Après avoir découvert la version en son et images, voici la version texte de la conférence donnée le vendredi 27 août 2010 dans le cadre de la 1ère convention de fantasy à Grenoble.
Bonne lecture !

La conférence et un bonus

A l’occasion de cette double convention sur les cultures de l’imaginaire, je vais vous présenter un aspect trop méconnu du Seigneur des Anneaux. Il s’agit d’un concept trop fugitivement évoqué en film ou en livre, mais qui permet de considérer la Terre du milieu sous un angle moderne, futuriste, voire SF.

Rappel historique

Les littératures de l’imaginaire ont en commun de traiter de ce qui est inhabituel à notre réalité. Mais c’est le contexte qui détermine le genre. Un même descriptif peut ainsi s’appliquer aussi bien à une technologie futuriste qu’à un objet « magique ». En Terre du Milieu, la technologie est pratiquement inexistante. Il est plus facile d’y voir un dragon qu’un avion. Qui plus est, lorsque le livre fut édité, dans les années 1950, la télévision, les ordinateurs, les communications très longues distances étaient inconnues du grand public ou cantonnées aux livres d’anticipation comme « 1984 » (paru en 1948), ou bien encore les ouvrages d’H.G Wells (avant 1945) ou de Jules verne (1905). Aussi vais-je vous présenter ces étonnants outils technologiques que sont les Pierres de Vision, les Palantíri. Ce sont des objets manufacturés (par des elfes, soit, mais fabriqués quand même). Ils ne sont pas « magiques », car il n’est même pas utile d’être magicien pour s’en servir.

En ce qui concerne la Terre du Milieu, seuls 7 nous intéressent. Ils sont arrivés un peu plus de 3000 ans avant les aventures de Frodo et ainsi répartis : trois dans le Royaume du Nord (Emyn Beraid, Amon Sûl, Annúminas), quatre au sud (Isengard, Minas Anor, Minas Ithil, Osgiliath). Au moment de la Guerre de l’Anneau, il en reste un au Nord chez les Elfes, trois au sud. Ces derniers sont positionnés au Gondor, chez Saruman le traître et en Mordor. Les autres ont soit disparu aux cours des guerres civiles soit lors d’une tempête en mer. Chaque pierre avait l’apparence d’un globe de verre noir, lourd et dense. Les plus petites avaient la taille d’un ballon et les pierres maîtresses d'Amon Sûl et Osgiliath étaient considérablement plus grandes. Leurs emplacements correspondent à des endroits stratégiques, similaires à des relais satellites ou à des bases d’observation. Pour tous, leurs fonctions sont l'observation, la communication et la sauvegarde. Il y avait une pierre maîtresse au nord (à Amon Sûl) et une au Sud (à Osgiliath). Les autres, de petite tailles, avaient une fonctionnalité différente.

Dans un monde où le moindre message urgent ne peut se transmettre que grâce à un messager à cheval qui aura plusieurs mois de retard (il n’y a même pas de pigeons voyageurs), le réseau des palantíri permettait de voir à distance et de trouver des renseignements, de converser et de retrouver des images d'évènements survenus dans le passé et ce, à des centaines de kilomètres à la ronde. Présenté ainsi, on peut dire que les souverains de l’époque disposaient d’une liaison sans fil faisant visioconférence, moteur de recherche couplé à un télescope spatial et base de données réinscriptibles. C’est bien davantage que les chefs d’Etat des années 50 et encore davantage que la norme dans un monde médiéval. Comme on peut l’imaginer, une telle puissance d’information peut être le plus grand pouvoir qu’un continent puisse posséder. Pourtant, Aragorn devient Souverain des deux royaumes réunifiés d’Arnor et de Gondor avec seulement un palantír encore en état?
Comment et pourquoi un tel pouvoir a t il pu ainsi se perdre et s’oublier alors que tout un chacun parmi nous a son mini palantír dans la poche et peut prendre conscience de ce qu'il peut nous apporter ?

L'utilisation des palantíri

La première réponse tient aux conditions d’utilisation des Palantíri : d’elle même, la Pierre ne montre que des images aléatoires, comme une télévision qui ferait une recherche de canaux en continu tout en enregistrant. Pour pouvoir observer, ou communiquer avec une autre pierre, il faut se placer dans la bonne direction et exercer un effort de volonté pour diriger la pierre. Cette pratique est plus éprouvante que de diriger un écran du regard sans cligner une seule fois des yeux, ni laisser vagabonder son esprit au risque de perdre la connexion. Il fallait donc des réseaux d’espions, d’éclaireurs, de messagers, pour corroborer ces informations, pour le cas où l’utilisateur aurait eu une faiblesse de volonté et mal interprété sa vision. Dans notre monde satellisé, nous pourrions dire qu'une vue aérienne depuis l'espace ne remplace pas complètement un informateur de proximité. Notons d'ailleurs que les Palantíri ont une particularité intéressante. Ils qu'ils ne véhiculent pas les sons. L’information est directement transmise dans l'esprit de l'observateur. L’avantage est qu'aucun espion ne peut surprendre une conversation passant par ce réseau sécurisé (sauf s’il a accès aux pierres maîtresses). L’inconvénient est qu'il est impossible de surveiller ce que dit quelqu'un.

Avec le temps, le nombre de personnes capables de plier une pierre à leur volonté a diminué et l’étude des pierres de vision s’est retrouvée limité à un petit cercle de pouvoir qui craignait de s’en servir, voyant en elles le symbole de leur décadence. Ensuite, quand on soupçonna Sauron d’avoir fait main basse sur l’une des pierres, l’usage des Pierres se fit encore plus restreint par crainte de ce que le Seigneur du Mordor pourrait tenter de faire. On notera par ailleurs que l’usage naturel des pierres ne permet pas d’imposer sa volonté à autrui. Il faut deux personnes aux volontés concordantes pour échanger leurs pensées. Mais comme les détraqués du net le montrent, les gens mal intentionnés arrivent souvent à s’insinuer dans les media, à influencer les plus faibles, et ce, même à distance. Etant l’équivalent d’un demi dieu, Sauron est parvenu à utiliser l’orgueil de Saruman à ses propres fins. En ce qui concerne l’intendant du Gondor, sa légitimité et son devoir ne l’ont pas fait tomber sous le joug du Mordor, mais ses craintes ont pris le pas sur ses espoirs. Des millénaires avant l’apparition du transistor, Tolkien inventait déjà la bataille de l’information et ses pirates. La dernière pierre du royaume du nord était différente : elle ne servait qu’à voir la pierre d’origine, à des milliers de kilomètres, à travers l’équivalent d’un passage dimensionnel. C’est pour cette raison que le navire qui a emmené Gandalf, Bilbo et Frodo a également emporté la pierre pour trouver son chemin sur « la Ligne droite » au-delà de la terre.

D'autres objets anachroniques ?

On pourrait croire, étant donné le peu d’information à ce sujet, que cette donnée de « guerre des ondes » et autres instruments évoquant les appareils de communication modernes est un cas isolé dans l’œuvre de Tolkien. Or, deux autres exemples nous laissent supposer le contraire : le miroir de Galadriel et le siège d’ Amon Hen. Le miroir de Galadriel, reflète la lumière des étoiles et montre des choses présentes, passées et probables. On peut le comparer à un télescope qui, lui aussi, capture la lumière des étoiles. Se faisant, il voit le passé dans le temps présent, et permet d’en déduire un futur probable. Le siège de Amon Hen sur lequel s’assoit Frodo juste avant de poursuivre sa quête solitaire est différent, ne serait-ce que par ce qu'il n'a pas été façonné par les elfes : « Amon » (colline) et « Hen » (oeil) signifient littéralement « colline de l’œil ». Celui qui y siégeait pouvait voir à des centaines de kilomètres alentour. On n’oserait proposer un meilleur panorama juste à la frontière septentrionale du Gondor ! Enfin, en extrapolant un peu, la colline voisine, Amon lhaw, ou « colline de l’ouïe », possédait également un trône de pierre. Il n’est pas interdit de penser qu’il bénéficiait d’une technologie équivalente. Pourtant, ces hauts lieux de pouvoir sont en ruines, désertés aux portes de la frontière. Mais là, il n’y a que les conjectures pour deviner pourquoi, comment et jusqu’à quand ce système échelon antique a fonctionné.

Bonus sélection de questions

• La huitième pierre restée à Tol Eressëa permettait aux elfes de Valinor de communiquer avec leur amis de Númenor au deuxième Age, puis servait de repère pour la Pierre d’Elendil.
• Comment se passe l’équilibre des forces dans une discussion entre Saruman et Sauron, pourquoi Sauron est-il plus fort ? => si on remplace « magicien » par « informaticien », l’un qui ne parle que java et l’autre que C++..alors que le canal tourne en C#, ils ont tous les deux du mal, mais c’est plus facile pour l’un.
• L’image ne peut pas mentir, mais l’interprétation si : la Russie ne brûle pas, c’est de l’écobuage contrôlé.
• Les palantíri sont-ils indestructibles ? : personne n’a dû sciemment essayé de le faire, et, comme dirait Gandalf « qui brise quelque chose pour découvrir ce que c'est a quitté la voie de la sagesse »