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Pandore au Congo
Titre VO: Pandora al Congo
Catégorie : Aucune
Auteur/Autrice : Sanchez Pinol, Albert
Londres 1914. L’empire britannique est à son zénith et les pauvres hères qui battent le pavé londonien s’apprêtent à subir les foudres du Kaiser et de ses zeppelins. Thommy Thomson est de ceux-là, qui pour quelques pennies écrit dans l’ombre les romans populaires, à fort relent colonial, d’un écrivain à succès, quand sa rencontre avec un ténor du barreau lui permet d’assouvir enfin ses rêves de gloire littéraire.
Ils concluent un marché tout aussi clair qu’insolite : contre rémunération, Thommy écrira l’histoire d’un client de l’avocat, Marcus Garvey, un gitan accusé d’avoir assassiné dans la jungle les deux rejetons du duc de Craver, partis faire fortune au Congo. Le livre est un succès et, grâce à l’engouement de l’opinion publique, la plaidoirie gagnée d’avance. Marcus est acquitté. Est mis au grand jour le détail de l’expédition enragée de deux aristocrates dégénérés, accompagnés par Marcus, leur homme de main, qui marchent sans répit jusqu’aux confins du monde, plus animés par un désir secret d’abîme que par la fièvre de l’or. Ils viennent à bout d’une centaine de porteurs noirs qui charrient dans la jungle des caisses de champagne bouillant sous ces latitudes et vont mener la première guerre verticale de l’histoire contre une armée de « tectons » surgis des entrailles de la terre. C’est par l’amour d’une de ces créatures à la peau chaude, qu’arriveront la faute et la rédemption. Concourant à innocenter la victime désignée, le roman établit le triomphe de la justice.
Critique
Par Nicolas Winter, le 18/01/2014
La littérature espagnole reste vigoureuse à l’heure actuelle, comme le prouve encore la parution récente de Confiteor de Jaume Cabré. Dans le domaine moins mainstream du fantastique, c’est son compatriote, Albert Sanchez Pinol qui a frappé un grand coup en 2005 – publié en France en 2007. Avec le roman Pandore au Congo, l’Espagnol accouche non seulement d’une grande aventure peuplée de créatures inquiétantes – les fameux Tectons – mais se permet aussi une vaste réflexion sur l’homme, le passé colonialiste européen et l’écriture. Il n’en faut pas plus pour retrouver le livre publié par l’excellent éditeur Actes Sud dans notre beau pays. Si le postulat de départ n’est pas sans rappeler le premier roman de Pinol - La Peau Froide - où des hommes échoués dans l’Atlantique repoussent des créatures étranges et belliqueuses, Pandore au Congo réserve bien des surprises.
Nous sommes en 1914 à Londres, à la veille de la Première Guerre Mondiale. Thommy Thompson est écrivain… enfin disons qu’il aimerait l’être et se contente en réalité de faire le nègre pour un autre nègre d’un autre nègre d’un écrivaillon de romans d’aventures populaires, notamment autour du continent africain. Autant dire que pour Thompson, la notoriété littéraire paraît encore très loin. C’est à l’occasion de sa rencontre fortuite avec l’avocat Edward Norton que se présente l’opportunité la plus excitante de toute sa vie. Enfermé dans l’attente de son jugement pour les meurtres des deux fils du Duc Craver, le gitan Marcus Garvey se clame innocent. Norton propose alors à Thommy de recueillir l’incroyable histoire de ce qui s’est réellement passé au cœur de la jungle congolaise. Attirés par la soif de l’or, les frères Craver y auraient construit une mine à ciel ouvert avant de se faire attaquer par des créatures albinos abominables, les Tectons. Au lieu d’un criminel endurci, Thompson se retrouve confronté à l’histoire d’un homme seul affrontant des hordes de monstres jaillissant des entrailles de la Terre. Et si, au lieu d’un meurtrier, Marcus était un héros ?
Pandore au Congo joue sur plusieurs tableaux.
D’abord, sur celui du travail d’écriture et du processus de création puisqu’à travers Thommy Thompson, on devine beaucoup de Pinol. Au fur et à mesure de ses entretiens avec Garvey, il nous dévoile ses difficultés à écrire, à se retrouver confronté à son propre travail et surtout, à savoir s’en détacher pour le rendre meilleur. Plus loin encore, on trouve un roman dans le roman : d’une part le cadre général de Thompson, son histoire à lui, son vécu et ses passions, et à l’intérieur le récit de Garvey au cœur du Congo, fantastique en diable et parfois frissonnant. On peut même y rajouter une troisième marche avec ce descriptif rapide d’un de ces romans populaires qu’il écrit pour le compte d’un autre. Très court – à peine quelques pages – cet exercice de style prouve tout le talent de Pinol qui synthétise de façon grotesque son histoire à venir et semble la révéler…sans le faire pour le moins du monde en réalité – et qui renvoie un peu à ce qu’écrit, génialement, Léo Henry dans sa nouvelle « Les Trois livres qu’Absalon Nathan n’écrira jamais ». Mentionnons au passage que le fait que Thompson soit un nègre littéraire n’est pas fortuit vu la suite.
Attardons-nous donc d’abord sur ce qui constitue le plus intrigant et le plus original de Pandore au Congo, à savoir le récit africain de Marcus Garvey. Pinol s’attache avec un grand talent à faire revivre sous nos yeux l’époque coloniale et à décrire le système esclavagiste sauvage des Britanniques par les jumeaux Craver, personnages aussi détestables que fascinants. Sous couvert de fantastique, qui ne vient qu’après un certain temps pour garder intact le suspens, l’Espagnol présente une succession de scènes fortes et au visuel marquant. Certaines d’ailleurs contiennent en elles une violence psychologique manifeste pour le lecteur – on pense notamment au passage dans les villages et à la « méthode de recrutement » des Noirs, absolument ignoble, ou les conditions de voyages sans parler de la mine elle-même où se retrouvent parqués les esclaves. Tout au long de ces pages, Pinol fait des merveilles dans sa peinture de l’abjection humaine tout en gardant un esprit assez lucide pour se questionner sur une question fondamentale : « Pourquoi les Noirs ne se révoltent-ils pas à 100 contre 3 ? ». Véritable plongée et analyse de l’esclavage, cette partie se prolonge avec la fameuse arrivée des êtres albinos qui surgissent des entrailles de la mine.
Ces Tectons, comme les surnomme Garvey, débarquent d’abord un par un, avec notamment une femme, Amgam. Il n’est pas question ici de dévoiler grand-chose sur leur influence dans le récit mais leur emploi par l’Espagnol ne peut que laisser admiratif. Au-delà de l’attraction sauvage que ces êtres surnaturels laissent sur le lecteur, c’est la métaphore de la colonisation qui se poursuit. Plus blanc que blanc – et ce n’est pas pour rien – et rapidement agressif et destructeur, le Tecton apparaît comme un super-homme blanc, sorte de punition divine pour les horreurs accomplies par les frères Craver. Les passages de découverte et d’attente apparaissent comme de sacrés moments de tension, et toujours Pinol garde ce sens aigu du pictural – le siège de la mine, la découverte des souterrains Tectons et de leur ville -, si fort qu’il impressionne autant l’imaginaire du lecteur que celui de Thommy Thompson. Toute l’histoire, ou presque, fait office d’immense morceau de bravoure, peut-être entachée par une ou deux longueurs, mais carrément passionnante. Un pari fantastique brillamment réussi tout en restant constamment d’une intelligence redoutable.
Cependant, on ne pourra éliminer l’histoire de Thompson lui-même, qui contraste avec le fantastique pour ne laisser transparaître que certains fantasmes – notamment sur le personnage magnétique d’Amgam. Assez drôle avec son running-gag autour de la tortue sans carapace - Marie-Antoinette - de sa logeuse, le parcours de l’Anglais croise forcément la Guerre et s’entache lui aussi de fantastique, à moins que ce ne soit des hallucinations… mais Pinol laisse planer le doute longtemps. Il en profite pour exposer l’horreur de la guerre et l’instinct humain de vivre et survivre envers et contre tout. Peut-être la plus grande réussite en termes de personnages, Thompson incarne l’idéal d’un romantisme désuet et surtout un peu naïf, pétri d’a priori sur le Noir, sur l’Afrique et sur la vie en général. Il montre comment, malgré sa répugnance à rabaisser l’homme noir, l’ignorance peut laisser des horreurs se perpétuer. Dans le fond, Garvey n’est pas si différent, à moins que… Le petit gitan un peu effacé reste lui aussi terriblement raciste, et ce malgré le propre racisme dont il est victime. Décidément, la haine n’a ni couleur ni origine et constitue la chose la plus universellement humaine. Si Pandore au Congo traîne un peu pour conclure, c’est pour mieux nous jeter à la face un twist aussi cynique que terrible qui fait largement relativiser les choses que l’on vient de lire.
A se demander si les Tectons constituent les vrais monstres là-dedans.
Sacré morceau littéraire que Pandore au Congo. En reprenant un fond fantastique pour le plaquer sur une grande période historique, Pinol ne se contente pas de raconter une histoire, il analyse et décortique l’Histoire, de la traite des Noirs à la Première Guerre Mondiale. Aussi intelligent dans la forme que dans le fond, superbement écrit, imaginatif, hautement cynique et misanthrope, le second roman d’Albert Sanchez Pinol ravira les amateurs de fantastique comme ceux du roman historique.
Bienvenue au Congo.
8.5/10
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