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A la croisée de l’Art

Par Palinka, le jeudi 20 décembre 2007 à 21:35:10

Philip PullmanCela faisait longtemps que les apparitions de Pullman tournaient plus sur des sujets polémiques que sur son œuvre majeure : A la Croisée des Mondes. Mais à l'occasion de la sortie du film, le magazine Intelligent Life lui a rendu visite chez lui pour prendre un peu la température et découvrir de quel œil Pullman voyait cette adaptation.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les réponses ne se font pas attendre, l'homme a du répondant, ce serait difficile de le nier. Attention d'ailleurs à ses répliques mordantes, ou l'on va finir par penser que Pullman est subversif !

L'interview traduite

Il avait déjà écrit des contes de fées, des histoires policières, des mélodrames, des thrillers et des histoires de fantasy. Mais lorsque Philip Pullman s'est lancé dans sa trilogie, À la Croisée des Mondes, il est revenu à la plus fondamentales de toutes : celle avec le serpent, la pomme et la feuille de figuier. Il a resitué Adam et Eve dans la peau d'un garçon et d'une jeune fille de 12 ans vivant dans des univers parallèles, qui se rencontrent, tombent amoureux et passent la nuit ensemble. Cette fois, Dieu, connu sous le nom d'Autorité, disparaît. Je ne pensais toucher un large public, déclare Pullman, quelques gamins malins quelque part, et quelques adultes intelligents qui pensaient "c'était pas mal, j'ai bien aimé". Eh bien, il s'est trompé.

Les livres ont été traduits dans 40 langues et se sont vendus à 15 millions d'exemplaires, et ce n'est qu'un début. En 2003 et 2004, l'adaptation théâtrale avait été un énorme succès au National Theatre de Londres. Ce mois-ci, le phénomène passe à la vitesse supérieure avec la sortie du film, dans lequel on retrouve notamment Nicole Kidman et Daniel Craig. Il a été produit par New Line, à qui l'on doit Le Seigneur des Anneaux 1, 2 et 3. D'ici à ce que New Line ait terminé toute la trilogie, la réécriture de la genèse 3 par Pullman aura de loin dépassé le stade de lecture du soir, de la recherche dans une grande librairie, et du théatre. Ce sera devenu une histoire connue même de personnes qui ne peuvent ou ne savent pas lire.

À la Croisée des Mondes tient son origine d'écrits de Milton, Blake et Kleist, mais si cela semble érudit et littéraire, ne vous inquiétez pas, cela ne se voit pas : c'est un film de fantasy à gros budget, dans un cinéma près de chez vous, et près de tout le monde. Ses personnages principaux - Lyra, Mrs Coulter, Lee Scoresby - seront bientôt aussi connus que Dumbledore et Gandalf. Mais il y a une différence. Pullman a écrit une histoire épique avec un caractère divertissant qui attire un public en masse, et qui utilise simultanément des thèmes aussi profonds que Homère et la Bible. C'est une histoire avec une influence sombre et puissante : un mythe de la création pour le 21ème siècle.

Son auteur est assis dans le bureau de sa ferme près d'Oxford, entouré de livres, d'outils de menuiserie Black & Decker, et d'un cheval à bascules qu'il fabrique pour un petit-fils. Deux petits chiens, Hoagy et Nellie, entrent et sortent de la pièce en courant. Dans la pièce à côté, notre photographe et ses deux assistants transforment sa cuisine en studio photo. (Je n'ai jamais fait de couverture, n'est-ce pas ? demande Pullman à sa femme, Jude, qui salue cette force d'invasion avec chaleur et une tolérance indifférente.) Pendant la séance photo, le large visage et le front bombé de l'auteur changent du tout au tout lorsqu'il met un chapeau à large bords (un peu à contre-coeur) et un beret (avec plus d'enthousiasme) : en tant qu'écrivain, il se verrait plus en intellectuel parisien qu'en propriétaire terrien conservateur.

Sur la table de la salle à manger, juste à coté, on trouve un tas de nouvelles publications et de produits dérivés, tout près d'une photographie de Pullman avec le nouveau James Bond. À la Croisée des Mondes comprend trois livres, Les Royaumes du Nord (1995), La Tour des Ange (1997) et Le Miroir d'Ambre (2000). C'est Les Royaumes du Nord qui a été adapté en film, renommé La Boussole d'Or. La genèse 3 compte 24 versets ; À la Croisée des Mondes fait 1300 pages. Pullman a passé sept ans dans une remise au fond de son jardin d'Oxford, à écrire ses trois pages par jour (ni plus ni moins). Il y a une coupure environ toutes les dix pages. Les mathématiques seules sont impressionnantes.

Tout a commencé dans les quinze dernières minutes d'un vendredi après-midi, dans une salle de classe à Oxford. Ou c'est comme cela que vous voudriez le raconter. Après avoir étudié l'anglais à Exeter College à Oxford, Pullman a fait des petits boulots à Moss Bros, un magasin de location de costumes, et dans une bibliothèque publique. À l'âge de 25 ans, il fait des études pour devenir professeur, principalement, selon lui, parce qu'il aimait l'idée des vacances. C'était le début des années 1970, il n'y avait pas de programme scolaire national, pas de SAT (NdT : Standard Assessment Task, examen en Grande Bretagne que l'on passe à 7, 11, 14 et 16 ans) ni de classements, et pas d'idiots ignorants et guindés à Whitehall qui me disaient quoi faire et comment enseigner. Alors Pullman a décidé qu'il avait le temps de raconter des histoires. Il croit que tous les professeurs devraient pouvoir raconter des histoires à une classe, l'espace d'un moment, pendant le dernier quart d'heure d'un vendredi après-midi humide. Ne pas la lire, insiste-t-il, la raconter. Si vous ne faites que lire un livre tout le temps, rien ne change. Mais si vous la racontez en face de votre classe, que vous improvisez un peu, vous vous amusez...

Il s'est attelé à cette tâche d'une manière très réfléchie. Il décida qu'il raconterait la naissance et la mort des dieux et des déesses, leur nature et leurs exploits au premier trimestre, les origines de la guerre de Troie puis L'Illiade au second trimestre, et L'Odyssée au troisième trimestre. Il préparait minutieusement l'histoire de chaque semaine, de manière à pouvoir la raconter sans notes. Il enseignait à trois classes différentes, ce qui signifiait raconter chaque histoire trois fois par semaine. Encore une fois, les mathématiques sont impressionnantes. Je dois avoir raconté chaque histoire 36 fois.

C'était un apprentissage parfait, lui donnant un petit espace caché, sans surveillance pour cultiver son propre talent et découvrir quelle sorte d'histoires il pourrait raconter. D'autres seraient bons pour faire rire les gens, lui pas spécialement. Mais par contre je pouvais faire des trucs qui les faisaient écouter jusqu'au bout. Il était aspiré dans un monde de il était une fois, pendant ce temps, et soudain, de destin et de coups à la porte, de nuits sombres et orageuses, d'ombres et de surprises, d'ogres, et - à de nombreuses reprises - d'orphelins. Il dit qu'il ne pourrait plus raconter ses histoires maintenant. Je serais viré et jeté en prison : "Vous ne remplissez pas les attentes du programme national ! Hors de ma vue !"

Dans chacune des écoles où il a enseigné, Pullman a écrit et produit le spectacle de fin d'année, ce qui lui a permis d'atteindre un autre public captivé : les parents. Il considérait les parents et les enfants comme un seul et même public (il n'aime pas placer des blagues compliquées pour les grands), et il écrit pour les deux classes d'age en même temps. Je me suis amélioré. Cela a à voir avec le fait de prendre votre histoire sérieusement, en rire oui, mais ne jamais s'en moquer, toujours prendre l'histoire sérieusement.

Son inspiration est venue d'un magasin de jouets familial à Covent Garden. Je voulais des costumes, je voulais des couleurs et du spectacle. Ma source pour tout cela était un théâtre de jouets, ces adorables petites choses que l'on peut avoir chez Pollock. J'ai toute la collection. Je les ai découverts alors que j'étais déjà adulte et j'en suis tombé amoureux. Certaines de ses pièces d'école sont devenues des livres pour enfants : La mécanique du diable, Le conte Karlstein, et La magie de Lila. Si vous allez dans une librairie, vous trouverez Pullman entre Marcel Proust et Mario Puzo sur les étagères de fiction, et entre Terry Pratchett et Arthur Ransom au rayon enfant. La seule différence, c'est la couverture.

Lorsque Pullman rentrait de l'école le soir, son fils ainé était généralement en train de faire de la musique (il est maintenant violoniste professionnel), et Pullman allait dans la remise au fond du jardin. Il est l'auteur le plus apprécié depuis Roald Dahl à avoir travaillé dans une remise. Ma vraie vie, dit-il, quand je rentrais du boulot et que je m'assayais à mon bureau pour écrire mes trois pages du jour.

Personne ne pourrait accuser Pullman de n'avoir pas fait suffisamment de recherches sur son sujet : l'héroïne de À la Croisée des Mondes est un garçon manqué de 12 ans, nommée Lyra Belacqua, et Pullman a passé 12 ans à enseigner à des filles de cet âge. Il a enseigné dans trois écoles d'Oxford, l'une fréquentée par des enfants issus des classes populaires, l'une par des enfants de classe moyenne, et une entre les deux. Les élèves de classe populaire, dont les parents travaillaient pour la plupart dans les usines automobile, étaient très directs et lui faisaient savoir très rapidement ce qu'ils pensaient. Les élèves de classe moyenne, dont beaucoup avaient des parents professeurs d'université, avaient des moyens plus subtils d'exprimer leur désapprobation. Les trois écoles étaient différentes sur le plan socio-économique, mais il découvrit qu'au sein même des salles de classe, les mêmes modèles de comportement s'appliquaient. Il y avait toujours certains rôles qui devaient être remplis : le pitre, celui qui sent mauvais, à coté de qui personne ne veut s'assoir, et le roi et la reine.

Si vous repérez rapidement, dans les tout premiers jours, qui sont le roi et la reine, et que vous leur accordez toute votre attention dans la première semaine, que vous les mettez de votre côté, vous n'aurez aucun problème de discipline parce que tout le monde les suit. Ce n'est pas vous qu'ils suivent, c'est eux.

Les filles en particulier se séparent en deux groupes. Il y avait les raffinées, qui connaissaient les paroles de toutes les chansons pop, et se tenaient au courant de la mode. Les plus précieuses d'entre elles avaient un petit ami. Elles se donnaient des airs, c'était le café club, elles étaient de petites Paris Hilton. Et il y avait un autre groupe. Elles n'étaient pas tout à fait aussi mûres, et aimaient toujours les petits poneys, et m'apportaient des cadeaux, et écrivaient [des cartes] avec de grosses boucles, voire des petits cœurs sur la lettre i. Il a remarqué que si une fille quittait un groupe et rejoignait l'autre, elle prenait instantanément les attributs de son nouveau groupe.

Dans les romans, Pullman dépeint le passage de l'innocence à l'expérience en utilisant le système des dæmons. Tout le monde a un dæmon ou un esprit animal : quand vous êtes jeune, le dæmon change de forme tout le temps ; au fur et à mesure que vous vieillissez, votre dæmon adopte une forme fixe. Les dæmons sont l'idée la plus brillante des livres. Pullman a eu cette idée en voyant des peintures de Léonard De Vinci (La dame à l'hermine), Holbein (Dame à l'écureuil) et Tiepolo (Jeune femme au perroquet), dans lesquelles il semble y avoir un lien psychologique entre la personne et la créature. Six ans auparavant, dans son histoire pour enfants Jack le vengeur, il imagine déjà cette idée avec un papillon de nuit mélancolique qui volète, symbole de la conscience du méchant. Les quatre premiers mots de À la Croisée des Mondes, Lyra et son dæmon... sont les plus importants de la trilogie. Tout part de là.

J'avais pensé au sujet central, qui est cette histoire d'innocence et d'expérience, et la transition qui se produit à l'adolescence, depuis longtemps. J'ai enseigné à des enfants de l'âge de Lyra, des enfants qui traversaient eux-mêmes ce changement physique, intellectuel et émotionnel dans leur vie. C'est vraiment le plus grand changement que l'on traverse. Une fois, alors que j'interviewais Pullman devant une salle pleine au National Theatre, il a éclaté de rire en expliquant ce qui était si spécial avec l'adolescence : Votre vie débute au moment de votre naissance, mais l'histoire de votre vie commence au moment où vous découvrez que vous n'êtes pas né dans la bonne famille.

Une fois, Pullman m'a dit que le seul moment où un auteur a une influence sur un script, c'est quand il vend les droits. Il a plus tard changé d'avis, en disant à un autre journaliste que vous ne pouvez pas intervenir au début de la réalisation parce que c'est comme repousser du brouillard, et vous ne pouvez intervenir à la fin parce que c'est comme pousser un mur de brique, mais il y a une étape entre les deux au cours de laquelle vous pouvez faire quelque chose, parce que c'est comme pousser un lourd objet qui aurait des roues, donc cela vaut le coup d'essayer. Pullman a suivi la réalisation de La Boussole d'Or de loin. Le premier scénariste du film, Tom Stoppard, passait pour déjeuner. Pullman a lu plusieurs ébauches, puis Stoppard a quitté la production et le réalisateur Chris Weitz a écrit les nouvelles versions. Pullman les a lues, et a lui-même écrit quelques passages. Il faisait attention à ne jamais être officiellement employé par le studio. Cela signifie que je peux leur dire de se casser.

J'ai rencontré Pullman pour la première fois en 2003 lorsqu'il écrivait The Art of Darkness, un compte-rendu des coulisses de la production du National Theatre. Je suis fondamentalement un conteur, pas une personne littéraire, si je peux faire cette distinction. Si j'écrivais une histoire qui avait assez de vigueur et de vie pour devenir banale, et être racontée par des gens qui n'avaient aucune idée que j'en étais l'auteur, rien ne me ferait plus plaisir.

Il a cependant exprimé une opinion ferme aux producteurs sur un point. Depuis quasiment le tout début, j'étais un fervent supporter de l'idée de Nicole Kidman pour interpréter Mrs Coulter. Mrs Coulter est la méchante, froide et élégante, qui adopte l'héroïne. Une performance de Kidman a motivé ce choix de Pullman. Prête à tout, dans lequel elle interprète la fille de la météo qui se fraie un chemin vers le haut de l'échelle sociale grâce à des meurtres. Kidman a apporté un changement notable au personnage. J'avais décrit Mrs Coulter avec des cheveux bruns. Visiblement, je me suis trompé. Parfois vous avez tort à propos de vos personnages. Elle est blonde. Elle doit l'être. Il ne tarit pas d'éloges pour l'interprétation de Kidman, blonde. Lorsqu'elle lève un sourcil, la température dans la pièce chûte de dix degrés.

Le monde de fiction crée par Pullman est dominé par une Église cruelle et répressive. La réforme semble ne pas avoir eu lieu, et Jésus existe à peine. Beaucoup de gens ont mal pris ce portrait de l'Église. L'Association des Professeurs Chrétiens a pressé ses membres de boycotter l'adaptation au théâtre. The Mail on Sunday a décrit Pullman comme étant l'auteur le plus dangereux de Grande-Bretagne. Plus récemment, le groupe américain Catholic League a appelé au boycott du film sous prétexte qu'il vend l'athéisme aux enfants.

Est-ce qu'il s'attend à une controverse ? Il fait une pause : Je suis assailli, non, pas assailli c'est trop fort. Je suis entouré de fous. La veille de notre interview, il avait fait une lecture au Sheldonian Theatre dans le cadre du festival de musique de chambre d'Oxford. 750 enfants des écoles de la zone d'Oxford étaient présents, écoutant la musique et les lectures. Un petit garçon d'une des écoles était assez ostensiblement sorti de la pièce avant chacune des lectures de Pullman, et ramené à la fin de la lecture. Apparemment, ses parents refusaient qu'il entende quoi que ce soit venant de moi sous prétexte qu'il pourrait finir en enfer si jamais c'était le cas.

Pullman dit que les gens qui seraient tentés de s'offenser devraient d'abord voir le film ou lire le livre. Ils y trouveront une histoire qui attaque des choses comme la cruauté, l'oppression, l'intolérance, la méchanceté, l'étroitesse d'esprit, et célèbre l'amour, la gentillesse, l'ouverture d'esprit, la tolérance, la curiosité, l'intelligence humaine. C'est très difficile de ne pas être d'accord avec cela. Mais cela pourra arriver.

Comment répondra-t-il à ces attaques ? Une réponse douce calme la fureur, comme c'est écrit dans mon livre préféré. (Proverbe 15:1). Alors il ne répondra pas ? C'est une chose stupide de la part de l'auteur d'une histoire que de répondre aux critiques. Si vous avancez un argument, vous pouvez répondre et démontrer pourquoi votre argument est meilleur que le leur. Mais si quelqu'un n'aime pas l'histoire que vous avez écrite, que pouvez-vous dire ? "Eh bien, vous devriez" ?

Deux moments cruciaux dans la jeunesse de Pullman on fait de lui un écrivain. Le premier se situe au milieu des années 50, lorsqu'il avait neuf ans. Son père, pilote de la Royal Air Force, avait été tué pendant la révolte des Mau Mau (1952-1956). Sa mère s'était remariée peu de temps après, et la famille était partie pour l'Australie. C'est là que Pullman a découvert les bande dessinées et les feuilletons diffusés à la radio : Clancy of the Outback, Dick Barton, et Les Aventures de Superman. Pullman les a « dévorés ». Il les « ressassait » inlassablement. Chaque soir, après l'extinction des feux, il racontait ses propres histoires à son petit frère (son premier public captivé), sans savoir, lorsqu'il commençait une histoire, comment elle finirait.

Après l'Australie, la famille s'installa dans le nord du Pays de Galle. Pullman trouva un professeur d'anglais inspiré à l'école locale, qui lui fit découvrir Le Paradis Perdu. Il dit qu'il n'a pas réagi au texte en disant "C'est un argument intéressant, oui, je suis d'accord avec cela." J'étais transporté, physiquement, émotionnellement, et intellectuellement par le langage. Il a énormément appris de Milton. Lorsqu'il a commencé à écrire À la Croisée des Mondes (dont le titre anglais lui-même vient de Milton), il s'est rendu compte au bout d'un moment qu'il racontait la même histoire. Mais je ne me suis pas dit, d'un coté "Et merde, je raconte la même histoire" ou d'un autre côté "oh chouette, je peux le copier". Je me suis juste rendu compte que, à sa manière, Milton avait travaillé sur la même chose. Et il y a bien longtemps, l'auteur originel de la Genèse a travaillé sur la même histoire.

Plusieurs fois, Pullman m'a rappelé qu'un travail de fiction n'est pas un débat. Peut-être est-il plus sûr de dire que dans À la Croisée des Mondes il a construit son propre monde imaginaire pour ne pas avoir à se soumettre à celui de quelqu'un d'autre. Il aime citer la phrase de William Blake : Je dois créer un système, ou être soumis à celui d'un autre homme. Son histoire est la rivale de récits publiés par deux écrivains d'Oxford précédents : Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, et Les Chroniques de Narnia de C.S. Lewis. Pullman déteste la manière dont les enfants de Narnia sont tués, dans un accident de voiture. Je n'aime pas ses livres de Narnia, à cause de la solution qu'il propose aux grandes questions de la vie : y a-t-il un Dieu, quel est le but, etc..., pour lesquelles il s'engage vraiment beaucoup, contrairement à Tolkien qui n'y touche pas du tout. Le Seigneur des Anneaux est essentiellement futile. Narnia est essentiellement sérieux, bien que je n'aime pas la réponse que trouve Lewis. Si je l'ai fait, c'est avec Narnia que je débattais. Tolkien ne vaut pas la peine que l'on discute.

Visiblement, Pullman aime les débats ; après tout, Bernard Shaw est l'un de ses auteurs préférés. Il fixe des limites aux discussions avec les fondamentalistes. On ne peut pas discuter avec des gens qui sont persuadés d'avoir toutes les réponses. Son comportement mesuré, parfois à la manière d'un professeur, lorsqu'il fait des remarques bien équilibrées et rationnelles (qu'il a sans aucun doute déjà faites auparavant), cache une nature plus passionnée et combattive. Alors qu'il débarrasse notre déjeuner dans la cuisine - des bols de soupe de poulet Thaï et une assiette de fromage qui pue - il parle d'un jeune réalisateur de télé frimeur qui a foiré l'adaptation d'une de ses histoires. Alors que Pullman nous donne exemple sur exemple de la nullité du réalisateur, ses mains se resserrent sur la table et son visage rougit : il est violent dans son dédain.

Pour Pullman, il y a une moralité au bon art. Lorsqu'il était jeune, il a écrit des vers et a étudié chaque forme poétique qu'il pouvait - rondeau, villanelle, sonnets et sestine, plus c'était compliqué, mieux c'était. Il croit que si vous pouvez reconnaître le rythme et la cadence dans la poésie, alors vous pouvez aussi le faire dans la prose. Il n'est pas difficile de le voir étendre ce principe de manière plus générale à tout ce qui est bien fait. Un mauvais politicien cherche à aller au-delà de ses capacités, ne comprend pas comment les sociétés fonctionnent, et fait tout foirer.

Après la soupe et le fromage, il retourne à son fauteuil dans son bureau et sa colère monte encore lorsque notre discussion sur les changements climatiques (sans conteste le principal problème de notre temps) nous conduit à la guerre contre le terrorisme, et l'Irak. Il dit que George Bush est un criminel moral et Tony Blair a de quoi s'excuser. Non pas qu'il le fera un jour [s'excuser]. Avec son autosatisfaction comme armure, il n'admettra jamais, même à lui-même, que [la guerre en Irak] était une horrible erreur. Une terrible, terrible erreur. Pullman éprouve un mépris particulier pour l'utilisation des slogans. D'après lui, la guerre contre le terrorisme est une expression complètement stupide. Une expression complètement, ridiculement stupide. Personne n'aurait jamais dû l'utiliser. Et il est certain qu'aucun politicien britannique n'aurait dû la répéter.

Pullman préfère s'impliquer dans la politique au niveau local, se joignant à la campagne pour sauver un chantier naval d'un développement peu judicieux. Dans son bureau, il y a une maquette d'un bateau en bois qu'il construit. En tant qu'artisan, m'a t-il fait remarqué, il est menuisier (pas charpentier) ; en tant que citoyen, il a l'art de rarement s'impliquer dans quoi que ce soit. Je ne suis pas un activiste, dit-il, je suis un pacifiste. Mais il est de plus en plus assailli par ses admirateurs, recevant un nombre incalculable d'invitations pour ouvrir une conférence, parler dans un festival, faire une séance de dédicaces dans une bibliothèque, écrire un article, se joindre à une campagne.

Le plus troublant, c'est l'ampleur du courrier de fans. Il reçoit des centaines de lettres et d'e-mails. C'est une grande source de... Il cherche ses mots pendant un moment. Cela vous fait soupirer. Soit vous ignorez ces lettres et vous vous sentez mal, et coupable de faire cela, soit vous prenez le temps et la peine d'y répondre. Et alors vous regrettez le temps que vous ne passez pas à travailler. Il avait l'habitude de répondre à toutes ces lettres. Certains écrivains ont des piles de lettres pas encore ouvertes sur un coin de leur bureau, mais il craint de se situer à l'opposé. L'autre moyen de régler cela, c'est celui de Margaret Mitchell, qui a écrit Autant en emporte le vent. Elle a passé le reste de sa vie à répondre aux lettres.

Le grand-père de Pullman était un pasteur de l'Église anglicane, qui pouvait également prendre le moindre évènement et en faire une histoire. Y eut-il un temps où Pullman croyait les histoires que son grand-père racontait à propos de Dieu ?

Lorsque j'étais enfant, je croyais absolument tout ce que mon grand-père me racontait. C'était papi. Il savait.

Ressent-il un sentiment de perte, aujourd'hui?

De perte ?

Ou un sentiment d'absence ?

De perte parce que quelque chose que je croyais a disparu ? Je ne pense vraiment pas. Je pense que c'est un profit. Ce serait comme de demander si vous être triste de savoir que la Terre n'est plus plate. Non, en fait je me sens mieux en sachant que la Terre est ronde. C'est plus intéressant.

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