Et une chose que fait cette histoire et qu'elle projette l'histoire chrétienne dans la sphère publique. Au Royaume-Uni, cela a souvent été une sorte de défi. Mais quand il y a une opposition claire, c'est souvent quand les voix chrétiennes se font entendre.”

“Un spiritualisme transcendant”

Plusieurs observateurs présentent l'argument que les livres de l'athée et matérialiste Pullman pointent dans une direction plus spirituelle.
Un des principaux dispositifs narratifs de la trilogie est le “daemon”. Dans l'univers de la Boussole d'Or, chaque humain est accompagné d'un animal qui est un reflet de l'âme de cette personne. Les daemons des jeunes enfants changent constamment de forme, d'un animal à un autre, car les enfants n'ont pas encore fixé leur personnalité d'adulte.
Watkins écrit que la relation entre les humains et leurs daemons - “unis et cependant distincts” - reprend ironiquement le modèle de la Trinité. Et dans Shedding Light on His Dark Materials (Tyndale), Kurt Bruner et Jim Ware démontrent que cet outil narratif souligne, quoique de façon involontaire, la croyance chrétienne que “la personnalité et la relation” se tiennent au centre de l'univers.
“Notre intention dès le départ était de dire, hé bien, voici un gars qui en surface, de façon superficielle, attaque la chrétienté, l'Eglise et l'idée de Dieu – et même qu'il veut tuer Dieu”, dit Ware, “cependant nous pouvons voir des points par lesquels je pense qu'il rend hommage à la vérité chrétienne, peut-être sans intention de le faire, ou même sans savoir ce qu'il fait.”
Un autre pilier central de la trilogie sont “les particules de conscience” ou “Poussière” qui s'agrègent pour forme les anges et les âmes des humains. Dans le dernier livre, les esprits des morts sont libérés de la vie dans l'au-delà ; leurs particules se désintègrent et sont réabsorbées dans l'univers. De même que leurs corps physiques se décomposent quand ils meurent, leurs esprits retournent à la terre.
“L'écrivain Pullman créée un monde rempli de la réalité d'un spiritualisme transcendant, même s'il rejette cela à un niveau conscient”, dit Bruner. “Et ce spiritualisme est plus dans la lignée de Spinoza et du mysticisme New Age, ou du panthéisme oriental.”
Certains sont même allés plus loin et ont désigné la Poussière comment un signe que la trilogie était “un classique chrétien”. Dans Killing the Imposter God (Jossey-Bass), les théologiens Donna Freitas et Jason King assurent que la Poussière est un meilleur symbole de Dieu que la traditionnelle image d'un homme “qui dirige depuis les nuages”. Ils disent que la Poussière agit dans les romans comme “une force divine qui désire désespérément se mettre en communication avec sa création.”
Pullman affirme que les chrétiens pourraient bien en voir trop dans ses livres. Dans un courriel à Christianity Today, il a déclaré que la Poussière est juste une métaphore “pour la sagesse humaine, la science et l'art, et tous les succès accumulés et transmissibles de l'esprit humain.” Les matérialistes ont réellement besoin d'expliquer la conscience dans le monde réel, dit Pullman, et donc il souscrit à l'idée de “panpsychisme” qui dit que “la conscience, comme la masse, est une propriété normale et universelle de la matière.” Dans cette optique, toute matière physique est consciente, à des degrés divers. “Mais sans matière, elle ne serait pas là du tout.”

Le spirituel est “illusion”

Pullman dit qu'il évite des mots comme esprit et spiritualité – et qu'il ressent même “une légère révulsion” à les entendre – car au mieux, ils semblent ne correspondre à rien de “réel” et au pire, ils désignent des gens qui ont des visions ou subissent d'autres expériences qu'il considère comme “des illusions”. “Aussi le mot spirituel, pour moi, a des connotations qui sont totalement négatives”, dit Pullman. “Et quand je l'entends, ou le vois imprimer, ma réaction est un scepticisme immédiat.”
Bien que Pullman reconnaisse l'influence de son éducation anglicane – son grand père était pasteur – il rejette également l'idée que les valeurs qu'il communique dans ses livres, telles que l'amour et le sacrifice de soi, sont particulièrement chrétiennes, ou indiquent un christianisme latent de sa part. “L'Eglise d'Angleterre est si profondément imprimée dans ma personnalité et ma façon de penser que pour l'enlever il faudrait une opération chirurgicale si radicale que je n'y survivrais probablement pas (note du traducteur : ça me rappelle la séparation de l'enfant et de son daemon)”, dit-il. “Mais cela ne m'empêche pas de dénoncer l'arrogance qui déforme certains commentaires chrétiens, et qui donne plaisir à lui taper dessus. Mais qu'est-ce qui peut bien donner au chrétiens le droit de présumer que l'amour et le sacrifice de soi doivent être appelés des vertus chrétiennes ? Ce sont des vertus. Point barre.”

En empruntant à Milton

A la Croisée des Mondes emprunte de nombreux éléments, titre compris, au poème épique de John Milton, le Paradis Perdu, qui décrit la rébellion manquée de Lucifer. La trilogie emprunte également à la mythologie gnostique, qui affirme que le Dieu de l'Ancien Testament était en réalité un usurpateur qui créa le monde physique pour piéger l'esprit, l'essence de l'être. Cependant, Watkins note que Pullman s'oppose même au gnostisme sur des points cruciaux, en décrivant le plaisir physique comme une alternative libératrice à la foi religieuse. “ C'est un tel archi-matérialiste, et il refuse si complètement le rejet gnostique du matériel comme une chose maléfique, et la vision gnostique du spirituel comme la seule chose bonne”, dit Watkins. “Il rejette ça tout en utilisant ces histoires gnostiques pour son inspiration et le met totalement sens dessus-dessous. Pullman dit qu'il est juste un conteur”, poursuit Watkins. “Je pense qu'il est assez glissant sur ce point. Parce que c'est très bien de dire, c'est juste une histoire, une invention, certains des personnages disent ce que je pense et pas d'autre, mais dans son discours pour la Carnegie Medal, il a dit que les histoires créaient la morale que nous suivons. Le problème est qu'il brouille la ligne entre la fantasy et la réalité en participant à des entrevues et en parlant de la République du Paradis dans ce monde. Et parce qu'il utilise toute cette rhétorique anti-Dieu dans le monde réel de façon encore plus forte que dans le livre, je pense qu'il ne peut pas s'en tirer en disant 'C'est juste une histoire et vous pouvez y lire ce qu'il vous plaira.' Parce qu'il comprend très bien ce qu'il raconte.”

Article originel.


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