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Un entretien avec Nicolas Cluzeau !

Par Merwin Tonnel, le vendredi 6 janvier 2012 à 11:00:31

ncLors de la soirée de lancement de la collection Galapagos, j'ai eu l'occasion de rencontrer Nicolas Cluzeau. A la lecture de son roman, je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas lui demander une interview, afin de vous faire découvrir cette nouvelle série et son univers. Nicolas Cluzeau a eu la gentillesse d'accepter et voici la transcription de cette interview. J'espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à la lecture de cet entretien et que cela vous donnera envie de découvrir un auteur dont la plume m'a enchantée. Bonne lecture ! Aléthia

L'entretien

Tout d'abord, merci d'avoir accepté de faire cette interview. Avant les Ténèbres, premier tome des Chroniques de la Mort Blanche, vient de paraitre aux éditions Galapagos. Pourriez-vous présenter votre nouvelle série à nos lecteurs ?
Bonjour. Présenter une tétralogie est très délicat, car de nombreux fils d'intrigues et des destinées de personnages s'entrecroisent au cours des volumes qui la composent. Les Chroniques de la Mort Blanche se déroulent en Orlandie, une île qui va être la cible de plusieurs complots importants. Tout d'abord, la maladie qui donne son nom à la série : le fléau ravage les rangs des magiciens et des créatures féeriques. Qui est responsable, ou est-ce une maladie naturelle, une punition envoyée par les Dieux ? Ensuite, un complot politique, qui va voir l'organisation fédérale de l'île fragilisée par la Mort Blanche être regroupée entre les mains d'un seul homme et sa volonté de pouvoir. Et enfin, un complot entre deux empires qui veulent mettre la main sur cette île pour des raisons différentes et complémentaires. Au milieu de tout cela, les héros (ce terme regroupent tous les personnages, il n'y a pas de « gentils » et de « méchants » chez moi, juste des personnages aux ambitions, intérêts et idéaux divers et variés) vont être confrontés non seulement à la mort, à l'adversité, au sacrifice de soi ou à la trahison, mais aussi à eux-mêmes. Les groupes de personnages peuvent se diviser ainsi en plusieurs groupes : celui d'Arline, qui va chercher un remède à l'épidémie, celui d'Endrew, conquérant peu à peu le pouvoir, celui de Deirdre, qui va lutter de toutes ses forces contre Endrew, et celui des Yaxchilans à bord d'un navire expérimental, qui va suivre la guerre d'un point de vue maritime – la plupart des Marches d'Orlandie possèdent d'importantes flottes de combat.
Dans Avant les Ténèbres, vous présentez un système de magie original. A un moment donné, les nœuds de magie se transforment en équation que les magiciens doivent résoudre afin de pouvoir progresser dans leur quête. Comment vous est venu l'idée de ce système de magie ?
Je suis contre l'idée d'une magie qui s'exerce sans contrepartie, parce que c'est un « don ». Certes, le magicien doit avoir la capacité mentale de supporter la puissance des champs de magie pour les soumettre à sa volonté, mais tout doit rester dans la logique de lois multiverselles : il est nécessaire, sauf peut-être pour les prêtres – ils passent par d'autres sacrifices et sont très rarement puissants - et les créatures aux pouvoirs mentaux innés, d'apprendre à maîtriser les vieux langages mathématiques et runiques divins pour être capables de comprendre la démarche de l'idéal des Titans créateurs de mondes. C'est à travers ces équations et ces runes syllabiques très strictes qu'on peut espérer transformer, conjurer, forger des sortilèges ou des rituels magiques. Utiliser de telles runes ou équations drainent aussi une énergie considérable dans le corps du magicien, et certains praticiens peuvent même mourir d'avoir trop abusé des runes divines et de leurs équations. La magie, pourrait-on dire, a dans mes écrits une dimension mécaniste qui doit être mise en scène de manière presque réaliste pour être crédible. Sinon, la magie pourrait tout résoudre d'un claquement de doigt, et je ne trouve pas cela très amusant.
Cette idée d'un système de magie logique, « réaliste » et mécaniste m'est venu de mes années de jeu de rôle en tant que maître de jeu. Je n'étais pas satisfait des divers systèmes de magie présentés par les divers jeux de rôle, aussi ai-je créé le mien, influencé par divers systèmes. Il marche très bien depuis.
Pour décrire les Franges féériques d'Orlandie où se déroule votre roman, vous avez choisi de mettre en scène un monde que l'on pourrait qualifier de celtisant. Pourquoi avoir choisi un tel univers ? Vous semblait-il plus approprié qu'un autre ? Plus parlant aux lecteurs ? Plus proche des légendes peut-être ?
En fait, l'Orlandie existait depuis très longtemps. Elle avait d'abord fait son apparition dans une légende racontée par Erika dans le roman éponyme. Ensuite, on la retrouve dans une nouvelle mettant en scène Harmelinde et Deirdre, deux magiciennes enquêtrices, et ensuite dans les deux romans qui composent Chroniques des Franges Féeriques, sortis en 2005 chez Nestiveqnen éditions. L'île d'Orlandie a connu plusieurs bouleversements : l'installation progressive des Êtres-Fées du continent dans sa genèse, qui puisent dans le folklore et la mythologie celtiques, en effet. Ensuite des prêtres-mages adorant les Titans, exilés des Cités Parfaites du sud, sont venus imposer leur loi, mais des dissidents parmi ces humains exilés ont rejoint les territoires intérieurs et sont devenus des adorateurs de la Déesse-mère, devenant les premiers druides. Des êtres-animaux venus des steppes orientales du continent sont apparus par un portail féerique et se sont installés près du grand Marais Glauque, et les descendants des premiers mélanges entre les Êtres-Fées et les humains établis sur les bords de mer ont chassé les Prêtres-Mages grâce à l'aide des magiciens de l'archipel de Vilanöé. Toute la mythologie des Êtres-Fées, basée sur le folklore celte, a été adoptée par les humains grâce au mélange des cultures, l'adoration de la Déesse-mère et les dieux celtes sont vénérés par les humains – en particulier Lug, qu'on dit fils de Thétys la titanide des océans dans ce monde – avec ferveur.
En créant le monde où se trouve Thorion Weir, j'ai assumé pleinement le fait de reprendre des mythologies de notre monde, légèrement modifiées, car c'est pour moi un monde parmi tous les autres créés par les Titans (« Thorion Weir » signifie « La Merveille des Titans » dans le langage divin). Il était important de créer des références mythologiques auxquelles moi-même, puis le lecteur, pourrait s'accrocher aisément.
Dans Avant les Ténèbres, vous offrez aux lecteurs un récit où de nombreuses créatures se côtoient : troll, démons, êtres fées, animorphes etc. Était-ce une façon de démontrer aux jeunes lecteurs la richesse des mondes fantasy ? Une envie d'explorer un univers autre que la Turquie que vous avez déjà évoqué dans vos récits historiques comme Rouges Ténèbres ?
Je ne fais que continuer une exploration d'un multivers que je nomme le Multivers Gaïen. Il est très cosmopolite et diversifié. Je ne crois au progrès que par la diversité et le mélange, que ce soit des créatures que tout oppose, des nations, des confrontations d'idées. Les trois romans policiers historiques que j'ai écrits (Rouges Ténèbres, Chasses Olympiques, Lame de Corsaire), ainsi que les deux romans de fantasy historique (Le jour du Lion, Les Cavaliers du Taurus), sont nés de ma volonté de ne pas rester cantonné dans un seul domaine et de me plonger dans ce que j'aime aussi en littérature : les enquêtes policières et le mélange des genres. Je me considère très éclectique, et j'espère que mes écrits le démontrent de belle et bonne manière. En ce qui concerne la richesse des mondes fantasy, je me place d'un point de vue de lecteur, de joueur de jeu de rôle qui en lu et joué des milliers de situations, et qui ne trouve pas dans une bonne partie de la production actuelle. Mes maîtres à penser en littérature fantastique/fantasy/Science-Fiction ont toujours été Tolkien, Howard, Jack Vance et Tanith Lee ; Dan Simmons aussi, pour le cycle d'Hypérion. Chez les francophones, Ayerdhal, Charlotte Bousquet, Fabrice Colin. Ils m'ont prouvé qu'on pouvait créer des univers riches et colorés qui émerveilleraient le lecteur à tous les niveaux. J'essaie de faire de même avec tout ce que j'écris.
L'émerveillement et le dépaysement, les dialogues élégants, le langage soigné, des intrigues fortes et multiples, ainsi que des personnages complexes, font partie de mes priorités en tant que lecteur et auteur.
Avant les Ténèbres est un roman loin des productions aseptisées que l'on peut trouver actuellement dans les rayons de littérature jeunesse. Vous offrez aux lecteurs un roman complexe et riche, vous les laissez se débrouiller avec les fils de l'intrigue etc. En clair, vous êtes loin de leur mâcher le travail ! Est-ce pour vous ce que devrait être la littérature jeunesse ? Et plus largement que pensez-vous des productions jeunesse actuelles ?
Comme je le disais en répondant la question précédente, mon premier lecteur, c'est moi. Même si j'ai planifié un roman ou une nouvelle, je dois le ou la laisser me surprendre pour qu'il ou elle m'emmène loin, dans ce multivers que je construis année après année. Le récit doit m'entraîner, par sa cohérence, la multiplication des personnages et des trames d'intrigue. Étant difficile à ce point pour moi, je ne peux m'empêcher de penser que c'est ce que les lecteurs veulent : qu'on les force à s'ouvrir à des mondes aussi complexes que possible, pour qu'ils puissent en tirer la substantifique moelle là où ils le désirent. J'ai peut-être tort, mais c'est en forçant les gens à réfléchir (ne serait-ce que sur eux-mêmes) qu'on leur permet de progresser. Je ne me permettrai pas de juger la production « aseptisée » dont vous parlez, parce que finalement elle répond à un besoin, même si je ne me retrouve pas dans ce besoin du tout. Chacun ses goûts, comme on dit si brillamment pour expliquer les inclinaisons vers tel ou tel thème, situation, personnage, style. Quant à savoir si cela devrait être cela, la littérature jeunesse, je n'en sais rien. Je l'avoue. En écrivant, comme je le disais, je ne réponds qu'à un seul désir d'évasion, le mien. Après, les lecteurs y trouvent leur compte, ou non, une fois que l'écrit m'échappe pour passer sur les rayons des librairies.
Vous écrivez aussi bien pour les "adultes" que pour les "jeunes lecteurs". Est-ce que vous estimez que votre travail d'écrivain varie en fonction du public auquel vous vous adressez ? Écrivez-vous en pensant à l'âge de vos lecteurs ? Est-ce que vous vous bridez dans l'expression de certains sentiments ou au contraire, considérez-vous que l'on peut parler de tout dans un ouvrage jeunesse ?
J'en parlais quelques semaines plus tôt avec une amie auteure et nous avions déterminé que nous avions le même système, à peu de choses près. En fait, un roman en premier jet pour la jeunesse ou les adultes ne comporte aucune différence, à part peut-être l'âge des protagonistes qui peut être assez bas, mais jamais en-dessous de 14 ou 15 ans, l'âge où, dans des histoires médiévales ou renaissance, fantasy ou historiques, les êtres humains étaient considérés comme assez matures, car le terme « adolescence » n'était que peu ou pas utilisé, cette transition était ignorée. Mais en général ce n'est pas pour ça que je baisse le niveau de noirceur et de réalisme que je veux injecter dans mes œuvres. Ce n'est qu'après, au stade de la relecture et de la réécriture, que je passe le roman au crible et que j'élimine les moments qui pourraient choquer, non pas le lecteur, en fait, mais l'éditeur ou du moins les relecteurs de l'éditeur. Aussi, je ne me bride pas à l'écriture, mais je fais un peu d'auto-censure à la relecture, car je sais à qui j'ai affaire au niveau « administratif » d'une maison d'édition.
A ce propos, le ton du roman est parfois léger mais parfois beaucoup plus sombre. Le destin de Lorcan en est un exemple. Avez-vous hésité avant d'emprunter ce chemin ?
Je n'hésite jamais avant, comme vous dites, d'emprunter ce chemin. Des personnages font des choix qui ont des conséquences, il faut vivre avec, si j'ose dire. Je suis partisan de la surprise à chaque chapitre, des morts inattendues qui vous prennent aux tripes par leur injustice, ou du moins de ne pas savoir où va un roman, j'ai envie de réflexion, envie de tourner les pages non pas pour me laisser emmener jusqu'au bout d'une histoire en sachant où je vais – c'est trop facile – mais en ne sachant justement pas ce qui va se passer. J'essaie moi-même de faire cela, ou alors de lancer de fausses attentes qui surprendront les lecteurs (car première règle : l'auteur doit se surprendre soi-même, du moins dans mon livre de règles à moi).
Dans la première version du roman, la fin était un peu différente, puis je l'ai retravaillée car un peu trop téléphonée par certains côtés, par certains clichés. Et maintenant elle est ce qu'elle est, et ne changera pas. Non plus que la fin du tome II, Noir Saphir, écrite depuis longtemps, et qui ne changera plus.
Pour ceux qui voudraient poursuivre l'aventure des Chroniques de la Mort Blanche, que peuvent-ils espérer pour le prochain tome ? Quelques réponses sur l'origine du mal qui ronge les magiciens ? D'ailleurs, avez-vous une date de sortie pour le tome 2 ?
Le tome II sortira en mai 2012 si tout va bien. Noir Saphir sera un tout petit peu plus gros que Avant les Ténèbres et lancera la trame de Deirdre O'Donnely en parallèle de celle d'Arline et de la maladie. On y trouvera des réponses sur la maladie et qui est derrière la plupart des complots, car le tome II est un tournant dans la rédaction des quatre romans composant le cycle. Quelques surprises, apparitions et disparitions ponctuent Noir Saphir, et la guerre civile continue jusqu'à une fin qui, je l'espère, en surprendra plus d'un.
D'ailleurs, en ce qui concerne la construction de votre récit. Avez-vous déjà planifié l'ensemble des volumes ? Comment avez-vous opéré le découpage des différents tomes ?
Dans un cycle de cet ampleur, il faut pratiquement tout prévoir pour ne pas avoir de problèmes de cohérence. Les tomes III et IV sont en cours d'écriture. Le plan a par contre changé depuis le début, car des idées que je n'avais pas eues à la naissance du projet se sont abattues sur moi et m'ont donné une inspiration autre pour le destin de plusieurs personnages ou l'ordre chronologique des événements. C'est ainsi, même les auteurs peuvent, heureusement, se laisser mener par le bout du nez par leur création.
J'ai découpé les divers tomes suivant un principe simple : j'ai voulu que chaque volume soit comme une partie de saga avec un début et une fin. Chaque chapitre sonnant la fin d'une des trames de l'intrigue donne le signal d'un nouveau départ sur lequel construire tout le tome suivant. Ce n'est pas difficile à gérer lorsqu'on a écrit des scénarios et des campagnes de jeu de rôle pendant vingt-cinq ans. N'y voyez aucune fanfaronnade, c'est juste ainsi. Tout est déjà prêt dans ma tête, du moins plans, personnages, idées fortes, et comme faisait dire Edmond Rostand à Cyrano de Bergerac : Et que mettant mon âme à côté du papier/Je n'ai tout simplement qu'à la recopier.
Nombreux sont ceux qui aiment lire en musique. Quelle musique pourriez-vous nous conseiller pour accompagner la lecture d'Avant les Ténèbres ?
Pour Avant les Ténèbres, je conseillerai toute la musique d'Howard Shore pour le Seigneur des Anneaux, la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak ou, pour les moments un peu cruels, le Carmina Burana de Carl Off. Pour le prochain tome, je recommanderais plutôt la musique symphonique des trois Matrix de Don Davis et la bande originale de Guild Wars. Un must, car c'est sur ces musiques que j'ai écrit Noir Saphir.

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