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Le Times interviewe Philip Pullman en exclusivité

Par Palinka, le vendredi 4 avril 2008 à 08:11:36

Le quotidien Times Online a réalisé une interview exclusive de l'auteur Philip Pullman au sujet de la nouvelle à paraître « Once Upon a Time in the North » (que l’on peut traduire par Il était une fois dans le Nord).
Philip Pullman a une nouvelle cible en vue. Après s'être attaqué à l'Église Catholique – et avoir remporté une victoire non négligeable, à en croire les chiffres des ventes de sa trilogie à succès, « À la Croisée des Mondes » - il s'oppose maintenant à un nouvel ennemi : les sociétés multinationales.
Son dernier roman, « Once Upon a Time in the North », retrouve un décor familier puisque l’action se déroule à nouveau dans l’Arctique où se situe déjà la majeure partie de la trilogie. Mais cette fois, les rênes du pouvoir sont tenues non par les prêtres de haut rang d'une religion organisée, mais par des grandes sociétés privées aux méthodes brutales.

L'article traduit pour vous

Lee Scoresby, l'aéronaute texan acerbe à qui l'auteur a donné vie dans les pages de « À la Croisée des Mondes » – et sur les étagères de Toys 'R' Us, où les enfants peuvent désormais acheter des personnages du film « La Boussole d'Or » – est le héros de ce dernier cadeau en provenance de l'univers fantastique de Pullman. Conduit dans le Nord par les vents du hasard, il se retrouve involontairement entraîné dans une bataille contre des personnalités politiques indistinctes avides de pétrole et d'argent.

Un écrivain qui expose ses idées marxistes tout en prenant le thé dans un club privé d’Oxford peut avoir l’air ridicule. Mais Philip Pullman ne fais pas partie de la gauche caviar. Dans son sofa confortable du QI Members' Club, Pullman réfléchit à la critique géopolitique qui se mêle à sa nouvelle histoire. « J'essaie de voir les implications sociales, politiques et financières de tout ce que je fais, dit-il. Dans cette mesure, je suis marxiste parce que je vois des forces économiques très fortes dans la vie des gens. »

Ce n'est pas la première fois qu'il place un message sociopolitique sous-jacent dans son travail. Avant qu'une génération entière de lecteurs ne tombe sous le charme de Lyra Belacqua, son personnage le plus célèbre, Pullman écrivait des thrillers historiques sur une autre héroïne, Sally Lockhart. « La Vengeance du Tigre », le troisième volet de la quadrilogie de Sally Lockhart, qui se déroule au XIXème siècle, traite spécifiquement du problème de l'immigration des Juifs en Grande-Bretagne après avoir été persécutés en Russie. « J'ai toujours essayé d'écrire sur le monde dans lequel on vit », déclare Pullman, ce qui n'est pas toujours évident pour les lecteurs perdus dans la magie des innombrables autres mondes de « À la Croisée des Mondes ».

Mais s'il a déjà abordé la politique auparavant, dans « Once Upon a Time in the North », il fait allusion à un malaise plus actuel. En plus de son aversion évidente pour les multinationales, on y découvre ses préoccupations en matière d'environnement. On a trouvé du pétrole dans le décor fictif de Novy Odense. « Cela parle de la manière dont nous exploitons sans considération les ressources naturelles, dit-il à propos du livre. Jusqu'à il y a 50 ans, il était possible de puiser dans le sol des combustibles fossiles, de les brûler, et de penser que nous pouvions le faire sans conséquences. » Donc, même à travers des histoires de fantasy que les enfants adorent, on peut explorer certaines de ces conséquences – mais on est encore loin des polémiques d'Orwell.

Pullman sait que lorsque la fiction sert seulement à véhiculer d'autres idées, ce n'est pas de la très bonne littérature. « À la Croisée des Mondes » est avant tout une histoire solide qui a captivé des lecteurs de tous âges. Toutes les histoires, insiste-t-il, enseignent quelque chose ou font une sorte d'affirmation, parfois en dépit des intentions de l'auteur. « Les histoires qui ne pensent pas qu'elles enseignent quelque chose font la promotion du conservatisme parce qu'elles sont satisfaites de l’état des choses », dit-il.

Ce n’est pas une accusation que l’on peut porter contre lui. Pullman pourrait être trop occupé à essayer d'écrire son prochain live (« The Book of Dust », censé être terminé « dans deux ou trois ans j'espère ») pour devenir un agitateur à plein temps, mais cela ne l'a pas empêché de prêter son nom à une cause qui lui tient à cœur : une bataille contre l'homogénéisation rampante du paysage urbain de Grande Bretagne surnommée « La Bataille de Jericho ».

Des constructeurs veulent bâtir ce qu'il désigne amèrement comme étant « des blocs très laids de petits appartements d'une ou deux pièces qui ne sont pas conçus pour des familles ou des personnes qui contribueront à la communauté » sur le site d'un ancien chantier naval dans la zone de Jericho, au nord de la ville,. Le projet a été écarté et les constructeurs ont fait appel. Pullman, et la communauté qu'il appelle affectueusement « les gens des bateaux », croisent les doigts et espèrent une nouvelle victoire.

Ce n'est pas seulement du « où vous voudrez mais pas chez moi ». « C'est un peu une miniature de ce qui se passe à travers tout le Royaume Uni, affirme-t-il. C’est pareil à Heathrow. On sait que le gouvernement ne va pas tenir compte des gens qui y habitent. » Alors peut-on s'attendre à trouver des sous-entendus politiques dans ses prochaines œuvres aussi ? « Oh oui ! » Mais il est évident que la politique ne formera qu'une partie de ce qui le fait écrire. Le plus important, c'est ce qu'il appelle « tous les trucs qui font appel aux sens ».

Il s’anime en dressant une liste de ces scènes quotidiennes que nous tenons pour acquises mais que la littérature peut amener à la vie et nous apprendre à apprécier de nouveau : la sensation d'enfiler des vêtements humides, le goût du café, les lumières que l’on voit aux latitudes élevées, le contact d'un tissu contre un autre, la vue de quelqu'un qui dessine une magnifique courbe – il dessine un arc en l'air, avec un crayon invisible. C’est ce qu’il décide de saisir lorsqu'il prend la plume. « Je prend du plaisir à tout cela, à l'éclat des choses », dit-il avec une ferveur contagieuse.

« C'est toujours un combat de transposer ces choses sur les pages et le langage n'est pas toujours le meilleur moyen de les capturer, dit-il. Mais les mots peuvent évoquer des visions et des sons. Il vous suffit de jeter un œil aux Jonquilles, de Wordsworth. » Que se passe-t-il, cependant, quand il s'agit de retransmettre ce qu'il appelle « la sensation du livre » sur grand écran ? « La Boussole d'Or », l'adaptation cinématographique du premier volume de la série, est sorti dans les salles obscures britanniques en décembre, en se vantant d'un casting de stars. Il y a une certaine ambivalence dans la voix de Pullman lorsqu'il en parle.

« Il y avait beaucoup de bonnes choses dedans » dit-il, en éludant la question évidente concernant ce qui ne l'était pas. « Rien n'est parfait. Rien ne peut faire ressortir tout ce que contient le livre. Il y a toujours des compromis », répond-il avec réserve.

De plus, Chris Weitz, le réalisateur, a dû faire le film sans savoir si un deuxième ou un troisième suivraient. L'adaptation n'a pas réalisé autant d'entrées que prévu aux États-Unis, en partie à cause d'un boycott de la part de la Christian Right, qui s'opposait aux tendances athéistes du livre.

Mais Pullman reste optimiste quant à l’adaptation au cinéma du deuxième et du troisième volume, il veut revoir les mêmes acteurs dans leurs rôles respectifs et, comme pour le premier, a vraisemblablement quelques suggestions à faire sur la manière dont ils devraient être filmés.

Il avoue être fan de films (il débite une critique étoffée de quelques sorties du moment), et il a rendu hommage à l'un de ses genres préférés dans « Once Upon a Time ». Un passage dans lequel Lee Scoresby et le méchant McConville se rencontrent dans une longue fusillade angoissante superbement inspirée des « Sept Mercenaires ». Il s'anime soudain, se penche en avant sur le sofa lorsqu'il relate la scène du western qui l'a inspiré.

Mais malgré toutes ses connaissances dans le mélange des genres (le nouveau livre mélange western, conte de fée et aventure), et toute la conscience politique que dénonce la narration, Pullman est aussi concerné par quelque chose de plus prosaïque : son compte en banque.

Sa franchise surprenante sur ce point ôte l’idée que le succès l'aurait rendu complaisant. « Je veux un large public, en partie parce que plus vous avez de lecteurs, plus vous recevez d'argent. Et si vous voulez un large public, vous devez écrire avec clarté et raconter une histoire qui intéresse les gens. » Avec cela à l'esprit, il est resté fidèle à son moyen préféré de raconter des histoires pour sa dernière œuvre : le narrateur omniscient.

Ce sont « les grands romanciers du XIXème siècle » qu'il admire le plus, et n'a pas de temps à accorder aux subversions retorses que pratiquent les modernistes intellectuels et estime qu’il n’y a pas grand chose à gagner dans l’exploration de « l’infinité de manières qui existent pour dire les choses ». Mais même pour quelqu'un qui se conforme aux outils traditionnels de la profession des conteurs, cela devient difficile. « Vous pouvez compter sur un doigt le nombre de personnes acclamées par la critique et qui écrivent des livres à succès en ce moment » affirme-t-il. Le ranger solitaire qu'il compte sur son index levé est, comme on pouvait le prévoir, Ian McEwan. « J'ai eu beaucoup de chance », ajoute-t-il humblement.

Ses légions de fans contesteraient cette suggestion. Alors que nous quittons le club, un jeune homme se précipite vers nous et tend en s’excusant une carte de vœux à l'homme de 61 ans, habillé comme le professeur qu'il était autrefois. Le fan explique timidement que son amie vient d'appeler son bébé Lyra, et demande un autographe. Le créateur de Lyra accepte avec bonne-humeur. Après tout, l'homonyme de son héroïne pourrait contribuer un jour à le faire vivre du métier qu’il aime tant.

Article originel.


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