Vous êtes ici : Page d'accueil > L'Actualité fantasy

Table ronde fantasy à New York

Par Julie, le samedi 4 décembre 2010 à 14:45:39

NYCCQuelle menace fantôme poursuit Brandon Sanderson ? Dans quel MMORPG peut-on trouver Jim Butcher en train de tuer des Nazis ? Et pourquoi Joe Abercrombie est-il si drôle ?
Si vous avez eu la chance de pouvoir assister à la New York Comic Con, alors vous le savez. L’intérêt pour ce panel semble avoir été sérieusement sous-estimé, surtout si on considère le nombre d’auteurs de bestsellers présents. Il fallut même refuser du monde, ce qui est vraiment malheureux, car les visiteurs ont manqué une table ronde animée et attachante, qui s'est par exemple retrouvée à faire faire la ola au public face à l’insistance de Naomi Novik.
Ci-dessous, la retranscription complète.

En discuter sur le forum

La retranscription

Les six auteurs réunis ont commencé par répondre à des questions qu’ils se sont posées les uns les autres, à commencer par : « La fantasy épique a-t-elle changé au cours des dernières années, ou s’inspire-t-on toujours de Tolkien ? »

Joe Abercrombie: Je crois qu’on peut faire les deux. On devrait continuer à s’inspirer de Tolkien. C’est important qu’on continue à le faire. C’est l’histoire du genre, sa force vitale. Une comparaison très peu utilisée (dans ce contexte), c'est le film de Clint Eastwood, Impitoyable. C’est un western, indubitablement, mais il a cette interprétation acerbe, moderne, plus réaliste, plus ambigüe. Mais en fin de compte, c’est toujours un western. Ce que j’essaie de faire avec la fantasy c’est de rendre hommage à l’histoire tout en essayant d’y apporter un petit quelque de nouveau. Peut-être de faire un petit commentaire en même temps.

Jim Butcher: Bien, je m’inspire de Tolkien et d’Arthur Conan Doyle à la fois, ce qui je pense, vous savez, a du mérite.

Peter V. Brett: Tolkien est considéré comme le grand-père de la fantasy et, pour ma part, je me considère comme le petit-fils, avec Terry Brooks dans le rôle de l’oncle un peu fou de la fantasy, vu que c’est lui qui m’a entrainé là-dedans.
On est donc comme des scientifiques, du fait qu’on se hisse sur les épaules de ceux qui sont passés par là avant nous. Nous sommes tous influencés par ce que nous lisions lorsque nous grandissions, et ce qui a fait de nous des écrivains, et nous ne pouvons pas prétendre ne pas avoir été influencés par ces choses. Mais je pense également qu’il y a beaucoup de place pour être créatif et faire ses propres choses et moderniser ce qui existe pour que le genre continue d’être important pour le public moderne, tout en continuant de traiter de choses intemporelles.

Naomi Novik: Je m’inspire de Jane Austen, donc… Mais en fait il y a Le Trône de fer de George R.R. Martin ainsi que d’autres livres qui selon moi sont assez amusants et intéressants et nouveaux même si en même temps ils sont clairement influencés par Tolkien. Ça ne veut pas dire qu’il soit impossible de partir dans des directions différentes, mais je crois aussi que…. qu’il y a beaucoup de place pour s’inspirer de Tolkien, et qu’il reste encore beaucoup de place pour le faire. J’espère que les gens vont encore s’en inspirer dans les nombreuses années à venir !

Deborah Harkness: Il y a quelques années j'ai lu différentes traductions des mythologies nordiques et je me suis retrouvée à répéter encore et encore, "Tolkien! Vous avez complètement plagié ce gars ! » Donc, ah, ça m’a fait quelque part me sentir mieux vis-à-vis de mes inspirations ! Si Tolkien était assis ici avec le jury je crois qu’il serait surpris qu'on l‘appelle le grand-père de la fantasy…

Joe Abercrombie: Il y aurait aussi certainement une certaine odeur…

Deborah Harkness: Je pense qu’il serait le premier à admettre que… à faire la liste de tous les gens dont il s’est inspiré. Pour ma part, j’aime m’inspirer des légendes Grecques et Romaines.

Brandon Sanderson: C’est, personnellement, une de mes marottes, et je suis heureux que vous ayez posé la question. J’ai pour ma part le sentiment que, comment dire, que la fantasy est encore loin d’avoir exploré tous les endroits où elle peut aller. Ça a été plus restreint que ça pourrait l’être et je crois qu’on a vraiment pu voir au cours de ces dix dernières années une partie de cette exploration. C’est ce que Naomi et Jim, qui sont dans ce jury, font. C’est plus que le sentiment de, vous savez, faisons un hybride de fantasy-historique, ou regardons les autres cultures pour élargir nos horizons.
Quand vous me faites penser à Tolkien, il y a une différence entre faire ce que faisait Tolkien et copier Tolkien. Ce qu’il faisait était si différent pour le genre à l’époque que pendant longtemps tout ce qu’on a fait c’était essayer de graviter autour de lui et essayer de comprendre ce qu'il faisait. On peut regarder Tolkien et se demander « Que faisait-il ? Comment utilisait-il la mythologie ? Comment l’a-t-il mélangée à son récit ? Comment a-t-il fait cela sans prendre sa propre mythologie pour faire de telles histoires ? Je crois que nous nous améliorons toujours à ce sujet.
J’adore tout ce truc de grand-père. Je pense qu’on est dans la génération des petits-enfants maintenant. Je crois que notre génération d’écrivains… Je n’ai pas grandi en lisant du Tolkien, j’ai grandi en lisant les gens qui avaient lu Tolkien. J’ai fini par lire Tolkien, mais je suis plus influencé par Robert Jordan et David Eddings et Melanie Rawn que je ne le suis par Tolkien. Ce sont les gens que je trouvais passionnants quand j’étais jeune et que je lisais de la fantasy.

La prochaine question a été à l’initiative de Jim Butcher, bien qu’il fût ironiquement sceptique de ce point de vue, et qu’il ait en réalité amené deux éléments incompatibles du même genre : « En quoi l’émergence des jeux vidéo fantasy, comme World of Warcraft, influence-t-il les lecteurs de fantasy et ses auteurs, et comment pourrait-il modifier le genre dans le futur?

Jim Butcher: Je crois que la principale chose que World of Warcraft et les jeux similaires aient faite c’est qu’ils ont élargi le champ des personnes susceptible de lire un livre de fantasy. C’est vrai, le joueur moyen n’est probablement pas assez « nerd » pour piocher au hasard n’importe quel livre de fantasy, mais ils vont prendre un livre de World of Warcraft et alors certaines de ces personnes se feront inévitablement happer dans ce puits de gravité et y seront aspirées.
Je crois qu’il y a énormément de références au jeu faites plus ou moins subtilement dans le travail de nombreuses personnes. Je crois aussi qu’il y a eu tout un tas de trucs promotionnels. Je veux dire, si je me connecte sur City of Heroes et que je m’identifie sous mon personnage Harry Dresden... Je suis le seul qui puisse m’en servir, légalement ! Tout est protégé par copyright et mon nom d’utilisateur a été changé en nom générique plusieurs fois et je dois dire, « Mais je suis l’auteur ! Je suis en fait le seul qui puisse utiliser ce nom !
Les gens me diront dans ce jeu « Oh, vous savez, j’adore ces livres. » Et puis ils réaliseront « Hey ! Vous êtes l’auteur ? » Et c’est une autre façon dont les fans peuvent interagir avec l’auteur et c’est bien plus cool que de simplement balancer le livre comme ça en espérant que quelqu’un le lira. Un fan peut venir à vous et dire, « Hey ! Je vous connais ! Je vous ai sauvé en vous empêchant de vous faire matraquer par des Nazis sur le toit d’un gratte-ciel ! » Je crois que ça créée une interface liquide où vous pouvez réellement aller et parler aux fans.

Joe Abercrombie: J’ai été un gros joueur toute ma vie mais je n’ai jamais joué à World of Warcraft et n’ai pas joué à beaucoup de jeux en réseau. Je les trouve plutôt intimidants. Vous y allez et faites une erreur, appuyez sur la mauvaise touche, et tout à coup, tout le monde vous crie dessus ! Et vous réalisez qu’en fait vous vous faites crier dessus par des gamins de douze ans !
Ce genre de jeu n’est pas vraiment mon truc, mais il est évident qu’ils ont eu une sorte d’impact, comme Jim le disait, les thèmes et clichés de l’epic fantasy sont dorénavant connus en dehors du cercle des fans. C’est là, c’est général, c’est la tendance, je pense. Donc maintenant en tant qu’auteur de fantasy vous écrivez en quelques sortes des livres tendance, ce qui je crois est une bonne chose.

Peter V. Brett: Je crois que c’est une bonne intention, en tant qu’auteur fantasy de vouloir être loyal au public qui aime la fantasy mais aussi de vouloir toucher d’autres personnes et de leur rendre vos histoires accessibles.
Je crois qu’il y a de ça dans les jeux parce que vous pouvez en quelques sortes customiser votre personnage à votre convenance. Votre avatar a votre personnalité. En écrivant j’essaie de faire cela en racontant une histoire par le biais de différents personnages et points de vues ainsi vous avez différents groupes d’âge, et différents genres et différents types de personnes. Vous pouvez explorer chacun d’entre eux et les lecteurs peuvent s’identifier à l’un d’entre eux ou ils peuvent avoir une vision plus large de cela dans son ensemble.
Je ne joue pas beaucoup aux jeux en réseau moi-même. Je suis plus adepte des jeux qui nécessitent du papier et un crayon.

Jim Butcher: Nerd!

Naomi Novik: J’ai écrit un jeu en réseau…

Peter V. Brett: Et j’y ai joué ! Neverwinter Nights!

Naomi Novik: L’écrire a été très amusant. En fait, je ne joue pas à World of Warcraft parce qu’on ne peut pas compter sur moi. Il faut que je finisse le prochain livre…il faut que je finisse les trois prochains livres. Je serai de retour d’ici à peu près un an…
Mais je pense vraiment que ce qu’ont fait ces jeux en dehors de ce qui a déjà été décrit c’est qu’ils vous font vraiment commencer à penser à vous immerger dans un univers fantasy. Je crois vraiment qu’ils aident les gens à dépasser leur Suspension consentie de l'incrédulité et donnent envie aux gens de participer et d’être impliqués dans des mondes qu’ils apprécient.
Donc, quand Jim dit que personne d’autre ne peut jouer Harry Dresden dans City of Heroes ça me rend folle ! Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir, je ne sais pas, 12 Harry Dresden en même temps…

Jim Butcher: C’est le cas.

Naomi Novik: Quelqu’un l’autre jour m’a demandé sur mon Livejournal, « J’ai appelé mon personnage « Téméraire » dans un MMORPG, est ce que ça vous dérange?” Et j’ai dit, « Non, c’est fantastique ! Êtes-vous un dragon géant !? »%%J’adore vraiment ça et je crois que ça fait partie d'une tendance générale où vous voulez inviter les lecteurs à faire partie de votre monde. à s’imaginer plus de choses qui pourraient arriver avec les personnages après avoir lu la dernière page du livre et être vraiment investi dans votre monde d’une façon que les gens n'étaient pas forcément prêts à affronter quand il était plus question d'une relation distante de consommateur.

Le fait que Naomi Novik et Jim Butcher mentionnent la possibilité d’interagir avec les fans à travers les grands jeux de rôle multi-joueurs a amené la question du feedback des fans, et du fait que ça puisse passer de quelque chose de passionnant à quelque chose de trop impressionnant à gérer.

Brandon Sanderson: Il fut un temps où je pouvais régler les alertes Google sur mon nom et faire attention à tous les résultats que cela donnait, et il fut un temps où je pouvais aller sur des forums et dire « Hey, je suis Brandon Sanderson… » et parler des choses. Ça s’est terminé il y a quelques années quand j’ai vérifié mes mails et que j’ai soudainement réalisé que j’en avais 4 000 parce que Google Alerts me renvoyait les requêtes… ça m'a complètement dépassé, et très rapidement.
Dès que l’annonce de la sortie de La Roue du Temps a été faite, j’ai réalisé que je ne pouvais plus aller sur mes forums préférés parce qu’ils avaient tous des discussions me concernant ! Et ça vous donne juste envie de passer tout votre temps à discuter ! Vous disputer, ou discuter, peu importe.
Je voulais demander…Jim, joues-tu à World of Warcraft?

Jim Butcher: Non, non, pour les mêmes raisons que Naomi. City of Heroes est la seule chose que je puisse gérer.

Brandon Sanderson: Histoire rapide ! Lors d’une des conventions où je me trouvais, Jerry Pournelle s’énervait quant au fait que Terry Pratchett écrivait tellement plus de livres que lui, alors il a acheté ce jeu, Wing Commander, c’était il y a de nombreuse années, en se disant « je l’aurai! » Alors il lui a envoyé Wing Commander pour essayer de le faire y jouer, afin que Terry Pratchett n’écrive plus autant de livres, comme ça Jerry aurait pu le dépasser! Et alors Terry lui a envoyé une lettre disant, « Hey, merci pour le jeu, il m’a inspiré pour faire cette toute nouvelle série de livres… »
C’est quelque chose auquel il faut faire attention. Les médias en ligne…ils font vraiment peur. Je me souviens de la première fois où j’ai commencé à jouer à ce jeu en ligne qui était sans fin et je me suis dit, "Oh, ça c'est dangereux. Il n’y a pas de fin, c’est dangereux. C’est comme un jeu de Tetris, mais ça ne va jamais plus vite, ça devient juste plus cool ! Et ça fait vraiment peur !
Donc, je ne fais que des jeux qui ont des fins. En général il s’agit de tirer dans la tête des gens. Et quand je me fais tirer dessus alors c’est bon je peux retourner à mes livres.

Betsy Mitchell: Et si tu passes une journée vraiment mauvaise ? Tu as des mauvaises critiques, rien n’est fait, il n’y a rien à écrire ? Es-tu tenté à ce moment là d’aller faire un tour sur les forums ?

Joe Abercrombie: Tu viens de décrire ma journée de travail classique là ! Chaque journée est comme ça chez moi. Je dois avouer que je passe énormément de temps à fouiner dans les forums et à me « googler ». (Note : Si c’est le cas, alors bonjour Joe !) Je trouve les Google Alerts très impersonnelles. Il y a un truc dans le fait de taper son propre nom. C’est quelque chose de particulier. Je suis comme un petit garçon le matin de Noël attendant de trouver tous ses adorables rapports de blog sous le sapin! C’est tellement addictif, un peu comme s’il y avait tout un tas de personnes dans une pièce qui parlaient de vous et que vous pouviez les entendre par le trou de la serrure. C’est très difficile de ne pas écouter, donc je trouve ça virtuellement impossible.

Naomi Novik: Je dois dire qu'en général les histoires que je trouve à mon sujet sont vraiment ennuyeuses. Je préfère largement aller lire une histoire sur Stargate ou n'importe quoi d'autre. Mais mon mari reçoit des alertes Google à mon sujet. Donc s’il y a quelque chose de vraiment cool, alors il me le dit.

Peter V. Brett: Je fais partie du club Google Alerts, je dois bien l'admettre. J’en sortirai.
Vous essayez simplement de faire la promotion de ces livres de toutes les manières possibles, donc à chaque fois qu’un fan m’écrit une lettre je réponds cette longue lettre en retour. Du genre, « Oh, c’est si gentil d’avoir écrit et comment va votre chien ? » Ça a continué comme ça pendant un moment et je reçois encore régulièrement des courriers de fans, j’essaie d’y répondre aussitôt que possible, mais j’accumule de plus en plus de retard car je n'ai plus autant de temps.
Dernièrement, j’ai jeté un œil à ma boite de réception, et il y avait quelque chose comme 200 courriers dedans, mais il a fallu que je me fasse à l’idée qu’il était impossible que je réponde à tous ces gens. Certaines personnes ne recevront pas de réponse et il va falloir qu’ils acceptent ça alors j’ai mis un truc sur mon site pour m’en excuser.
C’est comme ça. Et je ne peux pas me plaindre d’être assez populaire pour que tout ça arrive mais ça me donne mauvaise conscience. Je veux répondre à tout le monde mais je ne peux tout simplement pas. Je lis toutes les critiques en ligne et je veux y répondre mais je résiste à la tentation de le faire.

Deborah Harkness: J’écoute tout ça et je me dis, « Wow ». Parce que j’ai des Google Alerts pour certaines des personnes avec qui je suis assise. Je suis professeur d’histoire et si vous êtes un bon professeur d’histoire et que les étudiants vous écoutent alors ce que vous faites c’est être un conteur. Je crois que parfois on oublie le récit dans l’histoire, en l’enterrant sous une énorme avalanche de faits. C’est le genre de dont vous voulez simplement vous échapper.
Pour moi, ça a été une formidable transition parce que j’ai pu réfléchir à la façon de bien raconter une histoire au lieu de me demander sans cesse si les faits que j’évoquais étaient corrects. De toutes manières, maintenant avec Wikipedia, mes étudiants assistent aux cours et vérifient ce que dis. Ça a été un vrai plaisir d’écrire un roman et si j’avais su que ça le serait autant, j’aurais commencé 20 ans plus tôt. J’ai du temps à rattraper.
(A Discovery of Witches parle de la quête d’un manuscrit d’alchimie, Harkness a donc pris le temps d’élaborer la narration de son premier roman et son origine d’un point de vue personnel.) Je suis une historienne de l’alchimie donc tout ce dont je m’inspire, mes mythes, sont des légendes alchimiques. La plupart des gens, merci J.K. Rowling, connaissent quelques petites choses sur les mythes de l’alchimie et il y a un magnifique petit ensemble d’histoires. Elles traitent de la vie et de la mort et de la naissance et du fait de tomber amoureux et de se marier et de se séparer, mais il est tout le temps question de métal.
C’est de la science et de la fiction. Peut-être est-ce la première forme de science-fiction ? Donc dans le livre, j’ai décidé de mettre un manuscrit dans une librairie que je connaissais parfaitement, et j’ai fait en sorte que ce soit une sorcière qui le découvre. Elle essaie de ne pas être une sorcière donc elle peut passer pour une humaine. Et c’est là que l’histoire commence.

Avec toutes la discussion sur comment finir un premier roman et sur le fait d’être distrait par les jeux vidéo, le jury s’est concentré pour commencer à donner aux aspirants écrivains plein d’espoir de l’assistance (quasiment tout le monde) des conseils pour rester concentré sur son écriture jour après jour après jour après jour…

Joe Abercrombie: Peuvent-ils nous donner des conseils ?

Deborah Harkness: N’allez pas sur internet ! Pas avant d’avoir écrit quelque chose. Et ne pensez pas qu’il s’agit du nombre de mots que vous écrivez mais plutôt du fait que vous avez vos mots pour écrire. Je vois mon cerveau comme un pichet et il s’assèche donc à un moment donné dans la journée il n’y a plus de mots là-dedans. Donc si je les utilise dans des mails, sur Facebook, Twitter... Il ne m'en reste plus.

Brandon Sanderson: J’ai l’habitude d’ouvrir un paquet de cartes de Magic : l’Assemblée à chaque fois que j’écris 1500 mots. Je plaisante à moitié. Seulement à moitié. En fait, sérieusement, les gens me demandent ça très souvent et je ne sais pas si je suis si terriblement productif mais c’est vrai que je travaille très souvent de manière compulsive.
Je n’ai jamais eu à avoir de vrai boulot. J’ai vendu un livre alors que je passais mon diplôme et suis devenu un écrivain à temps plein l'année suivante. Ça a l’air plus impressionnant que ça ne l’a été. Je vivais dans la cave d’un ami et j’avais un loyer mensuel de 300 $ et pouvais donc me permettre d’écrire à plein-temps. Alors, pour me motiver à écrire, je ne sais pas si ça marcherait pour qui que ce soit d’autre, j’imagine que je suis poursuivi par ce box fantôme. Et s’il m’attrape alors je devrai devenir un actuaire en assurance ou quelque chose du genre. Et ça me fait vraiment peur ! Je ne veux pas faire ça !
J’ai voulu devenir écrivain dès que j’ai lu mon premier roman fantasy, qui était Dragonsbane de Barbara Hambly. C’est un livre fantastique ! Depuis je me dis, « C’est ce qu’il faut que je fasse. Je serai très mauvais dans n’importe quoi d’autre et si je n’arrive pas à faire ça je finirai clochard au bord de la route. Je ne suis tout simplement bon à rien d’autre. »
Depuis lors je me suis entièrement consacré à ça. J’ai écrit 13 romans avant d’en vendre un. Et ils faisaient tous entre 200 et 250 milles mots de long. Et c’est parce que je voulais vraiment, mais vraiment, faire ça.
J’ai réalisé que mon histoire n’était pas si unique. Il y a des écrivains qui, l’inspiration les a touchés et ils écrivent ce premier livre brillant dès le départ. Pour la plupart du reste d’entre nous, nous passons de nombreuses années à y travailler. Donc j’imagine que mon conseil c’est qu’il faut le vouloir. Le vouloir plus que les jeux vidéo. Le vouloir plus que le temps que vous voulez passer sur les médias sociaux.
Je ne coupe pas internet parce que je veux écrire. Je perds du temps. Je perds une quantité de temps assez raisonnable. Mais je perds plus de temps qu’avant, maintenant que je m’y consacre à plein-temps. Du temps où je n’avais que deux ou trois heures pour écrire par jour, c’était précieux et je n’étais tenté par rien d’autre parce que c’est ce que je voulais faire !

Joe Abercrombie: Il y a un cliché assez répandu selon lequel un écrivain est terriblement artistique et… les mots sont de la peinture… et l’ordinateur est la toile. C’est très rarement comme ça. Pour ma part je travaille sérieusement, je construis mes intrigues et… Je ne suis pas vraiment en train de vous faire avaler ça n'est-ce pas?
Il s’agit de combler les blancs, de maçonner, de mettre l'histoire en forme bloc par bloc. La leçon pour moi concerne le temps passé sur sa chaise. Vous vous asseyez dessus et vous le faites. Même si vous sentez que vous n’y arriverez pas et que ça ne vaut rien. Ensuite vous y revenez et vous dites, oh, bon, ce n’est si mauvais que ça. Vous repérez quelque chose, vous le corrigez, le coupez, prenez d’autres morceaux ailleurs et vous l’améliorez. C’est un long processus de révision, boulot, révision.
Ce n’est pas si romantique. C’est être assis dans une pièce sombre et bûcher.
J’imagine que c’est ça mon conseil. Faites ça.

Naomi Novik: Je vais en fait donner un conseil de pratique spécifique… (Le public rit, bien que ce ne soit pas de cette façon que Naomi voulait le dire, les mecs.) Je veux dire, un outil spécifique ! Il y a cet outil en ligne qui s’appelle « Write or Die » (Écrire ou Mourir). C’est génial. En quelques mots, ce que vous faites c’est choisir combien de temps ou de mots vous voulez écrire et là le compte à rebours se met en route. Si vous arrêtez d’écrire alors votre écran commence à clignoter, et finit par vous jouer une chanson de Rick Astley...

Joe Abercrombie: Je crois que j’ai fait un cauchemar qui ressemblait exactement à ce site.

Peter V. Brett: Quand j’ai pris la décision de devenir vraiment sérieux à propos de l’écriture, je me suis fixé un but de 1000 mots par jours sur une semaine. Si j’arrivais à mes 7000 mots avant le lundi, je m'autorisais un jour de repos, mais je devais y arriver. Je devais faire ça toutes les semaines.
Pour avoir le temps de le faire, je commençais à écrire dans le métro. Je me suis acheté un de ces petits smartphones avec un clavier et un logiciel de traitement de texte et je bousculais une vieille dame pour pouvoir avoir un siège, alors je m’asseyais là avec mes écouteurs vissés aux oreilles et écrivais simplement avec mes pouces. Et j’avais écrit environ 400 mots entre ma maison à Brooklyn et Times Square, et environ 400 autres sur le chemin du retour.
Je ne dis pas que je trouvais ça amusant, mais il faut se forcer à écrire de façon régulière ou sinon vous n’arrivez à rien. Si vous voulez vraiment vous investir, vous devez prendre le temps.

Brandon Sanderson: La plupart des écrivains pros que je connais, ils écrivent de la façon que Joe vient de décrire. Ils écrivent, et si c’est nul, ils jettent tout et réécrivent tout. Et si c’est toujours nul ils jettent tout et réécrivent de nouveau. Les auteurs pros ne peuvent pas frôler de plus près de la page blanche. Il ne s’agit pas d’être assis face à son écran sans rien pouvoir sortir. C’est un mythe pour la plupart des gens que je connais.
J’ai réalisé que si vous faisiez ça suffisamment souvent, vous trouvez la solution. Les pros écrivent tout le temps, c’est juste qu’ils écrivent des trucs que vous ne verrez pas.

%%% Jim Butcher: J’aime considérer la peur de la page blanche comme quelque chose d’imaginaire. Pas réellement une horrible menace. J’ai toujours dit que je n’ai pas de muse, mais un crédit à rembourser. C’est l’attitude qu’il faut adopter.

Les auteurs ont eu droit à un dernier sujet avant que la voie ne soit ouverte aux questions du public, « Qui a influencé votre écriture, et qui avez-vous lu dernièrement et à qui vous souhaiteriez tirer votre chapeau ? »

Naomi Novik: Patrick O’Brian a une grande grande influence sur mon écriture, et Anne McCaffrey. Et je veux absolument m’approprier Les Cent Mille Royaumes de N.K. Jemisin. Un livre fantastique, fantastique, et il faut que je lise les prochains !

Peter V. Brett: Pour moi je crois que ça a été Terry Brooks. J’avais lu Bilbo le Hobbit et je l’avais vraiment aimé et ensuite j’ai lu les comic books tout le temps. Mon père en a eu un peu marre et il voulait que je lise de vrais livres, alors il est allé dans le rayon fantasy de la librairie et a choisi un livre pour ainsi dire au hasard, me l’a ramené à la maison, et me l’a balancé avec un "Lis ça." Et je l’ai lu ! Et c’était L'Enchantement de Shannara. Et après ça j’ai lu tout ce que Terry Brook a écrit. Et quand il ne m’est plus resté aucun de ses livres à lire et que je ne voulais pas attendre je retournais simplement dans le rayon fantasy, choisissais des livres au hasard et les lisais.
Cet été, j’ai lu ce crétin (Joe Abercrombie, assis à côté de lui). Non, en fait j’ai lu ses quatre livres cet été et ils sont fantastiques.

Joe Abercrombie: Il a raison vous savez.
Pour moi, George R.R. Martin. J’ai lu beaucoup de fantasy dans les années 80, vous savez, un tas de trucs complètement commerciaux, Lancedragon, Tolkien aussi. Je trouvais que d’une certaine manière la fantasy devenait répétitive. Dans les années 90, j’ai lu Le Trône de Fer et il a vraiment révolutionné toute ma façon de voir la fantasy. Je crois que j’y ai vu, exprimé très clairement, beaucoup de ce qui d’après moi, inconsciemment, manquait à toutes les choses que j’avais lues par le passé. L’imprévisibilité et le réalisme et l’intransigeance. « Intransigeant » est utilisé si souvent, mais il mérite bien sa majuscule ici.
En même temps, c’était très clairement de la fantasy épique et commerciale donc c’était un type d'œuvre attirant, passionnant, et qui a prouvé que l’on pouvait quelque chose de passionnant et intéressant dans l’epic fantasy. J'ai eu l'impression que... Je pourrais copier ça! Voler cette idée et me faire de l’argent avec.

Peter V. Brett: Je pense que George R.R. Martin a fait évoluer la fantasy. Il a amené un niveau de réalité dans la narration où vous réalisez que les gentils ne gagnent pas toujours et que n’importe qui peut mourir, parce que c’est comme ça que la vie fonctionne. Amener ce niveau de réalité dans l’histoire a, je pense, forcé le genre à murir à de nombreux niveaux, ce qui n'avait pas été fait avant. Rien de mal ne pouvait arriver au personnage principal ! Mais maintenant ça pourrait, et maintenant vous êtes vraiment impliqué dans ce qui pourrait arriver aux gens parce que vous savez que cet auteur est un salaud de première classe et qu’il peut tuer n’importe qui n’importe quand !

Joe Abercrombie: Nous devrions être plus nombreux à être détestés et effrayés par nos lecteurs !

Deborah Harkness: Je crois que pour moi ça a été Le Cycle d’Avalon de Marion Zimmer Bradley et peut-être aussi Le Lien Maléfique d’Anne Rice, que j’ai absolument adoré. Je pense que je les ai aimés tous les deux parce qu’ils avaient des personnages féminins ce qui était une chose par laquelle j’étais vraiment attirée.
Ce que je lis en ce moment est une merveilleuse collection de contes pour adultes qui s’appelle, j’espère que je le dis dans le bon ordre, My Mother She Killed Me, My Father He Ate Me. (Ma mère elle m’a tué, mon père il m’a mangé) Ce sont de merveilleuses descriptions courtes de contes de fées par des gens comme Neil Gaiman et Joyce Carol Oates, et c’est une collection vraiment, vraiment intéressante.

Brandon Sanderson: Robert Jordan est probablement l’auteur qui m’a le plus influencé, de plus d’une façon ! Quand j’ai lu ces livres j’ai trouvé qu’ils transcendaient de nombreux clichés de la fantasy. Ça reprenait beaucoup de ce que Tolkien faisait mais appliquait la méthode sans l’imiter.
Ces dernières années, j’ai eu beaucoup de délais très serrés. Très serrés ! Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour choisir beaucoup de livres donc j’ai lu Terry Pratchett. Mon emploi du temps était si serré que j’ai voulu choisir quelque chose dont je devais être sûr que ça serait génial. Je me suis mis à lire Pratchett sur le tard.
Je ferais bien de la pub à Dan Wells (I Am Not A Serial Killer et le récent Mr. Monster) mais il est dans mon groupe d’écriture donc je ne sais pas si ça compte !
Et, en fait, j’ai lu beaucoup de Jim Butcher dernièrement. Un de ses fans est venu à moi à une séance de dédicaces et a dit, « Vous n’avez pas lu les Codex Alera ? Voici mon exemplaire que j’ai lu sept fois, complètement écorné, je veux que vous le lisiez ! » Et vous ne pouvez pas dire non à ça donc j’ai lu beaucoup de Jim.

Jim Butcher: Tout d’abord, laissez-moi vous dire que j’ai de sérieux doutes quant aux goûts de Brandon.
Quant aux auteurs qui m’ont influencé, je dirais probablement C.S. Lewis et Lloyd Alexander. Je les ai lu quand j’avais six ans, et ensuite quand j’avais sept ans mes sœurs m’ont offert ce coffret du Seigneur des Anneaux, aux couleurs primaires, rouge, bleu, vert…jaune ? Donc on peut dire que j’ai commencé avec Tolkien.
En ce qui concerne les nouvelles découvertes…il y a un écrivain qui s’appelle Harry Connolly, le titre de son livre est Child of Fire. C’est vraiment excellent, vraiment bien ficelé et je l’ai adoré. Je vais devoir placer la barre plus haut.

Arrivé à ce moment-là, les auteurs ont répondu aux questions du public, dont beaucoup étaient centrées sur soit sur la construction de l’intrigue soit sur les personnages. La construction préalable de l’intrigue a donné lieu à toute une gamme d’approches de la part des auteurs. Peter V. Brett écrit des plans qui font près de 200 pages, alors que Naomi Novik préfère laisser les personnages et l’histoire mener la danse et a beaucoup de mal à faire ne serait-ce que deux pages de plan. (Et comme l’a fait remarquer Betsy Mitchell, même quand elle est payée pour le faire !)
Brandon Sanderson et Joe Abercrombie réalisent tout deux des plans au préalable, Brandon Sanderson passe énormément de temps sur les systèmes de magie, citant le système allomatique des Mistborn et comment cela combine un système magique rationnel avec la nécessité d’avoir des personnages dont les pouvoirs reflètent la personnalité. Jim Butcher fait lui aussi un plan préalable, et est intransigeant avec le moindre personnage qui essaierait d’en sortir.
Aucune question sur les intrigues des livres à venir des auteurs n’a été posée (ce qui était plutôt surprenant) mais de nombreux conseils d’écriture ont été distribués. Vous vous demandez quoi faire dans l’étrange flux temporel entre le moment où trouver un agent et celui où vendre votre livre ? Écrivez un autre livre ! Votre livre est vendu mais vous devez en faire la promotion ? Soyez disponible pour n’importe quoi. (Et faire la pub de votre livre dans un jury ne fait certainement pas de mal !)

Article originel.


Dernières critiques

Derniers articles

Plus

Dernières interviews

Plus

Soutenez l'association

Le héros de la semaine

Retrouvez-nous aussi sur :