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De la limite des chroniques

Par Gillossen, le samedi 3 décembre 2011 à 16:00:05

Les colis du mois ? Ou de la semaine ?Depuis quelques heures, une lettre envoyée jeudi à différents blogueurs et autres chroniqueurs en ligne américains commence à faire parler d'elle.
Pour preuve, cet article du Los Angeles Times qui revient sur le sujet. Un courrier que notre camarade québécois Pat a également reçu par ailleurs. Depuis la fronde a été suffisante pour que cette lettre envoyée soit suivie dès hier d'un mail revenant largement en arrière, du moins sur la forme.
Mais qu'en est-il exactement ? Voici notre modeste éclairage sur le sujet.

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Chroniquer, un devoir ?

C'est bien simple.
Dans ce courrier, William Morrow, une branche du géant HarperCollins publiant entre autres Neil Gaiman, Neal Stephenson, Ray Bradbury ou bien encore Christopher Moore, annonçait un changement de politique vis-à-vis des chroniqueurs du net. A commencer par le fait de ne plus leur envoyer de romans qui n'auraient pas été demandés spécifiquement. Une décision qui en elle-même n'a rien de véritablement polémique. A titre personnel, combien de fois, et ce encore très récemment, ai-je reçu des titres SF sans les avoir réclamés auprès de l'éditeur concerné ? Car peu importe la qualité de ces romans, ils ne pourront être chroniqués sur Elbakin.net puisque nous nous consacrons uniquement à la Fantasy.
En ces temps de crise et à l'heure où le monde de l'édition est lui-même en pleine mutation du fait notamment de l'arrivée des livres électroniques, on peut tout à fait comprendre qu'un éditeur ne "gaspille" plus des envois en Services Presse qui de toute façon n'entraîneront pas de retours qu'il pourrait mettre à profit. A ce titre, en France, cela fait longtemps maintenant que Bragelonne par exemple a adopté cette stratégie. Chaque mois, nous devons faire le tour de leurs parutions à venir pour sélectionner les titres qui nous intéressent. Ce qui n'était pas le cas lors des premières années d'existence de l'éditeur. Mais le succès de Bragelonne et la multiplication des collections fantasy sont passés par là...

Au passage, la lettre de William Morrow peut d'ailleurs se consulter à cette adresse, mot pour mot, dans le détail. L'occasion pour vous de vous rendre compte de l'origine de la levée de boucliers évoquée dans l'introduction de cet article. Le fait que chroniquer des romans soit présenté comme un "job" et surtout le fait de devoir s'engager à chroniquer les titres demandés, trois seulement au maximum, dans le mois. Et de préférence entre deux semaines et un mois après la date de sortie du roman en librairie. Dans l'absolu, chroniquer trois romans dans le mois n'a rien d'exceptionnel, évidemment. A la limite, trois par semaine pourrait s'avérer réellement problématique. Mais outre que le fait qu'il ne s'agit là que d'un éditeur parmi des dizaines d'autres - et si tous décidaient d'opter pour la même démarche ? - comment concevoir que l'on puisse chroniquer des romans sous la forme d'un tel engagement ?

Sur Elbakin.net, comme sur tant d'autres sites, nous sommes tous des bénévoles. Nous lisons et chroniquons des romans sur notre temps libre. Et parfois, très honnêtement, quand on songe à la qualité toute relative de certains livres, on se dit que notre temps pourrait être largement mieux employé ! Mais quand on tient un site depuis plus de 11 ans maintenant, c'est que la passion joue son rôle, encore et toujours. Cette passion qui a été et demeure un moteur, à l'origine d'un tel investissement hautement chronophage. Nous y reviendrons justement dans un prochain billet, mais les éditeurs, de l'autre côté de l'Atlantique comme en France, ont largement profité de l'explosion du nombre de chroniques de livres publiées en ligne depuis quelques années, encourageant même le phénomène à bien des égards. Entendons-nous bien : la passion n'exclut pas la volonté de nous montrer le plus sérieux, le plus "professionnel" possible dans la rédaction de nos chroniques ou nos relations avec les maisons d'édition. Mais comment ne pas comprendre la réaction des blogueurs américains quand il est ici question de respecter un délai précis, comme si tout le monde n'avait pas des impondérables à gérer ?

Quand on reçoit par exemple facilement entre 20 et 30 romans par mois, comme dans notre cas, sans compter les bandes dessinées (et les parutions Jeunesse), difficile de pouvoir respecter un planning précis. Et encore, ce planning, nous ne le devons qu'à nous et à vous, visiteurs. Pour vous comme pour nous, il n'est pas dans notre intérêt de prendre trop de "retard" sur le rythme de parution des éditeurs, de peur de se retrouver submergés par un flot continu. Un flot que les éditeurs alimentent bien sûr par la force des choses, car il faut bien écouler ses acquisitions. Et quand on songe que le marché a explosé ces dernières années, peut-on sérieusement imaginer chez HarperCollins imposer une date limite aux chroniqueurs, même ceux bénéficiant de SP, alors que les délais ont augmenté avant tout à cause de ce foisonnement croissant de titres ?

Demander un roman ne devrait pas nous engager à le chroniquer séance tenante. D'autant que la plupart comprennent très bien, du moins chez nous, que si un roman demandé n'est pas chroniqué sur le site deux mois plus tard, ce n'est pas une volonté délibérée de notre part. Mais bien plus souvent une simple question de (manque de) temps. Et voir un livre rejoindre la pile des "oubliés" n'a de toute façon rien de réjouissant pour un chroniqueur ! D'autant qu'on ne l'oublie jamais vraiment. Il reste là, dans un coin de notre tête, à ricaner, ne perdant pas une occasion de nous rappeler qu'on l'a laissé de côté, qu'il ne méritait pas ça, qu'il est tout aussi méritant que le roman que l'on vient d'entamer. Et, au bout du compte, c'est un autre roman qui endosse le rôle d'oublié quand on finit par céder pour se débarrasser du vil enquiquineur.

Le courrier de William Morrow allait même jusqu'à sous-entendre (plutôt clairement...) une possible exclusion des listes de contacts en cas de non-respect de cette clause. Si bien que l'éditeur - ou plutôt son équipe marketing, et là, tout est dit... - a finalement corrigé le tir dès hier, en envoyant un mail expliquant que ne pas publier une chronique dans les temps n'aboutira pas à une quelconque "suspension". Mais le mal était fait. Le rôle de chroniques comme les nôtres serait-il seulement de permettre aux éditeurs de faire du "ramdam" autour de leurs publications ? C'est le jeu sans doute. Et il ne vous viendrait pas à l'idée de nous retenir de dire du bien d'un ouvrage de peur que son éditeur ne "récupère" nos propos. Après tout, que ceux-ci soient cruels ou laudateurs, nous les assumons. Mais ce serait une vision bien étroite, et bien triste, de considérer que nous ne sommes que des outils au service des éditeurs.

Et après des chroniques à rendre dans un temps imparti, quelle serait la prochaine étape, si l'on pousse le raisonnement encore plus loin ? Ne prendre la peine que de mettre en ligne des papiers positifs, pour ne pas risquer de causer du tort à un roman ? Ou décaler au contraire une mauvaise chronique six mois après la parution du roman concerné, quand l'essentiel des ventes de celui-ci sont faites ? On pourrait imaginer bien des choses dans ce domaine. Et nous y reviendrons là encore prochainement.
En attendant, nous avons encore de nombreuses chroniques à vous concocter avant les fêtes.


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